7. Un Soir Dans Le Quartier
Il me fallait rentrer chez moi pour permettre à mon cerveau de traiter efficacement ce que je venais d'entendre. Je décidai de passer par le terminus de taxis afin de tenter de repérer ce fameux Mike. En m'arrêtant pour identifier les points pouvant servir de tour de contrôle, j'aperçus Sidonie, avançant dans ma direction. Je lui demandai si elle connaissait Mike, le chef des chargeurs. Elle m'indiqua une terrasse devant une petite boutique où trois hommes étaient assis.
'' Je ne connais pas de Mike, mais c'est là que se trouvent les chefs de parkings. '' me dit-elle.
Je m'apprêtai à la laisser lorsqu'elle m'arrêta.
'' Ça me fait plaisir de vous voir comme ça, en tenue civile, mon capitaine. Vous savez, j'ai l'impression qu'il n'y a du sérieux à notre poste de police que lorsque vous êtes là. ''
'' Que veux-tu dire par là ? '' demandai-je, surpris.
'' En votre absence, les bureaux de la police deviennent comme une jungle. On sent que le maître des lieux est parti. Mais, je vous en supplie, ne dites à personne que je vous l'ai dit. ''
'' Bien... Je dois y aller à présent. Ne parle non plus à personne de notre rencontre. ''
Je me dirigeai alors vers les chefs de parkings. Des trois énergumènes qui s'y trouvaient, je n'eus aucun mal à identifier le leader. L'air boudeur, il devait avoir environ vingt-cinq ans et faisait bien plus jeune que je ne l'imaginai lorsque Mbuta m'en parla. Ne voulant pas être remarqué, je me tapis à l'ombre d'une colonne du bâtiment voisin, et chargea un passant d'aller délivrer à Mike le message suivant : '' Gros éléphant dans la savane. Vas-y seul. ''
Mike vint me rejoindre quelques instants plus tard.
'' Tu n'as pas suivi le bon chemin, Mike, '' lui dis-je d'une voix grave et autoritaire.
'' Ce n'est pas toi que je connais, '' répondit-il avec un brin d'insolence.
'' Tu n'es nullement de ceux qui peuvent me connaître. ''
'' Allons droit au but. ''
'' On a vu un homme à moto dans la forêt dimanche dernier. Dis-moi ce qu'on ne sait pas. ''
Mike me fixa des yeux sans voir clairement mon visage masqué par l'ombre, puis ajusta le chapelet en gourmette qu'il portait à son poignet gauche sans répondre.
'' Prépare-toi à déménager, si je n'entends pas la bonne musique, '' le menaçai-je.
'' J'ai déjà dit à Kazo ce que ça demandait. C'était ma dernière offre. ''
'' Kazo n'est pas ici. Parle-moi directement. ''
'' Leblanc devra désormais me donner quatre cents dollars de loyer. Chaque dollar qui manquera sera retranché à votre paquet. Ce mois tend déjà à sa fin, d'ailleurs. ''
'' Je n'ai pas l'impression de m'être suffisamment fait comprendre. Tu toucheras ton loyer à la prison de Makala, si ce soir tu n'arrives pas à me faire sourire... Officiellement, c'est un cambriolage raté qui a couté la vie à trois policiers. Le vieux voleur de la forêt est hors service depuis longtemps, et c'est toi qui a pris la relève, de force. Il n'y a donc que ton nom qui manque sur le rapport d'enquête de l'Inspection Provinciale. Et mets dans ta petite tête que la durée de vie d'un bouc-émissaire, que tu deviendras, se compte en courtes heures, '' lui expliquai-je froidement.
'' Du bluff... ''
'' Alors tu peux retourner jouer sur ta terrasse. ''
Mike exhala bruyamment puis me demanda
'' Que voulez-vous savoir ? Je ne sais pas grand-chose moi-même. ''
'' Verts ou bleus ? (Militaires ou policiers) ''
'' Verts, évidemment. ''
'' Quels verts, et pourquoi ? ''
'' Les mêmes qui ont rappliqué en premier le matin. Ils ont achevé le keuf blessé dans leur pick-up. Personne ne sait qui était le motard qui a liquidé les deux flics chez le sénateur. Peut-être qu'il fait partie des mêmes Mbila (agents de l'ordre). En dehors de ça, je ne sais rien. Interrogez plutôt Leblanc ; lui en sait certainement plus. Les keufs butés étaient ses clients. ''
'' Fais-le venir, dans ce cas. ''
'' Il m'est invisible... C'est vous les flics qui le protégez et savez où il se cache. ''
'' Toi et moi avons rendez-vous demain chez le vieux dans la forêt à dix-huit heures. Viens seul. ''
'' C'est une blague ? '' demanda-t-il, mécontent.
Je renvoyai Mike à ses affaires, puis pris rapidement un taxi pour rentrer. En une journée, l'idée que je me faisais depuis six ans de Jean Pierre Kazamuadi, alias Kazo, venait de s'effondrer. Je n'étais pas naïf au point de penser que mon adjoint, et seul réel copain de service, était le saint des saints. Mais je venais juste de réaliser pour la première fois, d'abord avec le mensonge sur la veuve Mavika puis les déclarations de Mike, l'ampleur de ses vicieuses manigances, et combien elles m'étaient fortement préjudiciables. Je compris également que je fus si gênant pour Kazamuadi qu'il eut fait tout ce qui était en son pouvoir pour obtenir ma déchéance. J'étais peut-être encore commandant principal du sous-commissariat uniquement parce je ne lui avais jamais offert une réelle occasion de me poignarder dans le dos, réalisai-je.
Arrivé devant le portail de ma parcelle, je sortis mon téléphone pour l'appeler.
'' Je veux voir Leblanc demain dans mon bureau à six heures du matin. Pas d'explications, '' lui ordonnai-je.
'' Je ne comprends pas, Bosco, '' prétendit-il.
'' Avez-vous entendu mes instructions ou dois-je me répéter, monsieur le sous-commissaire adjoint ? '' lui dis-je avec autorité.
'' J'ai entendu, mon commandant. A vos ordres. ''
Nous gardions toujours l'entrée principale verrouillée. Jeremy vint m'ouvrir la porte aussitôt que je toquai. Il m'accueillit avec sa réflexion sur la question de la balle qui avait abattu trois personnes à la fois.
'' Serait-il possible que les victimes aient été fusillées avec des armes différentes dont certaines étaient équipées de silencieux ? ''
'' C'est à peu près cela que je me dis aussi, '' lui répondis-je, préoccupé par les évènements de ma journée.
Mon fils avait l'esprit friand d'énigmes qu'il pouvait passer plusieurs mois à tenter de résoudre. Cela le rendait distrait, ce qui exaspérait sa mère. Je pensai aussi que certains coups de feu tirés à la résidence du sénateur provinrent d'armes dotées de silencieux, ce qui expliquerait que les voisins n'en aient entendu qu'un seul. N'ayant pas pu suffisamment observer par moi-même la scène du crime pour en déduire les positions des tireurs ou des victimes, il me manquait trop d'éléments pour parvenir à comprendre le déroulement de l'incident. Au moment de m'endormir je repensai aux propos de Mike et à la possibilité que l'escadron du colonel Kams fut réellement responsable de la mort du policier Chadrak Mavika, et puisse également être lié de près au meurtre des deux autres agents de la garde du sénateur Kiyungu. Ma femme me surprit pensif.
'' Sais-tu ce que le vétérinaire pense du diagnostic de Jeremy sur la pondeuse ? '' me demanda-t-elle.
Je levai les yeux et lui répondit non de la tête.
'' Qu'il est pertinent mais s'applique rarement en zone tropicale. Nous avons donc continué avec son traitement. La poule reste faible et ne mange presque pas. ''
'' Ce soir j'ai découvert que Kazo reçoit un loyer mensuel de la part de la pègre du quartier, avec qui il entretient des rapports particulièrement étroits, '' l'informai-je.
'' Ce n'est pas surprenant, quand on y pense. Puisque le commandant ne le fait pas, quelqu'un d'autre doit combler le vide, '' dit-elle, consternée. '' Ce n'est pas à toi qu'il faut rappeler que la corruption fait tourner notre société. ''
'' Il reçoit au moins un demi-millier de dollars, chaque mois. Il nous a ramené sa nouvelle Mercedes au bureau ce matin. ''
'' Kazamuadi en donne certainement aussi à tes supérieurs dans l'intention de te prendre ta place, sois-en sûr. Comment l'as-tu découvert ? ''
'' Un nouvel indic. Fiable. ''
'' Et que comptes-tu faire ? ''
'' J'y réfléchis encore. L'un de Kazo et moi devra partir, quoi qu'il arrive. ''
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top