Chapitre 39

Julien se réveille en sursaut. Il ressent une présence dans la pièce, qui n'y était pas avant qu'il s'assoupisse. Un vieux réveil aux chiffres rouges avait été apporté depuis plusieurs jours, mais l'ennui le dévorait toujours autant et il passait donc toujours le plus clair du temps à dormir ou somnoler. Il était cependant plus agréable de savoir combien de temps il s'était assoupi.


Il tourne la tête vers la chaise et Jen est là, assise. Un sourire timide étire les lèvres de la jeune femme lorsqu'elle se rend compte que Julien est réveillé. Le jeune homme se redresse un peu, en position assise dans le lit. Les côtes lui faisaient de moins en moins mal, et il pouvait désormais s'asseoir seul, marcher quelques mètres entre les quatre murs qui l'enferment.


— Salut, murmure Julien.


— Salut, répond Jen.

De nouveau le silence, épais. Même le bip-bip des machines a disparu, depuis plusieurs jours – trois, Julien avait compté. Il ne savait pas s'il devait se réjouir de la présence de la jeune femme : après tout, elle l'avait trahi.

Visiblement, cette dernière ignorait également comment se comporter en face de Julien, puisqu'elle restait silencieuse, les mains coincées entre les cuisses et la chaise. Elle avait perdu de ce caractère fougueux pour redevenir une petite fille apeurée. Elle avait troqué le débardeur bleu électrique et le jean déchiré par un short, plus adapté à la chaleur estival et un petit chemisier blanc, sans manche, laissant voir l'épaule et le dragon noir. Une boursouflure rose ornait le cou de l'animal, souvenir de la plaie que Julien a creusée dans le bras de la jeune femme afin de lui ôter la capsule. Finalement, elle finit par briser le silence :
— Tu as meilleure mine.

Julien grogne. Pourquoi étaient-ils tous obligés de commencer par cette phrase banale, de tourner autour du pot ?

— Qu'es-tu venu m'annoncer ? la coupe Julien.

Jen danse sur la chaise, visiblement mal à l'aise. Julien ne s'était donc pas trompé et cette visite n'était pas anodine. Restait maintenant à en savoir le motif. Mais à en juger par le comportement de Jen, cela n'augurait rien de bon. Elle finit par lâcher :
— J'ai presque fini l'article sur toi. Il va faire cinq pages.

Julien ne parvient pas à cacher la surprise qui le pique. Les sourcils s'envolent sur le front du jeune homme.

— Tu as écrit un article sur moi ?

— Oui, je suis journaliste.

Un goût amer envahi la bouche de Julien. Il se souvient des questions, parfois un peu insistantes de Jen. Ce qu'il avait pris pour de la curiosité était en fait une recherche d'informations. Finalement, Jen n'avait jamais été avec lui. Il n'aurait jamais dû lui faire confiance.
La jeune femme prend une grande inspiration, comme chaque fois qu'elle s'apprêtait à dire quelque chose d'important. Julien n'est pas sûr de vouloir entendre la suite, et préférait digérer cette nouvelle information seul. Mais il ne pouvait pas sortir de la pièce, alors il était bien obligé de se résoudre à écouter.

— J'aimerai que tu le relises.

— Pourquoi ? siffle Julien.

Jen se mord la lèvre. Elle est déstabilisée par le comportement hostile du jeune homme. Tant mieux, pense Julien, qui sent la rancœur lui envahir le cœur.

— Parce que j'aimerais que tu valides ce que je dis. Bien sûr, il y a des choses que je ne pourrais jamais écrire, sinon on me prendrait pour une non-conforme, mais... Mais j'aimerais qu'il se rapproche le plus possible de toi, que les lecteurs puissent cerner qui tu es. Qui tu étais.

Elle a les larmes aux yeux. Julien frissonne devant l'utilisation du passé. Depuis qu'Enzo lui avait annoncé l'exécution prochaine, il avait essayé de s'y préparer, mais il n'est pas arrivé à s'habituer à l'idée. Apparemment, Jen non plus. Elle se penche vers lui, et glisse sur le ton de la confidence :
— Je pourrais te faire sortir d'ici. Je n'ai qu'à distraire le garde, et tu pourrais t'enfuir. Tu n'es pas obligé de mourir, Julien.

Le jeune homme pouvait détailler le visage de la jeune femme de plus près : les joues rondes et les yeux noirs bordés de larmes. Elle semblait sincère, mais Julien se méfie. Il repense à toutes les fois où elle lui avait semblé sincère, et où finalement, elle lui avait menti.

— Et puis quoi ? Tu me planteras toi-même un couteau dans le dos dès que j'aurai franchi la porte ? crache Julien.

La jeune femme se recule ; elle ne s'attendait pas à une telle démonstration de haine. Elle est visiblement déstabilisée, les yeux cherchent un ancrage où s'accrocher, se balançant de gauche à droite.

— Je comprends que tu ne veux plus me faire confiance, après tout ça. Je sais que je n'ai pas été très honnête.

Elle baisse la tête pour fixer les chaussures qu'elle porte aux pieds. Ce ne sont plus celles à motif léopard, mais des sandales à talons compensés. Julien n'est pas habitué à la voir aussi chic. Il ne peut s'empêcher de la trouver belle, mais il tente de refouler cette pensée et se concentre de nouveau sur le contenu de la discussion, alors que Jen reprend :

— Mais je suis sincère. Ce que j'ai vu, au fur et à mesure que je passais du temps avec toi, c'est que tu étais quelqu'un de bien. Tu es beaucoup plus droit et honnête qu'Enzo et moi. C'est injuste.

Elle lui prend la main et la serre fort. L'émotion peut se lire dans le trémolo dans la voix quand elle reprend :
— Je te jure que j'étais sincère, Julien. Pas au début, mais à la fin, je l'étais.

— Alors pourquoi tu m'as empêché de tirer sur Enzo ?

Le ton de Julien est toujours amer, mais il ne refuse plus la conversation : au contraire, il cherche à démêler le vrai du faux en posant des questions. Au moins, lorsqu'il mourrait, dans quelques jours, il aurait l'esprit tranquille, clair.


— Parce que... Parce que je ne pouvais pas te laisser faire cela. Enzo était – est – Celui-qui-m'est-Promis. Je ne pouvais pas me résoudre à le voir mort. De plus, cela aurait été vain. Tu te serais corrompu et Bill t'aurait abattu la seconde d'après, de toute façon.

Julien ferme les yeux. Encore une fois, le raisonnement de la jeune femme tenait debout, mais l'expérience lui avait appris qu'elle était capable de lui faire croire n'importe quoi. Il n'y avait que sur un seul domaine qu'elle avait été sincère.

— Tu l'aimes encore ?

Il ne la voyait pas, gardant les yeux toujours fermés, mais il la sentit frissonner dans la main qu'elle tenait toujours. Il avait visé juste.

— Je n'ai pas vraiment le choix, de toute façon.

— Ce n'est pas une réponse, ça.

Il l'entend soupirer. Elle marque une pause, pour réfléchir et peser le pour et le contre.

— Il est loin d'être parfait. La plupart du temps, il m'agace. Mais oui, je crois que je l'aime.

Julien pense soudain à Anna. Il comprenait la réponse de Jen : il avait ressentit exactement la même chose pour la blonde. Pendant des années, il l'avait aimé. Mais il y avait toujours un détail, un comportement, qui l'empêchait d'être certain. Il n'avait jamais voulu lui faire de mal. C'était pareil pour Jen et Enzo. Ils ne s'entendent pas toujours, mais ils se respectent et, puisqu'ils n'ont d'autre choix que de vivre ensemble, ils tentent bon an, mal an, de préserver la relation.

Il rouvre brièvement les yeux, pour graver le visage de Jen, penchée vers lui. Puis il les referme et dit doucement :
— Je comprends. Tu as choisi la sécurité, c'est peut-être mieux comme ça. C'est mieux pour toi. Oublie-moi, et tache d'être heureuse.

— Julien, souffle la jeune femme.


Mais il ne daigne pas rouvrir les yeux, même lorsqu'il sent une goutte d'eau tomber sur les deux mains enlacées. Il l'entend souffler, comme pour étouffer un sanglot. Pendant un instant, il ne se passe rien d'autre.

— Je suis désolée, finit par articuler Jen.

Pour une fois, Julien ne doute pas de la sincérité de ces paroles. Tout avait été dit, les cartes posées sur la table, il n'y avait plus rien a dissimuler.

— Tu veux que je te fasse sortir ?

Julien secoue la tête. Tout avait une fin, et il devait l'accepter. Il était prêt. Il savait au fond de lui, depuis le début, que les choses auraient mal tourné, à un moment ou à un autre. Ainsi, il était plus simple d'accepter la mort et laisser ceux qui pouvaient vivre dans ce système qu'il n'avait pas supporté. Jen, par exemple, il en était sûr, s'en sortirait très bien. Il n'avait plus aucun regret.
Il sent le souffle de la jeune femme sur lui, et une autre goutte s'écraser près de la joue. Puis les lèvres de la jeune femme sur la joue, dans un baiser chaste.

— Je ne t'oublierai jamais, Julien.

Il ne répond pas et savoure le contact, le fourmillement familier sur la joue, le geste fantôme alors que Jen est déjà près de la porte. Il l'entend se fermer, il sait qu'il est de nouveau seul. Un sourire étire les lèvres du jeune homme, avant qu'il ne sombre de nouveau dans l'inconscience.

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