Chapitre 17



Il lui avait déconseillé de se lever mais Abby ne pouvait plus supporter d'être piégée dans ce lit d'hôpital sans savoir où elle se trouvait précisément. Depuis qu'il s'était révélé à elle, Silas Balthazar Azarov ne donnait plus signe de vie. Elle avait l'impression écrasante d'être seule dans cet endroit méconnu. Il pensait avoir répondu à toutes ses questions mais elle en avait tant d'autres qu'il était presque impossible de réfléchir sans qu'une pensée terrifiante lui fasse sursauter le cœur.

Abby se redressa sur le lit en balaya la chambre aux murs boisés à la recherche d'un appui.

Son regard s'arrêta sur une paire de béquilles appuyée sur la commode à sa droite. C'était un piège...exactement le même piège qu'elle avait évité il y a plus de deux ans maintenant.

L'homme au masque sans visage voulait à nouveau la tester, mais cette fois-ci Abby refusait de rester sagement prostrée dans un coin.

Elle fit descendre la barrière et souleva sa jambe plâtrée pour sortir du lit. Bien sûr Abby était consciente des risques qu'elle prenait et surtout le risque de réveiller le monstre qui habitait cet homme.

Tout en réprimant les nombreuses grimaces causées par la douleur elle s'empara des béquilles pour s'aider et tenta désespérément d'atteindre la porte restée entrouverte. Son cœur n'avait de cesse de battre contre ses tempes mais elle décida de l'ignorer pour franchir l'interdit.

" Ce n'est pas la vie que tu désires "

" Nous verrons si j'ai raison "

Où voulait-il en venir ?

Affolée intérieurement elle examina le long couloir qui s'étendait aussi bien à droite qu'à gauche et décida de prendre à gauche.

Les murs étaient faits de bois très massif et il n'y avait presque pas de décoration. La panique se mit à l'envahir parce que cet endroit ne ressemblait pas au manoir dans lequel il l'avait attiré en prétextant avoir besoin de son aide.

Quelque chose était différent et elle avait l'impression que les murs se refermaient sur elle à mesure qu'elle avançait. Sa jambe était lourde et lui envoyait sans cesse des rappels de la douleur qui résidait à l'intérieur de ses chairs. Abby tourna ensuite à droit et tomba sur étrange passage qui la séparait d'une grande porte. Elle monta difficilement les deux marches et ouvrit celle-ci. Enfin une lumière plus vive et lumineuse l'accueillit. La crainte de le voir surgir de nulle part restait forte mais pas autant que le désir de savoir où elle trouvait.

Elle pénétra dans ce grand salon composé d'un tapis rouge qui s'harmonisait avec les nombreux décors faits de différents bois et s'arrêta quelque seconde sur le piano et la grande bibliothèque. Ensuite elle traversa le salon pour parvenir jusqu'à la grande fenêtre et tira le rideau.

Un hoquet d'effroi la saisit en découvrant que celle-ci était condamné par un lourd panneau de verre transparent et si épais qu'il était pratiquement impossible de déceler l'extérieur.

- Quoi...souffla-t-elle la respiration erratique en posant sa main sur ce bloc dur et terrifiant.

- Tu trouveras la même chose en ouvrant les portes qui conduisent à l'extérieur, lança une voix derrière elle.

Abby déglutit péniblement en se retournant avec l'aide des béquilles et aurait préféré ne jamais le faire.

Son cœur se mit à cogner contre ses tempes, son cou, sa poitrine. Il émergea depuis l'ombre l'air mécontent de sa tentative ratée et qu'elle allait devoir payer.

- Est-ce là une façon de me prouver que je n'aime pas ma vie ? Lança-t-elle malgré les tremblements de peur dans sa voix. En me condamnant dans un endroit isolé jusqu'aux fenêtres.

- Tu n'as pas besoin de savoir où tu es pour trouver les réponses Abby, dit-il en marchant vers elle comme un chasseur sur le point de dévorer sa proie.

Abby se savait en difficulté mais refusait de bouger ou plutôt son corps le refusait. Il y avait des lueurs menaçantes dans le fond de ses yeux noirs et ses mâchoires d'acier révélaient à quel point il bouillonnait intérieurement et pourtant...

Alors qu'elle se pensait déjà morte il se dirigea vers la droite pour gagner un élégant bar tout près de la bibliothèque.

- Je t'avais dit de ne pas bouger, dit-il d'une voix très grave et pourtant calme.

- Je voulais savoir où j'étais.

- Maintenant tu le sais, répliqua-t-il aussitôt en se servant un verre. Tu es au chaud et en sécurité.

- No...non...je suis enfermée avec un tueur en série, je ne suis pas en sécurité.

Abby regretta aussitôt ses propos lorsqu'elle le vit suspendre ses mouvements, le dos très raide. Elle s'attendait au pire et lorsqu'il se retourna pour combler l'espace qui les séparait elle secoua la tête en remuant les lèvres sans qu'un seul son trouve la force de sortir.

Verre à la main, il marcha très lentement vers elle et l'étouffa ensuite de son corps sculptural et terrifiant.

Abby essaya de reculer mais rencontra la fenêtre condamnée. Il s'arrêta tout proche d'elle jusqu'à ce qu'elle n'ait plus aucune opportunité de le fuir.

- Pourtant tu as laissé entendre tout à l'heure que dans le fond tu savais qui j'étais et que tu as refusé de te confronter à la réalité. Cela ne t'a pas empêché de venir dans mon manoir et de t'y installer.

Non ! S'écria-t-elle intérieurement pour se convaincre qu'il mentait.

Il souleva un sourcil comme si l'expression de son visage lui donnait raison.

- Au plus profond de ton âme tu savais qui j'étais, poursuivit-il en lui prenant le bras pour l'entraîner de force vers l'un des fauteuil.

Abby sautilla péniblement pour le suivre alors que ses doigts pressés sur son bras lui envoyait des frissons jusque dans la nuque.

Elle se laissa tomber dans le fauteuil et il la priva de ses béquilles qu'il posa à l'opposé du fauteuil. Son cœur n'arrêtait pas de battre à des rythmes différents et presque épuisant. La peur gagna son visage à tel point qu'elle avait l'impression de ne plus sentir ses mâchoires.

- Je suis même certain que tu n'as pas reconnu la brûlure que j'ai sur l'épaule et qui s'étend jusqu'à mon cou. Je dirais même que ton cerveau s'est renfermé dans un déni qui t'a poussé à ne pas faire le rapprochement.

- Vous...vous n'aviez pas de...cicatrice...

- Et pourtant si, répliqua-t-il en revenant vers elle.

Abby agrippa les accoudoirs du fauteuil et recula dans le creux de ce dernier.

Il termina son verre d'un trait et le posa sur la petite table.

- Tu savais qui j'étais au fond de toi Abby et ça ne t'a pas empêché de venir à moi, insista-t-il d'une voix gutturale. Tu as accepté mon offre, tu as posé tes affaires dans mon manoir, tu as dîner avec moi...

- Non, souffla-t-elle en battant des cils.

Il se pencha en avant pour poser ses mains sur les accoudoirs du fauteuil afin de la piéger totalement.

- C'est exactement pour cette raison que je suis persuadé que la chance d'une vie que je t'ai offerte n'est pas ce que tu veux.

Sous le regard menaçant de l'homme, Abby déglutit en secouant imperceptiblement de la tête.

- Tu avais de multiples choix, ajouta-t-il en la dévisageant intensément. Tu avais le choix de partir loin de Seattle, loin du passé, tu avais le choix de fuir l'Amérique, partir en France, n'importe où.

Son corps massif coupa la lumière derrière lui, la privant du dernier espace qui l'aidait à respire. Son visage se penchait de plus en plus vers le sien et reculer ne servait plus à rien.

- Au lieu de ça tu as décidé de t'installer à Mercer Island qui se trouve à quelques kilomètres de Seattle pour travailler comme serveuse dans le café du coin, acheva-t-il l'air mécontent. Est-ce ainsi que tu as décidé de célébrer la vie que je t'ai offerte ?

Abby ne savait plus si c'est sa réaction qu'elle redoutait ou la sienne, car elle voulait lui hurler qu'il se trompait mais n'y parvenait pas.

Avait-il raison ?

Quelque part au fond d'elle Abby entendait une voix lui murmurer que c'était la vérité mais refusait de donner à ce murmure plus de pouvoir.

- Choisir Mercer Island n'est pas une preuve que je refuse de me détacher du passé, bien...Bien au contraire, parvint-elle à dire en baissant les yeux.

- Tu refuses de m'oublier, conclut-il en s'approchant si près de son visage qu'elle pouvait sentir son souffle tiède. Tu as consulté Margaret Stones pour qu'elle t'aide à trouver les réponses à tes questions.

- Comment...

Elle écarquilla les yeux en dévisageant les siens.

- Qu'est-ce que vous...

- Je n'ai pas eu le temps de lui faire le moindre mal, la coupa-t-il tandis qu'une lueur de déception traversait son regard opaque. Pourtant elle méritait une bonne leçon pour t'avoir trompé de la sorte et uniquement pour m'atteindre.

Abby cilla et il se redressa vivement en lui imposant sa grandeur étouffante.

- Ta thérapeute est en réalité une policière infiltrée qui devait se servir de toi pour tenter de récolter un maximum d'informations sur moi, expliqua-t-il en reculant pour mieux s'éloigner vers le bar.

C'était comme recevoir un coup de poignard dans le dos et elle s'efforça de ne rien laisser paraître. Hélas ses yeux se mirent à la brûler.

Elle refusait d'y croire et pourtant elle n'avait pas le choix de croire cet homme qui semblait toujours avoir un temps d'avance sur le reste du monde.

- Ils s'acharnent tous pour me retrouver et je dois dire que c'est jouissif d'être près d'eux sans qu'ils se doutent un seul instant que c'est moi qu'il recherche. Au début, les entendre dire de moi que je suis un tueur en série m'a légèrement irrité car un tueur en série ne laisse pas de survivant contrairement à ce que j'ai fait. Puis ensuite je me suis dit que je devais plutôt me montrer flatté d'être comparé à un tueur en série car ça me rendait plus réfléchi et plus dangereux.

Il la regarda par-dessus son verre tout en plongeant sa main gauche dans la poche de son pantalon.

- Margaret Stones ou plutôt Margaret Layce est de loin la plus surprenante car elle parle de moi avec une telle passion et une telle excitation que je serais prêt à parier que toi-même tu l'as remarqué.

Elle déglutit en fuyant son regard parce qu'encore une fois il venait d'appuyer sur un détail qui hélas ne lui avait pas échappé.

- Certains ont des fantasmes assez étrange, glissa-t-il en revenant vers elle. Comment est-ce possible d'être épris d'une jalousie si hargneuse ? Je me suis penché sur les documentaires dans lesquels ton histoire apparaît et on peut dire que certains experts ne cachent pas leur hostilité envers toi comme si ton seul crime c'est d'avoir vécu avec moi durant un an et qu'il n'est pas logique que tu ne veuilles pas partager ton expérience avec eux.

Il la transperça d'un regard intrigué qu'elle voulut fuir mais elle se sentait comme aspirée par ce dernier.

- J'ai été beaucoup sollicité en effet, admit-elle en peinant à soutenir son regard.

- Et tu n'as pas craqué jusqu'à ce que les questions que tu te poses sur moi ne deviennent plus supportables.

- Qui ne s'en poserait pas ? Répliqua Abby qui pour la première fois ne cilla pas pour le confronter.

- Tu as raison, murmura-t-il en s'installant dans le fauteuil en face du sien. Seulement tu es la seule à t'en être posé parmi les survivants. Pas un seul d'entre eux n'a essayé de comprendre pourquoi je les avait ciblé. Aucun d'entre eux n'a fait un lien entre le drame de la maison du lac et leur présence ce soir-là et le fait qu'ils se connaissaient tous quand je les enlevais par groupe. Un par un ils se sont précipités pour se faire prendre en pitié au lieu de tenter de comprendre.

- Je n'ai pas pensé à la maison du lac.

- Et désormais je sais pourquoi, dit-il un rictus amer aux lèvres. Comment aurais-tu pu faire un lien quelconque avec Sarah alors que tu connaissais aucun d'entre eux et que ce soir-là...

- Pitié ! Le supplia-t-elle d'une voix enrouée. Je ne veux pas me souvenir je veux oublier.

Une lueur de compassion passa dans ses yeux sombres.

- Tu l'as effacé de ta mémoire mais tu ne veux pas m'effacer moi.

Chaque parole que prononçait cet homme était comme des fléchettes empoisonnées lancées en plein cœur.

- L'homme qui m'a drogué lors de cette nuit glaçante m'a donné les raisons de son geste, lui dit-elle l'expression envahie de terribles souvenirs. Il voulait me violer et il l'a fait ! Avec vous c'est différent parce que je ne savais pas ce que vous me vouliez. Je savais pas pour quoi j'étais enfermée !

- Maintenant tu sais, rétorqua l'homme l'air rembrunit, et moi aussi je sais. Je me suis trompé et maintenant que je sais, j'ai enfin les réponses à mes questions.

Il marqua une pause dans laquelle Abby frémit sans en comprendre l'origine.

- Et toi Abby, commença-t-il d'une voix énigmatique. As-tu enfin les réponses à toutes tes questions ?

Elle cessa de respirer en fixant ses mâchoires serrées.

La réponse était non et il venait de lui infliger la pire des tortures en voguant à travers son esprit pour s'en emparer. Tout ce qu'il venait de dire était la vérité la plus pénible et douloureuse.

Elle n'avait pas changé de vie et ne l'avait pas souhaité. Toute cette année de libertés elle l'avait passé à penser à cet homme qui se tenait devant elle et de marbre comme une statue inflexible à toutes menaces.

Il avait les réponses à ses questions.

Seulement était-elle prête à les lui poser en sachant qu'elle risquait de se piéger elle-même ?

- Non je ne les ai pas, lâcha-t-elle en ouvrant ainsi un jeu aussi trouble que dangereux.

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