Chapitre 20




" Je comprends mieux pourquoi il t'est arrivé de ressentir le besoin de la tuer...pour tuer tes sentiments envers elle. "

Silas se leva du fauteuil en éprouvant le besoin urgent d'abattre son poing dans un mur et se mit à arpenter le salon comme un lion en cage.

Il se passa une main sur le visage en la regardant remuer sur le canapé comme si elle essayait en vain de se réveiller tout en voulant rester enfermée dans un cocon de sécurité.

Massimo avait-il raison ?

Cela faisait trois heures qu'il ressassait encore et encore cette année entière passée avec elle et de toutes les fois où il avait été pris de pulsions meurtrières en croyant que cela l'aiderait à ne plus ressentir cette étrange et indescriptible émotion.

Maintenant il craignait que Massimo lui ait apporté une vérité douloureuse à accepter. Chaque qu'il posait son regard sur elle ce sentiment ne faisait que s'accroître jusqu'à devenir l'épicentre du séisme qui lui coupait presque la respiration.

Silas cessa de marcher et demeura alors immobile devant le canapé, les poings fermés le long de son corps irradié par de sombres colères qui se démultipliaient sans cesse.

Elle remua à nouveau mais cette fois-ci ses paupières se soulevèrent définitivement. Désorientée, elle redressa doucement la tête et balaya le salon d'un regard apeuré puis le laissa tomber sur lui.

Silas s'ordonna de ne pas bouger alors qu'il brûlait de la rejoindre pour vérifier qu'elle allait bien.

À la seconde où ses yeux se posèrent sur lui la jeune femme essaya en vain de ne pas laisser la peur transparaître sur son visage.

- Est-ce que tu te sens mieux ? Demanda-t-il en s'efforçant de maîtriser le timbre naturellement sombre de sa voix.

- Oui, murmura-t-elle en se redressant totalement. J'ai désormais honte.

- C'est moi qui devrais avoir honte, rectifia-t-il en luttant pour ne pas faire un pas vers elle. Je suis désolé de t'avoir poussé à me dire ce que tu ressentais.

Elle le dévisagea avec une lueur hésitante dans le regard puis baissa les yeux.

- Au final c'est un mal pour un bien car je me sens libéré d'un poids, avoua la jeune femme en remettant une mèche inexistante derrière son oreille.

- Déteste-moi autant que tu le voudras, tu as le droit, déclara-t-il en desserrant ses poings. Je suis fautif et je mérite que tu me déteste jusqu'au plus profond de ton âme.

Il céda au silence qui pour lui était une indication à suivre pour infliger le moins de dégâts possible.

- Mais je te mentirais si je te disais que je ne ressens pas un sentiment satisfaisant de t'avoir entendu me révéler toutes ses choses.

Abby déglutit en ayant l'impression qu'un gouffre profond l'emportait dans un univers...un monde différent et peut-être même irréel. Chaque fois qu'il la regardait elle se sentait envahie par une force qui la maintenait dans étau dangereux et qui la rendait coupable.

Coupable d'aimer cet étau dangereux.

Le système l'avait abandonné...un système dans lequel elle croyait jusqu'à ce que celui-ci la laisse au pas de sa porte en lui promettant seulement de faire tout leur possible avant de disparaître sans jamais la recontacter. Cet étau dangereux elle aurait voulu qu'il vienne d'eux et non de lui. Un étau qui lui promettait que son violeur n'était pas le seul à être dangereux et qu'elle pouvait trouver en eux cette sécurité dont elle avait besoin pour avancer.

Et c'est le tueur au masque sans visage qui avait répondu à cette demande désespérée...à ce cris dans le silence...

Devait-elle se sentir coupable ? Est-ce qu'elle était folle ou atteinte du syndrome de Stockholm ?

Elle n'avait pas l'impression de se sentir atteinte de ce syndrome, mais plutôt envahie par ce sentiment en perpétuelle évolution.

- Vous pensez que je suis atteinte du syndrome de Stockholm ? Vous pensez que...

Elle se retint de rire car la situation paraissait lunaire.

- Tu as l'impression de l'être ?

Il s'approcha lentement et à mesure de ses pas, son cœur se mit à s'accélérer.

- Je ne sais pas, dit-elle en peinant à respirer calmement. Je n'ai pas l'impression d'être manipulée, je n'ai pas l'impression d'être en face d'un sadique qui espère que je développe des sentiments et de la compassion pour mieux me contrôler et m'inviter à commettre des meurtres avec lui.

Un furtif sourire sans émotion passa sur ses lèvres viriles.

- Alors je pense que tu viens de répondre à ta question.

- Suis-je encore prisonnière ?

Son regard s'assombrit, son visage ciselé devint de marbre et elle savait déjà que sa réponse serait inflexible et impérieuse.

- Oui, dit-il d'une voix grave. Tu veux te sentir en sécurité ? Alors tu risques d'être servie car en dépit de notre histoire commune et les nombreuses questions que nous devons régler, je n'ai pas oublié que tu as été enlevé par un imitateur qui viole et tue des femmes.

Son sang se glaça et ses lèvres se mirent à remuer dans le silence.

- Il faut que je trouve qui fait ça et pourquoi tu étais sur sa liste. Donc oui Abby tu demeureras prisonnière dans ces lieux jusqu'à ce que je trouve cet homme. Tu peux l'accepter ou bien te battre inutilement mais je n'ai pas l'intention de céder.

- Est-ce que vous faites cela uniquement pour cette raison ?

Si seulement son cœur ne s'était pas arrêté de battre, pensa-t-elle en scrutant sa réaction.

Impassible, les coudes sur les genoux, l'homme à l'origine de cette tempête de sentiments contradictoires resta silencieux mais son regard lui...

- Non, finit-il par répondre en frottant ses paumes de mains l'une contre l'autre. Je ne fais pas ça uniquement pour toi.

Ses mâchoires volontaires se mirent à convulser et Abby chercha en vain un moyen de décrypter ses pensées presque impossible à lire dans ses yeux.

- Alors pourquoi ?

- Parce que c'est beaucoup plus compliqué que ça Abby et dans le fond tu le sais. Je ne peux pas et je refuse de te laisser partir pour des raisons qui te dépassent peut-être mais qui pour moi sont réelles et méritent une attention particulière.

Abby abaissa le regard mais celui-ci se releva aussitôt comme happé par le sien.

- Je sais à quel point c'est difficile pour toi, ajouta-t-il en se levant. Et je vais faire tout mon possible pour que tu es le moins peur possible de moi.

Abby se leva à son tour et vacilla.

- J'ai peur en effet, lui dit-elle d'une voix tremblante. J'ai peur de me perdre dans mes propres pensées, j'ai peur que des impulsions vous submergent comme autrefois.

- Non, s'empresse-t-il de dire en comblant l'espace qui les séparait.

Les battements de cœur affolés, la bouche sèche, Abby ne bougea alors qu'elle aurait dû faire un bon en arrière.

Il leva ses mains vers elle et se retint de la toucher. Abby crut voir dans ses yeux une lueur proche de la lutte. Il luttait pour ne pas la toucher puis sans qu'elle n'ait eu le temps de s'y préparer il posa ses mains sur ses épaules.

- Je n'aurai aucune impulsion, je n'ai pas l'intention de te faire du mal Abby, je te le promets.

Elle sentit ses mains trembler contre ses bras et il les retira pour les fermer en poings. Cet homme au regard opaque et lourd de nuances proche des ténèbres avait un profil austère et puissant. Assez puissant pour intimider n'importe qui d'un seul regard et c'est ce genre de détail qui lui donnait l'impression d'être en sécurité alors que ça devrait être le contraire.

- Ça ne sert à rien de lutter, s'entendit-elle murmurer en humant involontairement le parfum musqué de l'homme.

- Si tu fais référence à l'idée de t'enfuir alors non, ça ne sert à rien de lutter, confirma-t-il en la prenant par le bras. Tu as besoin de manger un peu.

Abby se laissa conduire en réprimant la chaleur étrange qui remontait dans son bras jusqu'à son épaule. Il progressait à son rythme puis l'entraîna dans une cuisine vaste et lumineuse. Il l'aida à s'installer en bout de table puis alla ouvrir le frigidaire.

- Tu as besoin de reprendre des forces, ajouta-t-il sur un ton plus froid.

- Que se passe-t-il à l'extérieur ? Demanda-t-elle en fixant son large dos dont les muscles roulaient à chacun de ses mouvements.

- Tu veux savoir si ceux qui devaient te protéger sont à ta recherche ?

Sa voix avait prit des tons très glacials et détachés.

- Ce n'est pas le cas ?

Il se retourna pour poser une assiette devant elle ainsi qu'un verre de vin blanc.

- Ils sont tous à ta recherche, dit-il sans émotion dans la voix.

Étrangement Abby ressentit un goût amer dans la bouche.

Il tira la chaise à sa droite et s'installa. Silas pouvait déceler son pouls s'accélérer et devinait aisément à quelle vitesse il pouvait battre chaque fois qu'il s'approchait d'elle. Ses yeux bleus se baissèrent sur ses mains et il lut de la crainte voiler aussitôt regard.

- Ça n'a pas l'air de te réjouir, nota-t-il en scrutant attentivement les expressions de son visage.

- Je ne sais pas ce que je devrais ressentir d'apprendre que ceux qui étaient censé me protéger m'ont clairement mise en danger.

- En danger ?

- Je pense sincèrement que j'ai été mise en danger à l'instant précis où le premier meurtre à eu lieu mais...non...oubliez...

Au contraire il n'avait pas l'intention d'en rester là, mais voulait se montrer patient avec la jeune femme qui continuait de le craindre. Il lui avait fait du mal. Pas physiquement, mais psychologiquement. Bien qu'elle lui avait avoué s'être sentie en sécurité avec lui et se maudissait pour ça, Silas ne pourrait jamais se pardonner l'erreur qu'il avait commise.

Était-il tombé en amour pour elle sans même s'en rendre compte ?

Cela portait un nom et il le connaissait.

Le syndrome de Lima.

- Tu dois manger, ordonna-t-il en s'arrachant de ses pensées. Tu dois prendre des forces.

Ce syndrome l'avait conduit inconsciemment vers une vérité que Massimo venait de faire exploser en éclat.

Il l'aimait.

Abby essayait de déchiffrer les expressions qui se déversaient sur le visage de l'homme. Une douleur s'afficha sur ses traits ciselés alors qu'il venait de tourner la tête pour la cacher.

- S'il te plaît Abby, ajouta-t-il sans la regarder comme si cela lui était devenu subitement pénible. Ne m'oblige pas à le faire.

Cette phrase voilée par une menace la poussa à prendre la fourchette. C'est seulement à la première bouchée qu'il la regarda avec cette paire d'yeux pénétrante. Elle suffoqua sans lui montrer et garda ses yeux ancrés timidement dans les siens.

Sans cesse ses mains se fermaient en poings comme s'il luttait contre l'envie féroce de la toucher.

- Je trouverai tout ceux qui t'ont fait du mal et qui ont voulu t'en faire, lui dit-il d'une voix ruisselante d'une colère étouffée. Je t'en fais la promesse.

- C'est impossible, murmura-t-elle en luttant contre les larmes qui la menaçaient. Personne n'a jamais réussi à...

- Je trouverai tout ceux qui t'ont fait du mal, répéta-t-il plus durement sans toutefois élever la voix. Je te demande de me faire confiance et de continuer à ressentir ce que tu ressentais à l'époque. La sécurité. Même si cette sécurité c'est un monstre qui te la promets.

Abby inspira profondément en dévisageant ce dégoût qu'il avait de lui-même et qu'il ne cherchait plus à dissimuler. Jusqu'ici la seule compassion qu'elle avait ressenti pour lui était pour la perte de sa petite-sœur qui avait subi des atrocités monstrueuses, mais à cet instant précis, son cœur éprouva une peine pour cet homme au visage épris de douleur.

Quelque chose de très puissant les unissait elle avait beau tout faire pour rejeter l'évidence celle-ci revenait la frapper chaque fois qu'elle le regardait.

- Donne-moi une chance Abby, chuchota-t-il en faisant progresser sa main jusqu'à la sienne.

Elle résista de toutes ses forces pour ne pas la retirer et attendit qu'elle celle-ci se pose sur sa main pour savoir quel réaction tout son être allait ressentir.

Sa paume chaude enferma sa main et il exerça une légère pression qui la fit frémir.

Au fond de son regard sombre s'alluma alors une lueur jusqu'alors méconnue. Il y avait un mélange très étrange qui se formait peu à peu sans qu'elle puisse le décrire tel qu'elle voyait.

- J'ai besoin de te l'entendre dire pour que ça ait du sans Abby. Est-ce que tu me fais confiance ?

Elle se pinça les lèvres, le cœur battant à la chamade tandis que sa voix dangereuse s'insinuait partout dans son être sans pouvoir l'arrêter.

Il ne lui donnait pas le choix de rester ici, mais il lui donnait le choix de le rejeter et de le haïr jusqu'à l'épuisement. Il lui donnait le choix de choisir entre vivre avec lui de la manière qu'il avait décidé ou de lutter. Dehors il y avait un autre monstre qui la cherchait, et qui lui, voulait lui faire du mal.

Alors elle s'imagina nue, morte, étendue sur une route glaciale les poignets attachés et de la boue partout sur le corps. Une angoisse la submergea...si forte qu'elle avait l'impression de sentir la mort l'attraper.

- Oui, s'entendit-elle murmurer en relevant les yeux.

Recouvrant son masque impassible il ôta sa main de la sienne sans la quitter du regard et elle lut dans ce dernier une dangereuse promesse...

Abby venait de faire un choix qui allait changer le cours de sa vie pour toujours et une fois de plus c'est le tueur au masque sans visage qui en deviendrait le maître.

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