Chapitre 7

— Tiens, ma belle ! Il va devenir ton meilleur ami !

Elizabeth prit le tablier que June lui tendait. June était la cuisinière de ce gros bateau marchand appelé le "Rageur". Selon une légende, son premier capitaine était un homme qui s'emportait rapidement et qui ne cessait de râler pour un rien...

— Merci, répondit la jeune femme. Je vais devoir faire quoi, précisément ?
— La bouffe. Matin, midi, soir et parfois dans la nuit pour ceux qui sont de quart.

Elizabeth opina.

— Quelque chose de particulier à savoir ? Quelqu'un qui est allergique à je ne sais quoi ?
— Pas que je sache, répondit June. Le Capitaine aime bien qu'on lui apporte son café le soir dans sa cabine...

Elizabeth grimaça.

— Non, il n' est pas comme ça. Il est marié et il n'est pas le genre à avoir une maîtresse dans chaque port.
— Les hommes sont tous les mêmes... grommela Elizabeth.
— On voit que tu n'en as pas connu beaucoup, toi ! s'esclaffa June.
— J'ai été mariée... répondit Elizabeth. Pendant sept mois. Je viens de divorcer...
— Ah ouais ? Il te battait ?
— Non... Je ne peux pas avoir d'enfant. C'était injuste pour lui. Alors j'ai préféré partir.

June pinça ses épaisses lèvres.

— Ouais... Parfois c'est mieux comme ça, dit-elle. Et donc, t'es là pourquoi ?
— Je devais rejoindre une cousine en Espagne, mais j'ai renoncé au dernier moment. Je vais aller là où le vent va me conduire et refaire ma vie.
— Pas mal... Mais t'es au courant qu'il y a des pirates entre Port-Royal et les autres pays, hein ?

Elizabeth hocha la tête. À vrai dire elle espérait même que le Rageur se fasse aborder, qu'elle soit faire prisonnière et amenée à Tortuga... Même si l'idée était complètement stupide.

— Bon ! Assez causé. Ils vont commencer à avoir faim, là-haut. Va me chercher le petit salé et les haricots dans le cellier. Gaffe à la tête...

Elizabeth opina, prit une lampe et descendit l'escalier que June lui indiquait. Elle baissa la tête en sentant que le plafond était très bas et alla fureter dans les caisses en bois remplies de vivres.
En les fouillant, elle savait déjà qu'elle allait se coltiner à les ranger dans les étagères très prochainement...
Elle remonta aux cuisines avec les bocaux demandés et observa ensuite June réparer le déjeuner.

.

Le repas de midi terminé, les deux femmes déjeunèrent à leur tour puis June entreprit de faire visiter ses cuisines à sa nouvelle apprentie, et lui montrer ses quartiers.

— Comme tu n'as pas de bagages, je t'ai donné quelques fringues trop petites pour moi, dit June comme Elizabeth regardait les quatre pantalons et les deux chemises posés sur le lit.
— Merci... Fallait pas...
— Bah ! C'était ça où elles passaient par-dessus bord, alors...

Elizabeth pinça la bouche puis hocha la tête. À présent, elle avait de quoi remplir un petit sac et, elle qui avait tout abandonné sur le quai, était ravie.

— Bon, installe-toi, dit soudain June. Sois à dix-huit heures aux cuisines. Le dîner est servi à dix-neuf heures trente et le petit-déjeuner à partir du lever du jour jusqu'à midi. On enchaîne avec le déjeuner et après on a la paix jusqu'au dîner.

Elizabeth hocha la tête puis June s'en alla et la jeune femme resta seule dans sa cabine exiguë. Elle rangea ses nouveaux vêtements dans la malle au pied du lit puis jeta un œil par un hublot et décida d'aller passer le reste de la journée sur le pont.

~

— À table !

June secoua violemment une pauvre cloche en laiton qui n'avait fait de mal à personne, puis elle retourna dans la cuisine et vérifia les plats une dernière fois.
Ce soir, c'était ragoût de mouton séché avec des patates. Quelques fruits en dessert, le tout arrosé de bière et de vin.

— Apporte ça dans la salle à manger, petite, dit June en indiquant la grosse marmite.
— Faut les servir ?
— Ils sont grands, ils se débrouillent... Allez vas-y.

Elizabeth obéit et souleva la lourde marmite de fonte. Elle eut toutes les peines du monde à monter l'escalier qui menait à la salle à manger et quand elle y fut un homme la lui prit des mains et alla la déposer au centre de la table.
La jeune femme resta interdite. June se montra alors avec les patates et lui demanda d'aller chercher le reste. Elle la rejoignit quelques secondes après.

— T'as l'air d'avoir vu un fantôme... dit-elle.
— Non je... C'est cet homme qui m'a prit la gamelle des mains sans un mot et...
—  Ah ! T'en fais pas pour ça ! Les marins ils aiment pas avoir des femmes sur leurs bateaux, il paraît que ça porte malheur...
— J'ai cru comprendre... répondit Elizabeth avec une grimace.

June plissa le nez.

— Allez, dit-elle. Mets donc nos couverts, on va manger en même temps qu'eux comme ça, la soirée sera plus longue.

Elizabeth hocha la tête et alla chercher deux jeux de couverts en métal. Elle les déposa sur un coin du plan de travail, alluma une lampe à pétrole puis June la fit asseoir et lui servit une épaisse soupe rouge odorante.
Elizabeth hésita un moment, comprenant que c'est tout ce qu'elle aurait, avec du pain, puis elle prit sa cuillère et commença à manger en silence.

Plus tard dans la soirée, alors que les marins avaient terminé leur repas, Elizabeth était en train de ranger la salle à manger. Elle empila les couverts sales dans un seau, tout jetant sur le sol les restes du repas. Ensuite elle passa un bon coup de balai, puis de serpillière avant de redescendre la vaisselle sale. Là, elle entreprit de faire la vaisselle.
Pendant ce temps, June était occupée à faire le menu pour le lendemain. Elle marmonnait dans son coin et Elizabeth décida de ne pas la déranger.

~

Cette nuit-là, Elizabeth eut toutes les peines du monde à trouver le sommeil. Son sommeil fut peuplé des visages de son père et du Commodore, à nouveau, tous deux furieux contre elle pour avoir décidé de partir vivre sa vie seule sans leur en avoir parlé...

La jeune femme se réveilla en sursaut à cause d'un bruit sourd au-dessus de sa tête et soupira en entendant un solide juron. Elle se tourna de l'autre côté et se rendormit, l'aube n'étant même pas encore levé.
Un peu plus tard, un autre bruit sourd la réveilla mais cette fois-ci, c'était June qui lui signifiait qu'il était l'heure de se lever. Elizabeth jeta donc un œil par le hublot de sa chambre et grimaça : le ciel rosissait à peine...

S'asseyant au bord de sa couchette, la jeune femme se frotta les yeux et soupira. Elle avait voulu partir à l'aventure, elle allait être servie...

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Dernière modification le 27/07/2020

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