Chapitre 40

Enzo pose l'index sur l'ouverture de la porte, qui détecte l'empreinte. Il a le cœur qui bat la chamade. Il n'avait pas revu Jen depuis la discussion qu'ils avaient eu dans la cafétéria, le jour où il avait enfin attrapé Julien. Il n'aurait pas dû la revoir avant trois jours, mais la situation avait changé.


La porte reconnaît l'empreinte d'Enzo et s'ouvre. Il s'engouffre à l'intérieur de l'appartement, plongé dans la pénombre. La porte se referme derrière lui, mais il ne bouge pas. Il reste un instant debout, à regarder le couloir menant vers le salon, à détailler le porte-manteau, le vide-poche posé sur le meuble à chaussure... Tous ces objets qui, un mois plus tôt lui semblaient familiers et qui, aujourd'hui, lui rappelaient qu'il n'était pas censé être là, qu'il était un étranger dans cet appartement.

Il ferme les yeux, se demande comment Jen va réagir en le voyant. Se mettra-t-elle en colère, parce qu'il n'a pas respecté la promesse qu'il avait faite ? Un instant, il est tenté de faire demi-tour, de ne pas se signaler, et de faire comme s'il n'était jamais venu ici. Un instant, il pense à la fuite. Il avait peur de tout gâcher.

Pourtant, sans trop y réfléchir, il s'avance et franchit le couloir pour entrer dans le salon. Lui aussi, est plongé dans le noir, mais Enzo aperçoit de la lumière filtrer derrière la porte de la chambre. Jen est là, derrière cette simple porte, et à cette pensée, les mains du jeune homme deviennent moites. Il ne peut pas entrer comme ça, dans cette chambre, sans y avoir été invité. Il ne peut même pas frapper à la porte pour se signaler : il est plus de vingt-deux heures et il n'est pas censé être là.

Alors, de nouveau, il regarde le rai de lumière qui filtre sous la porte, la masse sombre du fauteuil qu'il devine dans le coin gauche, la table à laquelle il manque de se cogner en avançant à tâtons. Il bouscule une chaise, s'arrête, le cœur battant. Il tend l'oreille pour voir si Jen a entendu et si elle ne risque pas de débarquer d'un instant à l'autre dans le salon pour vérifier ce qu'il se passe. Mais rien ne bouge. La jeune femme doit être plongée dans le livre qu'elle est en train de lire et n'a pas entendu le bruit.

Les épaules d'Enzo s'affaissent. Elles sont douloureuses, et le jeune homme se rend compte qu'il se tenait aussi droit qu'un piquet, dans l'attente, depuis tout à l'heure. Il fait tourner les articulations, dans le but de se détendre un peu et faire passer la douleur. Enzo se met à réfléchir. Il fait la liste de ce dont il est sûr : il n'est pas censé être là, même s'il a une bonne raison pour y être ; il ne peut pas rentrer dans la chambre, même en frappant, car cela risquerait d'effrayer Jen et de la mettre encore plus en colère. Deux certitudes, donc. Puis, il fait défiler toutes les propositions dont il doute : doit-il vraiment le faire ; ne peut-il pas faire demi-tour avant qu'il ne soit trop tard ; comment Jen va-t-elle réagir. Voici ce qu'il allait devoir trancher.
Faire demi-tour serait la solution de facilité. Il pourrait le faire maintenant, et Jen n'en serait jamais rien. Mais ils avaient décidé d'être honnêtes l'un envers l'autre, cela faisait partie des nouvelles clauses de ce nouveau départ dans la relation. Jen finirait par l'apprendre, d'une façon ou d'une autre, de toute façon. Et mieux valait que ce soit par lui que par la télé ou sur Rézo.

Il devait donc aller jusqu'au bout de cette décision, quoiqu'elle lui en coûte. Il maudissait tous ces événements de se mettre en travers de lui et de Jen. Il prend une grande inspiration et sort le téléphone de la poche dans laquelle il l'avait glissé. Il compose le numéro de la jeune femme.
Il entend le téléphone sonner, dans la pièce d'à-côté. Jen pourtant ne décroche qu'au bout de la quatrième sonnerie. Il entend la voix, légèrement déformée par le combiné.

— Enzo ?

C'est l'étonnement qui peut s'entendre dans cette voix. Visiblement, elle ne s'attendait pas à ce qu'il appelle. Évidemment.

— J'ai un truc important à te dire...

Il marque une pause, grimace.

— Je suis dans le salon.

— Oh...

À cela non plus, elle ne s'attendait pas. Elle marque une pause, à l'autre bout du fil, laissant Enzo tanguer au milieu de la pièce, les mains moites et le cœur battant vite. Finalement, elle lâche :

— Ok, j'arrive.

Elle raccroche. Il entend du mouvement de l'autre côté de la porte. Il ferme les yeux un instant pour se donner du courage et quand il les rouvre, la lumière sous la porte s'est éteinte. La seconde d'après, la porte s'ouvre et la lumière du salon s'allume, éblouissant Enzo un instant. Il referme les yeux vivement, mais même ainsi, il ne voit qu'un rayon blanc sous les paupières et la silhouette de Jen s'y découper en ombre chinoise.


— Oups, désolée, souffle la jeune femme.

Prudemment, il rouvre les yeux. Elle se tient là, à quelques mètres de lui, les bras ballants et des points d'interrogation dans le regard. Enzo se demande alors ce qu'il est censé dire, comment il était censé l'annoncer.

— C'est moi qui suis désolé, finit-il par articuler.

Il fouille dans la poche arrière, où il a rangé la lettre. Elle a été un peu chiffonnée, alors il la défroisse du plat de la main, avant de la tendre à Jen.

— C'est pour toi.

La jeune femme s'en saisit et déplie la feuille pliée en quatre. Enzo connaissait déjà le contenu – bien qu'il ne lui était pas adressé, il avait dû la lire. Eliott avait voulu la jeter, sans la donner à Jen. Enzo avait insisté pour la récupérer. Il estimait que Celle-qui-lui-était-Promise avait le droit de la lire.

Il voit le visage se décomposer au fur et à mesure de la lecture, et qu'elle comprenne enfin le motif de la visite d'Enzo. Il sent le cœur se serrer. Il avait espéré au fond de lui qu'elle accueillerait la nouvelle avec indifférence, mais il savait au fond de lui que ce n'était pas possible.

Finalement, elle relève la tête, des larmes perlant au coin des yeux. Elle hoquette :

— Oh non, il est..

Enzo hoche la tête, doucement. Il sent la gorge se serrer. Lui aussi, il risque de pleurer, et il ne sait pas vraiment pourquoi : est-ce de voir Jen aussi triste, est-ce pour la situation en elle-même. Il aurait été incapable de le dire. Il parvient néanmoins à articuler, en espérant que la voix soit audible et qu'elle ne tremble pas :
— On l'a retrouvé en bas, sur le parking.

Il ouvre les bras, invitant la jeune femme à s'y réfugier et souffle :
— Je suis désolé.

Jen lâche la lettre et se jette dans ces bras ouverts et solides. Elle s'y agrippe, avec la force du désespoir. Enzo resserre les bras, la serre fort. Il plonge le nez dans les cheveux noir ébène de la jeune femme et ferme les yeux. Il reconnaît le parfum et de nouveau, il sent les yeux le piquer. Les épaules de Jen sont secouées de sanglots. Il la berce doucement, murmurant toujours qu'il était désolé.

Il respire encore profondément cette odeur qu'il n'avait pas sentie depuis près d'un mois, cette odeur qui lui avait tant manqué. Il savait que cette fois, Jen était de nouveau à lui, entièrement. Un sentiment de bien-être et d'appartenance le traverse. Pour la première fois depuis longtemps, il se sentait chez lui, plein et entier. Il avait fallu tout ce chemin pour qu'il se rende compte de la chance qu'il avait. Il avait fallu toute cette aventure pour qu'il apprécie ce moment, même s'il était triste.

Déjà, les sanglots de Jen sont moins forts, et les épaules ne tressautent plus. Il frotte le dos de la jeune femme pour la calmer complètement. Sur le t-shirt blanc, il y a une tache noire, une tache de mascara. Elle se dégage lentement de l'étreinte et plante les yeux encore humides de larmes dans ceux d'Enzo.

— C'est peut-être mieux comme ça, finalement.

Enzo ne dit rien, il se contente de hocher lentement la tête, en fermant les yeux. Il respire encore une dernière fois l'odeur de Jen en collant un baiser chaste sur le haut du front de la jeune femme. Il recule lentement, serre une dernière fois les mains de Jen, en signe de soutien. Mais lorsqu'il tente de les retirer, cette dernière serre plus fort et le retient.

— Reste cette nuit. Cela ne sert plus à rien maintenant. Il faudra qu'on apprenne à vivre ensemble.

Il se laisse guider par Jen jusque dans la chambre. Sur la couverture du lit, un livre est posé, ouvert en deux, marquant la page. Jen laisse tomber la robe de chambre qu'elle avait enfilée et se glisse dans le lit. Enzo se déshabille également sans un mot. En s'allongeant dans les draps doux et légers, fixant le lustre du plafond, il ne peut s'empêcher de penser que, bizarrement, il ne se sentait pas plus heureux que cela. Il avait gagné, certes, mais pas de manière éclatante. Une mélancolie, une tristesse s'insinue dans le cœur, l'empêche d'exulter.

Il jette un dernier regard à Jen qui le dévisage dans le lit, à côté de lui. Il lui sourit doucement, puis la lumière s'éteint et il ferme les yeux.

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