Chapitre 22

Interloqué, Enzo fixe l'écran de l'ordinateur. La lueur bleue éclaire le visage abasourdi d'une lumière bleuté dans la pénombre de la pièce. Le responsable de l'équipe de Lyon se tient devant la porte. Il regarde l'heure sur le smartphone. Il commence à s'impatienter. Enzo sait qu'il ne faudrait pas qu'il perde autant de temps, qu'il devrait sauter du siège et commencer la ronde. Mais il ne peut tout simplement pas bouger.

Il ne s'était pas trompé, et même s'il n'avait pas voulu le croire, le téléphone qu'il avait trouvé était bien celui de Jen. La jeune femme était, contre toute attente, bel et bien à Lyon. C'était ici, tout près ! Mais que faisait-elle ici ? Il n'y comprenait plus rien. Il tente de se rappeler si elle a de la famille ou des amis là-bas, mais rien ne lui vient. Il pourrait bien vérifier dans l'ordinateur, mais la voix du responsable le fait revenir à l'instant présent.

— Alors ? Vous avez trouvé quelque chose ? On peut y aller ?

Enzo, à regret, jette un dernier coup d'œil au point qui se déplace sur la carte avant de se lever et d'emboîter le pas au responsable.

— À combien de temps estimez-vous la durée de la ronde ?

— Le secteur est petit, nous mettrons seulement une bonne heure. Nous aurons sûrement fini avant vingt-deux heures.

Enzo hoche la tête. Le responsable rajoute, en montant dans la voiture de service :
— Vous allez rentrer directement à Paris après ? Je peux vous réquisitionner des chambres d'hôtel, sinon. Il y en a un trois rues plus haut.

— Oui, je vais rester ici. C'est plus prudent.

Enzo attache la ceinture de sécurité et repose la tête sur la vitre. Il pense à Jen, en espérant qu'elle aille bien. Il ira la retrouver dès le lendemain matin.

*

La sonnerie du réveil retentit. Enzo grogne et se tourne sur le côté. À tâtons, il cherche l'objet de ce bruit pour l'éteindre. Il est neuf heures, mais encore une fois, Enzo n'a pas beaucoup dormi. Les recherches n'ont rien données, il faudra agrandir le secteur. Ensuite, il est allé remplacer les deux autres agents qui se trouvaient au barrage, afin qu'ils puissent eux aussi se reposer. Il n'est donc rentré à l'hôtel que sur les coups de deux heures de matin, et s'est couché directement, sans même manger.

Il aurait pu dormir encore une heure, mais il voulait retrouver Jen. Il était décidé à ne pas partir de Lyon sans elle. Ni sans avoir retrouvé Julien d'ailleurs. Le jeune homme dispose d'une carte de France, il est donc capable de s'orienter, et ce, sans GPS. Cependant, aucune voiture volée n'a été signalée : il a dû partir à pied, voyant que toutes les voitures étaient désormais fermées à clé. Même s'il a marché une bonne partie de la nuit, il ne devait pas avoir dépassé un rayon de vingt kilomètres. Enzo élargirait même à trente, pour être sûr. Avec une priorité vers le sud, puisque c'est là que le jeune homme semble se diriger. Il avait demandé des renforts à Paris et à Valence. Ces derniers ne devraient pas tarder à arriver.

Enzo disposait donc de moins d'une heure pour retrouver Jen. Mais avec le signal GPS émit par la capsule de la jeune femme, cela devrait être un jeu d'enfant. Il se lève d'un bond, enfile un pantalon souple et un t-shirt noir, lace les chaussures. Il descend ensuite à la réception de l'hôtel et avale un café d'un trait, bien que celui-ci lui brûle la langue. Il se sert sur le petit buffet, des madeleines et des barres énergiques qu'il pourrait manger en chemin. Arrivé au bureau de l'AFS de Lyon, il en a déjà englouti la moitié.

Les portes s'ouvrent pour le laisser passer. À l'intérieur, il y a déjà quelques membres mal réveillés qui sirotent thé ou café, assis devant le bureau, fixant l'écran de l'ordinateur. Enzo les salue et s'enquiert :
— Alors, il y a eu quelque chose de nouveau pendant la nuit ?

Le responsable hoche la tête par la négative. Il a l'air un peu dépité. Enzo soupire, mais ne fait aucun commentaire. Il sait que ces hommes sont dans le même état que lui, c'est-à-dire fatigué et sur les nerfs.

— Les collègues ne devraient pas tarder à arriver. Nous commencerons les recherches immédiatement ensuite. En attendant, j'ai besoin de vérifier quelque chose. Je reste joignable, au cas où.

Joignant le geste à la parole, Enzo se saisit du smartphone qu'il a dans la poche et l'agite dans l'air. Puis, il s'assoit à un bureau inoccupé et se connecte au système grâce à un mot de passe et un identifiant personnel. Il rentre ensuite les informations de Jen et la carte s'affiche sur l'écran. Le petit point rouge qui clignote lui indique que Jen est toujours à Lyon. Enzo grogne. Il n'aime pas vraiment cela. L'instinct qu'il a développé durant toutes ces années d'entraînement lui souffle que ce n'est pas bon signe. Mais il rejette l'idée et envoie les coordonnées sur le téléphone. Il note également la distance qui le sépare de Jen. Cinq kilomètres. Il devrait y être dans quinze minutes.

Il se lève prestement et englouti la dernière barre chocolatée, avant de lancer à la cantonade :
— Je serai de retour dans une demie heure.

Il n'obtient aucune réponse, ne se retourne même pas pour voir qui a acquiescé. De toute façon, c'est lui le chef. La voiture noire est garée devant l'immeuble. Aucun signe distinctif ne permet de voir qu'il s'agit de celle de l'AFS. Mais c'est bien le modèle standard qui rutile sous le soleil matinal. Sans hésitation, Enzo tente de l'ouvrir, avant de se souvenir qu'elle est désormais fermée à clé. Il retourne en vitesse à l'intérieur chercher ce qu'il lui faut et il peut enfin démarrer.
Il rentre les coordonnées dans le GPS qui le guide jusqu'à une allée marchande. Il y a un petit parking, sur lequel il se gare. Il jette un coup d'œil à droite et à gauche, mais ne voit personne. Avant de descendre, il consulte la carte sur le téléphone, zoom au maximum pour que cela soit plus précis. Le point n'est pas dans le centre commercial, mais à côté, dans un coin un peu reculé. Étrange.

Il fronce les sourcils et sort du véhicule. Avec la main en visière, il regarde dans la direction indiquée, mais ne voit rien. Il se met donc en marche. Avant de tourner l'angle du centre commercial, il se fige et respire un bon coup. Il n'a pas décidé de la marche qu'il devait suivre. Il préfère se faire discret et évaluer d'abord la situation avant d'intervenir.
Il jette un coup d'œil sur la pelouse bordée d'arbres, mais ne voit toujours rien, il s'avance donc encore. Sur l'écran du téléphone, le point rouge n'a pas bougé. Autour, quelques points bleus s'agitent dans le centre commercial, mais aucun autre point n'est indiqué à proximité de Jen. Elle semble donc seule.

Enzo s'avance donc, à la rencontre de ce point. Il la voit, assise dans l'herbe, à l'ombre d'un arbre. Elle a la tête penchée sur une carte qu'elle semble étudier. Une autre personne se trouve à côté d'elle, qui regarde également la carte avec concentration. Enzo se fige.
Il reconnaîtrait ce visage entre mille : les cheveux châtains se dressant en bataille sur une tête aux traits fins et à l'arête du nez droite. Le teint blafard malgré le soleil de juin qui bronze les peaux. Il ne voit pas les yeux, mais il sait qu'ils sont bleus. Il s'agit de Julien.

Le cœur du jeune homme s'emballe. Jen est assise dans une position détendue, légèrement penchée vers Julien, le bras gauche retenant le poids du corps frêle de la jeune femme et la main droite suivant une ligne sur la carte. Un itinéraire sans doute. Julien hoche la tête alors qu'elle raconte quelque chose, mais de loin, Enzo n'entend pas ce qu'ils se disent.
Enzo sait qu'il devrait agir vite, avant qu'ils ne s'aperçoivent de quelque chose. Il a Julien devant les yeux, il devrait se jeter sur lui pour le maîtriser, l'arrêter. Mais au lieu de cela, il est incapable de bouger. Il se demande toujours ce que Jen fait ici, avec lui. Elle n'a pas l'air d'être prisonnière, au contraire. Serait-ce le fameux complice aperçu la veille sur l'autoroute. Enzo ne peut pas y croire. Il doit y avoir une explication.

Pendant qu'il lutte intérieurement, la bouche pâteuse et le souffle court, il voit, comme au ralenti Celle-qui-lui-est-Promise relever la tête. Il voit le visage de la jeune femme, jusque-là concentré s'affaisser. Les sourcils qu'elle avait froncés pour l'étude de la carte se lèvent brièvement, marquant la surprise puis retombent, simultanément avec les coins de la bouche. Julien, lui, n'a toujours rien remarqué, mais ce n'est plus que l'affaire de quelques secondes.
Enzo n'a plus le choix, il faut qu'il agisse. Une décharge d'adrénaline lui secoue le corps et l'instinct reprend le dessus. Alors qu'il se met en mouvement et s'avance au pas de course vers eux, Jen replie la carte en vitesse, ramasse un gros sac à dos. Julien a enfin relevé la tête et s'est levé d'un bond. Enzo est loin, alors il accélère, tandis que les deux autres devant lui se mettent également à courir dans la direction opposée. Julien court peut-être à bonne foulée, mais Enzo connaît Jen : si la jeune femme est plutôt sportive, elle a les jambes plus courtes, mesurant un mètre soixante. Il la battait immanquablement à la course. Même si elle a plusieurs mètres d'avance, il sait qu'il peut la rattraper.

Avec un grand étonnement, il voit Julien accélérer une fois sur le bitume de la station-service. Il ne comprend pas très bien ce qu'il se passe. Le jeune homme semble avoir décidé d'abandonner Jen et de tenter de fuir seul. Enzo sent un poids lui libérer la poitrine alors qu'il a les poumons qui brûlent par la course. Il souffle fort, il ne doit pas laisser Julien filer. C'est la priorité pour le moment. Il se force à accélérer. Il ne tiendra que quelques mètres à cette distance, mais cela semble suffisant pour rattraper Julien, qui devrait également s'essouffler rapidement. De toute façon, il est coincé, il ne pourra pas aller bien loin. La station-essence est bordée d'arbres et seule une route permet d'accéder au parking et de contourner le centre commercial.

Un adolescent, faisant le plein d'une moto près d'une pompe, regarde la scène interloqué. Il voit trois personnes arriver en courant vers lui : d'abord Julien, avec quelques mètres d'avance, puis Jen et enfin Enzo, qui gagne du terrain. Enzo comprend, trop tard, ce que Julien est en train de faire. Il le voit bousculer l'adolescent, enfourcher la moto et la démarrer. Enzo ralentit légèrement, le souffle court. Il sait que c'est fini, il ne pourra pas le rattraper.

Jen, elle, court toujours. Julien effectue un large demi-tour, contournant les pompes à essence et vient se placer devant elle. Enzo se remet à courir alors que Jen grimpe elle aussi sur la moto, s'agrippant à la chemise de Julien. Elle jette un dernier regard dans la direction d'Enzo, qui court toujours et n'est plus qu'à quelques mètres. Il voit la bouche de Jen, cette bouche qu'il a si souvent embrassée se tordre dans une petite grimace. Puis la moto démarre et Jen tourne de nouveau la tête.

Dans une tentative désespérée, Enzo se jette en avant pour tenter de combler les derniers mètres qu'il lui manque. Il sent le souffle de l'air projeté par le véhicule lui caresser le visage. Il ferme les yeux, piqués par la poussière et les petits graviers. La main d'Enzo se referme, mais elle ne rencontre que le vide.

Il retombe lourdement sur le sol, les coudes éraflés par l'asphalte, cherchant l'air qui refuse de remplir les poumons. Il se redresse vivement en position assise pour voir la moto partir et l'adolescent courir vainement après. Ridicule.

Rageusement, il tape la main sur le goudron chauffé par le soleil. Il tente de reprendre une respiration régulière avant de se relever. Les traits du visage d'Enzo sont déformés par la haine. Plus que jamais, il hait Julien. Il lui fera payer cette humiliation. Désormais, il savait comment le retrouver, tant que Jen serait avec lui. Un sourire vient adoucir la colère des traits du jeune homme, alors qu'il marche vers l'adolescent qui, à bout de souffle, se tient les côtes. Ridicule.

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