Chapitre 19

Allongée sur un matelas de paille, Elizabeth ouvrir les yeux difficilement. Vêtue de haillons, sale et affamée, elle n'avait aucune idée depuis combien de temps elle avait quitté Tortuga.
Elle entendit alors des voix dans le couloir et elle se roula en boule sous son drap en cherchant le morceau de pierre pointu qu'elle avait détaché du mur en se cassant deux ongles au passage.
Les deux hommes passèrent devant sa cellule sans s'arrêter et la jeune femme soupira. Soudain, un troisième homme apparut et ouvrit la porte. Lizzie grogna aussitôt et l'homme leva sa main libre. De l'autre il déposa un bol sur le sol.

— Je t'ai promis de ne jamais te toucher, dit-il. Et je tiens mes promesses. Maintenant, mange.
— Pas faim, croassa Elizabeth.

Elle se rallongea et le jeune homme l'observa une seconde avant de traverser la cellule. Il se baissa près de la couche et souleva un coin du drap. Il grimaça en constatant la maigreur de la jeune femme.

— Te laisser mourir n'arrangera pas ta situation, dit-il.
— Si je suis morte, au moins j'aurais plus à endurer tout ça.
— Tu dois être vendue dans une semaine, tu dois reprendre des forces sinon Manchesky te tuera.
— Il perdrait beaucoup trop d'argent, ce porc ! siffla Elizabeth.

L'homme plissa le nez. Il retourna alors dans le couloir et tira la porte. Le verrou cliqueta et il s'éloigna de quelques pas. Elizabeth l'entendit alors discuter avec quelqu'un.

— Elle va mourir dans quelques jours, dit-il. Elle n'a rien avalé sinon de la soupe depuis son arrivée.
— Ça fait un mois... répondit une femme sur un ton ennuyé. Il faut qu'elle mange. Elle vaut trois mille Guinées, bordel ! Même avec toute une vie à économiser, on aurait jamais autant d'argent ! Est-ce que tu sais si elle a saigné ?

L'homme ne répondit rien et Elizabeth s'imagina qu'il avait secoué la tête. La femme soupira et le couple quitta ensuite la pièce voûtée.

Après un voyage en bateau de trois semaines, Elizabeth avait été jetée dans cette cellule et matin et soir, Ernest, Martin ou encore Alfred, venaient lui apporter son repas. Ils repartaient généralement avec le plateau de la veille à peine entamé...

Levant les yeux vers un vasistas bien au-delà de sa portée, Elizabeth soupira. Elle avait l'impression d'être à nouveau dans ce couvent, enfermée contre son gré... À la différence que là, elle s'était sacrifiée pour épargner à Thibault d'être renvoyé chez ce prétendu grand-père qu'il ne semblait même pas connaître.

— Qui peut bien être cet homme ? souffla-t-elle. Thibault ne le connaît même pas...
— Qui ? lui répondit-on. Quel homme ?

Elizabeth frémit et regarda autour d'elle, mais sa cellule était vide.

— Qui es-tu ? demanda-t-elle alors en levant les yeux vers le plafond.
— En bas, répondit la voix. Le caniveau, au bas du mur...

Elizabeth baissa la tête et suivit des yeux la rigole dans laquelle elle faisait ses besoins. Une partie se dirigeait vers le mur extérieur, l'autre vers le couloir où les gardiens jetaient un seau d'eau tous les matins pour nettoyer la rigole. Elle rampa donc jusqu'à l'ouverture donnant dans le couloir et s'allongea sur le sol pour jeter un œil dans le trou. Elle lâcha un hoquet en découvrant un œil bleu qui la regardait. Quand il cligna, elle soupira.

— Je m'appelle Adam, reprit alors la voix. Et toi ?
— Elizabeth... Tu es emprisonné aussi ?
— Oui, depuis tellement longtemps que je ne sais plus. Et toi ?
— Un mois, peut-être ? J'ai perdu la notion du temps sur le bateau. Tu viens d'où, Adam ?
— J'étais en partance d'Espagne et je le rendais en Nouvelle Angleterre... Un navire nous a accosté un matin et son capitaine a demandé cent Guinées à notre capitaine pour repartir sans problèmes. Mais on n'avait pas tout cet argent, alors le pirate a demandé des gens en échange. Des femmes et des hommes... Je n'ai pas été volontaire, on m'a poussé en avant.
— Sympa... grimaça Elizabeth. Moi, je me suis sacrifiée à la place de mon fils. Je viens de Tortuga, je suis la femme du Roi des Mers du Sud, Jack Sparrow...

Adam siffla d'admiration.

— Je comprends mieux pourquoi ils disent que tu vaux aussi cher alors ! Moi, si je suis fendu pour cinq Guinées, ça sera déjà bien...

Elizabeth esquissa un sourire avant de redevenir grave.

— Tu crois vraiment que quelqu'un va payer aussi cher pour une esclave ?
— Probablement pas, surtout si tu te laisses mourir...
— Mieux vaut ça qu'être violée !

Adam demeura silencieux. Il soupira ensuite et tendit alors la main dans le trou. Elizabeth l'imita et ses doigts accrochèrent les siens. Elle baissa alors la tête et se mit à pleurer.

— On va s'en sortir, je te le promets, souffla Adam. On va sortir de là...

La jeune femme ne répondit rien et Adam serra sa main sur la sienne en se roulant en boule au pied de son mur.

.

Après avoir rencontré le Commodore Norrington et qu'il eut réussi à obtenir des informations pour localiser Elizabeth, le Black Pearl remit les voiles et Norrington demanda à monter à bord pour les aider à trouver la jeune femme.

— Je ne sais pas si vous cherchez à vous faire pardonner votre comportement envers elle, mais sachez qu'elle risque bien de vous coller une droite quand elle vous verra.

Gibbs secoua la tête et remua ses bajoues. Norrington serra les mâchoires. Il avait donné trente Guinées à Jack pour armer le Pearl afin de faire le voyage sans aucun problème lié à la nourriture ou à l'eau douce. Le Capitaine du Pearl en avait profité pour payer à ses hommes les soldes qu'il leur devait plus une confortable avance qui les empêcherait de se plaindre pour les deux prochaines années au moins.

— Je l'aurais sans doute mérité, répondit l'homme. Je n'ai pas été malhonnête avec elle, je l'aimais vraiment, mais elle n'a pas fait sa part du marché, j'avais l'impression de vivre avec une morte. Elle était vivante, mais à l'intérieur, elle était absente, vide.
— Elle vous a épousé par dépit, répondit Gibbs. Depuis que le Capitaine l'a sauvée de la noyade, elle n'a plus pensé qu'à lui, d'où le fait qu'elle ait demandé le divorce pour défaut de procréation.

Norrington grimaca puis soupira.

— Ce n'était pas de sa faute, dit-il alors presque à mi voix. Il semblerait que cela vienne de moi.
— Oh ? Je suis désolé... Et votre femme ?
— Je l'ai libérée de son serment envers moi après plusieurs mois sans parvenir à tomber enceinte. Elle m'en a voulu, mais j'ai su lui trouver un mari plus compétent.
— Je vois... Depuis vous parcourez les mers sur ordre du Gouverneur. Pour faire quoi, au juste ?
— Reconnaissances, achats de propriétés diverses pour le compte de Port Royal... De navires aussi.
— Je vois. En tous cas, Elizabeth est mieux avec le Capitaine, elle a trouvé sa place parmi nous, elle est respectée et elle a une famille qui l'aime. Jack et elle étaient sur le point de se marier quand le petit à failli être enlevé...
— Oui, je vous ai entendu en parler avec Barbossa, grimaça Norrington. J'ai du mal à le croire, vraiment.
— Et vous aurez encore plus de mal à reconnaître Lizzie quand on l'aura retrouvée.

Les deux hommes se retournèrent et Jack s'approcha. Il jeta un coup d'œil à Gibbs qui inclina le menton et s'en alla. Jack se tourna de suite vers Norrington.

— Alors comme ça, on est incapable d'honorer sa femme ?
— Il suffit, gronda le Commodore. Je n'y suis pour rien, je sais que vous me reprochez d'avoir brisé Elizabeth, mais c'est faux, je ne lui ai jamais fait de mal. J'étais simplement dans mon droit d'époux de réclamer l'accès à son lit chaque fois que j'en avais envie.
— Sans tenir compte de ses propres envies à elle, acheva Jack sur un ton badaud. Ah, vous les riches, je ne sais pas comment vous pouvez vivre dans vos grands palais et dans vos habits si étriqués ! Je ne vous envie vraiment pas, mais je pense que vous méritez ce qui vous arrive.
— Ce n'est pas gentil de la part d'un  homme...
— C'est vrai, admit Jack. Cependant, par votre faute, Norrington, Elizabeth ne sera jamais ma femme parce qu'elle éprouve une terreur sans nom à l'idée de se retrouver dans le même lit que moi ! Vous l'avez peut-être libérée, rendu sa liberté, mais ce que j'ai récupéré, c'est quelques morceaux brisés d'une femme que j'ai connue bien plus forte que ça !
— Cessez de m'accuser de choses qui ne me concernent pas ! Elizabeth avait tout le loisir de me repousser lorsqu'elle ne voulait pas de moi, mais elle n'en a jamais rien fait !
— Parce qu'elle avait peur de vous, parbleu ! Elle était mariée, vous étiez son premier homme, elle n'avait jamais connu ça avant que vous ne la jetiez dans votre lit pour la nuit de noces !
— Ça suffit ! Je ne veux plus entendre un seul mot de tout cela ! Vous devenez désobligeant, Capitaine !

Jack serra les mâchoires. Norrington tourna soudain les talons et disparut dans le navire ; Gibbs revint.

— Vous n'y êtes pas allé de main morte, Cap... Il a peut être pas mérité d'être flagellé comme ça, si ?
— Sans doute pas, mais ça fait foutrement du bien !

Gibbs se mit à rire et Jack lui tapota l'épaule avant de monter sur le château pour surveiller leur route.

.

Ouvrant les yeux, Elizabeth roula sur le dos et soupira. Une goutte d'eau lui tomba sur pile entre les deux yeux et elle lâcha un juron.

— Eh bien, c'était élégant, ça ! répliqua aussitôt une femme.
— Ta gueule... soupira Lizzie.

Aussitôt, elle regretta ses mots et quand la porte de sa cellule s'ouvrit sur la femme armée d'une tige de bois souple, Elizabeth se roula en boule.  Les coups plurent alors, trois, six, douze... Soudain, ce fut le silence. Le dos et la cuisse gauche en feu, Elizabeth se mit à pleurnicher après que la porte se soit refermée.
Elle ignora combien de temps s'écoula ensuite, mais quand elle entendit un bruit de frottement, elle tendit l'oreille. Soudain, elle sentir deux mains fraîches se poser sur elle et elle tourna la tête surprise.

— Qui...?
— C'est moi, Adam, sourit le jeune homme.
— Adam ? Mais comment...?
— Je te l'ai dit, on va s'en sortir, dit-il. Bon sang, elle ne t'a pas ratée cette fois... Tu devrais tenir la langue...
— Ça fait deux ans que je vis avec des pirates, tu crois vraiment que j'ai gardé mon parlé de bourgeoise ? grinca-t-elle. Aide-moi à m'asseoir...

Adam lui prit le coude et Lizzie s'adossa au mur derrière elle en grimaçant. Depuis son arrivée ici, la garde-chiourme qui surveillait les prisons avec d'autres gardiens, l'avait prise en grippe et tout était un prétexte pour la battre avec sa badine.

— Retourne dans ta cellule, souffla-t-elle alors. C'est trop dangereux...
— Ne t'en fais pas, j'ai attendu qu'ils partent manger. Ils ne seront pas de retour avant deux bonnes heures, on a le temps de se casser d'ici.

Elizabeth grimaça. Adam observa sa cuisse enflée et posa ses mains dessus. La fraîcheur fit soupirer la jeune femme et elle laissa le jeune homme balader ses mains sur ses blessures heureusement non ouvertes.

— Tu veux manger un peu ? demanda-t-il au bout d'un moment. Tu as besoin de forces pour partir.
— Tu es aussi maigre que moi... fit remarquer la jeune femme.
— Justement, je ne pourrais pas te porter... Tu devras marcher et peut-être courir...

Lizzie grimaça. Elle observa alors le jeune homme devant elle. Blond, les cheveux sales noués sur sa nuque, il portait une sorte de sac de toile de jute dans lequel on avait percé des trous pour la tête et les bras. Il était jambes et pieds nus.

— Amènes-moi la gamelle, tu veux ?

Adam sourit et ramena le plat en acier contenant du pain dur et des œufs brouillés encore gluants. Lizzie eut un haut-de-coeur quand elle posa ses doigts dedans et secoua alors la tête. Adam l'imita, attrapa un morceau de bois du grabat et entreprit de donner à manger à la jeune femme. Il parvint à lui faire finir les œufs et elle avala ensuite le pain pour faire passer le gluant des œufs à peine cuits.

— On doit partir maintenant, dit alors Adam. J'ai déjà fait croire que je dormais, on va faire pareil pour toi et on se casse.

Elizabeth hésita un instant puis tendit la main et Adam l'aida à se lever. Elle trébucha en posant son pied droit sur le sol et grimaça quand sa robe de toile frotta son dos blessé.

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