Chapitre 24

Elizabeth s'écroula contre une fontaine et haleta. Elle était hors d'haleine, elle avait couru comme jamais de sa vie. Quand Jack lui avait hurlé dessus, elle avait éprouvé une peur viscérale, une chose qu'elle n'avait jamais ressentie encore, même quand, lorsqu'elle avait dix ans, ils avaient croisé les restes d'un à bordage où les cadavres flottaient un peu partout au milieu des débris d'un gros bateau de commerce...

Prenant de l'eau dans sa main, Elizabeth s'aspergea le visage pour chasser ses larmes et se rafraichir. Elle se frotta les joues, le souffle court, et se regarda alors dans la surface de l'eau.

DEHORS ! DEHORS ! DEHORS !

Elle ferma les yeux et serra les mâchoires. Jack avait fouillé dans ses affaires, il avait retourné ses papiers, ses lettres, son journal... L'avait-il lu ? Non, sans doute pas, mais pouvait-elle encore croire cet homme qui avait eut l'idée d'aller vérifier pourquoi elle lui avait dit vouloir partir ? En avait-il eut l'idée tout seul, seulement ?

Anamaria ne m'aurait pas trahie... Elle ne lui aurait rien dit, non... songea Elizabeth en serrant les paupières.

Peut-être que Jack lui mentait depuis le début, peut-être qu'il jouait avec elle et que le fait de violer ainsi sa vie personnelle était une excuse pour la chasser ? Non... Non, c'était peut-être un pirate, mais c'était un homme gentil, certes avec des manières qui laissaient à désirer, mais il était gentil avec elle, et il lui avait dit qu'il l'aimait des dizaines de fois... On ne dit pas qu'on aime une personne si on prévoit de lui faire du tort par la suite, si ?

Elizabeth soupira et s'assit au bord de la fontaine. Il faisait nuit noire maintenant et, tâtant ses poches, elle réalisa qu'elle avait perdu la lettre de son père dans sa course à travers la ville. Elle regarda autour d'elle. Qu'allait-elle maintenant ? Elle n'avait pas assez d'argent pour rentrer à Port-Royal en tant que passagère d'un navire, et elle n'avait aucune envie de se faire de nouveau embaucher...
Elle songea alors à ce qui l'avait conduite à se retrouver là, toute seule, de nuit, le cœur brisé et sans savoir où dormir.

La première fois qu'elle avait écrit à son père, la veille du départ du Black Pearl, n'ayant pas oublié qu'elle devait se trouver en Espagne, elle avait menti éhontément en lui disant que sa cousine était très accueillante, qu'elle était bien installée, qu'elle aimait beaucoup l'Espagne, etc... Lors de la réponse de son père, celui-ci lui avait demandé des nouvelles d'une dénommée Tante Anies et la jeune femme avait répondu qu'elle allait bien et qu'elle lui envoyait ses salutations... C'était avant d'apprendre que la tante Anies en question était morte des mois plus tôt... Le Gouverneur Swann avait alors compris que sa fille lui mentait, qu'elle n'était pas en Espagne, et il avait exigé de savoir où elle était. Incapable de lui mentir encore une fois, elle lui avait raconté toute l'histoire...

Aujourd'hui, le Gouverneur de Port-Royal exigeait qu'elle rentre et qu'il s'occuperait de son cas une fois qu'elle serait à la maison, mais Elizabeth, même si elle savait pertinemment qu'elle allait être envoyée en Angleterre, sous étroite surveillance d'une personne de confiance du Gouverneur, pour finir sa vie dans un couvent, avait quand même eut le choix : celui de rentrer et d'accepter sa peine, et celui de rester auprès de Jack et de ses pirates et d'être déshéritée, de perdre nom, famille et fortune, sans aucun moyen de les regagner par la suite...

La décision avait été dure, mais après quelques heures de réflexion, elle avait fait son choix. Elle préférait perdre un homme plutôt que de tout perdre et de se retrouver seule au monde...

Passant ses mains sur ses joues, Elizabeth soupira. Soudain, un frisson lui descendit dans le dos et elle se retourna, la main sur le couteau qu'elle avait à la ceinture.

— Gibbs... soupira-t-elle, soulagée. Qu'est-ce que vous fichez ici ?
— Je vous cherchais... Vous courrez vite, vous savez ?

Elizabeth secoua la tête. Un parchemin se présenta alors devant son visage et elle reconnut la lettre de son père. Elle leva les yeux vers Gibbs qui s'accroupit sur le sol en face d'elle.

—  Je l'ai trouvé au pied de la passerelle... dit-il en ramassant un caillou. Jack l'a lue ?
— Oui... Et vous ?

Gibbs hocha la tête.

—  Écoutez, Lizie, je comprends que vous puissiez croire que vous n'avez pas votre place sur le Pearl, et c'est normal de croire ça quand on n'est pas pirate, ni même marin, mais je dois avouer que je me suis habitué à avoir deux femmes à bord, et que ça change...

Elizabeth renifla et se passa le dos de la main sous le nez.

—  Vous ne comprenez pas, dit-elle alors. Je n'ai pas le choix... Je dois rentrer à Port-Royal... Je dois abandonner Jack, quoi que cela m'en coûte...
—  Pourquoi ? Expliquez-moi... Qu'est-ce qui est plus important que Jack, Lizie ?

Elizabeth ferma les yeux. Elle se mordit la lèvre et soupira alors profondément.

— Mon père m'a donné le choix, dit-elle alors. Le choix de rentrer et de finir ma vie dans un couvent en Angleterre...
— Contre quelle autre option ? demanda Gibbs, sceptique.

Elizabeth le regarda.

— Finir ma vie dans un couvent... dit-elle. Ou bien tout perdre, nom, titre, famille, argent, et me retrouver à la rue comme une clocharde sans rien ni personne pour m'aider, acheva-t-elle.

Gibbs grimaça. Il jeta son petit caillou et soupira.

—  Quel choix cruel, dit-il. Mais Jack n'est-il pas plus important qu'un titre, que de l'argent, un nom ?
— Je ne sais pas... Je ne sais pas, Gibbs...

Elizabeth ferma les yeux et un larme glissa sur sa joue. Gibbs se leva alors et la fit lever. Il l'entoura de son bras et l'entraîna à travers la ville jusqu'à la taverne où l'équipage avait loué des chambres.

~

— Tu l'as chassée ?

Jack serra les mâchoires.

—  Tu voulais que je fasse quoi d'autre, Ana ? cingla-t-il, mauvais.
— L'écouter, merde ! répliqua Ana en serrant les poings. Tu ne lui a laissé aucune chance de t'expliquer la raison de sa décision !
— Je me fiche de sa raison ! répondit Jack, les dents serrées. Tout ce que je vois c'est qu'elle a prit son pied pendant un mois et que maintenant que papa Gouverneur veut qu'elle cesse de s'amuser et qu'elle rentre, elle rapplique sans demander son reste !

Anamaria grimaça.

—  Alors c'est ça ? dit-elle. Tu crois vraiment qu'elle... Tu crois qu'elle obéit à son père, comme ça ?
— C'est quoi, selon toi, l'autre explication ? grinça Jack.

Anamaria passa sa langue sur ses lèvres puis posa ses mains sur ses hanches. Elle soupira et regarda vers la cabine d'Elizabeth.

—  Pas question que j'y retourne, répondit Jack au regard de la jeune femme. Pourquoi d'abord ?
— La lettre que tu as lue, dit Anamaria. Elle a une réponse... Lizie a répondu à son père et il lui a répondu à son tour, elle l'a reçu avant-hier...
— Et alors ?
— Dans cette réponse, le Gouverneur explique tout...

Jack secoua la tête, sourcils haussés, et agita la main vers la cabine d'Elizabeth.

— Vas-y toi, dit-il. Moi je me suis déjà fait engueuler, ça suffit. D'ailleurs, c'est sur ton encouragement que je suis entré dans sa chambre.
— Parce que tu l'aurais laissée partir sans savoir.

Jack se renfrogna. Anamaria soupira puis se rendit dans la chambre d'Elizabeth et revint quelques minutes après avec une lettre.

— Tiens, dit-elle. C'est la réponse du Gouverneur Swann. Lizie m'a dit ce qu'elle lui avait répondu, mais elle n'a pas gardé de copie de la lettre. Dommage...
— Tu t'en souviens ?
—  Oui, mais lis d'abord ça et après je t'expliquerai. Viens me voir quand t'as fini, je suis avec les nouveaux... Enfin, si tu veux toujours savoir.

Jack grimaça et regarda la lettre posée sur son bureau. Soudain, dans un élan de colère, il la prit et la balança à travers la pièce. Le parchemin rigide heurta la bibliothèque et tomba sur le sol avec un bruit mat. Il la regarda puis jeta une jambe sur l'accoudoir du fauteuil et tourna le dos à la lettre en enfonçant son poing dans sa joue. Il grommela, marmonna dans sa barbe et soudain, jura et se leva.

— Foutues bonnes femmes ! grogna-t-il en contournant son bureau.

Il disparut dans sa cabine en claquant la porte, mais elle s'était à peine refermée qu'il ressortait à grands pas. Il alla ramasser la lettre et retourna s'asseoir à son bureau, se vautrant lourdement dans le fauteuil qui grinça de mécontentement.
D'un geste trahissant l'indécision, les lèvres serrées, Jack tapota le bureau de l'index, produisant un bruit ô combien agaçant qui résonnait dans la pièce vide.

Pom, pom, pom, pom...

Il regardait la lettre pliée comme s'il voulait la brûler du regard. Ou comme si elle allait lui sauter à la figure, ou bien encore se déplier et se lire toute seule...

Pom, pom, pom, pom...

Son index tapotant le bureau, il se passa l'autre main sur le visage et tira sur les tresses de sa barbichette. Il voulait lire cette lettre, il le voulait, mais si, après l'avoir lue, il réalisait qu'il avait été un abrutit fini en chassant Elizabeth du Pearl comme si elle était une malpropre ? Il n'avait aucune idée de comment se faire pardonner d'avoir crié sur elle...

Jack grimaça. Comment on se fait pardonner d'une femme, d'abord ? Il n'en avait aucune idée... Est-ce qu'elles pardonnaient, seulement ?
Avec un soupir, Jack décida de plancher sur ce sujet-là plus tard et uniquement si Elizabeth voulait encore de lui après ce qu'il avait fait...

~

— Elizabeth ?
— Entrez...

Gibbs poussa la porte de la chambre et entra avec un plateau sur une main. Il le déposa sur la table et regarda Elizabeth, couché sur son lit, tournée vers le mur.

—  Faut pas vous mettre Martel en tête pour ça, mon petit, dit-il. Jack, il est pas méchant, il sait crier, hein, vous l'avez remarqué, mais il est pas méchant... Je suis sûr que si vous vous parlez sincèrement, il vous autorisera à revenir sur le Pearl.

Elizabeth soupira profondément. Gibbs pinça les lèvres puis quitta la chambre. Il regarda Marty, dans le couloir et haussa les épaules.

—  A ton avis, s'est passé quoi pour qu'elle soit comme ça ? demanda le petit marin.
— Lizie a reçu une lettre de son père, il y a quelques semaines, dit Gibbs en s'éloignant avec Marty. Le Gouverneur a appris qu'elle n'était pas en Espagne et il lui a ordonné de rentrer à Port-Royal. C'est tout ce que je sais...
— Oh... Et le Capitaine, il a mal pris ça ?

Gibbs haussa les épaules.

— Il doit y avoir quelque chose d'autres mais Elizabeth est prostrée, elle refuse de parler et Anamaria est retournée sur le Pearl... répondit-il. De toute façon, on est coincés ici, faut réparer la bateau et former les nouveaux.
—  Des nouveaux ?
— Ouais, j'ai recruté quatre gars d'un autre bateau pirate... répondit Gibbs. Je connais leur Capitaine, il m'a fait un prix...

Marty haussa un sourcil puis les épaules et soupira.

— Je te l'avais dit, des bonnes femmes sur un bateau, c'est pas bien !

Gibbs grogna et Marty s'en alla plus loin rejoindre les autres membres de l'équipage du Pearl. Le Second regarda alors vers le haut de l'escalier et grommela. Des femmes marins, ça existe et elles sont considérées comme des hommes, mais Elizabeth est loin d'être un marin, et encore moins un pirate, et les femmes des pirates, en général, elles restent à terre...

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Detbiere modification le 06/08/2020

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