Chapitre 14




Enfermée dans une noirceur terrifiante, Abby était consciente que si elle ouvrait les yeux la réalité serait pire que ce sombre gouffre qui l'entraînait un peu plus vers le fond.

Elle essaya de soulever ses paupières mais un pressentiment terrible l'en empêcha. Une douleur lancinante la força à crisper ses paupières pour faire passer ce mal qui oppressait sa tête. Elle tenta de bouger mais avait l'impression de ne plus sentir son corps. Abby se souvenait de tout et dans les moindres détails. La peur à laquelle elle était confrontée l'empêchait de reprendre sa respiration et pourtant elle sentait ses poumons se remplir d'air. Il fallait qu'elle soulève ses paupière afin de se confronter à la réalité qu'elle redoutait. La bouche sèche elle ouvrit les yeux en essayant de déglutir.

Elle fut d'abord éblouie par une lumière blafarde et très vive. Devant cette luminosité intense elle cligna des yeux à plusieurs reprises pour s'y habituer.

Son ouïe détecta un son aigu comme un bip permanent et lent. Dans son bras elle avait l'impression de sentir une aiguille plantée dans sa chair.

Abby se força à garder les yeux ouvert et essaya de percevoir la pièce dans laquelle elle se trouvait jusqu'à ce que sa vision ne soit plus troublée par ce voile flou.

Lentement elle fit descendre son regard sur sa jambe enfermée dans un plâtre et soutenu par des oreillers tandis que l'autre était plié et nue. Son cœur s'affola alors et le bip de la machine à sa gauche s'accéléra subitement. Sa main était perfusée et elle ne portait plus son pull beige mais une blouse d'hôpital blanche.

Soudain son ouïe perçut un bruit à sa droite et elle tourna la tête dans cette direction la respiration difficile. C'est alors qu'elle dut affronter cette réalité glaçante qu'elle redoutait depuis qu'elle avait repris conscience.

Il était là, et lui tournait le dos, occupé à ranger du matériel médical. Sa hauteur était égal aux souvenirs qu'elle avait gardé de lui. Sa physionomie terrifiante était enfermée dans des vêtements sombres semblables à ceux d'autrefois. Il portait un pull à col roulé noir qui soulignait le relief de ses muscles et de cette puissance qui l'avait tant de fois fait craindre le pire. Une larme roula sur sa joue glacée en même temps qu'elle relevait les yeux vers ses cheveux noirs de jais qui descendaient impeccablement jusqu'à sa nuque et elle savait que c'était tout ce qu'elle aurait de lui.

Abby était revenue au point de départ et avait toujours su que lorsqu'il l'avait libéré il reviendrait à elle pour terminer l'histoire. Au tréfonds de son âme meurtrie Abby avait toujours eu le pressentiment qu'il n'était jamais parti et aujourd'hui cela se confirmait.

Seulement elle refusait de se battre et n'était pas en état de le faire. Les circonstances de son retour et comment il l'avait retrouvé étaient tout aussi troublantes que l'évidence qui les accompagnait.

Abby posa sa tête sur l'oreiller et laissa le froid s'engouffrer dans ses veines comme du poison alors que la peur l'empêchait de sentir la douleur de sa jambe tant elle était forte.

- Si vous êtes...revenu pour me tuer alors par pitié faites-le immédiatement, dit-elle la gorge serrée. Je vous en prie.

Il cessa de bouger ses mains et resta de marbre comme par le passé.

- J'étais sûre que ça finirait par arriver, poursuivit-elle des trémolos dans la voix en fixant son dos. Je savais que cette libération n'était qu'une illusion et que...et que ce moment finirait par arriver. Alors il faut en finir.

Un lourd et glaçant silence s'ensuivit et dans lequel on pouvait seulement entendre ses battements de cœur s'affoler à cause de ce bip qui changeait d'intensité chaque fois que son cœur s'exprimait.

- Je suis fatiguée, murmura-t-elle d'une voix tremblante et à peine perceptible. Allez-y je vous en prie.

Il se retourna lentement et elle recula sa tête contre l'oreiller en voyant son masque. Elle trembla, le visage suppliant alors qu'il s'approchait d'elle avec une bassine qu'il posa lentement à côté du lit.

Son cœur s'emballa à une vitesse indescriptible mais qui exposait le violence de la peur qu'elle ressentait à mesure qu'il s'approchait.

- Je n'ai pas l'intention de te tuer Abby, lâcha-t-il calmement.

Abby le dévisagea en peinant à se dire que tout ceci était bien réelle car c'était la première fois qu'il exposait sa voix et elle aurait voulu qu'il ne le fasse jamais.

Elle était grave, très rocailleuse et son masque l'étouffait d'une telle façon que ça la rendait encore plus sombre. Abby recula sa tête contre l'oreiller quand sa main enfermée dans le cuir se leva vers son visage, mais ça ne l'empêcha pas de l'avancer encore jusqu'à ce que celle-ci touche son front.

Elle trembla en essayant d'éviter ce contacte.

- Je n'ai pas l'intention de te faire du mal, ajouta-t-il sur un ton encore plus sombre.

Elle devait rêver, songea-t-elle en peinant à comprendre pourquoi il lui parlait alors qu'il avait gardé le silence durant une année entière de captivité.

Elle sentit une pression froide sur son front puis il s'éloigna en direction du chariot sur lequel était posé des instruments médicaux.

Abby avait l'impression que son esprit et son corps ne réagissaient plus à cette adrénaline qui l'avait maintenu en vie pendant qu'elle essayait de fuir cet homme cagoulé.

C'est comme si toutes ses forces avaient été aspirées par cet homme qui lui tournait le dos.

- En essayant de fuir tu t'es fracturée la jambe. Je t'ai posé un plâtre pour qu'elle guérisse dans les meilleures conditions, expliqua-t-il en revenant vers elle.

Tétanisée, elle essayait en vain d'analyser les différents sons qui vibraient dans sa voix pour tenter de savoir si elle connaissait celui qui se cachait derrière ce masque, mais cet homme semblait avoir été conçu par un ange déchu.

Il n'avait pas l'air d'être un humain, mais plutôt une force venue des ténèbres.

Elle ne savait pas si elle pouvait parler au risque de subir ses foudres et revivre ces instants terrifiants où il essayait de lui couper la main.

- Tu as entendu Abby ? Demanda-t-il d'une voix calme qui allait de paire avec cette démarche qu'elle n'avait jamais oublié.

Elle agita la tête en guise de réponse tout en dévisageant son masque.

- Qu'est-ce que vous me voulez ? Osa-t-elle d'une voix tremblante. C'est vous qui...

- Non, la coupa-t-il froidement. L'homme qui a voulu te faire du mal n'a aucun lien avec moi.

Il paraissait irrité qu'elle l'ait même envisagé.

- T'ai-je déjà fait du mal ? Reprit-il en la fixant.

Elle s'empressa de secouer de la tête négativement.

- Non, souffla-t-elle d'une voix étouffée par la peur.

La particularité de son masque c'est qu'il donnait l'impression qu'il ne pouvait pas la voir alors qu'il le pouvait clairement parce qu'à cet instant précis elle avait la sensation d'être transpercé par son regard.

- Je vais t'enlever ça maintenant, prévint-il en approchant ses mains de son visage pour lui retirer la lunette à oxygène.

Abby ne résista pas et le laissa faire comme elle l'avait fait autrefois, seulement maintenant, elle avait l'impression que tout était différent.

- Pourquoi vous êtes revenu ? Lâcha-t-elle avant que sa voix se perde dans les abîmes.

- Tu as été remise sur mon chemin, et je crois que c'est la meilleure chose qui ait pu t'arriver Abby, répondit-il en vérifiant les fils qui la reliaient à la machine. Pour être tout à fait honnête je ne suis jamais réellement parti et tu le sais autant que moi.

Abby déglutit péniblement en battant lentement des cils.

- Je vis en toi comme toi tu vis en moi, poursuivit-il en posant ses mains fermées en poings dans le matelas de chaque côté de son corps immobile. Le destin a choisi de te remettre sur ma route et je ne peux l'ignorer, encore moins maintenant. Nous avons beaucoup à nous dire Abby.

Oppressée dans la poitrine Abby analysait au mieux ce qu'il lui disait alors qu'une intense vague de frissons la traversait de façon continue.

- Où sommes-nous ?

- Dans un endroit où personne ne viendra nous déranger.

Son cœur s'accéléra si vite qu'il leva furtivement la tête en direction de l'écran qui affichait la vitesse de son pouls.

- Je n'ai aucunement l'intention de te faire du mal, reprit-il d'une voix qui lui parut différente comme si la souffrance l'habitait.

Elle resta muette, incapable de savoir s'il s'agissait d'un piège ou s'il était réellement sincère. Un enchaînement de souvenirs se mit à défiler dans son esprit et lui-même se mit à se jouer d'elle en ne lui donnant aucune preuve du passé qui aurait pu la convaincre qu'il mentait.

- J'ai résisté à maintes reprises et de toutes mes forces pour ne jamais te reprendre, mais comme je te l'ai dit le destin est capricieux. Notre histoire n'a jamais cessé d'exister parce que tu as besoin de réponses et moi des miennes.

- Que voulez-vous savoir ? Je suis prête à tout vous dire...je...

- Chuuttt...

Abby se pinça aussitôt les lèvres pour se taire.

- Pour l'instant tu as besoin de reprendre des forces et tu as besoin de repos.

Sa voix pourtant si calme ruisselait d'une autorité glaçante à laquelle elle s'empressa de se soustraire en acquiesçant.

Il fit glisser sa main jusqu'à la sienne et la souleva par le poignet avec une prudence inquiétante. C'est alors qu'elle sentit quelque chose de froid et de lourd autour de son poignet. Abby ne se donna pas la peine de regarder car elle savait ce qu'il y avait autour de ces derniers.

- Je ne peux pas prendre le risque que tu tentes de te lever et que tu te fasses mal, expliqua-t-il gravement. Quand je verrais dans tes yeux que tu as confiance en moi alors je te les retirais.

Il reposa sa main sur le matelas et se redressa de toute sa hauteur.

- Et de toute façon tu sais au fond de toi qu'il n'y a aucun moyen de me fuir, ajouta-t-il en remontant la barrière.

Le ventre noué elle suivit des yeux chacun de ses gestes et lorsqu'il approcha une paille à sa bouche elle n'attendit pas l'ordre pour boire. Sa gorge était tellement sèche et contractée que chaque gorgée d'eau en appelait une autre.

- J'ai peur, murmura-t-elle quand il s'éloigna vers la porte entrouverte.

Il s'arrêta sans se retourner.

- Je sais, dit-il d'une voix à nouveau souffrante et grave. Mais tout ira bien.

Il écarta la porte et disparut sans fermer derrière lui.

Abby regarda partout autour d'elle et tenta de se redresser sur l'oreiller pour aviser d'un regard inquiet la fenêtre. La lumière peinait à s'infiltrer à travers l'épais tissu du rideau bleu, mais il lui permettait de savoir s'il faisait jour ou si c'était la nuit.

Le cœur affolé de mille pensées elle reposa sa tête douloureuse sur l'oreiller et fixa la porte ouverte.

Tout avait l'air différent et c'est ce qu'elle cherchait à percer. Un mystère qu'elle voulait résoudre pour se préparer au pire.

Comment pouvait-elle interpréter la situation alors même que son esprit refusait de l'aider à comprendre.

En essayant d'échapper à un meurtrier c'est un autre qui l'avait récupéré au pied de cette vieille bâtisse délabrée. Abby se méfiait et avait peur, mais elle était certaine qu'il ne mentait pas lorsqu'il lui avait dit ne pas avoir de lien avec l'autre homme car celui-ci s'était enfui à son arrivée.

Comment avait-il fait pour connaître l'endroit précis où elle se trouvait ?

Que voulait-il savoir et surtout pourquoi vouloir qu'elle lui pose des questions ?

Tant de questions mais aucune réponse susceptible d'apaiser cette peur qui se ravivait au milieu d'un tas de cendre pour redevenir aussi brûlant que les flammes qui entouraient l'aura sombre du tueur au masque sans visage.

Il l'avait sauvé pour mieux la reprendre et la ramener à l'aube du commencement.

" Notre histoire "

" J'ai résisté à maintes reprises et de toutes mes forces "

" Tu as été remise sur mon chemin "

Abby ferma les yeux comme si cela pouvait l'aider à mieux réfléchir.

Il ne l'avait jamais oublié alors que chaque jour depuis qu'il l'avait libéré elle s'était efforcée de croire le contraire tout en gardant cette petite voix dans sa tête qui n'avait cessé de lui dire qu'il reviendrait.

Le destin les avait réuni à nouveau et l'homme derrière le masque semblait vouloir d'elle autre chose que lors de première captivité.

Il ne voulait pas sa main ni même sa mort...

Il voulait son âme.

Car c'est dans celle-ci que résidait ses secrets...

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