Chapitre 18



Le jeu n'avait pas commencé tout de suite et il commencerait que lorsqu'il en aura décidé. Abby l'avait compris quand il l'avait soulevé dans ses bras pour la remettre dans ce lit qu'elle ne supportait déjà plus. Il était alors parti en la laissant seule avec ses propres démons et cette solitude s'était éternisée durant toute une semaine. Muré dans un silence indescriptible il s'était contenté de lui prodigué des soins médicaux pour sa guérison et de lui servir des plateaux repas. Ensuite, il disparaissait pour mieux revenir dans la nuit et il s'installait dans le fauteuil près de la porte. Chaque fois Abby faisait semblant de dormir tout en ne sachant pas s'il l'avait deviné. Cette insupportable situation dura plusieurs jours sans qu'elle puisse obtenir quoique ce soit de lui. Le plus compliqué pour elle était le moment de sa toilette. Il demeurait immobile derrière le rideau à attendre qu'elle finisse de se laver du mieux qu'elle le pouvait à cause du plâtre.

Abby ne comptait plus les fois où elle avait essayé de lui parler et qu'il lui avait infligé un silence glaçant.

Dix-neuf jours plus tard et alors qu'elle avait fini par se murer à son tour dans le silence, il entra dans la chambre pour lui infliger son imposante présence qui chaque fois l'envahissait d'émotions terribles et contradictoires.

Très vite elle sentit que sa présence était différente des autres jours et une bouffée d'inquiétude la gagna lorsqu'elle baissa les yeux sur l'étrange outil qu'il tenait dans sa main.

Son instinct lui hurla alors de se redresser sur le matelas et sa respiration s'accéléra.

- C'est enfin le moment de te libérer, annonça-t-il en contournant le lit.

- Me...me libérer ? Répéta-t-elle désorientée.

Il braqua son regard dans le sien tout en baissant la barrière.

- Pas de moi, précisa-t-il avec une lueur énigmatique dans les yeux. Je parle du plâtre. Lors de notre dernière conversation tu étais douloureuse et je tiens à te guérir avant d'envisager de longues conversions au coin du feu. Voilà la raison de mon silence et j'avais des choses importantes à faire.

- Quelles choses importantes à faire ? Vous avez condamné le grenier ?

Ce n'était pas de l'humour mais une véritable interrogation qui lui arracha un sourire à peine perceptible.

- Merci pour cette suggestion, je n'y avais pas pensé.

Abby laissa sa tête tomber sur l'oreiller et porta ses mains à son front.

- Je vais ôter ce plâtre en espérant que mon travail a payé, expliqua-t-il comme si la situation était parfaitement normale...comme si elle était sa patiente et lui son médecin.

- Depuis quand vous êtes médecin ?

- Depuis que j'ai fini mes études pour en devenir un, mais hélas je n'ai pas eu le temps d'exercer car ma sœur est morte peu de temps après...du moins son cerveau l'était.

- Vous voulez dire que...que je suis la seule personne que vous avez opéré ?

Il lui jeta un regard légèrement amusé puis commença à lui retirer son plâtre. Le bruit de l'outil était bruyant ne lui permettant pas de poursuivre cette conversation.

- Jusqu'à maintenant j'ai fait de l'excellent travail, répondit-il en faisant une pause entre deux découpe précise du plâtre. Je t'ai sauvé une première fois la vie et maintenant ta jambe. Je suis doué et je pourrai travailler dans n'importe quel hôpital mais je ne le désire pas. Du moins pas pour le moment.

- C'est assez ironique vous ne trouvez pas ? Osa-t-elle dire en fixant attentivement sa réaction.

- De vouloir sauver des vies tout en tuant ? Oui je te l'accorde Abby c'est très ironique, lui dit-il l'expression indéchiffrable.

Son cœur palpitait si fort qu'elle ne savait plus ce qui était réelle ou non. Le plâtre se brisa soudain et sa jambe fut enfin libérée. Abby réprima un soupir de soulagement car retrouver sa jambe ne l'aiderait en rien à sortir d'ici.

Il posa sa main chaude sur sa jambe et ce contact la fit d'abord sursauter avant de sentir quelque chose d'inexplicable dans son bas-ventre.

Les doigts crochetés sur les draps elle le laissa manipuler sa jambe tout en savourant cette sensation de liberté qui n'en était pas réellement une.

- Tu ressens des douleurs ?

- Non aucune et j'aimerai savoir comme c'est possible.

Il se pencha pour la saisir en-dessous de ses aisselles et la souleva comme un poids plume pour ensuite la déposer sur le sol froid. Délibérément l'homme aux senteurs épicés et très brutes ignora ce semblant de lutte qu'elle lui offrit en retour et posa ses mains fermes sur ses hanches.

Il était si grand qu'elle vacilla en ayant l'impression que le sol se dérobait sous ses pieds.

- Il s'agit d'une méthode que je souhaite gardé confidentiel, expliqua-t-il brièvement le regard concentré sur sa jambe. Maintenant je veux que tu marches.

Abby obéit et essaya de marcher en n'ayant d'autre choix que de s'appuyer sur lui. Au début une douleur assez vive la fit grimacer, mais à mesure des pas celle-ci s'estompa. C'était un miracle auquel elle refusait de croire car aucun miracle n'était possible dans les ténèbres. Il plaça une attelle pour stabiliser sa jambe et tout en long de ce processus Abby sentit son visage fourmiller.

- Tu vas boiter pendant quelques jours, mais ça m'a l'air...parfait.

Sa voix était comme un écho profond et sombre teintée d'une virilité inégalée qui à chaque fois réveillait en elle une sensation qu'elle voulait maudire sans toutefois y parvenir.

Il la souleva par la taille et l'installa au bord du lit.

- Et maintenant ? Que va-t-il se passer ? Demanda-t-elle en redoutant la réponse.

Il se ferma dans une sombre expression marquée par un rictus. Abby baissa les yeux sur sa jambe qui avait été marqué par son empreinte qu'elle sentait bouillonner dans ses chairs.

- Il se passera ce qu'il doit se passer Abby, finit-il par dire en se plaçant devant elle. Je croyais que tu avais des questions à me poser.

- En effet, mais c'était il y a dix-neuf jours en arrière.

- Il y a dix-neuf jours en arrière tu étais fébrile, épuisée, et tu souffrais, précisa-t-il. Ce n'était pas le moment de commencer une longue narration.

- Et ensuite ? Une fois que j'aurai mes réponses ? Que va-t-il se passer ?

- Toi seule aura la réponse à ce moment-là, laissa-t-il tomber trop calmement pour que ça paraisse sincère.

L'énigme qui régnait en maître dans son regard était sans doute la plus grande trahison pour cet homme.

- Vous mentez, et vos paroles précédentes en sont la preuve.

Il se déplaça jusqu'à elle avec une démarche lente et délibérée puis se plaça devant elle jusqu'à ce que ses genoux rencontre ses cuisses musclées. Abby recula progressivement en rejetant la tête en arrière de façon à pouvoir atteindre son visage de marbre.

- Tu as conscience que tu t'adresses à moi de façon si...paisible alors que tu devrais me supplier, hurler, pleurer hum ?

- Parce que mon esprit est désorienté, se justifia-t-elle la respiration difficile.

- Vraiment ?

- Oui ! S'emporta-t-elle en voyant bien qu'il essayait une fois de plus de la piéger de façon à pénétrer la moindre parcelle de ses pensées.

- Il y a autre chose Abby, chuchota-t-il en approchant sa main de son visage sans le toucher. Tu ne réagis pas comme tu le devrais, ce qui me laisse croire que j'ai raison.

Satisfait, il fit retomber sa main, lui accorda un regard en biais puis quitta la chambre.

Abby resta immobile et soucieuse de son propre état d'esprit qui était littéralement sous emprise d'une force invisible. Elle n'arrivait pas à associer le tueur au masque sans visage à cet homme qui quelques jours en arrière l'avait mise en confiance et s'était montré si protecteur et bienveillant.

Était-elle folle ? Sous emprise ?

Elle descendit du lit et marcha difficilement jusqu'à la sortie pour l'emprunter. Elle se dirigea dans la même direction que la dernière fois et entra dans le salon avec la sensation qu'il s'y trouvait.

Son cœur martelait ses tempes sans lui laisser aucun répit et ses pensées étaient toutes dirigées vers cet homme qui se tenait devant la bibliothèque le dos raide et penché en avant, les mains posées sur l'une des étagères.

Il respirait fort comme s'il essayait de refouler la naissance d'une colère. Abby recula et s'apprêtait à faire demi-tour quand il déclara :

- Tu devrais t'habiller autrement.

Sa voix fut froide et impérieuse, la laissant éprise de frissons glacials. Elle coupa sa respiration quand il pivota sur lui-même après s'être redressé lentement.

Son regard opaque trouva le sien sans difficulté comme s'il avait su à l'avance sa position dans la pièce. Son torse se soulevait de façon désordonné qui se conjugué avec l'ombre orageuse posée sur ses traits ciselés.

- Tu vas changer de chambre et tu y trouveras des affaires plus confortables.

- Je veux sortir prendre l'air, j'ai l'impression d'étouffer, s'entendit-elle murmurer en craignant que sa demande soit immédiatement rejetée.

- Va t'habiller Abby, ordonna-t-il d'une voix inflexible. Premier étage, la deuxième porte sur la gauche. Tout de suite.

Silas se maudissait et continua de se maudire jusqu'à ce qu'elle disparaisse une peur froide dans les yeux.

Il serra les dents, la respiration de plus en plus rapide et dangereuse. Depuis que la vérité avait éclaté et qu'il la savait innocente de tout crime Silas n'était pas préoccupé qu'elle veuille ou non lui pardonner son erreur et ce qu'il lui avait fait enduré, mais il était inquiet des pulsions indescriptibles qui le menaçaient chaque fois qu'il était proche d'elle. Des tensions foudroyantes qu'il ne parvenait pas à contrôler et le pire c'est qu'il savait d'où elles provenaient et comment elles avaient vu le jour.

Sa capacité à se contrôler était sur le point d'atteindre un point culminant et s'il fuyait les questions de la jeune femme c'est pour cette raison.

Silas craignait que cela ravive ce qu'il cherchait à fuir depuis qu'il avait gagné les côtes Sicilienne.

Trente minutes plus tard la jeune femme revint vers lui dans l'une des tenues qu'il lui avait acheté. Derrière la peur qui dominait son regard Silas décela de la détermination dans ses prunelles.

Il savait les raisons pour lesquelles la jeune femme n'était pas roulé en boule dans un coin, les larmes aux yeux en train de le supplier pour qu'il la libère.

Il était presque certain que s'il remettait son masque elle serait pétrifiée. Son esprit était confus et tiraillé entre l'homme et le monstre.

L'un se revendiquant criminologue et l'autre un tueur.

- Suis-moi, ordonna-t-il en allant chercher son manteau.

Elle le suivit avec une démarche hésitante et Silas décida de la conduire dans le grand jardin entouré d'un mur infranchissable.

- Nous ne sommes pas au manoir, dit-elle d'une voix blanche en embrassant le jardin peuplé d'arbres.

- Je te l'ai dit, je suis un bâtisseur.

Il marcha en direction du chemin en espérant qu'elle lui emboîte le pas alors que brume était épaisse et qu'il faisait très froid.

- Donc tout était prévu ? Même si je n'avais pas été enlevé par celui qui imite votre père ?

- En effet, confirma-t-il sans éprouver le moindre regret à lui dire.

Elle s'arrêta à mi-chemin les joues blêmes et ses grands yeux n'avaient jamais été aussi captivant qu'à cette instant.

- Pendant que j'étais dans votre manoir vous étiez en train de...

Elle n'alla pas au bout de sa phrase par peur de lui donner un sens. Silas s'avança alors et patienta jusqu'à ce qu'elle rencontre le grand chêne derrière elle. Il apposa sa main sur le tronc, la piégeant de façon à ce qu'elle ne puisse plus lui échapper.

- Lorsque je t'ai vu au café c'est la première pensée qui m'a saisi, révéla-t-il en plongeant son regard dans le sien. Il fallait que je trouve un moyen de t'attirer jusqu'à moi, mais à ce moment-là je ne savais pas que j'avais commis une erreur.

- Parce que si vous ne l'aviez pas su ça aurait été différent ? S'enquit-elle d'une voix tremblante.

- Je l'ignore, avoua-t-il en fixant sa bouche et en se maudissant intérieurement de la vouloir.

Il plia ses doigts contre le tronc pour fermer sa main en poing.

- Vous avez tué toutes ces personnes, murmura-t-elle d'une voix à peine audible.

- Et je ne le regrette pas, articula-t-il sombrement. Ils se sont comportés de façon inhumaine alors je me suis comporté de la même façon. Tu ne peux pas comprendre. Des années à vivre sous une fausse identité pour pouvoir protéger une enfant innocente et espérait qu'elle puisse grandir sans avoir peur que les horreurs de son géniteur brise sa vie !

Silas sentit son visage trembler et sut dans les yeux brillants de la jeune femme que son expression n'était plus humaine.

- Elle a été jeté en pâture par des personnes sans morale et sans compassion ! Siffla-t-il entre ses dents. Ils l'ont fait souffrir alors il fallait qu'ils souffrent !

Elle sursauta en fermant les yeux.

Silas réprima la violence qui irradiait ses muscles en lâchant un soupir tremblant de rage.

- Mon désir de vengeance a altéré ma capacité à déceler plus vite que tu n'étais pas impliqué, reprit-il sur un ton coupable. Il a fallut que la vérité me soit révélée pour enfin mettre un mot sur cette étrange conviction, cet étrange pressentiment que si je te faisais du mal alors je serais damné à jamais.

La jeune femme baissa les yeux, la respiration étrangement plus reposée.

- J'aurai dû le voir, j'aurai dû m'apercevoir plutôt que tu n'étais pas comme eux.

- Est-ce que ça aurait changé quelque chose ? Demanda-t-elle en relevant les yeux. Si vous aviez su dès le départ compris que je n'étais pas impliqué dans la mort de Sarah, est-ce que vous m'auriez laissé partir ?

Silas serra son poing de plus en plus fort parce qu'il connaissait la réponse mais refusait de la lui dire.

Abby lui avait offert quelque chose de différent et c'est au deuxième mois de sa captivité qu'il s'en était rendu compte. À ce moment-là il s'était catégoriquement refusé à lui rendre sa liberté alors il avait compensé cet aveu en essayant d'y trouver un sens. C'est pour cette raison qu'il avait sans cesse cherché à lui couper la main. Pour rompre cet aveu et le rejeter.

Jamais il n'y était parvenu.

- Non, lâcha-t-il d'une voix très rauque. Parce que ce qu'il s'est passé durant un an allait bien au-delà d'une vengeance ou bien même de Sarah...il s'est passé quelque chose et il est temps de le dire à voix haute à défaut d'essayer de le refouler.

Elle le dévisagea et lui espérait qu'elle lui livre ses pensées, mais il comprit en la regardant que si jamais il le disait, là, maintenant, il répondrait à toutes ses questions et donnerait enfin un sens à son refus de le fuir ou bien même de l'oublier.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top