Chapitre 24 - Les fils de la poupée

Les flocons tombaient lentement du ciel, atterrissant un à un sur le sol déjà recouvert d'une épaisse couche de neige immaculée. Les rues revêtaient depuis plusieurs jours maintenant un joli manteau blanc propice à cette ambiance de fin d'année, à Noël qui approchait à grand pas, qui ne se trouvait plus qu'à quelques heures. C'est pourquoi la ville demeurait animée, malgré l'heure tardive qu'il commençait à être, malgré le Soleil qui s'était couché depuis une bonne heure déjà, obligeant les lampadaires à s'allumer afin de ne pas laisser l'obscurité s'installer. Ils accompagnaient les guirlandes et autres ampoules décoratives accentuant les allures de fête.

Une bonne odeur de takoyaki mêlée à celle de poulet frit embaumait l'air, titillant les narines des passants – bon nombre d'entre eux semblait être des couples –, les poussant à se laisser emporter, à consommer ces délicieux mets traditionnels. Et le garçon aux cheveux blancs ne faisait pas exception à la règle ; c'est pourquoi il cheminait en direction de chez lui après une après-midi passée en compagnie de ses amis, avec une boîte contenant plusieurs boulettes au poulpe entre les mains. Il fredonnait gaiement une petite mélodie, attrapant parfois l'un des takoyaki pour l'emmener à sa bouche, laissant ses pas le conduire à sa destination. Il avait hâte de retrouver ses parents, de passer la soirée à leur côté, tranquillement. Même si cela faisait maintenant une bonne dizaine d'années qu'il s'était installé au Japon avec ceux-ci, la tradition Russe perdurait chez eux, quant aux fêtes de fin d'années et, même si le jeune garçon avait hâte de pouvoir, un jour, passer un Noël romantique aux côtés de la personne que son cœur aurait choisi, comme cela se faisait dans ce pays, il devait bien avouer que l'idée de passer une soirée bien au chaud à savourer les délicieux plats de sa mère lui plaisait tout autant ! Le simple fait d'y penser lui mettait l'eau à la bouche !

Il termina sa boîte de takoyaki, la jeta dès qu'il passa près d'une poubelle et, dès lors, accéléra légèrement la cadence. Il devait être chez lui d'ici une quinzaine de minutes ! De là où il se trouvait, c'était faisable, mais seulement s'il prenait la peine d'accélérer un minimum. C'est là qu'il regrettait un peu de s'être habillé de manière aussi extravagante avec son long manteau à boléro blanc et rose, ses cache-oreilles ainsi que ses grandes bottes lui arrivant à la hauteur des genoux et possédant d'épais talons, de la même couleur que le sol poudreux sur lequel il évoluait. D'ailleurs, à cause de ses goûts vestimentaires, de sa longue chevelure et de son visage enfantin, les autres avaient la fâcheuse habitude de le prendre pour une demoiselle. Comme si seules celles-ci avaient le droit de porter des vêtements aussi mignons ! Enfin, au fond, ces confusions le faisaient rire, mais il ne pouvait tout de même s'empêcher de souligner l'aspect totalement absurde de la chose.

C'est au détour d'une bifurcation, alors qu'il s'éloignait petit à petit de la zone animée, qu'un frisson le parcourut soudainement, secouant son échine et le faisant se tendre instantanément. Était-ce dû à une chute de température occasionnée par la perte de chaleur humaine alentour ? Probablement, oui. Le jeune androgyne tenta d'ignorer le mauvais pressentiment sorti de nulle part qui l'animait, de ne pas prêter attention à cette alarme dans son crâne qui lui ordonnait de fuir. Ces craintes ne devaient pas être fondées, se basant sûrement sur le fait qu'il circulait seul, dans la rue, de nuit. Mais un soir pareil, rien ne pouvait lui arriver, pas vrai ?

Il se retourna subitement lorsqu'il entendit le craquement de la neige se faisant écraser non-loin, derrière lui. Sa mâchoire s'était mise à trembler, faisant légèrement claquer ses dents entre elles. Il ne se sentait pas à l'aise. Il essaya de se rassurer au mieux, se disant qu'il n'avait rien à craindre. Qu'il n'était certainement pas le seul à prendre ce chemin. Que cette sensation désagréable d'être observée se faisait générer par son imagination débordante. Après tout, quelques minutes plus tôt, il dégustait tranquillement des takoyaki en fredonnant et en se réjouissant à l'idée de ce réveillon qui s'annonçait. Les choses ne pouvaient pas basculer d'un extrême à un autre aussi rapidement. Il soupira, posant une main contre son cœur qui battait la chamade et secoua lentement la tête avant de faire volte-face, prêt à reprendre son chemin... Mais sursauta lorsqu'il se rendit compte que face à lui se trouvait désormais quelqu'un. Un homme de deux bonnes têtes de plus que lui qui le fixait avec intensité de ses yeux cyans dans lesquels semblaient brûler un feu incandescent. En-dessous de ses iris, l'inconnu...était brûlé ? Sur plusieurs parties visibles de son corps, en fait. Sa peau était comme en putréfaction, prenant des tons violacés, le faisant ressembler à une sorte de patchwork humain. Et cette vue terrorisa le garçon qui fit malgré tout de son mieux pour garder son calme. Il déglutit, inclina la tête en guise de salutations en direction de l'homme, et s'appliqua à le contourner tout en s'efforçant de ne pas laisser transparaître sa peur. Qui était cet individu et pourquoi le regardait-il de la sorte ? Il n'était même pas sûr de vouloir le savoir.


« C'est bien toi, Anya Tchernov ? lui demanda l'inconnu alors qu'il s'apprêtait à accélérer le pas pour s'en éloigner le plus rapidement possible.

- A-ah, euh... O-oui, c'est moi... répondit-il en s'arrêtant de nouveau pour tourner la tête en sa direction, demeurant sur le qui-vive.

- Eh bah. Ca fait bizarre de te voir en mouvement. Tu avais vraiment l'air d'une poupée, sur les photos qu'on m'a montré. »


... Les photos ? Quelles photos ? Sa terreur se mit à monter, de plus en plus lorsque le patchwork se déplaça pour revenir près de lui. Il ne fallait pas qu'il reste là. Cet individu était dangereux. Il pouvait le ressentir, et l'air qu'il dégageait, son regard, le ton de sa voix... Tout ne faisait que confirmer ce ressenti.

Cependant, au moment où l'homme le toucha, posant son index sous son menton pour le forcer à lever la tête et le regarder dans les yeux, ses muscles se tétanisèrent. Même son souffle se coupa sur le moment. Mince, comment fonctionnaient les jambes, déjà ? Comment faisait-on pour courir ? Il ne parvenait pas à le lâcher du regard, à s'en détourner. Et même s'il y arrivait, il était presque sûr que dès que son corps se libérerait de la paralysie causée par la panique, celui-ci ne serait plus que guimauve. Et il s'étalerait alors misérablement sur le sol.

Sa respiration lui revint, cependant. Erratique, saccadée. De petits points noirs dansaient devant ses pupilles, et son esprit... Son esprit se faisait envahir d'un brouillard l'empêchant de penser efficacement. De réfléchir à un moyen de se sortir de là.

Visiblement, son état devait être hilarant à voir, à en juger par le petit gloussement qu'émit le brûlé en relâchant son menton.


« Relax, je vais pas te faire de mal.

- Q-qu'est-ce q-que vous...me voulez... ? parvint à demander le garçon aux cheveux enneigés, ses mots entrecoupés par les claquements de ses dents.

- Tu n'as pas d'alter, pas vrai ? » demanda son interlocuteur.


Il n'eut le temps que de vaguement secouer la tête que l'autre reprit.


« Et si je te disais que je connais des personnes capables de t'en donner un ? De changer radicalement ta vie ? »


... Il n'était pas sûr de comprendre. Un inconnu l'abordait dans la rue, le soir du réveillon de Noël, dans une rue déserte, pour lui...proposer de lui donner un alter ?

Non, il n'y croyait absolument pas. Il avait beau être du genre à s'émerveiller face à la 'magie de Noël', jamais il ne prendrait au sérieux une offre pareille. Cela lui rappelait les publicités que l'on pouvait parfois trouver sur Internet où une personne se vantait de posséder le secret pour gagner des milliers de yens par jour sans bouger de chez soi. A la seule différence, ce genre d'arnaques ne lui avait jamais fait peur. Jamais ne s'était-il senti menacé par elles, contrairement à maintenant.

Et puis, posséder un alter ne l'avait jamais véritablement intéressé. Certes, ces facultés étaient des plus fascinantes, et certaines personnes pouvaient en faire des choses incroyables ! Mais lui préférait vivre tranquillement et se contenter d'admirer les prouesses de héros plutôt que d'y prendre part. Il ouvrit la bouche, essayant de rassembler assez de son courage pour déclarer à l'inconnu que cela ne l'intéressait pas, mais il se fit devancer par celui-ci qui commençait même à tourner autour de lui.


« Enfin, ce serait plus une mutation qu'un alter, si j'ai bien compris. C'est moins dangereux, et tu as moins de chances de te retrouver dans un état végétatif, complétement incapable de bouger et penser par toi-même. »


Un nouveau rire lui échappa. C'en était trop pour le jeune androgyne qui se sentait maintenant au bord des larmes. Comment s'était-il retrouvé dans cette situation ? Pourquoi est-ce qu'une chose pareille lui tombait dessus ? Il voulait seulement rentrer chez lui ! Retrouver sa famille ! Pourquoi son corps le lâchait-il dans un moment comme celui-là ?

Il serra les poings, et baissa la tête pour ne plus avoir l'inconnu dans son champ de vision. La neige tombant du ciel semblait avoir abandonné son revêtement de fête, arborant désormais une signification bien plus funeste.


« C-ça ne... M'intéresse pas... Je me... Je me fiche d'avoir u-un alter...

- Mmh ? Ah, je crois que tu n'as pas compris. Je ne te demandais pas ton avis. »


Et c'est alors qu'il s'apprêta à relever la tête qu'il sentit une main appuyer un tissu humidifié contre le bas de son visage, le forçant à inhaler les vapeurs d'un produit pénétrant directement au sein de son cerveau, mettant instantanément celui-ci en veille.



Ses paupières se rouvrirent pour découvrir un endroit qu'il ne connaissait pas. Une pièce lugubre, vide et froide, où le gris dominait du sol au plafond. Il ne portait plus son manteau sur lui, ce qui laissait à la température ambiante le loisir de lui mordre la peau. Ne comprenant d'abord pas ce qu'il faisait dans un lieu pareil, il tenta de se redresser malgré les courbatures et le vertige. Mais il ne parvint qu'à se mettre en position assise, découvrant avec effroi une chaîne reliant le mur se trouvant derrière lui à son cou. Ses mains se posèrent sur le métal glacé, réfléchissant à ce qui avait bien pu lui arriver pour qu'il se retrouve dans une telle situation.

L'inconnu dans la rue lui revint alors en tête.

Il avait été enlevé. Kidnappé. Et Dieu seul savait ce qui allait lui arriver.

Que lui voulait-on ? L'homme aux brûlures lui avait parlé...de recevoir un alter ? Une mutation ? Mais il n'en voulait pas ! Cela lui allait parfaitement de vivre sans le moindre pouvoir !

Même s'il savait cela inutile, il essaya de retirer ces chaînes l'entravant, tirant dessus, tentant de les arracher du mur, griffant le collier autour de son cou. Bien entendu, cela fut vain et n'engendra que le rire de ses ravisseurs lorsque ceux-ci pénétrèrent dans la pièce, le découvrant ainsi, tel un animal sans défense. Parmi eux ne se trouvait pas celui l'ayant amené ici. Non, ceux-ci semblaient tous être des scientifiques à en juger par leurs longues blouses blanches, leurs gants ainsi que les masques camouflant la moitié de leurs visages.

C'est à cet instant que l'Enfer attrapa le garçon entre ses mâchoires.

On ne commença que par l'examiner. On palpait sa peau, prenait sa tension, testait ses réflexes nerveux ainsi que la réactivité de ses iris. On le coupait pour voir le temps que mettaient ses plaies à cicatriser, le brûlait pour chronométrer ses limites.

Et jamais il ne pouvait se débattre. Deux des scientifiques l'entravaient, en plus de ces maudites chaînes, l'empêchant de se mouvoir comme il l'aurait voulu. Alors il pleurait, criait, suppliait. Il appelait ses parents, parfois à s'en déchirer la voix, parfois d'une toute petite voix à peine audible.

On ne lui donnait que l'eau et la nourriture nécessaire à sa survie. Et s'il refusait de s'alimenter ou de s'abreuver, on l'y forçait.

Pendant une longue semaine, on s'amusa à tester ses limites corporelles – combien de temps il pouvait tenir sans respirer, quelle intensité d'électricité il pouvait absorber avant de s'évanouir, son endurance à la course lorsqu'il était menacé...

Puis, on lui annonça qu'il était apte à subir cette mutation qu'il ne désirait pas. Ce fut l'instant où l'on commença à lui injecter des substances qu'il ne connaissait pas au sein du corps. Des drogues dont il ignorait les effets, qui traversait ses veines comme un feu infernal, lui donnait l'impression de se consumer de l'intérieur. Parfois, ses ravisseurs se montraient assez aimables pour lui administrer des somnifères, lui permettant de sombrer dans l'inconscience et de ne pas ressentir la douleur. Il lui arrivait de se réveiller par à-coups, pour constater que l'un de ses membres avait été ouverts et que des scientifiques semblaient en pleine opération dessus, mais il n'avait généralement pas le temps d'y réagir qu'il s'évanouissait de nouveau. La pire 'surprise' à laquelle il dût faire face fut lorsque lors de l'un de ses réveils, il constata que l'un de ses bras manquait à l'appel. Que ce dernier avait été tranché, et déposé plus loin. Pour autant, il n'en ressentit aucune douleur, certainement à cause des drogues circulant en lui. Cela ne l'empêcha pas de hurler de surprise, de terreur, secoué de spasmes et en proie à une soudaine crise de panique. Cette scène d'horreur ne dura cependant pas, puisqu'on lui injecta directement de quoi se rendormir, ce qui le propulsa malgré sa lutte, une fois encore, dans les bras de Morphée.

Lorsqu'il ouvrit les yeux de nouveau, son bras se trouvait de nouveau là où il était supposé être. Tout semblait en ordre, comme si jamais il n'avait été enlevé...à la seule exception de ce bandage qui, il le vit plus tard, camouflait une ribambelle de points de sutures faisant le tour de ce membre engourdi. Quelques temps après, le même pansement apparut de l'autre côté. Mais à ce moment, l'esprit du jeune garçon avait bien trop été consumé par la drogue pour qu'il n'y prête réellement attention.

Ses iris perdirent leur jolie couleur bleutée, devenant peu à peu translucides. Il arriva la même chose à ses pupilles. Comme si celles-ci se faisaient un peu plus effacer, jour après jour. Les reflets roses de ses cheveux devinrent plus pâles, jusqu'à presque disparaître. Et sa mémoire lui faisait de plus en plus défaut. Il ne parvenait plus à se souvenir de qui il était, avant de se retrouver au sein de cet endroit, allant même jusqu'à oublier son nom. Tout ce dont il parvenait à se rappeler était le sourire de ses parents, leurs regards bienveillants. Il s'y raccrochait pour éviter de sombrer dans la folie, pour garder une once de lucidité.

Une légère lueur d'espoir se ralluma en lui un jour, lorsque cette personne au regard émeraude dont le visage était recouvert de taches de rousseur vint lui rendre visite. Il avait amené avec lui un petit paquet qu'il tendit à l'albinos une fois arrivé à sa hauteur, un sourire chaleureux illuminant son être qui semblait si fatigué.


« De la part de tes parents. » se contenta-t-il de murmurer.


Il n'en fallut pas davantage au rat de laboratoire pour tenter de manière désespérée d'attraper le paquet, sans grand succès malheureusement, à cause de la douleur se propageant encore à l'intérieur de son corps. Cet élan arracha un rire amusé à son visiteur qui se permit d'ouvrir le présent à sa place, dévoilant au plus jeune un superbe ruban de couleur rose. Le garçon utilisa le peu de force qu'il possédait pour soulever les commissures de ses lèvres, de sorte à former un petit sourire. Ce n'était pas grand-chose, mais ce petit accessoire lui mettait un peu de baume au cœur. Il ne chercha pas à se poser de questions. Se fichait bien de comment ses parents pouvaient bien lui offrir quoi que ce soit alors qu'il avait disparu depuis maintenant des semaines sans qu'ils n'en soient au courant. Tout ce qui comptait, c'était de savoir qu'ils 'allaient bien'. Qu'ils 'pensaient à lui'.


« Tu veux le mettre ? » demanda le vert, ce à quoi le prisonnier opina lentement.


Il s'approcha un peu plus, et accrocha le ruban en forme de nœud au vêtement de l'albinos, au niveau de son torse. Le regard de ce dernier s'abaissa, observant l'accessoire, ne le quittant pas des yeux. Il n'adressa pas davantage d'attention à son visiteur. Ce qui lui dit celui-ci à partir de ce moment ne s'enregistra pas dans sa mémoire. Il ne se rendit même pas compte du moment où celui-ci s'en alla, le laissant de nouveau seul, ni lorsque sa conscience lui fit défaut, le plongeant, une fois de plus, dans le monde des rêves.

Il revint à lui plusieurs fois sans que personne ne se trouve à ses côtés. Mais cela ne lui importait pas. Il avait ce ruban avec lui, maintenant. Un présent de sa famille. Peut-être les reverrait-il bientôt ? Il s'accrochait à cet espoir à chaque fois qu'il se réveillait, caressant distraitement la douce matière accrochée à son torse avant de se rendormir de nouveau, épuisé par toutes les manipulations qu'il avait subies, par les drogues absorbées par son organisme.



Et puis vint cette fois où il ouvrit les yeux...en pleine forme. La fatigue ne le drainait plus. Son corps semblait être redevenu maître de lui-même. Son esprit... Son esprit fonctionnait avec un peu de mal. Mais au moins parvenait-il à rester éveillé.

Il se rendit alors compte qu'il ne se trouvait pas à l'endroit habituel. Le vent caressait sa peau, faisant délicatement virevolter ses cheveux. Cela faisait si longtemps qu'il ne s'était pas retrouvé confronté à la lueur naturelle de l'extérieur, bien que celle-ci se retrouvait filtré par d'épais nuages noirs desquels semblaient gronder un orage naissant. La pluie menaçait de tomber à tout instant, pleurant la fatalité du destin de l'albinos, l'acte irréparable qu'il s'apprêtait à commettre. Celui-ci remarqua que ses deux bras avaient disparu, remplacés par des lames semblables à celle de katanas. Cela ne l'alerta cependant pas outre mesure ; il ne parvenait pas à réfléchir de façon suffisamment raisonnée pour que cela l'affecte véritablement.

Face à lui se dressait une maison qui lui semblait...étrangement familière. Mais il ne parvenait pas à se rappeler où il avait bien pu la voir auparavant. Cette dernière se faisait assez imposante, si bien que l'on devinait aisément que ses propriétaires appartenaient à une classe élevée. Ceux-ci se trouvaient d'ailleurs à l'intérieur, à en juger par la lumière que l'on pouvait apercevoir au travers de certaines fenêtres.

Le jeune garçon finit par se rendre compte de la présence d'une autre personne, à ses côtés. Cet individu à la peau brûlée par-endroits... Ah, à quelle occasion l'avait-il rencontré, déjà ? Il ne s'en souvenait plus, bien qu'il eût la désagréable sensation que la rencontre en question n'avait pas été des plus heureuses. Dans tous les cas, à l'heure actuelle, il ne se sentait pas spécialement affecté par sa compagnie.

Son accompagnateur s'abaissa à sa hauteur, laissant ses lèvres effleurer son oreille, dans laquelle il susurra quelques mots qui ne le firent même pas tressaillir.


« Entre dans cette maison, et massacre toutes les personnes que tu croiseras à l'intérieur. »


Sans même avoir le temps de penser à cette requête, il sentit ses jambes se mettre à bouger d'elles-mêmes, s'approchant de la porte d'entrée. Il éventra celle-ci à l'aide de l'une de ses lames, la déchiquetant, et pénétra au sein de la demeure. Ses iris blanchâtres balayaient les environs, à la recherche d'âmes qui vivent. Aucune expression ne se reflétait dans celles-ci, vides de toute émotion, de toute humanité.

Un seul mot résonnait dans son esprit.

Massacre.

Les habitants de la maison, un homme accompagné d'une femme, certainement alarmés par le son de la porte se faisant détruire, accoururent là où se trouvait l'albinos, qui avait légèrement progressé au sein de l'entrée. Son regard se focalisa sur eux. Sur leurs visages si familiers. Sur leurs prunelles surprises. Celles de la femme se mirent à produire des larmes, silencieuses, qui se mirent à rouler le long de ses joues. Lentement, elle avança vers le garçon, les mains tendues vers lui. Elle l'observait comme s'il s'agissait d'un fantôme. D'un mirage. Et cette vision occasionna un désagréable pincement au sein de son cœur.


« A-Anya... Anya, c'est bien toi... ? Où est-ce que tu— »


Sa phrase fut étranglée par une gerbe de sang. L'une des lames de l'albinos venait de transpercer son abdomen sans la moindre hésitation, la faisant se figer sur place. L'arme remonta, coupant la partie supérieure de son corps en deux, sans la moindre difficulté, sous le regard terrorisé de l'homme sur lequel atterrit quelques gouttes d'hémoglobine. Sous le choc, il tenta de reculer et trébucha, se faisant ainsi réceptionner par le sol, là où reposait son épouse, raide morte. Elle qui vivait encore, quelques secondes plus tôt à peine.

Les prunelles du garçon se posèrent alors sur lui. Il s'avança mécaniquement vers lui tandis que le plus vieux essayait gauchement de se relever, paniqué. On pouvait lire l'incompréhension sur son visage maculé de rouge.


« Anya... Synok, c'est... C'est moi ! Q-qu'est-ce qu'il t'est arrivé... ? »


La lame vint se poser sous son menton, sa pointe perçant délicatement la peau de son cou, laissant un petit filet sanguinolant s'en échapper. L'assassin le contempla, quelques secondes.

Massacre.


« C-calme-toi... Explique-moi... Qu'est-ce qu— »


Sa parole fut tranchée au même instant que sa tête. Cette dernière roula plus loin, gardant à tout jamais cette expression figée d'effroi, de confusion. Le sang s'écoulait de sa carotide incisée, laissant se propager au sol un véritable bain de ce liquide visqueux.

Les vêtements d'ordinaire si blancs du garçon s'en retrouvèrent colorés. Souillés de cette substance vive. De la vie de ses victimes.

Une soudaine chaleur se mit à caresser sa peau, à envelopper son corps. Les environs se mirent à scintiller, la lumière dansait tout autour de lui. La demeure prenait feu. Et cela ne le fit même pas frémir. Il ne regarda même pas les flammes se propageant à une vitesse inouïe. Ses yeux demeuraient focalisés sur les deux corps à ses pieds. Restait-il des personnes, à l'intérieur ? Il devait aller vérifier. Obéir à cet ordre qu'il avait reçu.


« Je pensais pas que ce serait aussi rapide. » le héla la voix de son compagnon.


Il se retourna vers la porte d'entrée éclatée où se tenait celui-ci, les bras croisés sur le torse, un sourire satisfait sur le visage.


« On peut se barrer, du coup. Viens, avant que les héros ne débarquent. »



Après avoir quitté la demeure en feu, en compagnie du brûlé, il ne lui fallut pas longtemps avant de retomber dans l'inconscience, soudainement épuisé.

Et lorsqu'il revint à lui, il ne se souvenait pas de ce qui s'était passé. Tout... Il avait tout oublié. La torture, les manipulations, les opérations, les injections... Son esprit entier avait été lavé. Les pages de sa vie, déchirées, ne lui laissaient plus que le vague souvenir de deux regards bienveillants et d'un ruban rose.

C'est dans un lit qu'il se redressa. Il se sentait mal. Son corps se faisait douloureux. Il avait la nausée. Où se trouvait-il ? Que se passait-il ? Il porta une main à son front et grogna. C'était comme si une enclume lui était tombée sur la tête.


« Ah, tu te réveilles enfin ! »


La voix s'adressant à lui résonna dans son crâne, lui faisant plisser les paupières. C'était désagréable. Il se tourna vers sa provenance, sourcils froncés, affreusement confus. Assis sur une chaise, à côté de son lit, se tenait un homme à l'air fatigué. De nombreuses taches de rousseur dansaient sur son visage encadré de boucles vertes. Qui était cette personne ?

... Et lui-même, qui était-il ?


« L'opération s'est déroulée à merveille ! Ton alter est prêt à être utilisé !

- ... L'opération ? » demanda le garçon d'une voix déraillée.


Quelle opération ? Quel alter ? Il ne se...souvenait pas avoir un alter ? Enfin, il ne se souvenait pas de grand-chose, à vrai dire. Dans tous les cas, il ne parvenait pas à comprendre ce que cette personne lui racontait.


« Tu ne te souviens pas ? »


L'albinos secoua négativement la tête sous l'air quelque peu soucieux de son interlocuteur qui sembla hésiter un petit instant avant de reprendre la parole.


« Ca arrive, parfois. C'est assez délicat de se faire implanter un alter alors, parfois, la psyché peut en prendre un coup. Aah, comment expliquer... »


Le tacheté se frotta la nuque. Visiblement, il cherchait ses mots.



« Tu te trouves ici au sein de la Ligue des Vilains. Tu es venu nous voir, il y a une petite semaine de ça parce que tu cherches à te venger.

- ... Me venger ?

- Mhm. En fait, tu... Ah, pourquoi c'est à moi de te raconter ça... Tes parents ont été... Retrouvés morts, chez eux. Leur domicile a pris feu et... Et ils n'ont pas eu le temps de sortir. Ils ont été...consumés par les flammes. »


Il écarquilla les yeux. Sa respiration se coupa.

Ses parents... Ses parents étaient quoi ?!


« Ce n'était pas intentionnel, mais... Hum... C'est le héros Endeavor qui, lors de l'une de ses interventions, y a mis le feu par mégarde. Seulement, comme c'est un héros renommé, l'affaire a été étouffée. Et mise sur le dos d'un vilain que l'on n'aurait 'pas retrouvé'. Et comme tu trouvais ça injuste, eh bien... Tu es venu nous voir. Tu voulais que l'on t'implante un alter afin d'être en capacité de te venger. »


Ses parents.

Ses parents étaient morts.

Ils avaient été brûlés vifs. Un héros... Un héros les avait tués. Et avait fui toute responsabilité.

Un héros les avait tués. Son père. Sa mère.

Ils avaient disparu.

Il senti une vague de haine l'envahir. Sa mâchoire se serra. Son corps se tendit. De lourdes larmes de rage et de désespoir lui échappèrent.

Endeavor. Endeavor les avait tués.

Un cri d'agonie résonna dans la pièce, déchirant ses cordes vocales. Il se mit à pleurer, bruyamment, attrapant la couverture du lit dans lequel il se trouvait entre ses doigts. Il allait payer. Endeavor avait tué ses parents. Il avait fui, comme un lâche. Et le garçon lui ferait payer.

Des bras s'enroulèrent autour de lui, le faisant se coller contre le corps de la personne à son chevet. Par reflexe, il se blottit contre celle-ci, libérant la literie pour attraper sa chemise, se laissant aller à ses pleurs. Une main passa dans ses cheveux pour les caresser avec délicatesse, dans le but de le rassurer. Une agréable chaleur, encore infime, se propagea en lui, contrastant avec le feu de sa rage.


« Shht... On est de ton côté. On t'aidera à te venger de cette enflure. Je te le promets...Kuklya. »



*



« Prévenez les héros ! On a un problème, ici !

- Un patient a été assassiné dans sa chambre ! Il ne respire plus ! Et l'électrocardiogramme est...

- Poignardé ! Il a été poignardé ! »


Le personnel infirmier s'affairait, telles des fourmis au sein d'une colonie, dans la chambre d'un vilain hospitalisé depuis maintenant plusieurs jours. Un garçon d'à peine une vingtaine d'année aux cheveux blancs qui avait été retrouvé mort, dans son lit, par une infirmière qui passait vérifier son état. La personne à l'origine du meurtre avait attendu que le héros en charge de le surveiller s'absente le temps de quelques minutes afin de passer à l'action, réduisant le garçon au silence à tout jamais. De son torse s'écoulait son sang, encore chaud, tachant le lit dans lequel il reposait, sans vie.

Jamais l'envie de divulguer la moindre information quant à la Ligue des Vilains ne lui traverserait l'esprit.

Voilà ce qu'il en coûtait de trahir cette organisation, de s'opposer à elle.

Sa mission accomplie, Himiko Toga, revêtant l'apparence de l'une des médecins, sortait de l'hôpital, un large sourire aux lèvres. Tout le monde était bien trop en proie à la panique pour lui accorder la moindre attention.

Elle attendit de s'être suffisamment éloigné de l'établissement pour retrouver son apparence initiale, inhalant longuement, visiblement ravie. Elle venait de tuer l'un de ses anciens camarades sans sourciller. C'était une sensation étrangement agréable ! Rien que d'y penser, elle en frissonnait !

Elle se tourna une dernière fois vers le grand bâtiment blanc, et laissa son sourire s'élargir. Adressant un dernier adieu tacite à son ancien ami, elle fit volte-face et se remit directement en route, sautillant, pressée d'annoncer la nouvelle aux autres membres.

Les fils du pantin usagé avaient été coupé.

La fin de son service était arrivée.

Il était enfin temps pour lui de se reposer.

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