13. Sur Toutes Les Ondes

Sur mon chemin vers l'hôpital, me doutant que Kazamuadi serait à la résidence Kiyungu, je m'arrêtai devant le portail d'entrée car je tenais à voir quelles autorités policières ou militaires s'étaient déjà rendues sur place ; cela pouvait m'éclairer sur les personnes derrière ce carnage. Je descendis de ma moto et m'avançai vers l'entrée de la résidence, faisant face aux trois militaires qui la gardaient. Ils me reconnurent sans mon uniforme, me saluèrent et me firent entrer sans hésiter. A l'intérieur, deux véhicules de police et une petite foule de personnes discutaient par petits groupes. L'Inspecteur Provincial en chef, le lieutenant Mavinga et l'insolent adjudant Kolesha, étaient présents. Kolesha se retourna, me regarda, puis s'avança dans ma direction. Il me salua et m'invita respectueusement à discuter en aparté. L'insolence dont il débordait à notre première rencontre semblait s'être complètement dissipée. Dans son regard, je pouvais lire qu'il savait que j'avais tué deux membres de son unité cette nuit.

'' J'ai appris que vous aviez été attaqué cette nuit à votre domicile, et j'en suis vraiment désolé, '' commença-t-il. '' Je peux vous fournir des informations capitales sur les raisons de cette attaque, ainsi que les noms de toutes les personnes impliquées. Mais vous devez me promettre de faire quelque chose pour moi, en échange. ''

'' Que veux-tu en échange ? ''

'' Le soldat qui a été arrêté par la police est mon beau-frère. La cour martiale le condamnera à mort, si vous ne l'innocentez pas. Ce n'est pas un assassin. Veuillez Expliquer à la police qu'il n'a rien à voir avec ceux qui étaient à votre domicile, et je vous dirai tout ce que je sais sur ce qui vous est arrivé cette nuit. ''

'' Tu n'as aucune idée de la personne que je suis, pour oser me demander de prononcer un faux témoignage dans le but de sauver un criminel. J'ai le pouvoir de te mettre immédiatement en état d'arrestation pour chantage. Alors tu vas me dire tout ce que tu sais, sinon je veillerai à ce que la cour martiale se charge également de toi, '' le menaçai-je.

'' Je sais maintenant que vous avez des amis puissants dans l'armée. Je sais... Mais j'essaie seulement de sauver la vie d'un innocent, '' dit-il doucement.

'' Un innocent qui se trouve être de la même unité que les assassins qui ont tiré sur ma femme à bout portant ? Kolesha, c'est à présent ta propre vie que tu devrais essayer de sauver en me disant ce que je dois savoir. Avec ou sans toi, sache que je finirai par tout découvrir. ''

Il regarda autour de nous pour s'assurer que personne ne nous observait ni ne pouvait nous entendre.

'' Le colonel Kams était ici hier soir pour voir le sénateur. Pendant que les deux discutaient à l'intérieur, un homme est arrivé, demandant à voir d'urgence l'honorable Kiyungu. L'homme fut reçu sur la terrasse, loin du colonel Kams. Il informa le sénateur que vous étiez en train d'enquêter sur le meurtre de ses gardes et que vous seriez proche d'en découvrir tous les auteurs parce que vous avez un excellent passé d'enquêteur. Il rappela qu'il vous avait formellement été interdit par votre hiérarchie de vous mêler de l'affaire mais que vous teniez absolument à la déchéance du sénateur en tentant de démontrer faussement son implication dans le triple assassinat. L'homme dit ensuite ne pas comprendre votre haine envers le sénateur et continua de vous diaboliser tout au long de l'entretien. L'honorable Kiyungu remercia l'homme mais prétendit qu'il ne tenterait pas de vous arrêter car il n'avait rien à se reprocher. Dix minutes plus tard, l'homme s'en alla, et le sénateur retourna discuter avec Kams. L'homme ne recherchait évidement que votre perte en parlant ainsi au sénateur. Lorsque le colonel sortit de la maison, j'allai lui parler en privé en vue de déconseiller toute initiative à votre encontre, et lui expliquer que ce n'était qu'une machination orchestrée par quelqu'un qui vous haïssait. Pendant que nous parlions, le sénateur sortit pour se rendre à une soirée. Puisque je n'avais pas fini de parler au colonel, j'ordonnai à l'un de mes hommes d'accompagner l'honorable Kiyungu à ma place. Mais après le départ du colonel, vu sa réaction à mes propos, j'eus l'impression de m'être également mis en danger en tentant de vous sauver ; Kamango était un homme dangereux et imprévisible. C'était moi qui aurait dû sortir avec le sénateur Kiyungu hier soir. C'est donc moi qui serais mort à l'heure qu'il est. Voilà qu'en tentant de vous sauver, je m'étais en réalité sauvé moi-même. Et vous ne me croirez pas si je vous dévoile l'identité de l'homme qui était venu parler au sénateur hier. ''

'' C'était mon adjoint. Tu ne m'apprends rien que je ne savais pas déjà, '' lui rétorquai-je.

'' Vous étiez donc déjà informé ? '' s'étonna Kolesha. ''Avant cela, votre adjoint était en contact avec le sénateur chaque jour. Mais vous devez certainement le savoir aussi... ''

'' Qui était derrière le meurtre des trois policiers qui gardaient Kiyungu ? ''

'' Kams et le sénateur lui-même. Je pensais que vous l'aviez déjà découvert... ''

'' Pourquoi les a-t-on exécutés ? ''

'' Je n'en ai aucune idée. Mais je sais qu'il n'était question d'éliminer que deux gardes. Le troisième fut assassiné parce qu'il était au mauvais endroit, au mauvais moment, d'après ce que j'ai compris. Ceux qui ont exécuté le contrat (l'assassinat) n'étaient pas mes collègues, donc je n'ai pas plus de détails. ''

'' Qui ont fait tuer Kams et Kiyungu ? ''

'' Je n'en sais rien. Ils nous ont sauvé la vie, à vous et moi, c'est tout ce que je peux dire. ''

'' Si tu tiens vraiment à épargner à ton beau-frère la peine capitale, trouve les réponses à mes deux dernières questions. Plus tôt tu les auras, plus tôt je ferai relâcher ton gars. ''

Je repris ma route vers l'hôpital sans prendre la peine de saluer mes supérieurs présents sur les lieux. Gaston Kolesha m'apprit également que, craignant pour leurs vies, tous les enfants Kiyungu qui vivaient dans la résidence l'avaient désertée la nuit-même de l'assassinat de leur père.

J'eus toutes les raisons de croire que Kolesha savait très bien de quoi il parlait lorsqu'il dit que le sénateur et le colonel avaient commandité le meurtre des trois policiers, aussi improbable que cela me paraissait. Leur motif était peut-être connu d'Evelyne et de ses frères, me dis-je. Enquêter sur la disparition de Clarisse ne me semblait plus opportun, compte tenu de l'absence de lien direct avec la menace qui pesait sur ma famille et moi. Découvrir la raison de l'élimination du colonel Kams était essentiel pour savoir si je courais encore un quelconque danger.

J'arrivai à l'hôpital au même moment que le général Ntumba et son épouse. La tante d'Adèle ne put s'empêcher de fondre en larmes lorsqu'elle la vit alitée et inanimée, entourée d'appareils qui maintenaient sa respiration. Le médecin présent dans la pièce nous expliqua qu'il revenait à présent au corps de ma femme de réparer les dommages causés dans sa poitrine. Il ne sut estimer le temps que prendrait son rétablissement mais demeura optimiste.

Je savais qu'Adèle se battait comme la femme endurante qu'elle avait toujours été. L'un des meilleurs chirurgiens de la ville, était en route pour l'hôpital, sur demande du général Ntumba. Il estimerait alors quel serait le mieux à faire pour la santé de ma femme. Le général me prit par l'épaule et m'escorta à l'extérieur de l'immeuble.

'' Que savais-tu qui aurait poussé Kamango à te vouloir mort ? '' demanda-t-il.

'' Je me renseignais auprès des habitants du quartier, question d'avoir leur version des faits sur l'assassinat des trois policiers chez le sénateur. Mais rien de concret n'a filtré, '' lui répondis-je.

'' Pourquoi vouloir te tuer alors que simplement te menacer aurait suffi ? ''

'' Mon adjoint au commissariat pourrait avoir envenimer la situation en alarmant faussement le sénateur et le colonel, qui d'ailleurs s'avèrent être les commanditaires de l'assassinat des trois gardes. Mon adjoint touche une part du revenu des activités illicites qui se déroulent dans le quartier, ma présence lui est par conséquent insupportable. Je n'ai jamais eu ma place dans ce type d'environnement, comme vous le savez. ''

'' Crois-tu que Kamango ait été assassiné en représailles contre le meurtre des trois policiers ? ''

'' Cela reste possible. Je n'ai cependant aucune idée de la raison pour laquelle les trois policiers ont été tués, '' répondis-je.

'' Il me faudra du temps pour obtenir des renseignements sûrs... Personne ne semble savoir qui est derrière le meurtre de Kamango. Il avait beaucoup d'ennemis dans l'armée, il faut dire. Son élimination pourrait n'avoir aucun lien avec les trois policiers. Mais quand j'y pense... C'était un nettoyeur aux ordres de sa hiérarchie. Il ne saurait avoir été impliqué dans tout ceci de sa propre initiative. C'est certainement le sénateur qui lui donnait des instructions. Je n'exclus cependant pas que d'autres personnes aient également tiré les ficelles dans ces assassinats. ''

'' Il y a aussi en moi le sentiment qu'une menace pèse toujours sur ma personne malgré l'élimination du colonel Kams. Trouver des réponses prendra du temps que je n'ai peut-être pas... ''

'' Ta famille et toi êtes désormais sous ma protection. Je le ferai savoir à quiconque aurait l'intention de s'en prendre à vous. ''

'' Je vous en suis très reconnaissant. Je vous dois déjà tant... Seulement, j'ai un mauvais pressentiment, '' lui avouai-je.

'' Si, en effet, tu m'as dit tout ce que tu savais, alors je ne vois pas de raison de t'inquiéter. Mais écoute, Bosco, tu as manifestement fait quelque chose qui n'a pas été apprécié de ceux qui ont tenté de t'assassiner. Je suis certain que tu l'avais fait de bonne conscience, parce que c'était ton devoir, et que tu ne savais peut-être pas dans quoi tu mettais les pieds. Seulement, les nombreuses fois que tu fis pareil dans le passé devraient t'avoir enseigné comment reconnaître la limite à ne jamais franchir, si tu tiens à ta vie. Tu es bien plus formé et plus brillant que la majorité des colonels de ce pays, nous le savons bien tous les deux. Si ta hiérarchie ne t'a pas promu une seule fois en dix ans, et t'a maintenu simple capitaine, c'est dans le but de te donner une leçon. Cette fois, je suis certain qu'Adèle s'en sortira. Mais qui sait ce qui arrivera la prochaine fois ? Utilise le plus sagement possible le peu de temps qui te restent avant la retraite, petit-frère. ''

Alors que nous parlions, mon téléphone sonna. C'était mon amie Liza, que j'avais précisément l'intention de contacter juste après avoir fini de parler au général Ntumba. Elle venait d'apprendre à la télévision qu'un policier du nom de Bosco Masaki avait abattu deux militaires cette nuit, et tenait à vérifier s'il s'agissait de moi. M'excusant auprès du général, je pris l'appel de Liza afin de lui parler en détails de ma situation et solliciter l'aide de son père.

'' Tu as toujours fait bonne impression à mon père, '' me dit-elle. '' Il devrait pouvoir t'aider à découvrir qui sont derrière les rideaux de cette affaire. Je lui ferai également part de l'urgence de la situation compte tenu du fait que ta vie pourrait encore être en danger. ''

'' Je t'en serais extrêmement reconnaissant, Liza. ''

'' Donne-moi jusqu'à ce soir pour te revenir avec des renseignements. En attendant, reste près d'Adèle, et parle-lui. Elle t'entendra et ça la réconfortera. ''

'' Je dois découvrir ce qu'il se passe avant qu'il ne soit trop tard. Sans cela, je n'aurai droit à aucun répit, '' lui expliquai-je.

Liza ne pouvait comprendre pourquoi je n'avais pas passé entièrement les six dernières heures au chevet de ma femme hospitalisée. La raison était que les quarante-huit heures qui suivent l'instant auquel un crime a été commis sont les plus déterminantes dans recherche des indices et du coupable. Il me fallait découvrir qui avait commandité mon assassinat et neutraliser quiconque y était lié. Je devais empêcher toute éventualité d'une nouvelle attaque sur ma famille. Ne pas pouvoir tenir compagnie à ma femme blessée par ma faute, être incapable de lui tenir la main durant ces quarante-huit heures, en était le prix à payer.

Le général Ntumba affecta deux membres de sa garde personnelle à la sécurité de ma famille et moi-même. Ce beau-père était un homme généreux mais un soldat loyal à sa hiérarchie. Je devais quelque peu me garder de lui dire tout ce que je savais, sachant que l'ordre de m'éliminer provenait peut-être d'autorités militaires. Après l'appel de Liza, nous échangeâmes encore lui et moi brièvement avant son départ, puis je remontai auprès d'Adèle et Jeremy, me rappeler combien ils étaient ma raison de vivre.

La culpabilité me rongeait. Dans ce brouillard ténébreux qui enveloppait mon esprit, une voix appelait désespérément à l'aide : celle de Clarisse Feza. Je me souvins qu'Adèle s'en souciait particulièrement. J'eus le sentiment que Feza m'avait choisi pour élucider le mystère de sa disparition malgré la période de détresse que je traversais. C'était un peu à cause d'elle que je m'étais enfoncé dans ce bourbier, mais elle ne semblait pas le regretter. Elle insistait afin que je continue d'enquêter. La mort du sénateur Kiyungu ne l'avait point contentée. Que voulait-elle vraiment ?

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