Chapitre 25
Jack tournait en rond dans son bureau. Il faisait nuit noire, il n'avait pas dîné, et la lettre d'Elizabeth le narguait toujours, posée sur ses papiers...
Ça faisait trois heures, trois heures qu'il était là, à regarder cette foutue lettre, à la prendre, à la regarder devant une bougie, à la cacher, à la poser plus loin...
Soudain, avec un grognement agacé, il s'en empara et décolla le sceau de cire déjà brisé. Il déplia le parchemin et entreprit de le lire à la lueur de quelques bougies.
Au fur et à mesure de sa lecture, il fronça et haussa les sourcils, plissa le nez, grimaça... Pour enfin poser la lettre sur le bureau et se cacher le visage dans sa main en gémissant.
— Mais quel crétin... Quel crétin tu fais, Capitaine Jack Sparrow!
Il s'écroula sur son bureau puis se redressa en soupirant. Sous ses yeux, la lettre du Gouverneur Swann était courte, mais concise. Il répondait à sa fille qui semblait, si on lisait entre les lignes, le supplier de l'épargner. Mais apparemment, papa Gouverneur ne semblait pas d'accord pour que sa fille, qui avait "déserté", s'en tire à si bon compte...
— Le couvent...
Jack soupira et se frotta vivement le visage. Il regarda le plafond, les doigts accrochés à ses joues puis soupira bruyamment.
— Soit elle rentre et fini sa vie dans un couvent en Angleterre... Soit elle reste avec moi et elle perd tout... Quel dilemme...
Jack relut la lettre encore une fois et soudain, sentit une présence. Il leva la tête et Anamaria s'approcha doucement, enroulée dans une robe de chambre bleue.
— Alors ? demanda-t-elle doucement.
— Alors il y a que je suis un crétin, répondit Jack.
— Tu crois ?
Le ton n'était même pas railleur, mais Jack grimaça quand même. Il souffla et s'appuya contre son dossier.
— Pourquoi a-t-elle choisi de rentrer ? demanda-t-il. Ana, elle... elle ne m'aime plus ?
Anamaria baissa la tête et s'approcha du bureau. Elle prit la lettre, la parcourut rapidement puis pinça les lèvres.
— J'imagine qu'elle aime son père plus que toi, ce qui est normal, mais je pense aussi qu'elle est terrifiée à l'idée de tout perdre... Ce qui fait de cette fille Elizabeth Swann, c'est son nom, Jack... "Swann" sera toujours lié au pouvoir, au Gouverneur de Port-Royal... Même s'ils le remplacent, Monsieur Weatherby Swann sera toujours associé au titre de Gouverneur dans la tête des gens... Si Elizabeth perd tout ça, par amour pour toi, elle sera qui ? Lizie, la femme du Capitaine Jack Sparrow ? J'ai peur que ça ne lui suffise pas, Jack...
Anamaria secoua la tête.
— Je dois faire quoi, Ana, selon toi, alors ? demanda alors Jack. Si je la laisse partir, je ne pourrais plus la récupérer parce qu'elle sera en Angleterre, bouclée à double tour dans un couvent lugubre jusqu'à ce qu'elle soit trop vieille pour aller où que ce soit toute seule...
— Mais si tu lui demande de rester, elle risque d'accepter, répondit Ana. Parce qu'elle t'aime et qu'elle ne voudra pas te briser le cœur. Cependant, elle a pris sa décision, Jack, et j'ai peur que tu ne puisses rien faire pour la faire changer d'avis..
— Ana...
Anamaria leva les mains.
— Je ne peux rien faire pour toi, Jack, dit-elle. Je ne suis qu'un marin, l'amie de Lizie, certes, mais c'est à elle seule de choisir si elle s'est suffisamment "amusée" pendant un mois ou si elle prend le risque de continuer en sachant qu'elle risque de perdre tout ce qu'elle a toujours connu.
Jack montra les dents puis soupira et fit signe à la jeune femme de s'en aller. Ana haussa les épaules et tourna les talons. Elle retourna dans sa petite cabine, à fond de cale, où seulement les quatre nouveaux marins dormaient profondément, et, une fois dans son lit, elle soupira.
Pas plus que Jack elle avait envie de voir partir Elizabeth, elle avait appris à l'apprécier au fil des jours, mais que faire ? C'était à elle que revenait la décision finale. Il était toujours possible de tenter de l'influencer, mais en faisant quoi ? Des promesses en l'air ? Elle se rendrait rapidement compte que la vie de pirate, ce n'est pas si sympa que ça... On est mal payés, on mange ce qu'on a, on attrape des maladies que les gens civilisés n'ont pas eues depuis des années... On peut aussi mourir en mer et disparaître sans laisser de traces avant que la mer, dans sa clémence étrange, ne rejette votre corps gonflé sur une plage quelconque, à la merci des mouettes et des crabes...
Anamaria soupira et se tourna de l'autre côté en se disant que de toute façon, quoi qu'ils fassent, Elizabeth finira par rentrer un jour ou l'autre, et que si ce n'est pas demain, ce sera la fois d'après.
~
Elizabeth dormit très mal cette nuit-là et se réveilla à plusieurs reprises en sursautant, sans savoir pourquoi. Tout ce dont elle se souvenait c'était qu'il y avait Jack, des Sœurs, des pirates, son père, Anamaria et Will... Tous apparaissaient aléatoirement dans ses songes en lui parlant ou en lui criant dessus si bien qu'elle était réveillée, yeux grands ouverts, quand l'aube se pointa et qu'un crieur de journaux hurla dans la rue...
Agacée, la jeune femme décida de se lever. Elle s'habilla et quitta la taverne en laissant un mot sur la porte de sa chambre pour Gibbs.
Arrivée sur le seuil, elle frissonna. Le soleil se levait à peine, il y avait peu de personnes dehors et l'air était humide et salé. Un soupir d'Elizabeth envoya un long jet de vapeur et elle resserra son manteau autour d'elle. Elle entreprit ensuite d'aller marcher, pour chasser les réminiscences de ses rêves.
Au détour d'une maison, cependant, elle s'arrêta net. Devant elle, amarré le long du quai, se dressait le Black Pearl, sa coque noire recouverte de rosée. Ses immenses voiles noires étaient soigneusement repliées le long des traverses et seuls les cordages ondulaient dans la brise marine.
Elizabeth regarda l'immense navire et déglutit. Elle avait envie de monter à bord, elle avait envie regarder le paysage depuis son pont, elle avait envie de retourner dans sa cabine où elle avait tout laissé...
— Lizie... ?
Elizabeth se figea et se mordit les lèvres. Elle se retourna alors lentement et fit face à un Jack plutôt décontenancé.
— Je... Je ne reste pas, dit la jeune femme en se détournant.
— Non !
Elizabeth se crispa.
— Non... Elizabeth, attendez... Attendez...
Elizabeth avala sa salive et baissa le nez. Elle observa le sol un moment puis renifla et se tourna vers le pirate.
— Quoi que vous allez dire, je... commença-t-elle. J'ai pris ma décision.
Jack serra les mâchoires. Il avait quitté le Pearl pour aller commander une cargaison de Rhum et il revenait de chez le marchand. Il n'avait pas imaginé une seule seconde tomber sur Elizabeth en revenant, et encore moins qu'elle soit entre le Pearl et lui...
— Elizabeth, je...
Il se racla la gorge et glissa ses pouces dans sa ceinture. Il se dandina un moment, d'un pied sur l'autre puis souffla.
— Écoutez, Lizie, je crois qu'on a mal fait les choses... dit-il alors. Je... Tout d'abord, je suis désolé de vous avoir crié dessus et chassée du Pearl, mais...
Il serra les doigts et porta son poing à son front.
— Ne vous cherchez pas une excuse, Jack, dit Elizabeth. Je... J'aurais sans doute réagi de la même façon. De plus, c'était mérité.
— Ah ? Mais non, je suis un triple idiot, je...
Jack grimaça.
— Je... Elizabeth, j'ai lu la réponse de votre père. Avant de vous énerver... C'est Anamaria qui a insisté... Elle... Elle est allée la chercher dans votre cabine, elle a insisté pour que je la lise et...
Jack haussa les épaules de façon désordonnée.
— Je suis un triple idiot, Elizabeth... dit-il. Si je vous avais laissé une chance de m'expliquer l'affaire, on n'en serait pas là et...
Il la regarda et la montra de sa main de haut en bas en se détournant.
— Et vous seriez pas sur le point de rentrez à Port-Royal.
Il s'éloigna et Elizabeth resta silencieuse. Le grincement d'un volet qu'on ouvre troubla le silence un instant et Elizabeth regarda la femme à sa fenêtre qui lui adressa un bonjour de la tête avant de rentrer et de refermer la fenêtre.
— Je vous aime, Jack, dit alors Elizabeth. Mais ma famille passe avant... le reste.
Jack carra les épaules et tourna la tête vers la jeune femme.
— Si je veux vous garder auprès de moi, je dois faire quoi ? demanda-t-il. Vous épouser ?
Elizabeth baissa le nez et regarda la bague à sa main droite. Jack l'imita puis soupira.
— Si je vous laisse rentrer à Port-Royal, votre père va vous envoyer en Angleterre dans un couvent d'où vous sortirez les pieds devant, grimaça-t-il. Si vous restez près de moi, il vous déshérite... Je comprend votre dilemme, mais vous n'avez pas bravé votre père pour être ici, en premier lieu ?
— Si, mais je ne pensais pas vous retrouver aussi facilement... répondit la jeune femme. Je ne pensais pas tomber sur le Pearl après seulement trois semaines de voyage...
— Admettons que ça n'ait pas été le cas, vous auriez fait quoi ? demanda Jack.
Elizabeth pinça les lèvres.
— Je serais allée en Espagne. J'aurais inventé une histoire pour le retard et personne ne serait en galère...
Jack déglutit puis plissa le nez.
— Vous êtes la meilleure chose qui me soit arrivé, Elizabeth, dit-il. Je n'avais pas imaginé que vous vous enticheriez de moi après que je vous aie sauvé la vie, et encore moins que vous tentiez de me retrouver. Et j'avoue sans honte qu'au début, je ne pensais pas que cette histoire était sérieuse.
Elizabeth esquissa un sourire. Jack reprit :
— Vous êtes une fille simple, Lizie, et c'est que j'aime chez vous. Vous ne vous prenez pas la tête... Alors qu'une autre bourgeoise prendrait ses jambes à son cou à la vue d'un marin saoul qui déblatère des obscénités...
— En effet... dit Elizabeth. Je le remettrais à sa place et l'enverrais cuver ailleurs...
Jack sourit. Son sourire se décrocha presque aussitôt et il soupira.
— Vous reviendrez ? demanda-t-il.
Elizabeth sourit et hocha la tête. Jack la regarda par en-dessous et la jeune femme se mordit la lèvre. Soudain, elle tendit les bras et Jack la regarda avec un air étonné.
— Avant que je change d'avis, dit la jeune femme.
Jack ne se fit pas prier. Il la saisit à bras le corps et la serra contre lui en enfouissant son visage dans son cou. Elizabeth le sera contre elle et soudain, fondit en larmes. Jack recula aussitôt et lui prit le visage entre ses mains.
— Un an, dit-il. Dans un an, je viens vous chercher, où que vous soyez.
Elizabeth secoua la tête.
— Impossible... Je serais sans doute...
— Enfermée dans un couvent ? Alors je ferais sauter le mur et je vous enlèverai. Je... J'irais supplier le Gouverneur pour qu'il vous relâche. Je lui donnerai tout ce qu'il demande pour vous avoir en échange...
Elizabeth sourit puis rigola. Elle se dégagea des mains de Jack et les prit dans les siennes.
— Je vous aime tellement... souffla-t-elle. Je n'avais jamais éprouvé de tels sentiments pour qui que ce soit avant...
Jack sourit doucement. La jeune femme lui caressa la joue doucement et il déposa un baiser dans sa paume. Il s'appuya contre sa main et ferma les yeux.
— Un an, dit alors Elizabeth. Promis ?
— Oui, chérie... Et le Capitaine Jack Sparrow...
— Tient toujours ses promesses !!
Elizabeth et Jack sursautèrent et regardèrent autour d'eux. L'équipage du Pearl était la, planté sur le quai, une partie derrière Jack, le reste derrière elle. Soudain Elizabeth pouffa et Anamaria vint la prendre dans ses bras.
— On va te ramener à Port-Royal, dit-elle. Et on ira ramper devant le Gouverneur s'il le faut.
— Il vous fera arrêter...
— Eh ben comme ça, on sera tous enfermés en même temps ! rugit Gibbs en rigolant.
Les autres marins hochèrent la tête tous ensemble et Elizabeth sourit, émue.
— Nous aussi on l'aime notre bourgeoise, dit alors Anamaria en souriant. Et tu as ta place sur le Pearl, quoi que tu en penses.
— Merci, Ana...
— De rien... Madame Capitaine !
Elizabeth regarda son amie de travers puis se mit à rire et Jack la prit dans ses bras.
— Allez, bande de gueux ! s'exclama-t-il soudain. Au boulot, vermine ! Le Black Pearl ne va pas naviguer tout seul !
Les neuf marins s'égaillèrent aussitôt et il ne resta plus que Jack et Elizabeth sur le quai.
— Venez, dit-il. Je vous offre le petit-déjeuner.
— C'est très gentil, Jack...
Elizabeth sourit et l'embrassa sur la joue une longue seconde puis le pirate passa son autour de ses épaules et l'entraina vers la ville.
Le lendemain, le Black Pearl reprenait la route en direction de Port-Royal et, étrangement, Elizabeth avait beaucoup moins peur d'affronter son père...
FIN PARTIE 1
Dernière modification le 06/08/2020
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