Chapitre 16



Plus ses doigts virils se pressaient sur les siens plus Abby avait l'impression que sa respiration lui était arrachée. Partagée entre la peur et l'envie glaçante de mettre enfin un visage sur celui qui l'avait retenu plus d'un an elle se laissa conduire par cette pression qu'il exerçait sur le masque parce qu'elle voulait que ce soit lui qui se révèle à elle. Comment allait-elle réagir ? Qui était cet homme ? À quoi pouvait-il ressembler ?

N'ayant plus la force de vivre avec toutes ces questions qui la hantaient Abby tira sur le masque et lui se chargea de le retirer complètement.

Sa poitrine se contracta avant que tout l'air bloqué dans ses poumons se relâche dans des tremblements répétés. Les yeux écarquillés c'est tout son monde qui se mit à se dérober sous ses pieds. Silas Balthazar Azarov se tenait là, penché tout près de son visage tandis que le sien était submergé par un froid glaçant qui donnaient à ses traits ciselés plus de férocité.

- Non, dit-elle d'une voix à peine audible en continuant de le dévisager.

Il ne disait rien, le visage transcendé par une colère muette qui se fondait lentement sur sa bouche déformée par un rictus.

Abby sentit des larmes lui piquer les yeux alors qu'une vague d'émotions contradictoire l'a traversé sans qu'elle puisse l'arrêter.

Son esprit refusait d'y croire et elle commençait à réaliser qu'elle avait toujours su que cet homme qui avait surgi dans sa vie jusqu'à s'y imposer était celui qu'elle cherchait.

Cette force, cette façon de marcher, l'aura sombre et dangereuse présente tout autour de lui.

Le jour de leur rencontre elle s'était demandé pourquoi son regard l'avait transpercé de cette façon si cruelle et assassine. Désormais elle savait.

- Bonsoir Abby...

Sa voix jusqu'alors étouffée par le masque se révéla enfin et elle ferma les yeux comme pour fuir la réalité qui se dressait dans ces auras de ténèbres tout autour d'elle.

- Tu as l'air peu surprise, dit-il d'une voix très grave et posée comme s'il cherchait à ne pas lui faire peur.

Abby ouvrit les yeux lorsqu'elle sentit sa main hâlée courir sur son menton pour qu'elle le regarde. Son visage se mit à fourmiller.

- Sans doute parce que je le savais depuis le premier jour au café mais que j'ai refusé de voir ce qui était sous mes yeux, parvint-elle à dire des trémolos dans la voix.

Il la dévisagea en retour, les yeux transpercés par des lueurs mystérieuses. Elle se sentait fébrile et coupable d'avoir osé ressentir quelque chose pour lui. Dans ce manoir perdu au milieu de nulle part elle avait eu l'impression que cet homme allait pouvoir la protéger et elle s'était sentie en sécurité. Le pire était sans doute cette sensation indescriptible qui l'avait sans cesse irradiée en sa présence. Elle chercha de l'air car plus elle essayait de rassembler les pièces du puzzle plus elle avait le sentiment terrible qu'elle se rapprochait de cette vérité qu'elle refusait d'admettre depuis le commencement.

L'homme au regard meurtrier et puissant posa ensuite sa main sur sa joue en continuant de la contempler comme si c'était la première fois qu'il la voyait.

Le ventre noué, elle ferma brièvement les yeux en sentant son corps trembler.

- Pourquoi ? Lui dit-elle d'une voix à peine perceptible.

- Pourquoi tu es revenue à moi ou pourquoi je suis venu jusqu'ici ici ? Il y a un commencement à tout Abby.

Elle frissonna car il continuait de balayer ses cheveux en arrière derrière son oreille comme des caresses répétées.

- Tu as sans doute des centaines de question à me poser, reprit-il en se redressant. Je sais que tu as peur et que tu me vois maintenant comme un monstre, ce que je suis.

- Pourquoi vous avez tué toutes ces personnes ? S'enquit Abby seulement lorsqu'il retira sa main.

Plongée dans les abîmes, Abby n'arrivait pas à détacher son regard de cet homme qui ne correspondait pas au profil qu'elle avait imaginé de lui.

Il était incroyablement séduisant et sa beauté froide insufflait une dominance impitoyable mais jamais elle n'aurait pensé qu'un homme tel que lui soit un tueur en série et pourtant...

Il se rembrunit, lui infligeant un regard menaçant alors que les veines de son cou étaient gonflées jusqu'à dessiner des reliefs bleutés.

- Parce qu'ils ont tué ma sœur, lâcha-t-il le regard épris d'une rage silencieuse qui la fit frémir.

- Quoi ? Souffla-t-elle l'air incrédule et terrifiée à l'idée d'entendre la suite.

Il lui jeta un regard de torve avant de lui tourner le dos.

- Elle s'appelait Sarah, dit-il sombrement en appuyant ses mains sur la commode. L'histoire de ma famille est connue de tous Abby et je suis sûr que si tu réfléchis bien tu trouveras la réponse.

Ce n'était pas une suggestion mais presque un ordre qui la fit frissonner.

- Donnez-moi un indice que je puisse...

- Ma véritable identité n'est pas Silas Balthazar Azarov, la coupa-t-il sans se retourner.

Abby s'enfonça dans le matelas en regardant son dos se soulever dangereusement.

- Je m'appelle Derek William Spencer, mon s'appelait Robert Spencer.

Même si elle s'efforçait de comprendre Abby était envahie par un choc qui l'empêchait réfléchir. Les sourcils froncés, elle enferma dans ses mains le drap du lit sans jamais quitter l'homme des yeux même si c'était une torture intérieure à laquelle elle ne pouvait pas échapper.

- Ce prénom ne te dit rien ?

Il se retourna et elle fut envahie par un vent obscure et froid.

- Non, murmura Abby en fixant péniblement son regard noir.

- Le tueur de Brooklyn Heights te parle mieux ?

Abby coupa sa respiration et fut d'abord saisie par une volonté d'ignorer ce qu'il venait de dire. Il lui était impossible de feindre ne pas connaître le célèbre tueur de Brooklyn Heights alors que les meurtres récents faisaient référence à ses mises en scène macabre.

- Oui, dit-elle en avalant sa salive douloureusement.

- C'est mon géniteur.

Abby avait l'impression d'entendre son cœur battre partout dans son corps et la froideur avec laquelle il venait de lui révéler cette information lui bloqua le souffle.

Elle ne voulait pas y croire ni même l'envisager mais peu à peu il lui était difficile d'ignorer les souvenirs qui remontaient.

- Oh non...non...murmura-t-elle en tournant la tête pour fuir son impitoyable regard.

- Dis-moi Abby, ordonna-t-il en s'approchant du lit.

Ses oreilles se mirent à bourdonner alors qu'elle commençait tout juste à rassembler les pièces du puzzle.

Elle l'entendit agripper la barrière et s'arracha brutalement de sa torpeur. N'ayant pas le choix que de le regarder dans les yeux c'est au fond de ces derniers que la vérité émergea.

- La maison du lac, murmura-t-elle en le dévisageant.

Il crispa ses mains sur la barrière.

- La fille...la jeune fille qui est morte là-bas c'était...ta sœur.

Le confirmer à voix haute n'était pas nécessaire car son regard épris d'une rage silencieuse était suffisant.

- Sarah était ma sœur en effet...

Abby déglutit péniblement en secouant imperceptiblement la tête.

Toutes les pièces s'assemblaient désormais et pour le pire.

- Ils..ils se connaissaient tous, dit-elle d'une voix qu'elle pensait inaudible.

- Sarah a été torturé ce soir-là et j'étais trop loin pour la protéger, commença-t-il d'une voix soudainement très froide et désincarnée de la moindre émotions. Ils l'ont tué. Son identité a été dévoilé illégalement dans un documentaire sur les tueurs en série. Alors j'ai commencé par les tuer eux puis j'ai établi une liste sur laquelle figurait toutes les personnes responsables de sa mort parce que même si elle est restée des années dans le coma avant que je décide de la débrancher, elle était déjà morte.

Tétanisée, les larmes aux yeux Abby n'eut d'autre choix que d'affronter sa froideur.

- J'ai laissé passer du temps et j'en ai profité pour faire mourir Derek William Spencer dans un incendie afin que tout le monde pense que le dernier membre de la famille Spencer était mort, reprit-il sur un ton si détaché qu'elle craignait d'entendre la suite. Ensuite je suis devenu le tueur au masque sans visage. J'ai capturé ceux qui étaient responsables de la mort de Sarah et je les ai puni et donné le châtiment qu'ils méritaient.

Ses féroces mâchoires se fermèrent et ses muscles se mirent à se contracter de façon menaçante.

- J'ai exécuté ma liste avec une impitoyable précision, poursuivit-il sans la regarder. J'ai amputé puis tué ceux qui lui ont fait du mal et j'ai amputé la main de ceux qui ont assisté à la scène et qui l'ont même filmé.

Il déporta son regard cruel dans sa direction.

- J'aurai pu tous les tuer froidement, mais je ne l'ai pas fait. Est-ce que cela fait de moi un monstre avec de la pitié ? Possédant une âme ? J'aurai voulu que ce soit le cas.

Il imposa un silence glaçant dans lequel Abby sentit des larmes lui brûler les yeux.

- Mais tu étais là, acheva-t-il d'une voix soudainement souffrante et vibrante de colère.

Sous la pression des souvenirs qui affluaient dans son esprit Abby n'arrivait plus à parler et tenta en vain de déchiffrer les lueurs dans ses yeux.

- Tu étais sur cette liste et je t'ai mise dans cette cage au milieu de neuf autres dans lesquelles j'avais enfermé ceux qui avaient drogué Sarah et deux garçons qui avaient essayé de la violer. Quand je suis rentré dans la cage pour te couper la main il s'est passé quelque chose. Tu étais là, inerte, les yeux dans le vide, tu n'as montré aucune résistance.

Les traits ciselés de son visage se crispèrent tandis que sa bouche portait un rictus indescriptible.

- Je n'ai pas réussi à abattre cette lame et quand je suis sorti de la cage, tout a changé. Tu as fais basculer mon plan d'action.

Abby resta silencieuse car c'était le seul moyen de comprendre pourquoi il l'avait épargné mais surtout pourquoi il l'avait gardé captive.

- J'étais ivre de colère contre moi de ne pas avoir réussi à faire ce geste que j'avais exécuté tant de fois sans jamais éprouver le moindre regret. Je suis alors monté dans ma salle de surveillance et je t'ai observé à travers la caméra pour tenter de comprendre. Tu étais différente, et très silencieuse. Les autres étaient sans cesse en train d'interagir mais pas toi. Tu étais recroquevillée dans cette cage sans bouger alors j'ai soudainement éprouvé le besoin d'en finir le plus vite possible avec ce groupe. J'ai ouvert les cages et ils sont tous tombé dans le piège sauf toi. Quand je suis revenu et que je t'ai vu plaquée contre le mur sale de la cage tu es devenu la pièce en trop.

Il s'écarta du lit en se passant une main rageuse sur le visage.

- Je ne pouvais pas te laisser partir sans t'avoir fait ce je devais te faire, mais chaque fois que j'essayais une force invisible m'en empêchait. Alors tu es rapidement devenue un mystère que je devais résoudre. Je t'ai emmené dans cette chambre jusqu'à ce que je trouve ma réponse, mais plus les jours passaient plus cela devenait pénible. Tu me donnais l'impression qu'une partie de toi était déjà morte tandis que l'autre luttait pour ne pas mourir.

Il planta son regard dans le sien, le visage imprégné d'une rage qui ne semblait pas lui être destinée.

- De la pièce en trop au mystère tu as fini par devenir une obsession, lâcha-t-il d'une voix grave et vibrante. Tant de fois j'ai essayé de couper cette main sans jamais y parvenir et le fait de te sentir si proche de la mort m'a donné envie de te garder en vie. Cette année passé avec toi a été une torture et à la fois ce dont j'avais besoin jusqu'à ce que tu fasses une thrombose veineuse.

Abby inspira difficilement les yeux noyés de larmes de plus en plus brûlantes. Désormais elle savait quel nom portait le mal qui l'avait rongé et qui l'avait réparé.

- Je t'ai opéré et ensuite j'ai décidé de te libéré. Je me suis enfui le plus loin possible de toi pour résister à bête qui me hurlait de te reprendre et qui me disait que ta place reposait auprès de moi jusque dans les ténèbres.

- Et ensuite il y a eu les meurtres, murmura Abby les yeux perdus sur les draps.

- Oui, dit-il entre ses dents. Dès que ces informations me sont parvenue j'ai sauté dans un avion pour venir ici et la dernière personne que je m'attendais à voir c'est toi !

Abby réprima un sursaut de peur en relevant difficilement les yeux.

- S'il vous plaît...je...

- Non tu ne comprends pas ! Tonna-t-il en serrant son poing. J'ai fait une erreur !

Effrayée elle le vit bondir en avant pour se pencher au-dessus du lit les mains agrippées sur les deux barrières. La respiration rapide et dangereuse, il approcha son visage du sien.

- J'ai trouvé mes réponses Abby, dit-il en plantant ses yeux dans les siens. J'ai enfin compris pourquoi je n'ai pas réussi à te faire du mal. Parce que tu es l'oubliée de la maison du lac.

Elle préféra fermer les yeux que d'affronter sa pitié.

- Je me suis trompé, chuchota-t-il d'une voix percée d'un franc regret qui lui fit rouvrir les yeux. Ce qu'il t'est arrivé est passé sous silence et c'est pour ça que je n'ai pas réussi à faire la distinction entre le bien du mal. Tu étais et tu demeures toujours une innocente. J'ai fait une erreur Abby.

Elle se sentait humiliée et triste de devoir affronter ce visage puissant se déformer de regrets parce qu'il éprouvait de la culpabilité de s'être trompé sur elle. Abby avait été violé et chaque jour était pour elle un combat pour oublier. Une nausée lui monta dans la gorge car ce qu'elle éprouvait en ce moment était différent et ça l'avait toujours été. Son violeur courait toujours en liberté et au lieu de se battre pour le retrouver Abby avait préféré étouffer sa douleur en espérant qu'elle s'estompe pour toujours. En revanche pour l'homme qui se trouvait en face d'elle, le regard torturé, Abby n'avait jamais pu le faire sortir de sa tête comme une présence à jamais marqué en elle. Malgré tout ses efforts pour l'oublier et saisir la chance qu'il lui avait donné pour refaire sa vie loin de Seattle, Abby n'était jamais parvenue à tasser ces souvenirs qui l'empêchaient d'avancer.

Mais le voulait-elle vraiment ? Voulait-elle vraiment avancer ?

- Et vous m'avez enlevé pour...

- Je t'ai enlevé Abby, murmura-t-il les yeux plantés dans les siens. Je t'ai emmené dans un endroit où personne ne pourra te faire du mal. Je t'ai sauvé et arraché à cette vie que tu ne désires pas. Il m'a suffit de lire en toi et t'écouter parler pour comprendre que ce n'est pas la vie que tu veux.

- Mais vous, vous le savez ? S'enquit-elle en résistant à la force magnétique dans son regard.

- Nous allons très vite le découvrir, répondit-il sur un ton énigmatique. Donne-moi une semaine et à la fin de celle-ci nous verrons si j'ai raison...

Il se redressa et une fois de plus quitta la pièce en gardant toujours cette puissance dominante qui le plaçait en maître implacable d'un jeu dans lequel elle se savait déjà vaincue.

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