Chapitre 18

— Hissez les voiles !

Elizabeth regarda Marty et Duncan se hisser dans les haubans tels des araignées. Pieds-nus, ils agrippaient les cordages avec leurs orteils, et vu d'en bas, cela semblait terriblement facile, mais la jeune femme savait qu'elle ne s'y risquerait jamais.

— Monsieur Gibbs, les ancres ?
— En cours, Capitaine, répondit l'homme en peinant sur une énorme roue avec Anamaria pour remonter les ancres en fonte de plusieurs centaines de kilos.

Jack dévala alors l'escalier de la dunette et traversa le pont jusqu'au mât central. Il avait un équipage restreint, il devait donc mettre la main à la pâte et Elizabeth savait qu'elle allait devoir s'y mettre, elle aussi, mais pour l'instant, elle était autorisée à regarder.

Impressionnée par la dextérité de son compagnon, la jeune femme en prenait plein la vue. Elle n'avait aucune idée de la manière de faire un nœud solide avec une corde grosse comme son poignet, mais le fait est qu'une simple torsade autour d'un piton de bois à deux branches soit capable de retenir une traverse et une voile de plusieurs dizaines de kilos chacun...

— Monsieur Gibbs, veuillez larguer les amarres, je vous prie ! lança soudain Jack.

Elizabeth s'écarta de son chemin lorsqu'il remonta sur la dunette à grandes enjambées. Émerveillée de le voir dans son élément, la jeune femme avait l'impression d'être ailleurs. Voir ces hommes - et cette femme - évoluer sur un bateau gigantesque qui aurait nécessité le double de personnel pour le manœuvrer, était tout simplement hallucinant.

~

Toc, toc

— Entrez ?

Elizabeth se tourna vers la porte et sourit à Jack.

— Installée ? demanda-t-il en regardant autour de lui.
— Ça prend forme... Nous sommes loin de l'île ?
— Suffisamment pour qu'on ne la voie plus. Ne vous en faites pas, la mer est calme et il n'y a pas un nuage à l'horizon. Je venais vous chercher, le dîner est prêt.
— Ah ? Qui a préparé... ?

Elizabeth plissa un œil et Jack ronfla.

— C'est Ana qui fait la cuisine, ne vous en faites pas, dit-il, amusé. Nous autres sommes à peine capable d'éplucher des patates, alors...
— Je vous apprendrai... souffla Elizabeth en tirant la langue. Ceci dit, diriger un bateau tout en buvant du rhum, c'est déjà pas mal, alors... ajouta-t-elle en se retournant pour ranger du petit linge dans la commode devant elle.

Jack posa ses mains sur ses hanches.

— Insinueriez-vous que nous ne sommes pas capables de faire plusieurs choses à la fois ?
— Exactement. Les hommes en général ont deux mains gauches et... Hey !! Jack, lâchez moi !

Deux solides bras venaient de ceinturer la jeune femme qui se mit à rire en pivotant entre les bras de Jack.

— Je pourrais vous montrer des choses qui vous feraient rougir, lui souffla-t-il.
— Jack ! Je vous en prie, c'est déplacé...
— Bah !

Le pirate haussa les épaules puis Elizabeth lui prit le visage entre ses mains et il la regarda.

— Je vous aime, Jack, dit-elle doucement. Mais je suis une Lady... même dans ces fripes.
—  Fripes qui vous vont très bien, rétorqua Jack en regardant vers le bas.

Elizabeth lui releva le menton et haussa les sourcils.

— Ok, Lady, j'ai compris, dit le pirate. D'accord... Donc les yeux, c'est là... Ok.

Elizabeth rigola.

— Idiot...
— Je suis bête, mais ça vous fait rire et c'est la base d'une relation saine, on m'a dit.

Elizabeth haussa un sourcil.

— Voilà qu'il parle comme un dictionnaire... D'où vous sortez ça ?
— Sans doute d'un certain Second qui passe plus de temps à lire qu'à travailler...

Elizabeth sourit.

— Bon, on va manger ? demanda-t-elle alors. Ils vont croire des choses, sinon...

Jack lui jeta un regard étrange et Elizabeth prit un air choqué et le bouscula.

— Dehors ! dit-elle en le poussant hors de sa cabine. Je vous rejoins...

Jack rigola puis s'en alla et Elizabeth soupira. Sa relation avec le pirate s'étoffait jour après jour. Elle n'était plus gênée de lui dire qu'elle l'aimait, de se laisser enlacer et cajoler... Mais elle attendait de lui qu'il se comporte en gentleman, qu'il ne se précipite pas pour l'avoir... Et apparemment, il s'en contentait.
Elizabeth était toutefois consciente qu'il ne s'en contenterait pas longtemps, mais avant de fixer leur relation, elle voulait être certaine qu'elle ne faisait pas une erreur, car il lui serait sans doute très compliqué de revenir en arrière, du moins, de rentrer chez elle, la queue entre les pattes, pour se faire pardonner du Gouverneur...
De plus, elle avait déjà eut son lot de déception avec le Commodore Norrington, mariée à lui presque de force, cela suffisait. Aujourd'hui, elle était libre de choisir son compagnon, et surtout libre de l'accepter ou pas, dans son lit, et surtout, quand elle le désirait, elle, et pas lui...
Cette première "expérience amoureuse" avec James l'avait perturbée pendant plusieurs jours. Non pas qu'il soit un mauvais amant, mais plutôt par le fait qu'il la considère comme acquise... et donc qu'il s'octroie le droit de la demander à toute heure du jour ou de la nuit, quelle que soit son humeur à elle...
C'est aussi ça qui l'avait poussée à divorcer, sans doute plus que l'envie de retrouver Jack...

Avec un soupir, la jeune femme enfila son gilet et descendit dans la cale pour rejoindre ses compagnons. Anamaria lui jeta un regard en coin, mais ne fit aucune remarque sur son retard et tout le monde dîna en écoutant Jack et Gibbs tracer leur prochaine route.

~

Sur un navire, même pirate, quand il n'y a rien à faire, il n'y a rien à faire. Du moins, pour Elizabeth car tout les membres d'équipage du Pearl savaient ce qu'ils avaient à faire et quand. Anamaria était donc en train de faire des lessives dans la cale avec Duncan, Marty lavait le pont supérieur avec Monsieur Cotton, Gibbs tressait une corde dans un coin du pont de dunette et Jack était cloitré dans on bureau à faire de la paperasse, une chose qu'il semblait détester puisque Elizabeth l'entendait marmonner et râler depuis sa cabine.

Étendue sur son lit, la jeune femme lisait un livre qu'elle avait trouvé dans la collection du Capitaine. Au bout d'un moment, lasse de l'entendre pester, elle quitta son lit et passa la tête par la porte de sa cabine.

— Qu'est-ce qui vous arrive ? demanda-t-elle.

Jack releva la tête puis haussa les épaules. Elizabeth s'approcha et jeta un œil sur ce qu'il faisait.

— Ce sont les comptes ? demanda-t-elle.
— Oui...
— Vous voulez que je m'en charge ?
— Vous ?
— Et pourquoi pas ? Je suis allée à l'école, Jack, du moins j'ai eut des précepteurs très sévères, je connais pas mal de choses, notamment la comptabilité...

Jack plissa le nez.

— La comptabilité d'un équipage pirate n'est pas exactement la même qu'un vaisseau marchand, dit-il.
— Ça doit être encore plus simple, c'est vrai. Alors ?
— Je ne sais pas...

Elizabeth joignit ses mains.

— S'il vous plaît, Jack, je m'ennuie...

Le Capitaine regarda la jeune femme de l'autre côté de son lourd bureau puis soupira et se leva. La jeune femme lui décocha un sourire et prit sa place. Elle entreprit immédiatement de reprendre toute la comptabilité du Black Pearl depuis le début et Jack, même s'il grommela, accepta de lui amener tous les livres de comptes... que personne n'avait jamais vérifiés depuis des années.

~

— Hey, Capitaine ! La petite est avec vous ?
— Laquelle ? Elizabeth ?
— Ouais...

Jack regarda Gibbs en bas sur le pont puis lui indiqua la cabine sous ses pieds.

— Elle fait quoi ?
— La comptabilité...
— Ouille...

Jack grimaça. Il n'avait jamais été un champion en calculs. Il savait compter les pièces pour payer ses hommes, évaluer la valeur d'un bateau qu'il voulait aborder, ou d'un coffre à ouvrir, mais ça s'arrêtait là. Il n'avait jamais cherché plus loin que ce qu'on lui demandait et il s'était très certainement fait avoir pas mal de fois, mais ce qui est fait est fait, on ne peut revenir dessus... Il espérait juste qu'Elizabeth n'allait pas découvrir, en faisant les comptes, que ses hommes avaient droit à des arriérés...

Gibbs rejoignit Jack et regarda l'horizon.

— Alors, on va où comme ça, Capitaine ?
— Vers Tortuga, après....

Jack haussa les épaules. Soudain, il plissa les yeux et tendit le cou. Il brandit ensuite sa main vers Gibbs.

— Ma longue-vue, Monsieur Gibbs.

Gibbs haussa les sourcils puis chercha autour de lui et trouva l'objet demandé avant de le déposer dans la main tendue. Jack la déplia aussitôt et la colla contre son œil.

— Oui... dit-il. Oui... !
— Euh... Capitaine ?

Jack sourit et regarda Gibbs.

— Mon cher Gibbs... On va avoir de l'action !

Gibbs sourit.

— Oooh...

Il prit la longue-vue et regarda dans la direction indiquée par le pirate. Au loin, sur l'horizon, un tout petit point noir était à peine visible à l'œil nu. Avec la longue-vue ce n'était guère mieux, mais on pouvait tout de même distinguer que c'était un navire, et un gros.

— Un trois-mats... Chic !
— Va prévenir les hommes, préparez le pont, les canons ! dit alors Jack.
— Vous allez où ?
— Prévenir Elizabeth...

Gibbs grimaça et Jack disparut dans la cabine du Capitaine.

~

— Un abordage ?

La jeune femme regarda son compagnon, le visage sans expression.

— Si vous ne voulez pas participer, je vous conseillerais de rester dans votre chambre... Je...

Jack se tut et se racla la gorge. Elizabeth se leva alors et contourna le bureau. Il lui prit les mains et grimaça.

— Il est courant lors des abordages de faire des prisonniers, dit-il. Si nous capturons des ennemis, tant mieux, mais si ce sont eux qui ont la main alors...

Elizabeth baissa le nez et hocha la tête.

— Écoutez, reprit Jack. Les filles sur les bateaux, c'est pas bon, d'accord ? Oui, je sais, Ana est une fille, mais c'est un pirate, elle sait se défendre, et elle mourrait plutôt que d'être capturée...

Il se tut et grimaça.

— Les autres pirates ne sont pas cléments avec les filles..

Elizabeth hocha la tête.

— Je vois... Ils les violent, n'est-ce pas ?
— Oui... Et dans le meilleur des cas, ils les tuent après. Et pour l'amour du ciel, je n'ai aucune envie que ça vous arrive ! répondit Jack. Alors faites-moi le plaisir de vous cacher dans la chambre d'Ana, je viendrais vous chercher quand tout sera terminé.

Elizabeth pinça les lèvres puis Jack la prit dans ses bras et elle se serra contre lui. Quand elle recula, il lui caressa la joue.

— Ne m'en veuillez pas...
— Pourquoi ? Vous tenez à moi et voulez me protéger, il n'y a rien de mal à cela... sourit la jeune femme.

Elle l'embrassa alors sur la joue puis l'enjoignit à rejoindre ses hommes pendant qu'elle rangeait les papiers du Pearl. Elle prit ensuite des affaires dans sa chambre, notamment une outre d'eau et deux pommes, puis elle fila dans la cale et alla se pelotonner sous la couchette d'Anamaria en utilisant une couverture pour se dissimuler, au cas où des visiteurs fouilleraient le bateau.

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Dernière modification le 05/08/2020

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