Chapitre 7
Malgré le fait qu'une voiture lui eut été proposée, Elizabeth s'était rendue en ville à pieds. Enveloppée dans son manteau de grosse toile bleue, elle était en vue de la Forge de Maître Turner, comme les gens l'appelaient désormais, et elle s'arrêta à quelques mètres de là.
Cela faisait plus d'un an qu'elle n'avait pas revu Will, alors qu'avant son départ, ils se voyaient régulièrement comme deux vieux amis que tout oppose. Pourtant, elle n'avait pas pris le temps de lui dire au revoir tellement tout avait été précipité.
— Allez, courage...
Sortant les mains de ses poches, Elizabeth s'approcha de la forge et poussa la porte. Elle entra dans les ombres de la vaste salle qui sentait le brûlé, et l'âne qui faisait tourner le mécanisme central la regarda. Il mâchonna du foin puis tourna la tête. Elizabeth suivit son regard et un homme sortit alors d'un renfoncement sombre.
— Will ? appela-t-elle.
L'homme, affublé d'un large tablier de cuir, leva la tête et resta coi devant la jeune femme.
— Elizabeth ? demanda-t-il. C'est bien toi ?
— Oui... sourit la jeune femme en entrant. Je suis rentrée, pour quelques jours... et je voulais te voir... et m'excuser.
Will baissa le menton et se détourna.
— T'excuser de quoi ? demanda-t-il. Tu es partie vivre ta vie comme le font toutes les femmes un jour ou l'autre, tu n'as pas à me faire des excuses pour ça.
— Ni pour le fait que je sois partie avec un pirate ? Et pis encore, sans prendre le temps de te dire au revoir ?
Elizabeth grimaça. Will posa ce qu'il avait dans les mains et soupira.
— Non, dit-il en pivotant. Et tu sais pourquoi ? Parce que j'ai bien vu que tu n'étais pas heureuse avec le Commodore. Je t'aurais volontiers épousée, Elizabeth, sache-le, mais ton père n'aurait jamais voulu. Ce qui m'étonne, par contre, c'est qu'il tolère ton pirate et son équipage dans la ville.
— Nous ne restons pas longtemps, une semaine, tout au plus, le temps de réarmer le Pearl, répondit la jeune femme. Et Jack est... Il est en train de parler avec mon père.
Will fronça les sourcils.
— C'est donc du sérieux, entre vous ?
— Oui, Will, je... Je suis Madame Capitaine, maintenant...
— Madame Capitaine... répondit Will avec une pointe d'amertume dans la voix. Quel titre pompeux !
— Je t'en prie... Ne le prends pas ainsi !
Elizabeth s'approcha, mais Will lui tourna brusquement le dos.
— Tu devrais rentrer chez toi, dit-il alors. Où que ce soit...
— Mais, Will...
— Non, tu n'as rien à faire ici, retourne avec ton pirate, il a sans doute mieux à t'offrir que moi, simple forgeron. Va-t'en, Elizabeth.
Le ton était sans appel et Elizabeth, la gorge serrée, refoula ses larmes et quitta la forge à grands pas. Elle s'arrêta contre le mur juste dehors et haleta bruyamment. Elle posa une main sur sa bouche pour étouffer un sanglot, puis se redressa et inspira profondément. Que venait-il de se passer ? Pourquoi celui qui avait grandi avec elle était aussi froid brusquement ?
Désireuse d'en savoir plus, elle pivota, prête à faire face à Will. La porte de la forge s'ouvrit alors et une femme sortit. Will la suivit, avec l'âne, et il ferma la porte de la bâtisse avec une barre de bois. Il se tourna ensuite vers la femme et elle pivota. Elizabeth eut alors un coup au cœur.
Elle est enceinte ! s'exclama-t-elle intérieurement en se cachant derrière des caisses grillagées. Will... Will s'est marié et sa femme attend un bébé !
Le cœur d'Elizabeth se démantela alors en millions de petite morceau et elle se sentit défaillir. Les larmes jaillirent de ses yeux quand Will posa une main tendre sur le ventre de la jeune femme blonde près de lui, avant de l'embrasser doucement. Il la hissa ensuite sur le dos de l'âne et ils partirent en silence. Elizabeth se laissa alors glisser au sol, les genoux contre sa poitrine, et elle fondit en larmes.
Elle se reprit cependant bien vite, passa ses manches sur ses yeux, se releva et inspira profondément. Elle regarda autour d'elle et, serrant les lèvres, elle retourna à la maison du Gouverneur et s'enferma dans sa chambre. Là, elle se débarrassa de ses vêtements, fit une rapide toilette à l'eau froide, puis enfila une robe de nuit en mousseline blanche avant de se pelotonner dans un fauteuil avec une couverture sur les genoux...
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— Capitaine Sparrow, ma fille est la chose la plus précieuse que j'ai, dit Weatherby Swann. Sa mère est morte peu avant notre départ pour Port Royal, et j'ai eu énormément de mal à m'en remettre. Alors ne me prenez pas ma fille pour la rendre malheureuse.
— Elle est très heureuse avec moi, répondit Jack. Je vous l'assure, Gouverneur Swann. Sans offense, c'est vous qui l'avez rendue malheureuse en me l'arrachant pour la mettre dans ce couvent, à Londres.
Swann resta silencieux. Debout devant une fenêtre deux fois haute comme lui, les mains dans le dos, il souffla par le nez. Jack était assis sur une chaise, devant le bureau du Gouverneur. Étrangement, le pirate d'ordinaire ivre et joueur, affichait un sérieux des plus déstabilisants.
— Gouverneur, je vous fais la promesse, pour ce qu'elle vaut, que votre fille ne pleurera jamais de douleur à mes côtés, dit alors Jack. Si jamais des larmes glissaient sur son visage, ce serait de bonheur, uniquement.
Swann pivota.
— De bonheur ? demanda-t-il. Comptez-vous lui donner un enfant ? L'épouser ?
— Oui, Monsieur. Je l'épouserai dès que nous le pourrons, car elle est en danger, seule, parmi des pirates, avec son passé tel qu'il est.
— Vous parlez de Barbossa ?
— Entre autres, mais oui. Sachez que si j'épouse votre fille, ce ne sera pas uniquement pour empêcher d'autres Capitaines de l'approcher, mais bel et bien parce que je tiens à elle. Elle deviendra une Sparrow, elle appellera mon père, le Capitaine Teague, "Père", et aura la protection de tous les pirates des Mers du Sud. Ma famille est très respectée, Gouverneur, même si moi, j'ai une réputation plutôt... particulière.
Le Gouverneur resta silencieux. Il ne savait plus quoi dire. Ce pirate était des plus sérieux et, même s'il empestait le rhum bon marché et l'homme négligé, il semblait sobre et parlait avec assurance.
— Je dois réfléchir à tout cela, dit-il soudain. D'ici là, Elizabeth restera ici.
Jack hocha la tête, se leva, et s'inclina. Il tourna ensuite les talons et quitta la pièce en souhaitant une bonne journée au Gouverneur. Il revint cependant sur ses pas et demanda l'autorisation d'aller saluer sa compagne dans ses appartements. Swann le lui autorisa, un peu raidement, cependant.
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Jack quitta le bureau du Gouverneur fier de lui et soulagé. La discussion avait duré environ une heure, peut-être un peu plus, mais tout s'était bien passé. L'un comme l'autre étaient restés cordiaux et il n'y avait eut aucun heurts, même si le Gouverneur semblait terrorisé par le Pirate...
Arrêtant un Valet, Jack demanda à être conduit à la chambre d'Elizabeth en disant qu'il avait l'autorisation du Gouverneur, et le garçon de quinze ou seize ans accepta de lui indiquer le chemin, sans toutefois l'accompagner.
Lorsque Jack fut devant la porte blanche fermée de la chambre d'Elizabeth, il hésita. Jamais de sa vie il n'avait mis les pieds dans les appartements d'une femme, sauf dans la cabine de sa compagne, une fois, mais il l'avait regretté...
La porte s'ouvrit cependant rapidement après qu'il eu frappé contre le bois, et Elizabeth le fit entrer en serrant sa robe de maison contre sa poitrine.
— Eh bien, que se passe-t-il ? s'étonna le pirate. Vous étiez bien plus joyeuse, tout a l'heure... Et cette tenue ?
Elizabeth serra les lèvres, hocha la tête, et l'invita à s'asseoir près de la fenêtre, autour d'un guéridon. Elle alla chercher une bouteille de rhum dans son sac et leur en servit deux fonds de verre avant de raconter sa rencontre avec Will, et ce qui en avait découlé.
Quand elle se tut, Jack était pensif.
— Eh bien, dites-vous qu'au moins, il est heureux, dit-il finalement en vidant son verre. Vous êtes à moi, Lizzie, désormais, ajouta-t-il. Et il y a peu de chances qu'un homme "normal", si j'ose dire, veuille de vous après... mon, ehm, passage.
Elizabeth prit un air outré et rougit. Les mots étaient décidément mal choisis, mais Jack ne sembla pas gêné outre mesure, comme s'il avait réellement sous-entendu qu'après qu'ils aient partagé une nuit, plus aucun homme de bonne famille ne voudra d'elle.
— Jack, je... Là n'est pas la question, dit Elizabeth en soufflant. Vous m'avez embarrassée, espèce de diable ! dit-elle ensuite en se faisant de l'air.
Jack rigola doucement. Soudain, il quitta sa chaise et enleva la jeune femme dans ses bras. Elle poussa un cri de surprise puis rigola, et il traversa l'appartement. Il la jeta sur son lit et se hissa au-dessus d'elle.
— Que comptez-vous faire, cher Capitaine ? demanda alors Elizabeth à mi-voix. Nous sommes entourés par des domestiques, si jamais ils s'imaginent des choses, mon père vous fera jeter dehors...
— Allons, n'avez-vous pas dit à votre père que nous étions amants, déjà ? demanda Jack avec un sourire.
Elizabeth sourit à son tour et le pirate l'embrassa. Soudain, il se redressa et se débarrassa de ses armes et de son harnais qui tombèrent sur la moquette avec un bruit sourd. Il retira son gilet et Elizabeth tira la chemise grisâtre du pantalon brun de son compagnon.
— Sachez, ma mie, que jamais je ne vous prendrais si vous ne le désirez pas ardemment, dit alors Jack.
Il retira sa chemise et Elizabeth se mordit la lèvre. Elle sourit et il retourna l'embrasser avec vigueur...
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Allongée sur le flanc, Elizabeth effleurait du doigt les tatouages de son compagnon. Allongé sur le ventre, les bras sous l'oreiller, il la regardait avec un sourire.
— Bientôt, lui dit-elle alors en allant l'embrasser. Bientôt, je serais à vous pour de bon, Jack, et j'espère que je pourrais vous donner cet enfant que vous désirez depuis si longtemps.
Le pirate serra les lèvres. Ils avaient passé de longues minutes à se câliner, bien plus qu'ils ne l'avaient jamais fait depuis qu'ils étaient ensemble, et pourtant, aucun désir n'était venu polluer ce moment de délicatesse pure. Ils avaient ensuite discuté, là encore plus longtemps et plus intimement que jamais, et Jack avait confié à sa compagne qu'il voulait un enfant depuis de très longues années, et que son père désespérerait d'être un jour grand-père.
Roulant sur le dos, Elizabeth soupira et posa une main sur son ventre. Jack se redressa sur un coude et posa sa main sur la sienne. Elle sourit.
— Le Capitaine Teague aura son petit-fils, dit-elle alors.
— C'est une promesse ?
— Oui, c'est une promesse. Depuis que je suis enfant, je me suis toujours dit que je réserverai mon premier enfant à l'homme qui me rendra heureuse. Will a tenté sa chance, puis James, mais cela n'a pas fonctionné.
Elle regarda alors Jack et sourit. Il l'embrassa et soudain, s'assit au bord du large lit.
— Non, dit Elizabeth. Restez pour la nuit, Jack... Je ne veux pas dormir seule, pas après ce qu'il s'est passé cet après-midi.
— Votre père...
— Mon père nous croit amants, Jack, répondit la jeune femme. Il n'a pas besoin de savoir que c'est faux. Je vous aime, Jack, et je n'avais jamais imaginé dire cela un jour, alors restez, s'il vous plaît. Vous partirez à l'aube, avant que la maison ne se réveille.
— Comme un amant interdit ? sourit le pirate.
Elizabeth rigola doucement en hochant la tête. Soudain, Jack se jeta sur elle et se mit à la chatouiller. La jeune femme poussa un cri puis se mit à rire en le suppliant d'arrêter.
Dans le couloir, cependant, le Gouverneur Swann était silencieux. Il était venu dire à sa fille qu'il l'autorisait officiellement à fréquenter le Capitaine Sparrow, mais il ignorait alors que le pirate était encore dans la chambre de la jeune femme. L'outrecuidance dont il avait fait preuve l'avait mis en colère, puis il avait entendu les paroles de sa fille, et à présent, il l'entendait rire, de ce genre de rire qui vient du plus profond du ventre, de ce genre de rire qui vous fait monter les larmes de bonheur.
Baissant le nez, le Gouverneur se détourna. Il leur parlerait demain. Oui, demain, c'était très bien. Il quitta ensuite l'étage et décida de dîner seul en disant à ses gens de garder un repas pour Elizabeth et son compagnon. Si la demande sembla bizarre aux domestiques, aucun n'osa ouvrir la bouche, pas même la Gouvernante qui s'était occupée d'Elizabeth depuis qu'elle était bébé...
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