Chapitre 20

— Non, ne touchez à rien !
— Elizabeth...
— Jack, vos mains sont sales, ne touchez pas votre plaie, pour l'amour du ciel !

Clac!

—  Aieuh !
— Je vous avais prévenu.

Elizabeth avait claqué les doigts du pirate avec le manche de la cuillère qu'elle se servait pour préparer l'emplâtre qui protégeait la plaie du Capitaine.

— Voilà, dit-elle alors. C'est prêt.
— Ça pique ?
— Chochotte...

Jack se renfrogna aussitôt et croisa les bras, mais la douleur de sa plaie le rappela à l'ordre et il jura entre ses dents. Il soupira et regarda alors Elizabeth.

— Je suis désolé...
— De quoi, de ne pas avoir pu éviter un sabre de cinquante centimètres de long ?
— Vous êtes fâchée, ma douce ?

Elizabeth grimaça.

— Ne m'appelez pas comme ça, dit-elle. Et non, je ne suis pas fâchée, je suis inquiète.
— Inquiète ? Pour quelle raison ? Parce que vous avez pris conscience que je ne suis plus immortel ?

Elizabeth baissa le nez. Jack lui prit alors la main et la porta à ses lèvres. La jeune femme le regarda.

— Jack, j'ai eu si peur, dit-elle. Quand j'ai vu ce soldat avec son sabre, je...

Elle ferma les yeux en se mordant les lèvres. Jack lui serra la main et elle le regarda.

— Je suis vivant, dit-il. Ce n'est pas ma première cicatrice, ce n'est pas la dernière...
— Oui, je sais bien, mais... Tout est tellement différent maintenant, tout...

Elle soupira et secoua la tête. Elle reprit alors le bol avec l'emplâtre et entreprit de nettoyer la plaie avec du rhum. Jack serra les mâchoires en s'agrippant à la tête de lit, puis il soupira de soulagement quand l'emplâtre frais calma le feu de l'alcool.

— C'est terminé...
— Le ciel merci...

Jack posa ses mains sur son visage et Elizabeth le regarda un moment puis alla chercher des bandages propres. Elle refit un pansement puis emporta son matériel hors de la chambre.

— Comment il va ce matin ?

Elizabeth regarda Gibbs.

— Ça va... J'aimerais avoir de quoi lui soulager la douleur, mais...
— Le rhum n'y fait rien ?
— Il ne veut pas être ivre...

Gibbs haussa un sourcil étonné. Il déposa des papiers sur le bureau et soupira.

— Dans deux jours nous atteindrons une petite île, dit-il en montrant la carte devant lui. Il y a un hôpital, il devrait y avoir de quoi soulager sa douleur...

Elizabeth hocha la tête puis disparut dans sa cabine.

~

Assise sur son lit, Elizabeth était pensive. Dehors, le vent s'était levé et il secouait le bateau, mais ce n'était pas une tempête. Ne connaissant rien à la navigation, elle avait confié le bâtiment à Gibbs d'ici à ce que Jack puisse se lever et reprendre son poste.
Quand on toqua contre sa porte, la jeune femme leva les yeux et sourit à Anamaria.

— Ça va ? lui demanda-t-elle. On ne t'a pas vue au déjeuner...
— Je n'avais pas faim... Ne t'en fais pas, je suis juste inquiète, c'est tout.

Anamaria esquissa un sourire et s'appuya contre un meuble en croisant les bras.

— Tu es amoureuse, hein ?

Elizabeth baissa le nez. Elle ramena ses cheveux en arrière et souffla.

—  Il t'aime aussi... C'est ça qu'il faut te dire.
—  C'est bien ce que je me dis, mais c'est pas simple... Je dois me battre jour après jour contre mon éducation et je sens que je ne pourrais jamais être totalement libérée des enseignements que j'ai reçus pendant dix-neuf ans...

Elizabeth regarda son amie.

— Comment tu as fait, toi ? demanda-t-elle.

Anamaria posa ses mains sur ses hanches et grimaça.

— Contrairement à toi, je ne suis pas une poupée de porcelaine qui a toujours vécu dans une belle maison, dit-elle. Je suis orpheline, pour ce que j'en sais, du moins, et j'ai grandi dans des maisons, ici et là, baladée d'île en île par des parents adoptifs trop occupés à autre chose pour s'occuper de moi.
— Je suis désolée...
— De quoi ? C'est pas de ta faute, hein...

Elizabeth se mordit la lèvre.

— Je ne te l'ai même pas demandé, mais tu as quel âge, Ana ?

Anamaria haussa un sourcil et sourit.

— J'ai vingt-cinq ans...
— Et tu es devenue pirate... ?
— Pas par choix. Je me suis enfuie de la dernière famille d'accueil, je me suis cachée dans une caisse sur le port et je me suis retrouvée sur un bateau... Quand on m'a chopée, on m'a mise au boulot, c'était ça ou on me jetait par dessus bord.
— Et donc finalement, t'es restée ?
— Ouais... J'avais quoi, seize ans ? Je suis restée sur ce bateau pendant trois ans avant qu'il se fasse aborder par des pirates. Ils m'ont capturée avec les autres femmes, ils nous ont battues et certaines ont été... malmenées, et puis un jour, un vaisseau de la Compagnie des Indes a attaqué le bateau pirate et l'a coulé. Ils ont tous été tués ou capturés, et nous, on nous a ramenées à terre...

Elizabeth hocha la tête.

— La piraterie a commencé quand j'ai rencontré Jack, reprit alors Anamaria. Je n'avais plus envie de vivre après avoir été retenue captive pendant des semaines par des pirates puants et grossiers... Jack m'a trouvée par hasard dans un bar en train de boire et il m'a proposé de faire partie de son équipage. J'avais une vilaine dent contre les pirates, mais Jack a réussi à me faire changer d'avis.
— C'était quand ?
— Une poignée d'années maintenant, et même si c'est pas le meilleur des Capitaines, c'est cool de bosser pour lui. La solde est pas élevée, ça dépend des missions qu'on fait, mais parfois, les rencontres sont cools et contrairement à ce que tu dois penser, on tue pas tout le monde et on brûle pas tout ce qu'on croise...

Elizabeth esquissa un sourire.

— Comment il va le Capitaine, sinon ?
— Après deux jours, j'aurais pensé que ça irait mieux, mais il ne peut toujours pas se lever, sa plaie est enflée malgré l'alcool et il doit voir un médecin, ça devient obligatoire... soupira Elizabeth. Il souffre et je ne peux rien y faire...
— Gibbs dit qu'on sera à portée d'une île avec un hôpital d'ici deux ou trois jours, on le fera transporter là-bas et on restera à terre le temps qu'il faudra.
— Tu es sûre ?
— C'est notre Capitaine, Lizie, on peut rien faire sans lui, dit Anamaria en fronçant les sourcils. Et excuse-moi, mais tu es loin d'être un pirate, alors un Capitaine...

Elizabeth hocha la tête puis se leva en soupirant.

— Je vais donc me contenter de jouer les infirmières auprès d'un patient qui râle et qui jure dès qu'on l'approche... Mais je l'ai voulu.

Anamaria sourit puis la laissa et annonça qu'elle allait préparer le diner.

~

— Bonsoir...

Jack tourna la tête et Elizabeth entra dans la cabine. Il tenta de se redresser, mais la jeune femme leva la main.

— Ne bougez pas, les points pourraient lâcher...

Jack se rallongea et posa une main sur le livre retourné sur son torse. Elizabeth s'approcha du lit et s'assit sur la chaise abandonnée là un peu plus tôt dans la journée.

— Vous souffrez ?
— Le martyre... Gibbs a dit qu'on allait faire escale ?
— Oui, vous devez aller à l'hôpital, vous ne pouvez pas rester comme ça...

Jack soupira bruyamment. Elizabeth lui prit alors la main et il la regarda.

— Vous êtes trop bonne, Lizie... dit-il.
— Sans doute, mais je ne pense pas que je supporterai de vous voir souffrir encore plus, et pire, mourir...

Jack esquissa un sourire. Il regarda alors la bouteille de rhum posée sur la table et la jeune femme l'interrogea silencieusement.

— C'est Marty qui l'a amenée... Mais je n'en ai quasiment pas bu, ça ne marche pas pour la douleur... Pas à faible dose en tous cas...
— Et à haute dose ça ralentis la cicatrisation, dit Elizabeth.

Elle prit la bouteille et la déposa hors de portée de Jack. Elle se tourna ensuite vers lui et il la regarda d'un air contrit.

— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-elle
— Rien... Je vous regarde, c'est tout...
— Et pourquoi... ?

Jack plissa le nez.

— Vous ne ressemblez en rien à Saramine, Elizabeth... dit-il.
— J'imagine que je dois le prendre comme un compliment... ?
—  Bien sûr... Pourquoi ça n'en serait pas un ?
—  Je ne sais pas... Vous avez aimé Saramine bien plus que vous ne m'aimez et...

Jack serra les lèvres et se redressa alors malgré la douleur de son flanc.

— Regardez-moi...  Lizie, regardez-moi.

La jeune femme obéit et Jack pencha la tête.

— Je vous aime, Elizabeth Swann, je vous aime et je vous défend de comparer ça avec ce que j'éprouvais pour Saramine. Elle est morte il y a dix ans et... et même si elle me hante encore, je ne crois pas que vous seriez là si je l'aimais encore autant qu'avant.

Elizabeth passa sa langue sur ses lèvres. Elle se mordit la lèvre et regarda ailleurs. Elle renifla alors puis sourit.

— Même James n'est pas capable de faire de telles déclarations, dit-elle avec un léger rire.

Jack eut un sourire en biais.

— Lui qui est si bien élevé... ?

Elizabeth hocha la tête et perdit son sourire.

— Quand j'y repense, il ne m'a jamais vraiment dit qu'il m'aimait, dit-elle.
— Ah non ? Hm... Étrange quand même.
— Pas tant que ça, soupira Elizabeth. Nous ne sommes pas conditionnés, dans la haute bourgeoisie pour parler de nos sentiments. Cela doit rester dans la sphère privée, et encore, parfois rien n'est jamais dit, ni d'un côté, ni de l'autre....
— Vous devez sacrément vous ennuyer, alors, si vous ne vous dites même pas que vous tenez les uns aux autres...

Elizabeth esquissa un sourire.

— C'est la douleur d'être riche... dit-elle. Il faut paraître lisse et parfait en toute occasion, même à un enterrement...
— Votre mère ?

Elizabeth hocha la tête.

— J'avais huit ans quand elle est morte, et pendant tout le service, on m'a interdit de sangloter, de renifler, même dans mon mouchoir... Je n'ai pu pleurer librement qu'une fois de retour à la maison, après avoir salué tous les invités, et avoir demandé l'autorisation de me retirer.

Jack fronça les sourcils.

— Vous avez le droit de pleurer devant nous, ici... dit-il. Rire à gorge déployée, jurer vos grands dieux, bref, tout ce que vous avez envie.

Elizabeth sourit et Jack serra sa main sur la sienne. Il fronça ensuite les sourcils et la jeune femme l'obligea à se rallonger.

— Reposez-vous... dit-elle. Votre blessure s'infecte et je n'ai pas les capacités pour vous soigner efficacement...

Jack esquissa un sourire douloureux.

— Vous savez, si jamais vous vous ennuyez encore... Nous n'avons pas de médecin à bord...
— Vous voudriez que je devienne médecin ? Jack...
— Et quoi ? C'est une occupation comme une autre et des pirates médecins, on n'en trouve pas beaucoup, et encore moins des femmes...

Elizabeth haussa un sourcil puis indiqua au pirate qu'elle reviendrait plus tard avec son dîner. Jack acquiesça et la jeune femme s'en alla, silencieuse.

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