Chapitre 38
Enzo tire une chaise qui, jusque-là, avait été abandonnée dans un coin et s'assoit à côté du lit. Julien n'a pas répondu au salut qu'il a lancé en entrant dans la pièce, mais le jeune homme alité le suit des yeux tout au long de l'installation. Ils s'observèrent un moment. Enzo remarque que l'hématome sur la mâchoire de Julien a presque disparu. Le jeune homme allait de mieux en mieux et dans quelques jours, ce serait l'heure.
Il se penche vers le lit et murmure :
— Alors Julien, tu as perdu la langue ?
Voyant qu'il refusait toujours de répondre, Enzo se renfonce dans la chaise en soupirant. Il lisse un épi de cheveux noir qui se dresse sur la tête. Il a oublié de mettre du gel ce matin.
— J'étais venu te donner quelques nouvelles, mais si tu ne veux pas les entendre...
Il fait semblant de se lever, et Julien mord à l'hameçon. Il tend la main vers Enzo et marmonne :
— Attends, je t'écoute.
Enzo se rassoit. Il regarde Julien sous tous les angles, afin d'évaluer le rétablissement de ce dernier. Les médecins lui avaient assuré qu'il ne restait plus que les côtes qui lui étaient encore un peu douloureuses, et qui allaient demander un peu plus de soin que le reste. Le nez jadis bien droit de Julien était légèrement de travers et il produisait un petit sifflement quand le jeune homme inspirait.
— Tu as l'air d'aller mieux. Je te rassure, je ne t'ai pas trop défiguré.
— Tu m'en vois ravi, grogne Julien.
Visiblement, ce dernier était toujours sur la défensive. Il fixait Enzo avec colère. Si les yeux bleus de Julien avaient pu lancer des balles, nul doute qu'Enzo serait déjà six pieds sous terre à l'heure actuelle.
— Bien, par quoi je commence ? Tu as une préférence ? Anna ? Le sort que l'on te réserve ? Les chiffres du loto ?
— Oui, j'ai une préférence : je voudrais savoir le jour et l'heure.
Enzo est d'abord un peu surpris par la question, puis il part d'un rire franc. Il consulte le téléphone qu'il avait rangé dans la poche du jean.
— 6405e jour, il est quinze heures quarante-six. Satisfait ?
Julien hoche la tête, mais n'ajoute rien. Alors Enzo poursuit.
— Je demanderai à ce qu'on t'apporte l'heure. Une vieille horloge, ou un truc du genre.
Il pianote sur le téléphone. La lumière bleue clignote, signe qu'il a reçu des messages, mais cela ne l'intéresse pas pour l'instant. Il fait passer l'écran en fonction holographique et le place en face de Julien, pour être sûr qu'il ne rate pas une miette de ce qu'il va lui montrer.
Bientôt, l'image holographique d'un portrait de Julien apparaît. Enzo appuie sur « play » et la vidéo se lance. On voit Julien, inconscient, dans les bras de Bill qui s'avance vers les caméras.
— Le fuyard a enfin pu être arrêté. Il a été transféré dans un lieu tenu secret. Il sera exécuté dans les prochains jours. Nous avons interrogé Monsieur Enzo 1-2-2054-0550, qui était chargé de l'enquête.
L'intéressé appuie sur pause et sourit.
— Oui, tu as bien entendu. Exécuté dans les prochains jours. Je suis désolé, Julien, mais on ne peut pas faire autrement. Tu en sais trop. Tu connais les failles de la capsule. On ne peut pas prendre le risque que tu le répètes à quelqu'un.
— Jen sait aussi comment faire.
La voix de Julien n'est qu'un croassement. Enzo ignore si c'est le fruit de la peur, qu'il perçoit dans la voix du jeune homme ou bien le manque d'entraînement qui a rouillé les cordes vocales. En tout cas, la remarque a fait mouche. Le visage d'Enzo se décompose quelques instants, agité d'un tic, puis il se penche vers Julien.
— Oh, Jen ne le répétera pas. Jen est Celle-qui-m'est-Promise et elle est avec moi. Elle m'a permis d'avoir le poste que je voulais, avec la prime que je voulais. Elle ne le répétera à personne. Parce qu'elle m'aime.
Le dernier doute de Julien s'écroule. Jen n'avait pas joué la comédie le jour où ils avaient été arrêtés. Enzo se passe la main sur le visage. Il relance la vidéo, en souriant :
— C'est le passage que je préfère.
Le visage de Julien est remplacé par celui d'Enzo.
— Les manières d'enquête et de traçage ont largement évolué au cours des dernières années. Même si on n'avait pas encore eu l'occasion de les tester. Enfin, il nous a suffi de suivre la capsule. Je me dois également de souligner que ce qu'a fait Julien est purement suicidaire, il n'avait aucune chance face à moi et les membres de l'Armée des Forces Secrètes.
Enzo arrête une nouvelle fois la vidéo et scrute le visage de Julien. Les regards se croisent, se mêlent. Celui de Julien ne cille pas. Enzo rompt le contact en premier. Il soupire, devant le mutisme de cet interlocuteur.
— Je vois, soupire Enzo. Tu n'es pas très bavard.
— Et toi, tu n'es pas très sympa.
Le visage d'Enzo se ferme. Il n'apprécie pas vraiment la répartie de Julien. De nouveau, il sent cette colère l'envahir, mais cette fois, il tâche de la contrôler. Il reste alors ainsi un moment, les lèvres pincées, avant de lâcher :
— C'est vrai. D'ailleurs, je dois aussi t'avouer que nous avons trouvé un autre Promis à Anna.
De nouveau, Enzo clique sur l'écran du téléphone et la vidéo laisse place à un visage que Julien ne connaissait pas. L'homme était brun, yeux bleus pareils à ceux de Julien, mais le visage un peu moins fin. Il portait des lunettes.
— Conrad 1-2-2300-0639, 8 452 jours. Il est professeur à l'université. L'ancienne Promise s'est tuée dans un accident de voiture. C'est triste, n'est-ce pas ?
Enzo tente de pousser sur la corde sensible, dans un besoin irrépressible de blesser Julien. Mais visiblement, celui-ci n'éprouve plus aucun sentiment pour la jeune femme blonde puisqu'il se contente de dire, d'un ton amer.
— Tant mieux, je suis sûr qu'ils s'entendront bien.
Enzo sent que la situation lui échappe. Il se lève pour partir et range le téléphone dans la même poche. Alors qu'il pose la main sur la poignée de la porte, Julien articule :
— Et Jen ? Comment elle va ?
Enzo ne peut s'empêcher de froncer les sourcils, mais puisque Julien ne peut pas le voir, il se compose un sourire avant de tourner la tête vers le jeune homme.
— Elle va bien.
Puis, il ouvre la porte et s'engouffre dans le couloir, laissant celui qu'il détestait sans doute le plus au monde seul dans cette chambre d'hôpital. La vérité est qu'il ne savait pas ce que devenait la jeune femme. Voilà près d'une semaine qu'il ne l'avait pas vue, et qu'elle ne lui avait envoyé aucune nouvelle.
Enzo salue le garde posté devant la porte de la chambre d'un signe de tête, puis il s'engage le long du couloir, bordé des mêmes portes uniformes et blanches. À un croisement, il aperçoit le médecin. Ce dernier lui sourit, poussant un chariot débordant de médicament dont Enzo ignorait la fonction. Il se dirige vers lui.
— Est-ce que vous pourriez lui mettre un réveil ? Qu'il puisse savoir quelle heure il est, au moins.
Le médecin hausse les épaules : cela lui était égal, il le ferait. Puis il pousse le chariot dans un autre couloir et disparaît, laissant Enzo seul. L'homme appel l'ascenseur en appuyant sur un bouton.
— Rez-de-chaussée, articule-t-il en entrant dans la cabine, qui s'ébranle presque aussitôt.
Dehors, le soleil brillait, éclairant le goudron en des taches de lumière qui se reflétaient dans le métal des voitures. Il faisait une quarantaine de degrés, et Enzo se félicite d'avoir opté pour un t-shirt blanc plutôt qu'un noir. Il se dirige vers la voiture noire, et se laisse tomber sur le siège dans un soupir. La fatigue accumulée durant la dernière semaine n'était pas complètement passée et l'entretien avec Julien l'avait vidé. Enzo se repasse la scène dans la tête, alors qu'il appuie sur le bouton pour faire ronronner le moteur. Une désagréable impression ne le quittait pas. Il détestait Julien, mais pour la première fois, le jeune homme lui avait paru humain et lui avait fait pitié. Et ces deux sentiments mélangés donnaient un drôle de ressenti. La radio grésille et s'allume. Déjà, on ne parlait plus de Julien et les médias étaient passés à autre chose. La vie avait repris, semblable à avant. Ou presque, songe Enzo en s'engageant dans la rue qui mène vers l'hôtel où il logeait depuis plusieurs jours.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top