Chapitre 6

Elizabeth déposa son sac en toile sur son ancien lit et regarda autour d'elle. Elle soupira. Elle avait tellement aimé cette chambre avant que...
On toqua contre la porte et la jeune femme se retourna. Une domestique entra avec du linge sur un bras et Elizabeth secoua la tête.

— Je n'ai pas besoin de Camériste, merci, dit-elle.
— Comment allez-vous vous habiller ? demanda la jeune fille, surprise.
— Seule, comme tous les matins depuis plus d'un an. Allez, du vent.

La domestique, âgée d'environ seize ou dix-sept ans, baissa le nez, hésitante, puis tourna les talons et referma la porte de la chambre.
Elizabeth savait que c'était son père en personne qui avait envoyé cette fille, sans doute dans l'espoir de lui faire reporter ces belles toilettes françaises, mais Elizabeth n'avait aucune envie de redevenir une poupée de porcelaine. Elle avait trouvé ce qu'elle voulait être, elle aimait la vie au grand air des pirates, grimper dans les haubans, faire des nœuds avec des cordes plus épaisses que ses poignets... Pour rien au monde telle ne reviendrait vivre ici, à Port-Royal, après avoir goûté à une telle liberté.  Y passer quelques jours pour s'éloigner un peu de tout ça et retrouver son père, oui, mais pas revenir y vivre.

Avec un soupir, Elizabeth rangea sa tenue supplémentaire dans le premier tiroir de la commode et quitta ensuite la chambre après s'être un peu débarbouillée. Elle retrouva son père dans le grand salon, en train de lire, une tasse de thé près de lui. Quand il leva les yeux pour la regarder, la jeune femme sut aussitôt qu'il allait lui faire un reproche.

— Pourquoi garde-tu ces vêtements d'homme ? demanda-t-il. La Camériste n'est pas venue t'aider ?
— Si, mais je l'ai renvoyée, répondit Elizabeth.
— Quoi ? Pour quelle raison ?
— Je n'ai pas l'intention de reporter ces horribles corsets français et ces robes façon meringue, Papa. Je suis désormais la femme d'un pirate, d'un Seigneur Pirate, et c'est ce que je veux être.

Le Gouverneur Swann avala sa salive et fronça ensuite les sourcils.

— Par femme, tu entends...? demanda-t-il, un peu hésitant.
— Femme, Papa, répondit Elizabeth.

Son père prit une teinte de lait caillé et dodelina de la tête. C'était bien entendu un odieux mensonge, car Jack et elle n'avaient pas encore couché ensemble, mais Elizabeth, même si elle faisait du mal à son père en agissant ainsi, savait qu'elle devait user de toutes ses cartes pour ne pas qu'il la fasse de nouveau enfermer.

— Et tu... vous... hésita le Gouverneur.
— Je voudrais bien, oui, répondit Elizabeth en s'asseyant dans un fauteuil près de son père. Mais je n'ai pas envie de rester à Tortuga pendant trois ans car Jack ne veut pas de son fils à bord du Pearl.

Weatherby déglutit bruyamment. Apparemment, l'idée que sa fille puisse avoir un enfant avec un pirate lui était difficilement concevable.

— A ce propos, ce pirate sait-il que tu ne peux en avoir ?
— Papa, je vous ai déjà dit que c'était un mensonge, vous l'avez démasqué...
— Oui, mais... Non, oublie ce que je viens de dire, ce n'était qu'une vaine tentative pour...

Le Gouverneur soupira par le nez et se tut. Elizabeth esquissa un sourire attendri puis se mordit la lèvre.

— Papa, n'aimez-vous pas me voir heureuse ? demanda-t-elle.
— Si, bien sûr que si, mais tu es une jeune femme de bonne famille, tu aurais dû être heureuse avec le Commodore Norrington... répondit Swann. Pourquoi cela n'a-t-il pas fonctionné ? Pourquoi t'es-tu entichée de ce pirate ? Même si tu avais épousé Will Turner, j'aurais été content, ma fille...
— Will a été mon meilleur ami, Papa, et pourtant, je ne l'ai pas vu depuis des années, répondit Elizabeth. A-t-il écrit pendant que j'étais sur le Pearl, ou à Londres ? Vous a-t-il parlé ?

Swann secoua la tête.

— Non, il est toujours en ville, chez son Maître Forgeron, qui est décédé il y a quelques mois, répondit-il. J'imagine qu'il n'a plus le temps de s'occuper des autres.
— Pensez-vous que je pourrais aller lui rendre visite ?
— Et pourquoi pas ? Mais défends-toi de le recruter ! Il n'est pas question que le nouveau Maître Forgeron de Port-Royal passe à l'ennemi !

Surprise, Elizabeth se redressa, mais elle ne répondit rien. On s'annonça alors à la porte d'un raclement de gorge et la jeune femme regarda le serviteur avec étonnement.

— Mademoiselle, une visite, dit-il sur un ton ampoulé.

La jeune femme haussa un sourcil avant de s'excuser et de quitter le salon. Le Majordome la laissa gagner l'entrée de la maison seule, non sans la regarder de haut au passage, puis il tourna les talons et retourna vaquer à ses occupations.
Un peu surprise par la froideur de l'homme qui l'avait vue grandir, Elizabeth se pencha par-dessus la coursive et sourit.

— Jack !

Le pirate, qui faisait tache dans l'entrée de marbre, pivota sur un pied puis leva la tête.

— Ah ! s'exclama-t-il. Je vous trouve enfin, Madame Capitaine !

Elizabeth rigola et le rejoignit. Sans se soucier des regards des serviteurs entassés dans les portes des pièces adjacentes, elle sauta au cou du Capitaine pirate en rigolant et il la serra dans ses bras.

— Vous prenez de gros risques en venant ici seul, mon ami... souffla-t-elle en reculant.

Jack sourit et l'embrassa. Il y eut un bruissement indigné autour d'eux et Elizabeth tourna la tête.

— Vous n'avez donc pas de travail ?! demanda-t-elle, mauvaise. Du vent, bande de voyeurs !

Aussitôt, servantes et valet filèrent et Jack dodelina de la tête.

— Allons, ma chère, ne soyez pas aussi dure avec eux, répondit-il. Ce ne sont que des simples d'esprit qui n'acceptent pas la différence.

Elizabeth soupira. Elle s'éloigna de Jack et croisa les bras sur son corset de cuir noir. Elle portait une chemise autrefois blanche, à larges manches, un pantalon de cuir et des bottes lacées jusqu'aux genoux. Jack s'approcha d'elle et glissa ses mains sur sa taille.

— Lizzie... Qu'est-ce qui se passe, ma beauté ? demanda-t-il, soudain inquiet. Vous semblez bien triste...
— Non, je ne suis pas triste, je suis tiraillée, répondit la jeune femme en pivotant.

Elle posa ses mains sur les épaules du pirate et joua avec le col de sa chemise un moment, silencieuse.

— Mon père est triste de me voir avec les pirates, dit-elle alors. Il ne comprends pas pourquoi je préfère une vie à vos côtés plutôt qu'auprès d'un homme de bonne famille comme le Commodore...
— Je vous avouerai que moi non plus, je ne comprends pas, répondit Jack. Vous êtes une fille de bourgeois, une fille bien élevée, vous savez lire et compter, et pourtant, vous êtes avec moi, vous êtes heureuse sur le Pearl et vous ne semblez avoir qu'une envie, y retourner.

Elizabeth fit la moue et souffla par le nez. Elle embrassa le pirate du bout des lèvres puis il la prit dans ses bras et posa son menton sur sa tête. Il avisa alors le Gouverneur Swann sur la coursive supérieure et l'homme inclina le menton avant de se détourner. Jack serra les mâchoires.

— Lizzie, dit-il alors en la repoussant. Votre père veut me voir...
— Quoi, comment ça ? Mais quand... ?
— Là, à l'instant, il était sur la coursive... Écoutez, vous allez retourner dans votre chambre et je vous y rejoindrai quand mon entretien avec le Gouverneur sera terminé.
— Jack, je vous en conjure, n'ayez aucun mot malheureux... supplia alors Elizabeth.

Le Pirate esquissa un sourire et posa son index sur les lèvres de la jeune femme.

— Allons, pourquoi serais-je maladroit avec le père de ma femme ? demanda-t-il. Votre avenir sur mon bateau dépend de lui, et j'espère qu'il est à même de comprendre que le bonheur de sa fille doit passer avant tout le reste, peu importe ce qu'elle a choisi comme vie.
— Si vous choisissez les bons mots, il comprendra, répondit Elizabeth. Je... Je vais aller en ville, pendant que vous discutez.
— En ville ? Où donc ?
— Je vais aller dire bonjour à mon meilleur ami, ou du moins à celui qui l'était avant que je ne parte... Will Turner ?
— Connais pas. Bon, soyez prudente et nous nous retrouvons à la taverne.

Elizabeth sourit. Jack l'embrassa de nouveau puis il leva la tête vers le sommet de l'escalier de marbre et souffla bruyamment.

— Allez, vieux ! C'est pas le moment de se dégonfler ! s'encouragea-t-il.

Elizabeth rigola et le regarda ensuite monter les marches deux à deux en tintinnabulant à cause de toute la quincaillerie qu'il transportait. Il disparut ensuite dans une pièce et la jeune femme baissa le nez. Elle pivota et demanda à ce qu'on lui apporte son manteau...

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