14. Pris En Filature

J'appelai la caporale Bijou afin d'obtenir un moyen de contacter la veuve Mavika. Quelques minutes plus tard, j'eus cette dernière au bout du fil, et lui donnai rendez-vous près de chez elle, dans la commune de Limete. Avant de quitter l'hôpital, je m'arrêtai près de la réception. Derrière le comptoir, deux jeunes femmes parlaient à basse voix d'un individu présent dans la salle d'attente depuis longtemps mais qui n'avait encore adressé la parole à personne. Elles me parurent effrayées d'aller l'aborder. Sur le coup, ce fait me parut sans le moindre intérêt, bien qu'en traversant la salle d'attente, je n'eus aucune difficulté à remarquer le concerné. Ce fut lorsque je le vis sortir de l'hôpital peu après moi, et se diriger vers une moto alors que je démarrai la mienne, que je compris qu'il avait été mis à mes trousses. Ce fut un jeu d'enfant de le semer avant de rejoindre madame Mavika une demi-heure plus tard, qui m'apparut, pour une fois, sous un meilleur jour.

'' Avez-vous été dédommagée pour le décès de votre mari ? '' lui demandai-je.

'' Ils m'ont promis que je le serai bientôt. J'attends toujours. ''

'' Ne vous fatiguez pas de le leur rappeler, Madame. Rien à la police ne s'obtient sans insistance, comme vous le savez. Votre époux vous avait-il informée de la disparition de la nièce du sénateur Kiyungu, une dénommée Clarisse Feza. ''

'' Oui, il m'en avait parlé. ''

'' Vous avait-il donné des informations susceptibles de m'aider à la retrouver ? J'enquête actuellement sur sa disparition. N'hésitez pas à me révéler tout ce que votre mari vous aurait dit, même si cela concerne le sénateur Kiyungu ou des membres de sa famille. Personne n'est au-dessus de la loi. ''

'' Chadrak trouva étrange qu'aucun de ses deux collègues gardes du corps n'assurait la garde du sénateur le jour où la fille a disparu. Il était, lui, en repos ce jour-là. Monsieur Kiyungu n'était jamais sans garde rapprochée, surtout lorsqu'il sortait. ''

'' Les deux gardes étaient donc liés à la disparition de Clarisse selon lui ? ''

'' Il remarqua que quelques jours plus tard l'un d'eux avait acheté un smartphone neuf, en tout cas, '' répondit-elle. '' Chadrak ne voulait pas paraître trop suspicieux ou envieux, mais quelque chose de louche semblait s'être passé. ''

'' Y avait-il, selon lui, des raisons pour que l'on ait voulu se débarrasser d'elle ? ''

'' Il me disait seulement que la jeune fille était quotidiennement victime de discriminations. Ils la punissaient trop sévèrement, à son avis. La famille Kiyungu est responsable de cette disparition, mon capitaine, tout le monde là-bas le sait. ''

'' S'il y avait la moindre raison pour laquelle le sénateur aurait voulu se débarrasse de ses gardes, quelle serait-elle, à votre avis ? ''

'' Le sénateur Kiyungu pratique la magie noire. C'est un fervent chrétien catholique le jour mais il consulte également des sorciers de la ville la nuit. Son air sympathique sert à masquer sa vraie nature. Le sénateur est un criminel, capitaine Bosco. Chadrak décida de quitter sa garde après que ses collègues eurent battu à l'agonie une prostituée Kenyane, maîtresse de Kiyungu, sur ordre de ce dernier. ''

'' Savez-vous que monsieur Kiyungu a été assassiné hier soir ? ''

'' Ce n'est pas vrai ! '' dit-elle, effarée.

'' Dans sa voiture, à deux pas de sa résidence... Aidez-moi surtout à trouver pourquoi le sénateur aurait pu vouloir faire assassiné ses gardes du corps ? Pensez à des détails dont votre mari vous aurait parlé. ''

'' Je n'ai pas en tête une raison en particulier mais je me rappelle que mon mari sentait monter une tension entre les deux gardes et le sénateur quelques jours avant la tuerie. Chadrak disait qu'il y avait trop de sombres secrets entre Kiyungu et ses deux-là. Tout ça devait mal finir, tôt ou tard. ''

A la fin de notre échange, elle me tendit un sac assez lourd dans lequel je pouvais apercevoir une paire de gants et un chargeur de walkie-talkie au-dessus de ce qui me paraissait être des uniformes de policier.

'' C'étaient des effets de Chadrak lui offerts par le sénateur. Pourriez-vous m'aider à les retourner, s'il vous plaît ? Je ne désire garder aucun souvenir de ce monstre de Kiyungu. Rapportez-le à sa résidence je vous prie, Capitaine, '' me demanda-t-elle.

J'introduisis le colis dans mon sac à dos et pris congé d'elle. Peu après m'être séparé de la veuve Mavika, je téléphonai à Gaston Kolesha, lui rappelant les renseignements qu'il me devait. A voix basse, il me répondit qu'il avait déjà pu en obtenir quelques-uns, et qu'il valait mieux en discuter face à face, en privé. Me doutant que celui qui me fila à ma sortie de l'hôpital devait être rentré m'y attendre, je passai par le poste de police du quartier  emprunter deux policiers en civil pour me saisir de l'inconnu. Sa moto était visible à côté du parking extérieur de l'hôpital. Je précédai les policiers à l'intérieur afin de repéré l'inconnu, et leur décrire son apparence par SMS. Le chef de poste m'avait visiblement confié ses éléments les plus habiles à ce type de manœuvre. Notre bonhomme se tenait debout près d'une colonne séparant la salle d'attente de la fenêtre intérieure de la pharmacie. Je le sentis me sculpter des yeux lorsque je m'arrêtai discuter brièvement avec des infirmières à la réception. Conformément à mes consignes, mes deux hommes pénétrèrent dans le hall d'entrée à tour de rôle ; l'un, trois minutes avant l'autre, donnant l'impression que rien ne les liait, afin d'éviter d'éveiller l'attention de notre homme. Le premier policier s'assit sur une banquette métallique à moins de deux mètre de l'inconnu. Le second, lorsqu'il entra, marcha en direction de la pharmacie, l'air égaré, puis s'arrêta devant l'homme et lui demanda :

'' Savez-vous où serait le petit coin ? ''

'' Demande à ta mère, '' répondit l'inconnu, insolemment.

'' Je vous demande pardon ? ''

'' Tu m'as bien entendu. Maintenant, fiche-moi le camp, '' reprit-il d'un ton menaçant.

'' Tu as pêché le mauvais poisson, mon petit, '' répliqua le policier, indiquant clairement vouloir poursuivre l'affront.

A peine avait-il prononcé ces paroles que son collègue se saisit de l'inconnu par derrière, ce qui permit à l'agent de sortir son arme et des menottes, en révélant au même moment sa carte professionnelle.

'' Allons faire un tour au commissariat, ça te changera les idées, '' dit le policier qui tenait l'homme pendant qu'on le menotter.

'' Lâchez-moi. Je connais mes droits. Je n'ai rien fait. Vous n'avez aucune idée de qui je suis. Vous commettez une grave erreur, les poulets. ''

'' Bah voyons ! j'en ai même la chair de poule, regarde, '' se moqua l'agent qui le tenait.

La tournure que l'inconnu donna aux évènements permit que personne à l'hôpital ne me soupçonna d'avoir le moindre lien avec son arrestation ; ce qui me réjouit particulièrement. Je montai ensuite rassurer Jeremy que tout irait bien, et prier au chevet d'Adèle, toujours inconsciente. Ma bien-aimée se battait avec tout le courage et la persévérance que je lui connaissais. Je quittai l'hôpital pour rejoindre le lieu de détention du malheureux trois quarts d'heure plus tard.

Ma femme semblait n'exister que dans mon ombre, aux yeux des gens. Elle était la « discrète épouse » du populaire capitaine Masaki. Mais dans ma maison, Adèle était la lumière de tous. Mes prouesses policières m'attiraient beaucoup d'admiration mais elles étaient humaines, contrairement à l'intuition d'Adèle qui était divine. Faculté spirituelle inouïe, la raison comme le génie ne savent s'en approcher. A nos premières rencontres, mon intelligence l'avait séduite, disait-elle, mais nous savions que, toujours, ses pressentiments m'avaient sauvé. Ma femme savait dire vrai même lorsqu'elle avait logiquement tort. L'intelligence est un torrent d'une force sans limite apparente. La sagesse est l'océan de notre univers. Me prendre Adèle reviendrait à me perdre, Dieu le savait. Là fut toute ma négociation avec Lui.

Oui, j'aurais dû écouté ma femme lorsqu'elle m'interdit de me mêler de l'affaire Kiyungu. Mais elle me pardonnera cette énième désobéissance comme les précédentes. Je le saurais lorsqu'elle rouvrira ses yeux et me dira de sa voix d'ange : « tu es autant têtu que je t'aime. » Je ne l'implorais que d'une chose : qu'elle revînt à la vie et m'aimât du plus fort qu'elle pût, parce que personne ne survivrait au monstre que je deviendrai, si elle partait.

'' Ses chances de survie sont grandes. Laissons son corps se régénérer, '' me dit le médecin directeur de l'hôpital, qui vint à ma rencontre alors que je sortais de la chambre d'Adèle.

Je me rendis ensuite au commissariat de police de mon quartier de résidence. En sortant de l'hôpital, je m'aperçus que la moto de l'inconnu avait disparu. J'approchais la rue du commissariat lorsque mon téléphone sonna. C'était le chef du poste.

'' Je viens de recevoir l'ordre de libérer immédiatement ton garnement, '' me dit-il.

'' Ordre de qui ? '' demandai-je, irrité.

'' Du colonel Lokuli. Il m'a directement contacté par téléphone. ''

'' Comment a-t-il su ? auriez-vous laisser ce malfrat passer des coups de fil ? ''

'' Non, non. Son téléphone fut confisqué au moment même de l'arrestation. ''

'' Il a donc un complice qui a tout suivi depuis l'hôpital. Comment se nomme-t-il ? ''

'' Médard Kumbu, trente-deux ans. Voleur et dangereux criminel. Ce malfrat portait sur lui un couteau suisse de marque. ''

'' Ça va, relâchez-le dans vingt minutes. Assurez-vous tout de même qu'un maximum de personnes assistent à sa libération, puis informez-en le colonel Lokuli. Et que ce malheureux lui confirme aussi qu'il est bien libre. Enfin, s'il vous plaît, pas un mot sur mon implication, '' demandai-je au commandant.

C'est alors que je remarquai la Honda de Médard Kumbu au coin de la rue du commissariat. Un être assez frêle était assis dessus. Ce visage ni d'homme ni de femme me remarqua. Je fis donc mine de simplement passer mon chemin, et me rendis chez moi, traversant l'entrée de la rue du poste de police, comme si je n'étais là que parce que c'était sur le chemin de ma résidence.

Le colonel Lokuli était le chef du secteur comprenant tous les commissariats du sud-ouest de la ville, y compris le mien. Mais il ne me sembla pas qu'il ait eu un lien direct avec le détenu Kumbu. Quelqu'un d'influent devait certainement lui avoir demandé de faire relâcher ce dernier. Un moyen d'en savoir davantage fut de filer la moto du malfrat. ''

Kumbu marcha du commissariat jusqu'au coin de la rue où l'attendait la curieuse frêle créature sur sa moto. Elle portait un casque désormais, afin que nul ne put l'identifier. Kumbu monta à l'arrière, et le véhicule déguerpit des lieux. Je les filai à l'aide de la moto Yamaha empruntée à mon mécano peu après avoir quitté ma maison. Je portais un casque, mon sac à dos, et des vêtements différents en guise de camouflage. La couverture de Kumbu ayant été compromise du fait de son arrestation dans le hall de l'hôpital, il ne pouvait plus y retourner. Ils prirent la direction opposée à l'hôpital, vers Masambila. Ils s'arrêtèrent peu avant d'arriver au grand marché du quartier, à un arrêt de bus appelé « Mère Canon ».

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