6. En Quête Parallèle
Je fus sans doute un enquêteur remarquable au sein de la DLC (Direction de la lutte contre la criminalité) de l'Inspection Provinciale, du temps où j'y travaillais. Il y a huit ans, j'enquêtai sur la mort d'un père de famille dont on voulut faire passer le meurtre pour un accident survenu lors d'un cambriolage. Je finis par découvrir que l'assassinat fut en réalité commandité par un homme d'affaire Belge, amis de la haute hiérarchie de la Police Nationale. Mon supérieur direct m'ordonna de clôturer mon investigation et rendre des conclusions différentes de mes constatations. Un traitement similaire fut réservé à deux autres enquêtes que je supervisai ; l'une concernant un trafic illicite de bois rare, l'autre touchant à des importations massives de faux médicaments. On me poussa peu à peu hors de la DLC. Je pris alors la décision de quitter mes fonctions d'enquêteur pour rejoindre la Direction de la Sécurité Publique, où ma conscience serait moins chargée. Mes réflexes d'enquêteur perdirent certainement leur acuité au fil du temps mais mon intuition demeura intacte.
L'opération d'élimination qui avait eu lieu à la résidence du sénateur n'avait rien d'un classique. Beaucoup d'éléments manquaient au puzzle. A défaut de pouvoir retrouver les auteurs de ce triple meurtre, ma longue expérience d'enquêteur pouvait au moins me permettre de découvrir de quel organe de la République faisait partie le commanditaire. Il me fallait, à cet effet, comprendre le mode opératoire employé par les assaillants cette nuit-là.
Je quittai le service une heure plus tôt afin d'aller rencontrer discrètement mon meilleur indicateur dans le quartier. Avant cela, je me rendis incognito, en tenue civile, dans le voisinage de la villa du sénateur, à la recherche d'indices. Je me tins à bonne distance afin de ne pas être repérer par les militaires qui surveillaient la résidence. Seuls deux points d'accès auraient pu servir aux malfrats : le portail de l'entrée principale ou encore le mur près du jardin où se trouvait un grand arbre dont quelques branches donnaient sur une parcelle voisine non entièrement clôturée. L'attaque s'étant manifestement effectuée par surprise, il me semblait plus probable que le second point d'accès fut celui utilisé. Je parvins à me rendre dans la parcelle où débordaient les branches du grand arbre, prétendant m'être égaré. Deux enfants jouaient devant la maison et une femme cuisinait à l'extérieur, près du mur, à l'ombre de l'arbre.
'' Je suis à la recherche d'une ONG que j'étais supposé trouver à votre adresse, Madame. Sauriez-vous où elle se trouve ? '' demandai-je à la femme.
'' L'endroit que vous cherchez est sur l'avenue suivante, Monsieur. C'est la seule ONG dans le coin, vous ne pourrez pas la manquer, '' répondit-elle.
'' J'aperçois plusieurs militaires devant la parcelle voisine ; que se passe-t-il ? ''
'' Ils gardent la résidence d'une autorité du pays. Mais je vous déconseillerais de passer devant eux. Faites plutôt le tour dans l'autre sens. ''
'' Auriez-vous remarqué des inconnus près de votre maison la semaine dernière ? ''
'' Des inconnus ? non. Pourquoi me posez-vous cette question ? ''
'' Je travaille pour la Commune, Madame, et je recherche actuellement quelques personnes. Etes-vous certaine que personne d'étranger n'est entré dans votre parcelle ? ''
'' Le weekend passé, un peu comme vous, un homme cherchait une adresse qui se trouvait loin d'ici. ''
'' Pourriez-vous me décrire l'homme en question ? ''
'' Je n'ai pas vraiment retenu son visage. Il portait une casquette et des lunettes de soleil. ''
'' Comment était-il morphologiquement ? ''
'' De taille moyenne, je dirais. Barbe épaisse et moustache noires, de teint assez clair, plutôt costaud, bel homme... ''
'' Qu'a-t-il demandé en particulier ? ''
'' Il cherchait l'adresse du poste de police du quartier. ''
'' Avait-il précisé pourquoi ? ''
'' Non. Il m'a demandé de l'eau à boire aussi. Il me paraissait sympathique... ''
'' Bien... Autre chose ? ''
'' Ça doit être tout. Il y a eu tuerie par ici en début de semaine, vous devriez le savoir, si vous travaillez pour la commune. ''
'' Je sais que la maison d'un sénateur a été attaquée mais j'ignore son emplacement. ''
'' C'est précisément la parcelle voisine, pleine de militaires, que vous voyez, '' dit-elle, en me l'indiquant de la tête.
'' Vous aviez alors dû vivre l'incident de très près, n'est-ce pas ? ''
'' Absolument ! un grand coup de feu nous a réveillé en pleine nuit. Mon mari a senti ensuite que quelqu'un marchait dans notre parcelle. Nous étions complètement terrifiés. ''
'' Qu'est-il arrivé ensuite ? ''
'' L'alarme de la maison du sénateur s'est mise à retentir et on pouvait entendre quelques cris. ''
'' Aviez-vous entendu des bruits de véhicules motorisés que les assaillants pourraient avoir utilisés ? ''
'' Non, Monsieur. Ma famille et moi étions restés à l'intérieur jusqu'au matin. Nous n'avions rien vu de ce qui s'était passé. ''
'' S'il arrive que croisiez à nouveau l'inconnu de la semaine dernière, allez immédiatement en informer le commandant du poste de police. Insistez à ne le rencontrer qu'en personne, madame. C'est compris ? ''
'' Oui, monsieur. Vous pensez que cet inconnu est lié à la tuerie ? ''
'' On ne sait jamais. Restez la plus discrète possible concernant son passage, ainsi que le mien. ''
Elle m'apprit qu'elle s'appelait Thérèse et habitait les lieux depuis dix ans.
Je continuai ensuite d'étudier la configuration du voisinage, en quête d'indices. Dans les alentours, aucun point suffisamment élevé n'aurait pu permettre à un sniper d'opérer, tant les murs de la clôture du sénateur étaient hauts.
A trois cents mètres de là se trouvaient les restes de la forêt que fut autre fois ce quartier. Pas moins de quarante hectares de flore sauvage côtoyaient les habitations situées dans le périmètre. La végétation, remplie de grands arbres, et quasi impénétrable, formait un repère idéal pour tous les voleurs et autres criminels du coin. Et c'était précisément chez l'un deux que je me rendais. Il s'appelait Mbuta, devait avoir à peu près mon âge et vivait aux abords de la forêt. C'était le plus ancien voleur du quartier, et pas le moindre. Les années l'avaient peut-être usé mais son savoir-faire demeurait impressionnant. Il était la raison principale pour laquelle la nuit il ne fallait pas oublier des vêtements au fil, le tuyau d'arrosage ou tout autre outil de jardinage à l'extérieur, ou encore de verrouiller son véhicule dans sa parcelle. L'emploi d'une sentinelle était impératif lorsqu'on en avait la possibilité, à cause de Mbuta et ses semblables, assez nombreux dans le quartier. Je l'aperçus devant sa petite case en terre cuite. Court, trapu, cheveux crépus, avec une barbe négligée, il me lança un regard inquiet.
'' Mon capitaine, j'espère que vous ne venez pas chez moi, '' me dit-il.
'' Il n'y a que ta case à cet endroit. Comment vas-tu ? ''
'' Je suis en vie, Boss... Et vous ? ''
'' Moi, je suis préoccupé lorsque trois policiers se font assassiner chez le sénateur Kiyungu sans que tu ne prennes l'initiative de venir m'expliquer ce qui s'est passé. ''
'' C'est parce que je n'en sais absolument rien, mon capitaine. ''
'' Des locaux ou des étrangers ? ''
'' Vous n'aimez jamais me croire, '' dit-il en ricanant.
'' Mon temps est précieux, Mbuta, je n'ai pas à te le rappeler. ''
'' Je vous promets que je ne sais rien. Je ne suis rentré de mon village qu'hier. ''
'' Je constate que ta case a besoin d'une nouvelle paille. Combien te faut-il ? ''
'' Croyez-moi, Boss, il y a des années que je ne fréquente plus personne par ici. Je peux me renseigner, mais il me faudra de quoi me déplacer. Avez-vous demander au petit Mike ? ''
'' Nous savons tous les deux que je ne quitterai pas cet endroit bredouille. Je te donnerai ce qu'il faut pour tes déplacements. Que sais-tu déjà et qui est ce "petit Mike" ? ''
'' Avec dix-mille francs je peux bien me renseigner, Boss. Euhh... Mike est le chef de tous les chargeurs du terminus de taxis. Il se fait appeler « Communal ». La plupart des criminels du coin travaille pour lui. Vous devriez le savoir, Boss, '' me répondit-il, insinuant, avec raison, que depuis quelques années je ne faisais plus correctement mon travail.
'' Demain, je reviendrai ici à la même heure. Assure-toi que Mike soit également là. ''
'' Je ne le connais pas personnellement, mon capitaine. C'est l'un des jeunes criminels qui ont débarqué ces dernières années. Nos chemins ne se croisent pas. ''
'' Mike et toi, ici, demain, à cette même heure. Je te remettrai cinq-mille francs ce soir, à condition que tu me dises ce que tu sais déjà. Tu as dix secondes avant que je ne me lève. ''
'' Mais, chef... '' gémit-il avant d'avouer '' Voilà... J'ai entendu dire qu'il y avait une moto dans les bois, la nuit de l'attaque. Elle avait disparu le matin. Et c'est tout. ''
'' Combien d'hommes étaient à son bord ? ''
'' Un seul, semble-t-il. Armé et cagoulé. ''
'' De quelle marque et de quelle couleur était la moto ? ''
'' Chinoise, rouge, neuve et non immatriculée. ''
'' Pourquoi n'as-tu pas tenté de la voler ? ''
'' Une grosse chaine et un cadenas européen, '' avoua-t-il, gêné.
'' L'homme était-il blessé à son retour dans la forêt ? ''
'' Je ne pense pas. ''
'' Tu ne m'as pas contacté ensuite, Mbuta. Tu as pourtant mon numéro secret. T'avait-il remarqué ? ''
'' C'était comme un fantôme... Il était effrayant, Boss. Ses esprits démoniaques m'avaient totalement paralysé. Je n'ai pas pu dormir les deux jours suivants... Mais, non, je ne crois pas qu'il m'ait aperçu. ''
'' Je vois... Recueille toutes les informations que tu pourras avant mon retour demain. Dis à Mike que c'est à la prison de Makala (le plus grand établissement pénitencier de la ville) qu'il passera la nuit demain, si je ne le vois pas à dix-huit heures. ''
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