Chapitre 24
Dès l'instant où le Black Pearl fut repéré par les guetteur de Tortuga, une vive agitation inquiète s'était emparée d'une partie de ses habitants.
Debout au bord du quai, Thibault n'était pas épargné. Abandonné par ses parents adoptifs depuis plusieurs mois, il avait très peur que Jack revienne avec de mauvaises nouvelles, voire pas du tout.
— Il l'a trouvée, vous pensez ?
— Oui. S'il ne l'avait pas, il ne serait pas revenu. Allez, va te laver, tu veux ? Ils ne seront pas là avant au moins une heure.
Le jeune garçon hocha la tête et rentra dans la grande maison des Teague-Sparrow qui surplombait la baie des pirates. Laissé par son père aux bons soins de son grand-père, il n'avait pas eu une occasion de s'ennuyer ou de penser à ses parents en mer, mais désormais, il n'avait plus qu'eux en tête...
Au large, au même moment Elizabeth faisait son sac. Elle trépignait d'impatience à l'idée d'être enfin de retour à la maison, de retrouver son fils et d'espérer que ses galères cessent quelques temps. Elle savait que la vie qu'elle avait choisie ne serait jamais de tout repos, qu'elle allait s'inquiéter pour Jack, puis pour Thibault, à chaque fois qu'ils partiraient en mer, mais elle l'avait choisi, et c'était là toute la différence avec sa vie d'avant.
— Toc, toc.
Elizabeth pivota et Jack entra dans la chambre. Il s'appuya contre le montant du lit, les bras croisés, et pencha la tête.
— Qu'y a-t-il ? demanda la jeune femme.
— Rien, j'apprécie seulement la vue...
— Jack...
— Quoi ? Tu es une femme si belle, Lizzie... C'est une honte que tu aies été obligée de mentir pour te libérer du Commodore alors qu'un simple choix aurait pu régler toute l'histoire...
Elizabeth soupira.
— Je sais, mais il est facile de dire ce qu'on aurait pu faire à un tel moment dans le passé ; dis-toi qu'à l'époque je n'osais même pas regarder mon père dans les yeux...
— Ouais, c'est vrai. Et maintenant ?
— Il m'a reniée, donc si un jour nous tombons sur lui pendant une traversée, je pense que j'en serais capable. Ne serait-ce que pour le punir de m'avoir écartée de notre famille simplement parce que j'ai choisi mon futur.
Jack hocha la tête. Il annonça ensuite à sa compagne qu'ils seraient à Tortuga dans une heure et la laissa ensuite pour remonter sur le pont.
— Hâte de revoir ton môme ?
Jack pivota et sourit à Gibbs.
— Je n'avais pas pensé à lui depuis mon départ, mais je me rends compte maintenant que ça m'avait manqué de ne pas avoir quelqu'un qui m'attend à la maison...
— T'as ton père, pourtant...
— C'est pas pareil, c'est un seigneur pirate, il n'est pas un père normal... Et je parle pas de sa version grand-père...
— Il apprendra, tout comme tu apprendras à être un père et un mari.
Jack hocha la tête. La vigie annonça soudain qu'ils avaient été autorisés à jeter l'ancre dans la baie et le Capitaine alla prévenir Elizabeth qu'ils allaient débarquer sous peu, le temps aux douaniers de vérifier ce qu'il y avait dans la soute.
.
Sur le ponton de bois, Thibault ne tenait plus en place, sous les regards attendris des autres pirates. Derrière lui, Papa Teague était moins anxieux, un peu plus grave. Il avait vraiment peur que son fils ne revienne pas avec la petite, qu'il annonce qu'il l'avait perdue ou qu'elle était morte... Il fut tiré de ses pensées quand Thibault se mit soudain à sauter partout comme un cabri.
— Maman ! Maman ! Elle est là ! s'exclama-t-il.
Il agita les bras et, dans la chaloupe, deux bras se levèrent alors. Thibault tomba soudain sur les genoux et se mit à pleurer en appelant Elizabeth. Teague le releva et le hissa dans ses bras malgré ses treize ans passés.
— Il l'a retrouvée... souffla une voix. Je n'aurais jamais cru !
Teague opina. Quand la chaloupe du Pearl fut à portée de gaffe, des hommes la tirèrent jusqu'à un ponton à ras de l'eau. Teague posa alors Thibault sur le sol et quand Jack apparut au sommet de l'échelle permettant de poser le pied sur Tortuga, le jeune garçon se mit à sangloter.
— Pleure pas, cafard, je te ramène ta mère en un seul morceau, dit le pirate en se hissant sur le ponton.
Thibault l'entoura soudain de ses bras et Jack soupira en croisant le regard de son père. Il enlaca ensuite le jeune garçon qui se détacha de lui quand deux hommes saisirent Elizabeth par les bras pour la hisser sur le ponton. Elle posa le pied et tomba sur les genoux en voyant son fils ; celui-ci poussa alors un cri et se jeta dans ses bras en bramant comme un animal blessé.
L'assemblée fut immédiatement attendrie et les couples s'enlacèrent, émus. Les effusions d'affection étaient rares chez les pirates, beaucoup plus que les bagarres, et cela faisait du bien au cœur...
.
— Je suis tellement soulagé de te revoir entiere, ma fille !
Elizabeth sourit à Papa Teague qui la relâcha. Il repoussa une mèche de cheveux derrière son oreille et lui sourit doucement.
— Je me suis très bien occupé de ton fils, comme tu peux le voir, dit-il alors.
— Oui, et je vous en serais reconnaissante à jamais, Papa, répondit la jeune femme. Je sais qu'il est entre de bonnes mains, maintenant, je n'aurais aucun scrupule à vous le laisser quand nous partirons en mer.
— Tu vas déjà repartir ?! s'exclama soudain Thibault.
— Non, chéri, non ! s'amusa Elizabeth. Pas avant de très longs mois ! Tu m'as tellement manqué !
Elle le serra dans ses bras et il soupira avant de reculer.
— Installe-toi, dit alors Papa Teague. Une fois que tu seras reposée, nous commenceront à organiser le plus prestigieux mariage pirate de l'Histoire !
— Laissez-moi souffler quelques semaines, quand même ! s'esclaffa Elizabeth.
Thibault se mit à rire contre sa poitrine et elle le serra contre elle avec force. Elle le laissa ensuite pour aller ranger ses affaires, se laver un peu et surtout, se changer.
Quand elle posa le pied sur le palier à l'étage de la maison, elle tomba sur Jack qui sortait d'une chambre. Il lui décrocha un sourire.
— Je donnerai cher pour que tu aies le droit de partager mon lit officiellement, dit-il. Mais nous devons encore attendre d'être mariés.
— Tu sais, je suis surprise que les pirates respectent une telle étiquette. Elle est sacrément altérée par rapport à celle que je connais, mais elle est là.
— Et nous l'avons déjà esquintée en nous abandonnant l'un à l'autre, mais tant pis, répondit Jack. Tu es ma femme depuis bien des années, maintenant, Lizzie.
Elizabeth sourit doucement puis Jack la laissa se rendre dans sa chambre. Il la suivit du regard jusqu'à ce que la porte se referme et soupira avant de redescende au salon où il trouva son père et son fils.
— Alors, crapaud, content de retrouver ta mère ? demanda-t-il en se laissant tomber dans un canapé.
— Vous ne devriez pas être aussi nonchalant, Papa, répondit Thibault, les sourcils froncés. Vous avez passé des mois en mer pour la ramener, ce n'est pas rien...
Jack croisa le regard de son père et s'excusa silencieusement.
— Tu as raison, dit-il ensuite.
— As-tu confronté son kidnappeur ? demanda alors Papa Teague.
— Non. Mais je le ferais un jour, je le sais. Nous avons fait escale dans une île pour acheter de la nourriture et j'ai entendu parler de ce parvenu qui commercialise les hommes et les femmes pour son plaisir...
Thibault grimaça de dégoût.
— Elle a été malmenée ? demanda alors Papa Teague en lui jetant un regard.
— Pas que je sache. Elle a été affamée et maltraitée psychologiquement, mais pas physiquement, répondit Jack. Ce cochon avait interdit que quiconque la touche, qu'elle coûtait beaucoup trop cher pour qu'il la revendre abîmée. Il avait fixé son prix à 3000 Guinées !
Papa Teague grimaça violemment ; Thibault baissa les yeux. Il n'avait que treize ans, bientôt quatorze, même, mais il savait très bien ce que les gens sous-entendaient en parlant d'une femme "abîmée"...
— Papa... Elle va bien, c'est vrai ? Je veux dire...
— Elle est un peu esquintée, répondit Jack en posant une main sur la tête du jeune garçon. Elle a beaucoup maigri aussi, mais elle va bien, ne t'en fais pas, et elle ira encore mieux en étant ici, avec toi.
— Avec nous tous, renchérit Papa Teague. Elle m'a manqué aussi, beaucoup, et je me suis inquiété. J'étais prêts à lancer mes navires à votre recherche, tu sais ?
— Je me doute, oui... J'ai failli abandonner plusieurs fois, en me disant que je pourrais passer des années à la chercher sans jamais la retrouver, et finalement, j'ai eu de la chance.
— Comment vous l'avez retrouvée ? demanda Thibault.
— Tu ne vas jamais me croire... Par hasard !
Papa Teague haussa les sourcils.
— Allons donc...
— Je t'assure ! On faisait escale dans un port français. On avait passé le détroit de Gibraltar et on s'est arrêtés à Marseille, je crois, pour racheter des vivres quand j'ai entendu parler anglais. Je me suis approché, des fois que ce soit un corsaire, et là, j'ai vu homme bien mis. Je l'ai suivi, intrigué et il m'a rapidement grillé. Quand il m'a demandé qui j'étais, méfiant bien évidemment, j'ai décliné mon identité et j'ai dit que je cherchais ma femme qu'elle avait été enlevée par un marchand d'esclaves, je l'ai alors vu passer par toutes les couleurs... Là, il m'a dit qu'il avait un surprise pour moi sur son navire. Au début, je n'ai pas compris, je me suis méfié, puis j'ai fini par le suivre et en arrivant devant son navire, qui je vois au bastingage ? Ma femme, sur ce navire appartenant au roi de France... Je n'en revenais pas !
— Après six mois à la chercher partout, tu la retrouves en France... Faut le faire quand même !
Jack rigola en secouant la tête. Il regarda ensuite Thibault puis son père.
— Je l'aime tellement, Papa, si tu savais ! Je ne pensais pas être capable d'aimer à nouveau après la mort de Saramine, pourtant, me voilà, raide dingue d'une poule de ville qui a décidé de dire merde au monde et de vivre sa vie comme elle l'entend.
— Elles ne sont pas si rares, répondit Papa Teague. Mais en général, elles ont beaucoup moins de chance que la tienne ; la plupart du temps, elles finissent dans des lupanars.
Thibault plissa le nez. Il y avait plusieurs établissements de ce genre sur Tortuga et il avait même été approché par une des filles, un jour... Il avait filé sans demander son reste et en avait parlé avec son grand-père qui lui avait alors expliqué les choses...
— Quand faut-il prévoir la cérémonie ? demanda alors le vieux pirate.
— Pas avant plusieurs semaines, je dirais deux ou trois mois, répondit Jack. Les tempêtes d'hiver arrivent, personne ne pourr accoster à Tortuga et j'aimerai que son père puisse venir.
— Ça, ce n'est pas gagné... souffla Thibault.
— Non, c'est certain, mais il aime sa fille de tout son cœur et la marier devait sans doute être son but ultime.
— Elle a été mariée, répondit Papa Teague.
— À un homme qu'elle n'a pas réussi à aimer, répondit Jack. Et à qui elle a préféré mentir en disant être stérile pour ne plus avoir à le subir chaque nuit.
Thibault baissa le nez. Jack s'excusa puis soupira.
— Ne lance rien pour le moment, dit-il. Nous allons nous poser, elle doit se reposer et essayer de se remettre, ensuite seulement nous penserons à nous marier.
— Vous êtes officiellement fiancés, désormais, mais tu n'as pas pour autant le droit de l'approcher, répondit son père.
— Je sais, je sais, et je tiendrais encore, mais pas trop longtemps. N'oublie pas que cela fait bientôt quatre ans qu'elle m'est tombée dans les bras comme une feuille morte ! Quatre ans, tu te rends compte ?!
— A vrai dire non, pas du tout...
Jack soupira et se passa les mains sur le visage. Il s'excusa ensuite et quitta le salon ; Thibault observa son grand-père.
— Vous croyez qu'il tiendra ?
— De ? Oh, respecter Elizabeth ? Oui. C'est mon fils, Thibault, même si ça n'en a pas l'air; je le connais et je pense qu'il ne l'a touchera pas avant le mariage.
— Et si jamais ?
— Oh, ce n'est pas grave, personne n'est mort pour avoir embrassé la mariée avant le moment officiel ! s'exclaffa le vieux pirate. Le tout c'est qu'elle ne tombe pas enceinte avant, même s'ils sont fiancés.
— Et si jamais ? Ça fera quoi ?
Teague regarda le jeune garçon en haussant un sourcil.
— Tu poses trop de questions, lâcha-t-il. Va donc te préparer pour l'école.
— L'école ? Mais...
— Je t'avais dit que tu pouvais rester avec moi jusqu'à leur arrivée, c'est fait, alors maintenant tu files à l'école. De toute manière, il n'y a rien à faire ici pour le moment, ils vont dormir une bonne partie de la journée, et moi je dois m'occuper de mes navires. Tu ne peux pas rester tout seule à la maison, le personnel n'a pas le temps de s'occuper de toi.
Thibault plissa le nez puis obéit en grommellant et monta dans sa chambre se changer. Il redescendit quelques minutes plus tard et quitte à la maison sans un mot pour son grand-père qui lui donna une tape sur la tête quand il passa près de lui. Teague récolta une langue tirée comme réponse, sourit puis referma la porte de la maison...
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