Cela remontait à la période de leurs quatorze ans. La dernière fois que Katsuki avait vu son ami d'enfance. Cette journée-là avait été gravée dans sa mémoire, d'un fer rouge brûlant.

Ce jour où Katsuki avait été attaqué par ce vilain des plus visqueux, fait d'une sorte de boue dégoûtante, qui avait voulu prendre possession de son corps, s'infiltrer en lui comme dans un déguisement afin de passer inaperçu au milieu de la foule, remplacer la conscience du futur héros par la sienne. Il se souvenait s'être déchaîné contre lui, à coup d'explosions, mais rien n'y avait fait : sa résistance avait été telle que le mutant n'avait pas bronché. Il avait beau s'être débattu, il avait senti l'air lui échapper de plus en plus à chaque seconde. Cela avait été la première fois que l'explosif avait pensé à la mort. Il l'avait senti approcher, se faufiler auprès de lui... Puis, il avait été ramené à lui par ce regard qu'il connaissait bien. Par ces yeux verts chargés d'héroïsme et de détermination. Izuku avait volé à son secours. Ou du moins, avait tenté. Il l'avait vu se démener, tenter d'arracher Katsuki de l'emprise de ce vilain... En vain, bien entendu. Il glissait bien trop pour permettre une telle chose.

Et puis, le blond avait été sauvé, grâce à l'apparition d'un superhéros. Et pas n'importe lequel ! Le plus connu de tous, le premier du classement des héros ! All Might ! Celui-ci avait envoyé valser le mutant d'un seul coup de poing, libérant l'adolescent de son emprise. Ce dernier avait par la suite été félicité pour son courage et sa persévérance, tandis qu'Izuku, lui, ne s'était pris que des reproches pour avoir ainsi risqué sa vie. Katsuki , au milieu de tous ces compliments, avait jeté un coup d'œil à son ami. Une lueur étrange brillait dans son regard, tandis que les voix de différents héros fusaient contre lui. Un mélange de tristesse, de désespoir, et de frustration.

Il ne l'avait ensuite plus jamais revu.

Jusqu'à aujourd'hui, du moins.

Il ne ressemblait plus en rien au jeune garçon empli d'espoir qu'il avait connu. Ses yeux, si grands, avaient perdu cet émerveillement constant le caractérisant. Plus sombres, ils se faisaient souligner par un profond trait noir, des cernes trahissant une certaine fatigue chez lui. Son visage avait légèrement perdu de sa rondeur innocente et enfantine, désormais plus fin. Et son sourire... Son sourire, encore présent, ne trahissait plus la moindre naïveté. Il était... Cruel. Sûr de lui. Et cela donnait des frissons à Katsuki.

Vestimentairement parlant, Izuku portait une chemise blanche aux manches retroussées, par-dessus laquelle se trouvait un veston noir. Une cravate de la même couleur s'enroulait autour de son cou, lui donnant un air plus sérieux que jamais.

Comment pouvait-il se retrouver dans une telle situation ? Il ne comprenait pas. Il avait beau y réfléchir, cela n'avait aucun sens.

Il s'était tant inquiété pour lui, l'avait cherché pendant si longtemps... Avait même fini par le croire mort. Au début, il ne s'en était pas fait plus que cela : il reviendrait bien assez tôt, pas vrai ? Après un mois entier sans avoir la moindre nouvelle du sans-alter, cependant, il avait commencé à avoir peur. Peur de ce qui avait pu lui arriver. Des recherches avaient été lancées depuis plusieurs semaines, auxquelles participaient quelques héros, mais pourtant, son ami était resté introuvable.

Et puis, un beau jour, alors que sa mère et lui se trouvaient chez la génitrice d'Izuku, lui rendant visite dans le but de lui remonter le moral, le héros numéro un avait fait son apparition. Il avait sonné à la porte de Madame Midoriya, demandant à lui parler. Les Bakugou s'étaient dit qu'il valait peut-être mieux s'éclipser, au vu de l'air grave assombrissant le visage d'All Might – avaient-ils retrouvé Izuku ? Se trouvait-il dans un mauvais état ? – mais ce dernier leur assura que leur présence ne le dérangeait pas le moins du monde, ce qui avait poussé Katsuki et sa mère à rester : le jeune adolescent avait voulu savoir ce qu'il en était ! Et c'est ainsi qu'All Might avait expliqué avoir rencontré le vert, le jour de la disparition. Il se blâmait énormément pour celle-ci. Il expliqua aux personnes présentes ce qu'il avait déclaré au plus jeune ; il ne pourrait pas devenir un héros. Pas avec son absence de pouvoirs. Selon le professionnel, son état avait dû être affecté par la dureté de ses paroles, par la façon dont il lui avait intimé de cesser de rêver à ce sujet. Il s'était excusé, sous l'air confus de la mère d'Izuku, qui ne l'avait pas tenu pour responsable malgré tout.

Katsuki avait alors repensé à tout ce qu'il lui avait fait subir depuis que son alter à lui s'était manifesté. De la manière dont il avait pu l'humilier, le rabaisser, se moquer de ses rêves et ambitions. Depuis, pas un jour ne s'était écoulé sans qu'il ne pense au visage de son ami. Sans qu'il ne regrette l'odieux comportement qu'il avait pu avoir à son égard. Pendant deux ans, il en avait fait des cauchemars, où le vert se trouvait face à lui, pleurant à chaudes larmes, lui demandant des explications quant à ses actes.

Et aujourd'hui, ce rêve était devenu réalité. Izuku se trouvait là, juste devant lui, à un petit mètre seulement. Bien vivant. Sauf qu'il ne pleurait pas. Au contraire, son visage se faisait traverser par un petit sourire qui, il fallait l'avouer, faisait froid dans le dos à Katsuki. Qu'avait-il bien pu se passer ?

« ... Deku ? finit-il par hasarder.

- Je vois que ta mémoire ne te fait pas défaut, même après sept longues années ! répondit le vert d'un air ravi.

- Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? On est où, là ? Et puis, t'étais où pendant tout ce temps ? »

Un doigt ganté se posa sur les lèvres de Katsuki, l'intimant à se taire. Izuku s'était penché vers lui, son sourire se faisant soudainement plus large. Le blond serra les dents, peu enclin à écouter l'ordre muet du vert. Il s'était fait tant de souci pour lui – bien entendu, jamais il ne l'avouerait – alors comment pouvait-il décemment se taire, maintenant ?

« Une question à la fois, Kacchan.

- Ta gueule ! Réponds-mo— »

Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase qu'une vive douleur se fit ressentir au niveau de sa mâchoire, tandis qu'il sentit sa tête partir sur la droite d'un coup. Il ne réalisa qu'après quelques secondes que son interlocuteur l'avait frappé d'un violent coup de genou.

Izuku ? Frapper quelqu'un ? Le choc fut tel pour Katsuki qu'il écarquilla les yeux, incapable de trouver une réaction appropriée sur le moment. Le sourire du vert, lui, avait disparu, laissant place à un air froid, impassible.

« Je ne pense pas que tu sois en position de contester. »

Il s'accroupit afin de se mettre parfaitement face à lui, et attrapa le menton du blond entre son pouce et son index, fixant avec intensité la blessure venant de lui être infligée.

« Si on m'avait dit un jour que je te ferais un truc pareil... J'y aurais probablement pas cru. En tout cas, je peux comprendre pourquoi tu aimais tant me faire la misère. Ça fait tellement de bien de déverser sa frustration sur quelqu'un se trouvant en position de faiblesse. »

Le rappel du comportement de Katsuki lui provoqua un frisson. Izuku... était-il revenu pour se venger ? Il ne pouvait pas dire qu'il ne le méritait pas, si tel était bien le cas... Mais sa fierté ne le permettrait pas. Et surtout, son statut de héros faisait qu'il était dans le devoir de punir les personnes comme ce que semblait être devenu le vert. Il refusait de penser à ce mot. Il ne voulait pas coller un tel nom sur son ami d'enfance.

La main recouverte de cuir le relâcha et effleura délicatement sa joue.

« On va bien s'amuser, toi et moi. » assura Izuku.

Les prunelles des deux garçons ne se quittèrent pas pendant une bonne minute. Seules leurs respirations se faisaient entendre dans cette petite salle, celle du blond bien davantage. Normalement, il aurait dû crier, se débattre, envoyer le vert se faire voir. Mais pour une raison qui lui échappait, les mots restaient prisonniers, au fond de sa gorge. Son incompréhension et le surréalisme de cet instant l'emportaient sur tout le reste, l'empêchant de se concentrer sur autre chose.

« Tu avais des questions, je crois. » finit par reprendre le sans-alter, rompant le silence.

Il se redressa, sans quitter son prisonnier du regard. Ce dernier se sentait atrocement mal. Il avait la nausée, un sentiment insupportable s'immisçait en lui, le rongeait de l'intérieur. Oui. Oui, il en avait, des questions. Et il voulait des réponses.

Où était-il ? Pourquoi Izuku se trouvait-il ici, avec lui ? Que lui était-il arrivé pendant tout ce temps ? Pourquoi n'était-il plus en mesure de générer des explosions ? Qu'est-ce qu'il comptait lui faire ?

Toutes ces interrogations lui brûlaient les lèvres.

Le vert croisa les bras sur son torse, se mordillant la lèvre inférieure, semblant en proie à une soudaine réflexion. Avec un peu de chance, cet enfoiré de nerd allait se rendre compte de ce qu'il était en train de faire, et il le relâcherait.

...

Ne rêve pas trop, Katsuki.

Quelque chose est beaucoup trop différent, chez lui.

Quelque chose s'est brisé.

Quelque chose l'a changé.

« Je sais ! » s'exclama-t-il, soudainement.

Il s'accroupit de nouveau, et entrelaça ses doigts à ceux du captif, les serrant dans un geste tendre.

« Qu'est-ce que tu fous, encore ? réussit à marmonner le blond.

- J'ai eu une super idée, Kacchan ! On va faire un jeu !

- Je veux pas jouer avec toi. Je veux des réponses.

- Et tu en auras ! Mais pour chacune d'entre elles... »

Sa prise se fit plus brusque. Il y mit une telle force que l'explosif ne put s'empêcher d'esquisser une petite grimace. Avec ses mains engourdies par leur position empêchant le sang de circuler correctement, et le froid ambiant, la sensation était très certainement doublée.

« Je te casserai un doigt. »

A l'entente de cettephrase, les yeux rubis de Katsuki s'écarquillèrent, tandis que contre les mursse mit à résonner un long rire sinistre.