Chapitre 1




- Abby ? Est-ce que vous êtes avec moi ?

Les yeux brûlants à force de fixer le soleil qui reflétait sur l'une des voitures garées à l'entrée du centre médical, Abby se frotta les yeux pour faire disparaître la brûlure.

  - Oui, je suis avec vous, dit-elle doucement en quittant la fenêtre pour venir s'asseoir dans le fauteuil.

  - Si vous souhaitez on peut faire une pause, proposa Margaret Stones en croisant les jambes. Je sais à quel point c'est pénible pour vous de parler de ça, mais vous savez que vous en avez besoin.

Besoin ?

Elle se retint de rire nerveusement et préféra contenir ses émotions en tirant sur le fil de son pull.

  - Besoin n'est pas le mot que j'aurai choisi pour décrire nos séances hebdomadaires.

  - Je sais, mais vous en avez besoin Abby.

Hélas elle ne savait plus si en parler l'aidait réellement à se sortir de ce cercle infernal et qui n'en finissait plus de la hanter.

  - Reprenons si vous le voulez bien, commença sa thérapeute en ouvrant son cahier. Qu'est-ce que vous ressentez là tout de suite ?

  - J'ai peur et j'ai froid, murmura-t-elle la gorge nouée. J'ai tout le temps froid.

  - Quoi d'autre ?

Abby se sentit fébrile et agitée parce qu'elle ne parvenait pas à se libérer de peur que cela puisse la ramener au point de départ voire pire. La peur tétanisait l'ensemble de son corps comme prisonnier à jamais d'une longue agonie. Son esprit était uniquement voué à des souvenirs qu'elle ne parvenait pas à oublier ou que son esprit refusait d'oublier.

  - Je me sens prisonnière, finit-elle par répondre en relevant les yeux sur elle.

  - Vous pensez qu'il vous retient encore prisonnière ? Demanda-t-elle calmement.

  - En quelque sorte oui.

  - Pourquoi ?

  - Parce que je ne sais pas pourquoi je suis en vie, lâcha-t-elle d'une voix à peine audible en effaçant rapidement la larme qui venait de s'écraser sur sa joue. J'essaye de comprendre ce qui est arrivé ce soir-là mais je n'y arrive pas, je n'arrive pas à me souvenir...je...

  - Attendez Abby, la coupa-t-elle rapidement. Ce qui est arrivé ce soir-là ? Êtes-vous consciente que vous venez de mélanger deux drames différents ?

Abby détourna la tête pour fuir l'interrogation dans son regard.

  - Nous sommes en train de parler de votre captivité Abby, nous ne sommes pas en train de...

  - Je sais ! S'emporta-t-elle la respiration irrégulière. Cependant la différence entre les deux c'est que je sais ce qui s'est passé pendant ma captivité ! En revanche je ne sais toujours pas ce qui s'est passé il y a cinq ans !

La panique l'empêcha alors de respirer et elle dut se lever pour reprendre sa respiration.

  - Essayez de vous calmer Abby.

Comment ? Alors que tout son être était enchaîné à une douleur perpétuelle et innarêtable.

  - Le tueur en série au masque sans visage vous a épargnez et au lieu d'essayer de travailler là-dessus, vous êtes bloquée sur ce qu'il s'est passé dans cette maison il y a cinq ans. Ce sont deux cas qui n'ont rien de comparable et vous le savez. Échapper à un tueur en série n'est pas quelque chose qui peut se guérir facilement. Il faut d'abord travailler là-dessus et vous le savez.

Elle ferma les yeux en secouant imperceptiblement de la tête.

  - Vous essayez de fuir le sujet le plus important et le plus grave à mon sens parce que vous avez peur d'en parler. Vous êtes la seule à savoir ce qu'il s'est passé pendant un an et je ne peux pas vous aider si vous ne me faites pas confiance.

Abby soupira en s'entourant de ses bras tandis qu'un long silence s'installait. Un silence qu'elle ne désirait pas combler car cela signifiait parler enfin, après plus d'une année de silence à fuir à tout prix tous ceux qui éprouvaient le désir malsain de connaître son histoire.

Soudain elle eut l'impression d'étouffer, comme si son cœur tressautait à chaque inspiration qu'elle essayait de prendre. C'était son histoire et elle n'avait pas forcément envie que celle-ci soit l'objet d'une convoitise malsaine. Alors elle se tourna vers Margaret Stones qui attendait qu'elle s'ouvre enfin à elle et déclara :

  - Vous désirez connaître mon histoire pour m'aider ou simplement parce que je suis la seule à m'en être sortie vivante et sans un seul membre d'arracher ?

Stupéfaite la thérapeute secoua vivement la tête pour contrer ses dires.

  - Je sais que beaucoup de personnes me cherchent parce qu'ils veulent en connaître plus sur le tueur au masque sans visage et je sais que certains brûlent de savoir ce qu'il s'est passé pendant cette longue année de captivité.

  - Je veux juste vous aider Abby, se défendit-elle en gardant une approche calme. Je veux vous aider à comprendre pourquoi vous, vous posez tant de questions.

  - Alors pourquoi il y a cette vive lueur d'intérêt qui brûle dans vos yeux ?

Elle parut alors déstabilisée et haussa plusieurs fois des épaules.

  - Vous dire que je ne suis pas curieuse de savoir ce qu'il s'est passé serait évidemment un mensonge. Vous êtes restée entre les mains d'un tueur en série méthodique et à ce jour introuvable. Un tueur qui a tué quatorze personnes et en a amputé dix-huit autres.

Les mains moites elle se mit à fuir son regard.

  - Vous êtes la seule survivante Abby et je suis certaine que vous voulez comprendre pourquoi, insista-t-elle.

Abby ferma les yeux aussi fort que possible mais chaque fois qu'elle faisait cela, son esprit la confrontait à cet homme sans visage.

  - Inspirez profondément et seulement lorsque vous serez prête, on pourra commencer.

À supposer qu'elle accepte de se confier, Abby ne savait même pas par où commencer. Cinq longues minutes passèrent avant qu'elle décide de s'installer dans le fauteuil, la respiration toujours irrégulière.

  - Que voulez-vous savoir ? Finit-elle par dire en fuyant son regard.

  - On pourrait commencer par le début, proposa-t-elle doucement avec un sourire supposé la mettre en confiance.

Subitement elle eut froid et ferma les yeux tout en agrippant les accoudoirs du fauteuil comme si cela l'aiderait à lui donner du courage.

  - Est-ce que vous, vous souvenez de votre enlèvement ? Demanda Margaret.

Abby ouvrit les yeux en essayant de contrôler les sursauts de son cœur alors que les souvenirs remontaient peu à peu.

  - Non, je ne m'en souviens pas parce que ça c'est passé pendant que je dormais, commença-t-elle d'une voix tremblante. Je me souviens avoir mangé quelque chose de rapide parce que j'étais très fatiguée. Je me suis endormie et à mon réveil, je n'étais pas dans mon lit.

  - Où étiez-vous ?

Cette question pourtant si simple l'obligea à faire face aux souvenirs qui ne l'avaient jamais quitté, mais qu'elle n'avait jamais partagé à qui que ce soit.

  - Je n'oublierai jamais l'odeur, murmura-t-elle en fixant l'un des pieds de la petite table, comme si cela l'aidait à se concentrer. Une odeur de fumier, de foin humide mais aussi les cris et les pleurs hystériques qui m'entouraient.

Elle ferma les yeux une brève seconde pour se donner le courage de continuer.

  - Lorsque j'ai ouvert les yeux j'ai ressenti une pénible douleur à la tête et la première chose que j'ai vu c'est des barreaux. Mes pieds étaient en contacts avec un sol à la fois gelé et chaud comme si l'enfer était sous mes pieds. Je me suis redressée et la panique a commencé à m'envahir quand j'ai regardé autour de moi.

  - Qu'est-ce qu'il y avait autour de vous Abby ? Prenez votre temps.

  - Il y avait deux murs en pierre et des barreaux rouillés en face de moi, dit-elle d'une voix de plus en plus tremblante. Je me souviens que les murs étaient très proche de moi jusqu'à m'en étouffer. Il y avait...il y avait des lambeaux de paille sous mes pieds nus. Très vite j'ai compris que j'étais dans une sorte de cage. Je portais toujours ma chemise longue, celle de mon père plus précisément.

  - Votre père est mort d'une longue maladie c'est bien ça ?

Abby acquiesça en soulevant son regard sur elle.

  - Il adorait cette chemise et j'ai toujours pensé qu'elle me protégeait, mais ça c'était avant de me rendre compte que ce n'était qu'une illusion.

D'un revers de main elle essuya les larmes sur ses joues et prit une grande inspiration.

  - Est-ce que vous, vous souvenez de d'autres détails ?

  - Je me souviens de tout.

  - Quand l'avez-vous pour la première fois ?

  - Les autres qui étaient avec moi et que je ne pouvais pas voir, n'arrêtaient pas de crier pour que quelqu'un les entende en vain. Moi je suis restée silencieuse et tétanisée. De l'autre côté des barreaux il y avait des boxes pour chevaux, mais il n'y en avait aucun.

Abby marqua une pause dans laquelle elle eut un léger soubresaut.

  - Il est arrivé dans un bruit lourd de métal qui ressemblait fortement à l'ouverture d'une porte blindée. Il y a eu un silence terrifiant dans lequel on pouvait entendre ses pas. Des pas très lents.

  - Comment vous le décrieriez ?

À cette question, Abby se retrouva aspiré par les souvenirs de son esprit et eut l'impression de revivre le moment précis où il s'était arrêté devant sa cage.

  - Très grand et robuste, finit-elle par dire en tirant sur ses doigts. Des épaules très larges et une physionomie très puissante. Il portait des gants en cuir de couleur noir comme le reste de ses vêtements. Quant à son visage jamais je ne pourrais vous dire quoi que ce soit sur lui car je ne l'ai jamais vu. Son masque était blanc avec des reliefs de traits très infime qui laissaient croire qu'un visage était dessiné, mais en réalité il n'y en avait pas.

Voyant que ses mains tremblaient Abby les bloqua entre ses cuisses tout en inspirant profondément.

  - Et son comportement ?

  - Calme, d'un calme terrifiant, dit-elle en baissant les yeux sur ses mains. D'ordinaire les personnes calmes vous inspirent la bienveillance et la sécurité, mais avec lui, ce calme était terrifiant. C'était presque comme si derrière son masque on pouvait imaginer un visage impassible.

  - C'est parfait Abby, lui dit-elle avec un sourire rassurant. Ensuite ? Est-ce qu'il vous a parlé ? Qu'a-t-il fait ?

  - Il n'a jamais parlé une seule fois, jamais.

Bien qu'elle se savait assise dans ce fauteuil moelleux et confortable, Abby avait l'impression d'être dans la cage en train de lui faire face. Elle se souvenait exactement de sa posture et de la manière dont il s'était approché des barreaux pour l'observer de longues secondes interminables avant de s'effacer.

  - Certains ont tenté de l'affronter de la façon la moins intelligente. À leur voix j'ai compris qu'ils étaient tous des étudiants et certains on eu la mauvaise idée de le provoquer. À ce moment-là j'ai compris qu'on était tous condamné. La porte lourde s'est refermée, mais je savais que nous étions condamnés.

  - Le tueur en série au masque sans visage avait déjà sévi avant de vous enlever ainsi que les autre. Est-ce que vous avez compris que c'était lui en le voyant ou avez-vous pensé que...

  - J'étais recluse chez-moi depuis plus de trois ans, je sortais très rarement, et vous savez pourquoi, la coupa-t-elle avec une pointe d'agacement. Alors non je ne savais pas que cet homme était le tueur en série au masque sans visage, mais je savais qu'il nous voulait du mal.

  - Je suis désolée Abby, j'essaye de comprendre.

  - Si on vous enlevez au beau milieu de la nuit pour vous mettre dans une cage entouré d'autres cages dans un endroit isolé et dont l'odeur ressemble fortement à celle d'une étable pour animaux que penseriez-vous madame Stones ? Que vous allez vivre ou mourir ?

L'attaque fit reculer la thérapeute dans son fauteuil et elle tira sur son tailleur l'air embarrassé.

  - Combien temps s'est écoulé avant qu'il revienne ?

  - Plusieurs heures se sont écoulées avant qu'il revienne. Assez d'heures pour avoir l'impression que la vie vous est arraché seconde par seconde. Vous avez l'impression de mourir avant même d'y être confronté. Les autres de chaque côté des murs continuaient de parler, de pleurer encore et encore.

  - Vous avez essayé de communiquer avec eux ?

  - Ils se connaissaient tous, murmura-t-elle des trémolos dans la voix. Ils se connaissait tous, mais moi non. C'est à ce moment-là que j'ai fini par pleurer en silence comme si...comme si on m'avait arraché la voix une deuxième fois. Je ne comprenais pas pourquoi moi, pourquoi j'étais ici, dans cet enfer sans savoir pourquoi.

Cette fois-ci elle laissa la larme solitaire qui roulait sur sa joue s'effondrer sur pull.

  - L'un d'entre eux, je crois qu'il s'appelait David a commencé à vouloir trouver un moyen de sortir et il était clair que c'était une personnalité forte du groupe car il était écouté. Une sorte de leader. Il essayait d'établir un plan pour le piéger.

Abby secoua doucement la tête.

  - J'ai en quelque sorte rigolé intérieurement car je savais que c'était voué à l'échec.

Elle reprit une longue inspiration douloureuse et décida de poursuivre avant de ne plus pouvoir le faire.

  - Il est arrivé, et l'enfer s'est mis à se déchaîner. Je...je ne pouvais pas le voir mais je pouvais entendre et c'était suffisant. J'ai entendu une première cage s'ouvrir suivi d'un hurlement à s'en déchiffrer les cordes vocales. Plus les secondes avançaient plus ces bruits se répétaient à chaque fois que je pouvais entendre le crissement de la rouille s'entrechoquer. Je pouvais distinguer le son net de l'acier comme si on abattait une lame avec précision. Puis tout à coup j'ai senti que mon corps m'abandonnait, comme si je partais dans le coma alors que j'étais toujours réveillée et consciente. Je pouvais le sentir s'approcher de moi et l'odeur du sang aussi, mais j'étais tétanisée, emprisonnée dans un état second qui me permettait seulement de bouger les yeux.

  - Au lieu de combattre, au lieu de supplier, votre cerveau a préféré abandonner, intervint Margaret Stones en fermant son carnet. Que s'est-il passé ensuite ?

  - Je ne pouvais plus bouger, mais je suis parvenue à lever le regard sur lui lorsque ce fut à mon tour.

Face aux souvenirs qui dominaient désormais son esprit Abby posa une main fébrile sur ses yeux, mais décida de poursuivre.

  - Il a ouvert la cage et j'ai brièvement aperçu qu'il tenait quelque chose dans sa main. Je ne pouvais pas bouger, mon corps était comme figé dans la mort. Je pouvais le distinguer sur le côté, je pouvais sentir sa lourde présence à côté de moi sans que je puisse bouger. Ensuite j'ai senti une pression sur son avant-bras, comme si on me le serrait très fort à tel point que j'avais l'impression que mon sang ne circulait plus.

La bouche sèche, elle souleva les paupières pour regarder Margaret Stones.

  - Ensuite ?

  - Ensuite derrière le brouillard que j'avais devant les yeux, je l'ai vu refermer la porte de la cage avec violence et les cris ont recommencé. Je ne sais pas combien de temps de je suis restée paralysée, mais lorsque j'ai repris mes esprits...

Abby s'interrompit en baissant les yeux sur le tapis.

  - Vous avez réalisé qu'il ne vous avez rien fait, alors que les autres n'ont pas eu cette chance, dit la thérapeute en retirant ses lunettes.

Abby trouva la force d'acquiescer.

  - Vous voulez faire une pause ?

  - Combien de temps il nous reste ?

  - Une heure et je propose de faire une pause avant de reprendre, décréta Margarette en lui souriant.

Abby ne dit rien, et se contenta de fermer brièvement les yeux avec la sensation écrasante d'être épuisée et ne sachant pas si elle aurait la force de narrer la suite...

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