Chapitre 34

Enzo s'est isolé à l'ombre d'un arbre. Un peu plus loin, dans la clairière près de l'hélicoptère, le camp s'organise. Une dizaine d'hommes s'activent, pour dresser des tentes. Le rire de certains lui parvient, un peu étouffé, lointain. Le soleil est haut dans le ciel et la chaleur devenait lourde. Il y aurait de l'orage dans la soirée ou dans la nuit.

Il s'était mis au calme pour penser à un plan d'action. Il voulait les encercler, ce qui nécessite de connaître la position de Julien et de Jen au moment de l'attaque. Or, depuis le début de la matinée, il avait perdu le signal de la capsule de Jen. Le matin, il avait allumé l'écran du téléphone et le point avait disparu. Il avait espéré un problème technique, mais il devait se rendre à l'évidence : depuis trois heures qu'il rafraîchissait la page, le point n'était jamais réapparu.

Cette disparition ne peut signifier que deux choses : soit Jen est morte, soit elle est parvenue, elle aussi, à enlever la capsule. Dans les deux cas, ce n'était pas bon signe. Il n'avait pas encore reçu de coup de téléphone d'Eliott. Pour l'instant, l'homme semblait donc ignorer la situation, et Enzo n'était pas très enthousiaste à l'idée qu'il allait devoir lui apprendre la potentielle mort de Jen.

Il soupire, continue de fixer la carte sur l'écran du téléphone. Il tente de deviner où ils peuvent être, à cette heure-ci. Le plus logique, c'est qu'ils tentent tout de même de rejoindre l'Italie à pied. Dans ce cas, ils devraient se diriger plein est, traverser plusieurs villages et routes et enfin, trouver des passages au col de la montagne. Une entreprise difficile, voire suicidaire. Enzo devait donc les trouver avant qu'ils ne s'enfoncent trop dans les montagnes. Pour cela, une intervention en fin d'après-midi était le plus tard qu'il pouvait se permettre, d'autant plus qu'il n'avait plus la possibilité de suivre la progression de Julien et de Jen sur le téléphone.

Il devait aller au préalable faire du repérage pour tenter de voir où ils étaient. Et pour cela, rien de mieux que l'hélicoptère. Enzo se lève et range le téléphone dans la poche arrière du jean. Il se dirige vers le campement, qui prend forme. Une quatrième voiture noire arrive : c'est la dernière équipe, ils étaient maintenant au complet. Il allait pouvoir en profiter pour les briefer.

Dans la foule d'hommes et de femmes qui s'activent, il aperçoit Bill. Il se dirige vers lui et l'interpelle :
— Je ne reçois plus la capsule de Jen.

Bill s'interrompt. Il était en train d'enfoncer des piques dans la terre pour maintenir la tente debout. Il se tourne vers Enzo, les sourcils froncés.

— Mince. Est-ce que c'est parce qu'elle est...

— Aucune idée, répond Enzo, sèchement.

Il n'a pas envie de s'étaler sur le sujet. C'est une information capitale pour la suite de l'opération, il doit donc en informer Bill. Mais pour ce qui est du côté émotionnel, il n'en est pas tenu. Il lance, avant de s'éloigner.

— Je réunis tout le monde pour un debriefing.

Une table avait été montée sur des tréteaux, au centre du campement. Une équipe s'appliquait à dresser un auvent pour y apporter de l'ombre. Enzo les regarde faire quelques instants, puis, alors qu'il ne manque plus que les derniers réglages, il s'empare du mégaphone posé sur la table et appelle :
— Petit débriefing avant le repas.

Aussitôt, chacun lâche ce qu'il était en train de faire et tout le monde se dirige vers la table. Enzo pose le téléphone dessus, et active le mode hologramme. De cette façon, il pourrait montrer des points précis sur la carte. Il attend que tout le monde soit rassemblé et commence à parler :
— Bien. Comme vous le savez, ce qui nous rassemble aujourd'hui est la fuite de Julien.

L'image du jeune homme apparaît à l'écran, bien que cela soit inutile : tout le monde autour de la table connaît ce visage, qui fait la une de tous les journaux et défile par millier dans Rézo. Julien est dans toutes les conversations.

— Aujourd'hui, nous sommes plus près du but que jamais. Julien est à pieds, sans possibilité de voler un nouveau véhicule, perdu en pleine forêt.

La carte apparaît de nouveau et Enzo fait un petit cercle autour de la forêt en question.

— Il tente de rejoindre l'Italie, pour une raison obscure. Nous allons l'en empêcher en l'encerclant et le capturant.

Il zoome sur la zone et dessine un nouveau cercle, plus large qu'il ne l'aurait voulu.

— En ce moment, il est quelque part dans cette zone. Il est également peut-être avec... une jeune femme, qui l'aide. Mais le signale de la capsule qui nous avait pour l'instant permis de les tracer s'est arrêté. Elle est donc soit morte, soit...

Enzo s'arrête. Seul Bill et les membres de l'équipe parisienne savent qu'il est possible d'enlever une capsule. Les deux hommes s'échangent un regard. Bill ne bouge pas, mais il a les bras croisés.

— Soit il s'agit d'un dysfonctionnement, achève Enzo. Donc je vous demanderais de faire attention et de garder en tête qu'ils sont potentiellement deux.

Enzo distribue les rôles, explique en détail. Quelques-uns prennent des notes sur le téléphone, les autres ont la mine graves et écoutent attentivement. Personne ne parle, n'échange de commentaires avec le voisin. Enzo est satisfait : l'équipe semble sérieuse et mesure l'enjeu de cette mission.

— L'attaque aura lieu à seize heures pile, soit dans...

Il jette un coup d'œil à l'heure. Midi vingt-deux.

— Trois heures trente-huit. Je vous laisse donc ce temps pour manger, vous préparer, vous concentrer. Quant à moi, je vais survoler la zone en hélicoptère et tenter de la resserrer au maximum.

Enzo se tourne de nouveau vers Bill. Ce dernier n'a pas bougé d'un pouce et aborde le même air grave que tous les hommes autour de lui.

— Ce sera à Bill que vous vous adresserez lorsque je serai parti. J'ai une entière confiance en lui, il pourra répondre aux questions que vous voue posez et diriger la préparation de l'opération.

Bill hoche la tête, pour signifier qu'il a compris et entendu le message. Enzo récupère le téléphone sur la table et se recule pour se dégager du auvent. Il se dirige ensuite vers l'hélicoptère. Il ouvre la porte, vérifie l'état de l'engin et s'assoit enfin à bord. Il essaye de se concentrer, visualise la forêt et les points d'eau, aux abords desquels la végétation est souvent moins dense.

Le pilote toque à la vitre, faisant sursauter Enzo. Il ouvre de nouveau la porte pour entendre ce que l'homme a à lui dire. Il se penche pour se rapprocher du pilote.

— Oui ?

— Vous avez besoin de moi pour conduire l'hélicoptère ?

— Non, c'est bon, je sais conduire un hélicoptère, répond-il sèchement.

Le pilote danse d'un pied sur l'autre. Il bafouille :

— Ok, mais vous ne pouvez pas conduire et surveiller ce qu'il se passe en contre-bas. Laissez-moi conduire. De toute façon, je ne suis pas bon sur le terrain, autant que je serve à quelque chose.

Le pilote a entièrement raison, mais Enzo souffle pour exprimer la contrariété. Il finit cependant par se décaler sur le siège passager, et le pilote monte. Il lance les commandes avec habileté et les pâles de l'hélicoptère commencent à tourner. Enzo attrape les jumelles posées dans la boîte à outils. Il regarde le sol s'éloigner et le campement devenir de plus en plus petit, jusqu'à ne ressembler qu'à une petite fourmilière.

Au bout de quelques instants, la lunette des jumelles se rempli de vert, lorsque l'hélicoptère survole la forêt.

— Là, descendez aussi bas que vous pouvez et ralentissez. On est dans la zone.

Le pilote obéit, et l'appareil descend lentement. Enzo sent la sensation si particulière de la descente lui contracter le ventre. Il s'agrippe d'avantage aux jumelles et scrute le paysage. Les arbres lui cachent une bonne partie de la vue, et seules quelques clairières ou des endroits un peu moins parsemés et quelques voies en terre. Même les ruisseaux indiqués sur la carte étaient cachés par les arbres. Enzo s'aperçoit que cela risquait d'être plus dur que prévu.

— Survolez les endroits où il y a le plus de visibilité possible, ordonne Enzo, le visage toujours tourné vers l'extérieur, scrutant le moindre mouvement.

Les oiseaux s'envolent à l'approche de l'appareil, dans un capharnaüm de cris. Niveau discrétion, ce n'était peut-être pas la meilleure solution. Enzo observe désespérément le vert sombre défiler devant lui, sans y voir grand-chose. Il allait renoncer, quand soudain, il aperçoit un mouvement, à la lisière d'une clairière. Il fait un geste pour indiquer au pilote la direction.

— Là, il y a quelque chose.

L'engin fait un demi-tour, pour revenir au plus près de la lisière. Enzo a à peine le temps de voir deux personnes, qui, de loin, correspondent à la description physique de Jen et Julien. Ils sont là. Déjà, ils ont fait demi-tour et se sont renfoncés dans la protection du bois.
Enzo attrape le téléphone et lance la géolocalisation. Il marque l'endroit indiqué d'une croix et lance au pilote :
— C'est bon, on les a. Rentrons au camp.

Le pilote hoche la tête et reprend de la hauteur. Il ne restait donc qu'à faire un cercle de six kilomètres autour de ce point et de lancer l'assaut le plus vite possible. Il ne fallait pas perdre de temps. Il clique sur le nom de « Bill », et la sonnerie retenti.

— Allô ? fait la voix de l'homme à l'autre bout du fil.

— Oui, Bill. C'est bon, je sais où ils sont.

Enzo communique les coordonnées exactes. Puis, il donne les instructions :

— Envoie cinq ou six hommes près de la départementale, côté ouest, pour les empêcher de traverser. De notre côté, on va prendre une équipe et les chercher. Cette fois, on les tient.

— Pas trop tôt, soupire Bill avant de s'excuser et de raccrocher.

Enzo lance la tête en arrière sur le siège et ferme les yeux. Le cœur martèle la poitrine du jeune homme. Il sent l'adrénaline l'envahir et il l'accueille avec calme. Il en aura besoin dans la dernière ligne droite de l'opération.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top