Chapitre 22

Afin de pouvoir profiter du voyage, Adam et Elizabeth se virent offrir chacun une cabine sur le navire français. Carmen, Lydia et Robert semblaient ravis d'avoir de la compagnie autre que la douzaine de matelots du Roi, et Elizabeth passait aussi beaucoup de temps avec Lydia, ainsi qu'avec Adam qui était une sorte de bouée de sauvetage pour elle, une ancre, la seule personne qu'elle connaissait et qui savait ce qu'elle avait enduré.

Au fil des jours, puis des semaines, la jeune femme se rempluma et ses os ne furent bientôt plus visibles, elle récupéra une jolie poitrine et des hanches qui ne nécessitaient plus huit jupons pour qu'elle ne se fasse pas des bleus dès qu'elle frôlait quelque chose.
Ce soir-là, deux semaines après s'être enfuie des geôles de Manchesky, Elizabeth avait hâte de retourner à Port Royal. Elle savait que, de là, même si elle ne pourrait se rendre chez son père, elle aurait la capacité à envoyer un messager à Tortuga ou bien à prendre pied sur un navire pirate qui la ramènerait auprès de son fils.

— La côte française est en vue.

Sortant de ses pensées, Elizabeth tourna la tête vers Adam.

— Comment le savez-vous ?
— Je suis espagnol, fils de marchand, j'ai passé quasiment toute ma vie à naviguer le long de ces côtes, sourit le jeune homme, accoudé au bastinguage.

Il se redressa alors en soupirant et fit face à Elizabeth.

— Dans une semaine, je rentrerai chez moi, dit-il. Vous allez me manquer, Elizabeth.
— Je vous dirais bien de me suivre pour devenir un pirate, mais ce serait mal séant vis-à-vis de votre femme, ainsi que de Jack qui est un homme très jaloux.

Adam sourit. Il se pencha alors et embrassa Elizabeth sur la joue. Elle sourit doucement et lui prit la main un moment, pensive, avant de soupirer et de s'éloigner sans un mot de plus.

— C'est ce soir ou jamais, souffla alors un homme.
— Impossible, j'ai juré fidélité à ma femme...

Adam se tourna vers Robert qui sourit doucement.

— Parfois, la vie oblige à bafouer un peu les commandements de Dieu, et cela n'a jamais tué personne.
— Vous...?
— Non, jamais, Carmen me tuerait si elle apprenait que je l'avais trompée, ne serait-ce qu'en regardant une femme avec un peu trop d'insistance.

Adam sourit.

— Elizabeth est une femme magnifique, dit alors Robert. Quel dommage qu'elle ait décidé de gâcher sa vie auprès d'un pirate...
— Elle a fait son devoir, elle a épousé un homme de sa classe, mais Dieu ne les a jamais bénis alors elle a préféré rendre sa liberté à cet homme et aller tenter sa chance ailleurs. Elle n'a pas d'enfants avec le pirate et aspire à lui donner la famille dont il rêve depuis tant d'années... Si je couche avec elle, il se peut qu'elle tombe enceinte et je ne veux pas lui voler le bonheur d'avoir un bébé de l'homme qu'elle aime.

Robert demeura sceptique un moment.

— C'est un argument recevable, mais je n'ai jamais dit que vous deviez coucher ensemble; passez la nuit l'un avec l'autre, profiter des quelques jours qu'il vous reste, vous ne vous reverrez peut-être jamais...
— Je ne pense pas en avoir le droit...

Robert haussa les épaules et disparut ensuite dans les ombres du pont plongé dans le noir. La lune était cachée par de gros nuages, rendant la nuit encore plus sombre et oppressante que d'habitude.
Adam soupira. Il observa les matelots du navire vaquer à leurs occupations vesperales et, quand Elizabeth effleura son esprit, il grogna et disparut dans la cale.

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Allongée sur son lit, sous ses couvertures, Elizabeth lisait à la lueur d'une lampe à pétrole. La flamme vacillait au gré du roulis et quand elle entendit toquer contre la porte de la chambre, elle leva les yeux et fit entrer.

— Adam ? s'étonna-t-elle. Que se passe-t-il ?
— Rien de grave, ne vous en faites pas, mais j'ai repensé à notre discussion de ce soir... Dans quelques jours, nous serons chez moi et je quitterai ce navire sans me retourner. Nous ne nous reverrons sans doute plus jamais et...

Il se tut et Elizabeth se mordit la lèvre. Elle avait songé à ce jour pendant tout le voyage. Cet homme et elle avaient tissé un lien en très peu de temps, ils s'appréciaient beaucoup l'un l'autre et, refermant son livre, Elizabeth le déposa sur la table de chevet puis elle se décala légèrement au bord de la couchette étroite en tapotant les couvertures.

— Venez, dit-elle.

Adam hésita. Il jeta un coup d'œil dans le couloir, mais Carmen et Lydia dormaient depuis longtemps ; quant aux matelots et à Robert, ils étaient de garde pour la nuit et somnoleraient sur le pont.

— Adam...
— Que Dieu me pardonne !

L'homme referma la porte de la chambre et vint prendre place sur le lit, près de la jeune femme, en silence. Tout d'abord, ils ne dirent rien, puis Adam déchiffra le titre du livre que la jeune femme lisait et la discussion embraya sur ce sujet avant de sauter de sujet en sujet jusqu'à l'aube, heure à laquelle ils seraient tous deux endormis, dos à dos...

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— Ils sont encore couchés, les jeunes ?
— Je leur ai conseillé de passer les derniers jours ensemble, répondit Robert. Ils sont très attachés l'un à l'autre et si je ne les savais pas chacun mariés de leur côté, j'aurais pu les prendre pour un couple.
— Pourquoi leur as-tu conseillé pareille chose ? demanda Carmen, surprise.
— Je viens de le dire, ils partagent une forte affection, mais ne t'en fais pas, ils ne bafoueront par les liens du mariage.
— Elizabeth est un pirate... rappela Carmen. Ils ne font pas grand cas de ça...
— Elle est peut-être mariée à un pirate, mais elle demeurera toujours la fille du Gouverneur de Port Royal. Elle est trop lisse et prude pour s'abaisser aux agissements des pirates.

Carmen pinça la bouche. Depuis deux semaines, elle avait appris à connaître Elizabeth, et son mari disait la vérité, mais la jeune femme avait passé plusieurs semaines dans une cellule avec la hantise d'être vendue comme esclave sexuelle... Cela ferait changer n'importe qui, même la plus candide des princesses...

Deux étages plus bas, cependant, Elizabeth observait le ciel par le hublot. Adam dormait dos à elle, face au mur et, quand la jeune femme sentit un changement dans la respiration de son ami, elle baissa les yeux sur lui et sourit quand il se tourna sur le dos.

— Bonjour...
— Bonjour. Oh, cela faisait bien longtemps que je n'avais pas aussi bien dormi !

Elizabeth sourit. Elle glissa sous les couvertures et fit face au jeune homme qui se tourna vers elle.

— Merci pour cette nuit, dit-il doucement. J'avais oublié à quel point parler sans entraves faisait du bien.
— C'est exact, je suis une véritable pipelette quand le sujet m'intéresse et j'avais moi aussi oublié comme cela est plaisant d'avoir des grandes conversations avec des amis.

Adam esquissa un sourire. Ils avaient passé une grande partie de la nuit à discuter livres, puis de leurs vies respectives, ils avaient chacun détaillé l'apparence de leur moitié, parlé enfanrs, futur, passé... Tout y était passé et si Elizabeth n'était pas tombée de sommeil un peu avant l'aube, ils seraient sans doute encore en train de discuter.

— Il est tard ? demanda alors Adam en s'asseyant.
— Je pense, j'entends marcher sur le pont depuis un moment... Le soleil m'a réveillée.

Adam sourit puis quitta la couchette et, sans un mot, ramassa ses bottes. Il demeura immobile un instant puis sourit à la jeune femme.

— À tout à l'heure au petit déjeuner ?

Elizabeth opina et soupira quand son ami eu quitté la chambre. Elle regarda vers le ciel puis repoussa les couvertures et resta assise là, les genoux relevés. On toqua alors contre sa porte et Carmen entra.

— N'ayez crainte, il ne s'est rien passé, nous avons passé toute la nuit à papoter et à refaire le monde.
— Vous m'en voyez rassurée.
— Jamais je ne ferais une telle chose à Jack, je l'aime de tout mon cœur et je sais qu'il ne me le pardonnera pas.
— Vraiment ? C'est un pirate pourtant, vous n'êtes sûrement pas sa première femme...
— Sa femme en tant qu'épouse, si, répondit Elizabeth en se levant. Son amante, non sûrement pas. Quant à la mère de ses enfants, là, je ne peux pas vous dire.

Carmen rigola doucement puis aida la jeune femme à s'habiller avant qu'elles remontent toutes deux sur le pont pour observer les côtes espagnoles encore plus proches que la veille.

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La France fut en vue trois jours plus tard et le navire royal se faufila dans le détroit de Gibraltar pour accoster à Marseille.

— Cette ville est superbe...
— Oui, et il y fait bon vivre. Vous parlez français ?
— Je suis anglaise, alors oui, répondit Élisabeth avec un sourire. Mais je n'ai pas pratiqué depuis la mort de ma mère, il y a bientôt vingt ans.

Carmen fit la moue. Les femmes et les matelots étaient restés sur le navire pendant que Roger allait faire quelques emplettes et que le Capitaine commandait un réarmement pour un départ au plus tôt.

— Où est Adam ? demanda amies Carmen.
— Il termine ses bagages. Vous direz merci à Robert pour les vêtements.
— Vous le lui direz vous-même, le voilà qui revient, sourit Carmen.

En tournant la tête, Elizabeth crut voir une hallucination et se secoua. Derrière Robert, regardant frénétiquement partout, se trouvait un pirate à l'apparence bien particulière qu'elle aurait reconnu n'importe où.

— Jack... ? souffla la jeune femme.
— Pardon ? demanda Carmen. Où ?
— Jack ! s'exclama-t-elle alors. Jack !

La réaction du pirate ne se fit pas attendre, quand il répera qui l'appelait, il s'arrêta de marcher et ouvrir les bras. Elizabeth se précipita aussitôt sur la passerelle entre le navire et le pont, et se rua dans les bras de son compagnon en se mettant à pleurer.

— Eh bien, en voilà des retrouvailles ! s'exclama Robert. Je ne m'attendais vraiment pas à trouver un pirate anglais à Marseille !
— Oh, Jack, si vous saviez comme je suis contente de voir revoir ! Merci, Robert, merci du fond du cœur !
— Mais de rien, ma chère !
— Oh, Jack, si vous aviez combien vous m'avez manqué...
— Et moi donc, mon amour ! Six mois ! Je vous cherche sur toutes les mers du globe depuis six mois !

Reculant, Elizabeth posa ses mains sur les joues barbues de Jack qui lui sourit. Elle se coula dans ses bras et regarda ensuite Robert à qui elle tendit la main. Il la serra en souriant.

— Pensez à venir nous dire au revoir, dit-il simplement en se détournant.

Il toucha le bord de son chapeau pour saluer Jack puis remonta sur son navire. Avisant Adam au sommet de la passerelle avec son bagage dans la main, Elizabeth lui sourit et l'observa la rejoindre.

— Jack, je vous présente Adam, l'homme sans qui nos retrouvailles n'auraient jamais pu arriver. Grâce à lui, j'ai pu me sortir des geôles de Manchesky, il y a trois mois.
— Enchanté de vous connaître, Adam. Je suis le capitaine Jack Sparrow, merci d'avoir pris soin de ma femme.
— Ce fut un honneur d'être son sauveur, sourit Adam. C'est une personne très agréable, même dans les pires moments. Elle a toujours gardé l'espoir que vous la retrouveriez, elle n'a jamais abandonné.
— Moi non plus. Faut-il vous déposer quelque part ? demanda Jack. 
— Non, je prendrai bientôt une calèche pour l'Espagne et pour retrouver ma femme, je suis absent depuis des années, j'espère qu'elle ne m'a pas remplacé !

Jack rigola ; Elizabeth plissa le nez et Adam lui sourit.

— Quand bien même, je ne lui en voudrai pas, j'ai été capturé par les hommes de Manchesky, en aucun cas elle ne pouvait savoir que je n'avais pas coulé avec mon navire.
— C'est vrai, admit Jack. En tout cas, j'ai une dette envers vous, désormais, donc si jamais vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas à me contacter, passez un message à n'importe quel capitaine pirate, il saura me trouver.
— C'est noté, capitaine.

Un silence s'installa ensuite et, quittant les bras de Jack, Elizabeth enlaça Adam et l'homme la serra contre lui en pressant son visage dans son cou. Jack grimaça légèrement, mais ne releva pas et Elizabeth se détacha ensuite de l'homme en lui souhaitant de pouvoir reprendre une vie aussi normale que possible malgré les supplices qu'il avait endurés.

— Je vous le souhaite aussi, Elizabeth, et de retrouver votre fils et d'oublier tout ça.
— Manchesky a fait trop de mal autour de lui ces dernières années, répondit Jack. Il payera, ne vous en faites pas, promesse de pirate.
— J'ignore ce que cela signifie, mais je vous crois sur parole. Soyez prudents, rentrez bien, et ne la laissez plus jamais repartir, Capitaine.
— Aucun risque !

Le trio se mit à rire puis Adam épaula son sac et s'éloigna en demandant son chemin dans un français parfait. Le couple de pirates se retourna ensuite vers le navire royal et Elizabeth y entraîna Jack, bien décidée à lui présenter les deux personnes sans qui elle ne l'aurait pas retrouvé avant des mois encore.

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Chapitre modifié le 6 août 2022

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