11. Kams
Après l'interrogatoire, je retournai à l'hôpital voir comment évoluer l'état de santé de mon épouse. L'intervention chirurgicale venait de se terminer et je fus autorisé à la voir très brièvement. Sa vie était à présent hors de danger selon ses médecins mais elle devait être maintenue sous respiration artificielle.
Au moment où elle ouvrit la fenêtre pour tirer avec le fusil, tel que convenu, un des assaillants, adossé au mur près de la fenêtre, la surprit et lui mit une balle dans la poitrine, touchant le haut de son poumon droit. Les médecins tentèrent au mieux de réparer sa cage thoracique. A six heures du matin, ce vendredi-là, l'état de mon épouse fut déclaré stable mais nécessitant des soins intensifs, et un long repos.
Le poids de la culpabilité m'écrasait à mesure que les minutes s'écoulaient. Je sentais que j'avais mis ma propre famille en danger en me mêlant d'une affaire qui, comme je le sus pourtant depuis le début, ne m'apporterait que des ennuis. Voici qu'elle m'avait carrément mené au pire. Je me devais alors de rester lucide afin de trouver le meilleur moyen de sauver ce qui pouvait encore l'être, et agir du mieux possible dans l'intérêt de ma famille.
Je décidai que Kams devait périr par ma main. Il ne pouvait en être autrement. Il me fallut non seulement l'éliminer, mais également me prémunir contre toute autre attaque de la part de ceux qui m'en voulaient.
'' Tue sans hésitation deux bêtes : celle que tu manges et celle qui te mange, '' disait mon père.
Mes ennemis découvriraient finalement que l'extrême gentillesse que l'on me connaissait servait en réalité de camouflage au tueur de sang-froid en moi.
Le colonel Kams, de son vrai nom Gilbert Kamango, était un militaire à la formation très questionnable, qui avait bâti sa réputation sur de sombres affaires de disparition d'opposants au régime qu'il servait, une dizaine d'années auparavant. Son importance dans l'armée nationale s'était fortement amoindrie depuis l'effondrement dudit régime. Il restait cependant influent dans le milieu politico-militaire en raison des liens tribaux qu'il partageait avec plusieurs autorités du pays comme le sénateur Kiyungu et le général Kasonga de la Police. Kams était connu pour avoir la gâchette facile et une grande arrogance. Pour y avoir conduit ma mère malade un jour, je connaissais la clinique privée où il allait chaque mois effectuer un contrôle médical, accompagné de son épouse, sans réelle garde rapprochée. Avec un peu de patience, j'allais pouvoir le retrouver et lui régler son compte.
L'explication derrière cette attaque à ma résidence, pensai-je, fut que Kams ordonna mon élimination parce qu'il fut informé à travers Jean-Pierre Kazamuadi que je menais officieusement une enquête visant à découvrir la vérité sur l'assassinat des trois gardes du sénateur Kiyungu. Le sort que je devais réserver à mon adjoint méritait que je réfléchisse à en faire un châtiment exemplaire afin de dissuader quiconque aurait encore l'intention de s'en prendre à ma famille.
Adèle était la nièce de l'épouse du général Jos Ntumba des FARDC, l'armée nationale. Il avait déjà par le passé sauver ma peau lorsqu'il pesa de son influence en recommandant mon transfert vers le Commissariat Provincial de Kinshasa dans le but de me sortir du piège que me tendaient mes supérieurs à l'Inspection Provinciale. Il était pour moi une oreille attentive et un modèle. Le général Kasonga, commandant en chef de la police de la ville était en plus un camarade d'école à lui. Il n'y avait qu'au général Ntumba que je pouvais me confier.
'' Trois militaires ont attaqué ma maison cette nuit, '' lui dis-je au téléphone. '' Adèle a été touchée et est actuellement à l'hôpital, sous assistance respiratoire, mais sa vie serait hors de danger. C'était à moi qu'ils en voulaient. J'en ai abattu deux. Le survivant, qui a été rattrapé par la police, m'a avoué que l'ordre venait du colonel Kamango. ''
'' Où est actuellement Adèle ? '' demanda-t-il. '' Il faut rapidement la transférer vers un bon hôpital. ''
'' Nous sommes au centre hospitalier du quartier voisin, sur l'avenue Mokole. Jeremy est complètement dévasté. Je suis désemparé... Le colonel Kams et ses hommes m'en veulent d'avoir posé des questions au sujet du meurtre des trois policiers qui gardaient le sénateur Kiyungu. Je crains qu'il y ait bientôt encore d'autres tentatives de m'éliminer. ''
'' Kamango est mort, Bosco. Son corps a été retrouvé près d'une rivière tôt ce matin, criblé de balles, dont deux dans la tête. Qu'as-tu découvert de dérangeant sur le meurtre des trois policiers ? ''
'' Rien de solide pour l'instant. Aucun témoin oculaire dans tout le quartier. Personne ne semble vraiment savoir ni comprendre ce qui s'était passé. Le sénateur a lui-même été abattu cette nuit, pour ajouter au suspens. ''
'' Le sénateur Kiyungu est mort ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? ''
'' Mon adjoint, qui s'appelle Jean-Pierre Kazamuadi, est certainement celui qui a informé le général Kams de mon enquête sur les trois gardes du sénateur. Il m'a l'air d'être trempé dans cette affaire. ''
'' N'en parlons pas au téléphone. Attends-moi à l'hôpital, j'arrive. ''
En m'annonçant la mort de Kams, le général sema le trouble dans mon esprit. Je dus absolument comprendre ce qu'il se passait. Ma rage ne faiblit pas malgré cette nouvelle. Il restait Kazamuadi et d'autres personnes, inconnues pour l'instant. Je ne pus révéler au général Ntumba que je savais que des militaires, comme lui, avaient perpétré l'assassinat des trois policiers, bien que je fus sûr qu'il n'était ni de près ni de loin impliqué dans cette histoire. Le sénateur Kiyungu et le colonel Kams morts, il ne me restait que trois possibilités d'espérer découvrir la vérité.
Premièrement, la nièce du sénateur, qui s'était enfuie de sa résidence il y a quelques semaines, avait certainement d'intéressantes révélations à faire. Il y avait ensuite mon adjoint Kazamuadi. Ce dernier allait devoir m'expliquer précisément ce qui avait conduit Kams à décider de m'éliminer. Ma troisième piste de renseignement était le père de mon amie Liza Bambi. Ancien du Ministère de l'Intérieur, il était un Conseiller Particulier à la Présidence de la République, collaborant directement avec le Directeur national des Services Secrets. Décider d'assassiner des personnalités d'aussi haute stature qu'un sénateur de premier rang et un colonel très connu ne pouvait se faire à l'insu du père de Liza, me dis-je.
Je rentrai d'abord chez moi, refaire le pansement de la plaie à mon épaule, recharger mon pistolet, et prendre des vêtements pour Jeremy. Je pris ma moto TVS Apache de service et retournai à l'hôpital, y attendre le général Ntumba. Sur le chemin, le souvenir des paroles d'Adèle insistant que je ne me mêle pas de l'affaire des trois policiers me hantait. Des larmes mouillaient la visière de mon casque. Ma femme était le plus grand bonheur de ma vie.
Peu après mon arrivée au centre hospitalier, je reçu un appel de la caporale Bijou. Elle m'annonçait à son tour le décès du sénateur Kiyungu. Un militaire, garde du corps, avait également péri dans l'attaque, qui s'était produite en pleine nuit près de sa résidence, alors qu'il rentrait chez lui à bord de son gros SUV japonais. Elle ajouta qu'hier une femme du quartier se pointa à notre poste, insistant pour me rencontrer personnellement, et que Kazamuadi se fit passer pour moi afin de s'entretenir avec elle. La description que me fit Bijou fut celle de Thérèse, la voisine du sénateur à qui j'avais demandé il y a deux jours de contacter le commandant du sous-commissariat de police au cas où elle reverrait l'inconnu de la veille du meurtre des trois gardes. Je compris aussi qu'hier soir mon sournois d'adjoint avait attendu mon départ pour se rendre au poste. Il me paraissait aussi que le mystérieux inconnu, qui avait été vu peu avant le triple assassinat, était réapparu à quelques heures de l'assassinat du sénateur Kiyungu. La pauvre Thérèse pouvait s'être mise en danger en parlant à Kazamuadi. Je devais donc la retrouver au plus vite. Une demie heure plus tard, je me trouvai près la résidence du sénateur, dans la parcelle de sa voisine, qui parut choquée de me revoir.
'' J'ai signalé au commandant du poste de police l'homme dont nous avions parlé l'autre fois, juste après l'avoir aperçu près du grand terminus. Mais voilà que ça n'a pas empêché le meurtre de l'honorable Kiyungu, '' me dit Thérèse, avec regret.
'' L'homme pourrait-il vous avoir remarqué ? '' lui demandai-je, inquiet.
'' Non, je ne pense pas. Je l'ai reconnu à bonne distance. Avec un sac à dos, il montait vers la boulangerie qui est proche du sous-commissariat de police. ''
'' Je suis le commandant du poste de police, Madame. Vous aviez malheureusement parlé à quelqu'un d'autre. ''
'' Et pourtant tous les policiers présents m'avaient présenté celui à j'ai parlé comme étant le chef du poste. ''
'' Il est mon adjoint. Lui avez-vous donné votre adresse ? ''
'' Oui. Il me l'avait demandée. ''
'' Quoi d'autre vous a demandé mon adjoint ? ''
'' De lui dire tout ce que je savais sur l'homme que j'avais vu. ''
'' Il se peut que vous soyez en grand danger, Thérèse. L'homme qui s'est fait passer pour moi a peut-être contacté des personnes liées à l'assassinat du sénateur. Cela fait donc potentiellement de vous un témoin gênant. Je vous conseille vivement de quitter votre maison jusqu'à ce que je puisse m'assurer que vous ne risquez rien. ''
'' Là, vous me faites très peur, monsieur. Nous n'avons nulle part où aller. ''
'' Ne sous-estimez pas cette menace, Madame. Un puissant sénateur et sa garde rapprochée viennent d'être abattus comme des chiens, alors réfléchissez bien. Partez avec toute votre famille avant cette nuit. ''
Elle comprit peu à peu combien je n'exagérai en rien la gravité de sa situation, et se couvrit le visage de ses deux mains.
'' Connaissiez-vous la jeune fille qui s'est enfuie de la résidence du sénateur il y a trois semaines ? '' lui demandai-je encore, la sentant revenir à elle.
'' Vous voulez parler de Clarisse ? oui, je la connaissais bien. ''
'' Pourquoi se serait-elle enfuie, à votre avis ? ''
'' Je ne sais pas... Sa relation avec un garçon de son école semblait fortement déplaire à la famille Kiyungu. Pour la punir, une fois, ils lui firent passer la nuit dehors, dans la rue et dans un froid épouvantable. Je dus l'héberger à leur insu, sinon elle serait tombée malade. ''
'' Connaissez-vous ce garçon avec qui elle entretenait une relation ? ''
'' Non. Mais Rita, sa meilleure amie, le connait bien ; c'est d'ailleurs elle qui m'en avait parlé. Elle habite l'avenue suivante, dans une parcelle voisine à l'ONG. ''
'' Où étudiait Clarisse ? ''
'' Dans l'école au sommet de cette colline, à l'entrée du quartier Kimbondo. ''
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