Chapitre 4 - Marteau ou perceuse?
Une sensation désagréable lui fit esquisser une grimace. Pas celle qui tiraillait ses bras, ni son index. Non, cette fois-ci, c'était quelque chose de moins fort, qui chatouillait son estomac d'une manière presque discrète. Un gargouillis qui l'avait dérangé alors qu'il ne faisait que fixer l'obscurité de son regard rubis.
Il avait faim.
Après tout, il n'avait rien avalé depuis qu'il se trouvait ici. Il ignorait combien de temps cela faisait exactement.
... Maintenant qu'il y réfléchissait, il avait également un peu soif. Crier lui avait bien asséché la gorge. Ses geôliers lui donneraient-ils de quoi se restaurer ? Ou bien espéraient-ils le faire lentement mourir de faim – ou de soif ? Accepter quoi que ce soit de leur part signifierait cependant mettre son égo de côté une nouvelle fois. Il n'en était plus à cela près, mais à chaque fois, il le vivait comme une défaite. Mais bon, il y a des priorités dans la vie, et survivre en est clairement une.
Ses iris se levèrent lentement vers ses chaînes, contre lesquelles il frotta ses poignets endoloris. Un soupir lui échappa. Est-ce que l'on avait déjà remarqué sa disparition ? Est-ce que l'on était parti à sa recherche ? Et si tel était le cas, le retrouverait-on avant qu'il ne soit trop tard ? Ou bien, parviendrait-il à s'échapper de lui-même ? Il doutait grandement de ce dernier point. Sans son alter, il se retrouvait impuissant. Et quand bien même il parviendrait à se défaire de l'emprise de ses chaînes, il n'accéderait sans doute pas à la sortie aussi facilement. Et il refuserait de partir sans Izuku. Il voulait comprendre ce qui lui était arrivé. Un garçon comme lui n'avait pas pu tourner ainsi sans raison. Il avait dû subir un lavage de cerveau, ou quelque chose de cet acabit. Il ne voyait pas d'autres possibilités. Dans tous les cas, le voir ainsi lui déchirait le cœur. Jamais son Izuku n'aurait songé à faire du mal à qui que ce fût. Et pourtant, il lui avait brisé un doigt, de sang-froid, et aurait très bien pu lui en casser d'autres. Il en aurait été capable. Il l'avait vu dans son regard. Ce regard qui n'était pas celui du garçon qu'il avait connu. Katsuki s'inquiétait tout autant de son sort que de celui de ce maudit nerd. Du jamais vu.
Il y avait aussi cet autre garçon, Kuklya. Il l'intriguait beaucoup, il ne pouvait le nier. Son caractère l'avait frappé, il ne comprenait pas ce que quelqu'un comme lui venait faire ici. Bien sûr, il se doutait qu'il ne devait pas baisser sa garde pour autant : rien ne garantissait qu'il ne s'agissait pas d'un piège.
Ugh, ses pensées tournaient en rond. Il possédait si peu d'éléments... Et son état ne lui permettait pas de réfléchir de façon optimale.
Alors qu'il poussait un nouveau soupir, la porte au fond de la salle s'ouvrit, et la lumière s'alluma, le forçant à plisser les paupières quelques secondes. Il cligna des yeux, pour voir Izuku qui s'approchait de lui, un sourire ravi aux lèvres.
« Bonjour, Kacchan ! »
Il ne répondit pas, se contentant de toiser l'arrivant, sourcils froncés. Celui-ci s'abaissa à sa hauteur, et posa une main presque affectueuse sur le crâne de son prisonnier qui, à son contact, ne manqua pas de bouger la tête, arrachant au passage un rire à Izuku.
« C'est une nouvelle journée qui commence, alors j'espère que tu as bien dormi, et que ton doigt ne te fait plus trop mal ! »
A cette mention, la mâchoire de Katsuki se crispa et, comme par réflexe, ses mains furent prises d'un léger spasme.
Cependant, grâce à ce que venait de dire le vert, il comprit quelque chose d'important : une nuit était passée, entre sa dernière visite et maintenant. Bon, ce n'était peut-être pas si important, mais le blond tenait à ses repères temporels. Demeurant silencieux – car il savait que s'il ouvrait la bouche, il ne serait pas agréable – il détourna le regard, choisissant d'ignore l'homme face à lui qui se redressa en croisant les bras sur son torse.
Un nouveau son s'éleva de l'estomac du prisonnier, comme si celui-ci s'adressait à Izuku à sa place pour lui demander quelque chose à grignoter. La réaction de celui-ci ne se fit pas attendre : il frappa dans ses mains gantées, comme si quelque chose venait de lui revenir.
« Ah, oui ! Tu dois avoir faim ! Attends-moi là !
- Où tu veux que j'aille, putain de nerd... » marmonna Katsuki tandis que le geôlier ressortait de la salle.
Il revint moins d'une minute plus tard, une barre de céréales dans une main et une briquette de jus d'orange dans l'autre. D'où est-ce qu'il sortait ça ? Est-ce que cela signifiait qu'il y avait une cuisine, ou tout autre garde-manger, à proximité ?
« C'est l'heure du petit déjeuner ! » s'exclama joyeusement Izuku.
Il s'accroupit de nouveau face au blond, remuant l'emballage contenant la barre devant son nez, qui se fronça à cette vue. Ce n'était pas grand-chose, mais cela lui ferait probablement le plus grand bien. Il voulut bouger les mains pour s'en saisir...avant de se rappeler qu'il en était dans l'incapacité. Son regard rencontra alors celui d'émeraude, comme pour lui faire passer silencieusement le message.
« Eh bah, qu'est-ce qu'il y a ? Ah ! Les chaînes, suis-je bête ! Pas le choix, dans ce cas. »
Il déballa le snack de lui-même, fourrant l'emballage dans sa poche, puis l'approcha des lèvres de Katsuki. Ce dernier se montra quelque peu réticent à l'idée de directement se faire nourrir de la main de son ravisseur, mais son ventre le rappela à l'ordre en grognant une fois encore. Il déglutit et ouvrit la bouche...pour la refermer sur du vide. Izuku venait de retirer la barre de sa portée. Bon sang, il jouait avec ses nerfs.
« Qu'est-ce qu'on dit, Kacchan ? Mmh ?
- ... Steuplait, maugréa l'intéressé.
- Pardon ? Tu devrais parler un peu plus fort, je n'ai pas bien entendu.
- S'il te plaît, Deku. »
Ils échangèrent un regard, avant que le vert ne se décide à replacer le petit-déjeuner de son prisonnier devant lui. Cette fois-ci, ses dents atteignirent la nourriture, arrachant un morceau de la barre céréalière pour la mâcher. Il profita du goût sucré se propageant dans sa bouche un petit temps puis avala. Il réitéra l'opération, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de ce maigre repas. Izuku lui tendit ensuite la petite brique de jus de fruit, lui présentant la paille plantée dans celle-ci. Katsuki l'attrapa entre ses lèvres, aspirant le liquide qui le réhydrata au fur et à mesure. Elle fut vidée assez rapidement.
Un souffle de bien-être échappa au blond. Au moins avait-il pu satisfaire certains de ses besoins primaires.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, sa vessie ne l'avait pas encore sollicité. Il fallait dire qu'avec le peu qu'il avait ingurgité, son système rénal n'avait pas dû avoir à beaucoup fonctionner. Tant mieux, dans un sens.
Il sentit un regard pesant et insistant sur lui. Un regard dangereux. Et lorsqu'il revint à Izuku, il vit que – bien entendu – celui-ci venait de lui. Effrayant, cette capacité qu'il possédait désormais, à passer d'une émotion à une autre en l'espace de quelques secondes.
« Qu'est-ce que tu veux ? demanda-t-il d'une voix rauque.
- Tu sais que j'aurais pu te laisser crever de faim, pas vrai ?
- ... C'est vrai. Merci, Deku. » souffla-t-il avec réticence.
Le geôlier sembla satisfait de cette réponse, puisqu'un très léger sourire fit son apparition sur ses lèvres. Il sortit de nouveau de la salle, laissant cette fois-ci Katsuki seul un peu plus longtemps. Celui-ci se berça même de l'espoir que rien ne lui arrive, en cette journée. Il se faisait bien des illusions.
Et il le comprit rapidement, lorsque le garçon aux tâches de rousseur se remontra devant lui, un marteau en main. Bon sang, qu'est-ce qu'il lui réservait, maintenant ? Il eut un mouvement de recul, s'attendant au pire, surtout après avoir remarqué que, dans le creux de son autre main, le vert tenait un certain nombre de clous.
« Qu'est-ce que tu fous, encore ? Déconne pas ! »
Izuku s'assit sur les jambes de Katsuki, l'empêchant maintenant de bouger ou plier celles-ci s'il le désirait. Il posa les tiges de métal juste à côté de lui, et se mit à donner de très légers coups de l'outil qu'il gardait en main contre le genou droit du blond, faisant réagir ses nerfs et tressauter sa jambe – qui ne pouvait cependant pas bouger.
« Deku, fais pas le con !
- Je t'ai laissé le choix, non ? S'il ne te plaît pas, tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même.
- Quel choix ? » cracha le blond en colère.
Puis, il se souvint.
« Marteau, ou perceuse ? »
Il se figea. C'était donc pour cela que le sans alter lui avait demandé une chose pareille ? Parce qu'il comptait s'amuser à lui planter des clous dans le corps ? Il ne savait pas ce qu'il y avait de pire, entre ça, ou la perceuse, s'il devait être honnête. Mais dans tous les cas, il sentit son cœur manquer un battement sous la terreur l'envahissant. Voyant qu'il semblait avoir compris, Izuku ricana, avant de s'emparer de l'une des vis pour en poser la pointe contre le genou présenté à l'agresseur.
« En tout cas, je suis content que tu aies pris le marteau. Je trouve qu'une perceuse fait trop de bruit. Ca aurait été dommage de me priver de tes cris. »
A peine eut-il terminé sa phrase qu'il abattit l'outil contre le clou avec violence. La pointe du petit morceau de ferraille transperça sa peau pour venir se loger entre sa rotule et son tibia. Il dut se mordre la lèvre inférieure jusqu'au sang pour ne pas crier de douleur. Cette dernière faisait écho dans son corps tout entier, laissant un petit sifflement se faire entendre dans son oreille, comme des acouphènes répondant de manière égale à cette souffrance. Le son s'accentua lorsqu'un second coup lui fut porté, plantant davantage la tige de métal dans l'intérieur de son genou. Cette fois-ci, il ne put se retenir davantage, et libéra sa lèvre pour laisser un hurlement s'élever.
Deux coups. Deux coups, et le petit objet était complétement rentré. Combien Izuku en avait-il ramené ? Ses yeux embués de larmes cherchèrent les vis du regard. Son cerveau, trop concentré sur la douleur, ne parvenait pas à les compter. Dans quel ordre se rangeait les chiffres, déjà ? Une, deux, quatre... Non, il manquait le trois. Réfléchir s'avérait impossible. Dans tous les cas, il y en avait beaucoup trop. Il ne se voyait pas endurer tout cela.
Il tentait de laisser ses explosions se déchaîner mais, comme prévu, rien ne s'échappait de ses mains. Alors, il se contentait d'évacuer le tout en criant, et en se débattant comme il le pouvait.
« Allons, Kacchan, ce n'est que le premier. Je te pensais plus fort que ça. C'est pas ce que tu m'as toujours répété, que tu étais le plus fort ? »
Katsuki fut incapable de lui répondre. La douleur légèrement retombée, il baissa la tête, le regard dans le vague. Il se sentait partir. Du sang maculait sa peau, s'écoulant sur le sol en-dessous de lui. Izuku eut une expression contrariée. Il s'empara d'un second clou, qu'il posa juste à côté du premier, avant de le frapper de la même force que précédemment. Les sens du blond se réveillèrent, le faisant crier de nouveau. Puis, il ne prêta plus attention à ce qu'il se passait, au niveau de son genou. Son visage s'était levé vers le plafond. Il commençait à se dissocier, à ne plus être présent dans cette réalité.
« Kacchan ! »
Une voix lui parvint.
« Kacchan ! »
Une voix qu'il connaissait bien.
« Kacchan ! »
Une voix qui semblait si proche, mais en même temps si lointaine.
« Kacchan ! »
Une voix emplie d'innocence, et de joie de vivre.
Le visage enfantin d'Izuku lui apparut, se dessinant nettement, suivi d'un petit corps frêle et sans défense. Ses iris brillaient d'excitation, et d'admiration. Cela contrastait avec la noirceur dorénavant présente dans le regard du vert.
Ses pommettes relevées parsemées de petites tâches de rousseurs étaient colorées d'une légère teinte rosée. Un sourire s'étendait sur ses fines lèvres. Un sourire communicatif, semblant porter avec lui toute la joie du monde. Il tendit sa petite main en direction du blond, qui l'observait avec curiosité.
« On sera toujours ensemble, pas vrai, Kacchan ? »
Quelque chose n'allait pas.
Cette scène... Cette scène n'était plus d'actualité, aujourd'hui.
Lorsqu'il le réalisa, l'image se brisa, aussi fragile qu'un verre de cristal, tombant en morceau dans l'esprit de Katsuki. A la place, derrière cet idéal, apparut le même garçon, cette fois-ci plus âgé. Il devait avoir une quinzaine d'années. Habillé de son uniforme de collégien, ses iris pleines de vies avaient été remplacées. Emplies de tristesse et de déception, elles déteignaient sur le visage d'Izuku, dont le sourire avait disparu. Cette vue contamina le blond, qui sentit à son tour un immense désespoir s'abattre sur lui. C'était de sa faute, si le collégien se trouvait dans cet état. Il le savait. Il s'en voulait.
Ce fut à son tour de tendre sa main en direction de celui-ci.
« Deku ! »
Il l'appelait.
« Deku ! »
Il l'appelait, mais l'autre garçon ne semblait pas l'entendre.
« Deku ! »
Il l'appelait d'une voix désespérée, qui se perdait dans l'infinité de l'espace.
« Deku ! »
Il l'appelait, sans que cela n'eût aucun effet.
Izuku se détourna alors de son ami d'enfance, commençant à s'éloigner de lui dans les ténèbres environnantes, partant vers un effrayant inconnu. Le blond tenta bien de le suivre, mais c'était comme si ses jambes ne répondaient pas. Elles étaient bloquées, incapable de se mouvoir.
Katsuki ne put que tomber sur ses genoux, le visage dans les mains. Des sanglots qu'il refusait de laisser s'échapper secouait son corps tout entier. Il serra les dents, et déclara d'une voix tremblante, bien qu'assurée.
« Je te ramènerai, j'en fais la promesse, Deku. »
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