Chapitre 16
Elizabeth observait la femme devant elle. Outre son impressionnant tour de taille, cette femme était surprenante par la délicatesse dont ses mains, similaires à deux régimes de bananes, étaient capables.
— Je te la reprendrai un peu à la taille... Et au col aussi, dit-elle soudain.
— Je suis obligée de porter la robe de Madame Sparrow ?
— C'est une tradition, ma fille, pas chez toi ?
— Si, mais...
La femme se redressa dans un chuintement de tissus et s'éloigna vers une table où elle griffonna quelque chose sur un carnet.
— La robe de Maman Sparrow est magnifique, ma jolie, reprit-elle ensuite. Je l'ai moi-même dessinée et cousue pour son mariage. Alors certes, la cérémonie a été expédiée, à l'époque non seulement elle était enceinte, mais en plus, nous n'avions pas encore le statut de sanctuaire ici. Il y avait donc des soldats partout et c'était dangereux... Mais je suis contente que ce vieux Teague l'ai gardée ! Elle te va à la perfection !
Elizabeth s'observa dans le miroir. La robe n'était pas blanche, bien entendu, en tant que femme divorcée, elle n'avait pas le droit de se marier en blanc, et de toute manière, les pirates s'en fichaient. Cependant, même ayant été cousue pour une femme pirate, cette robe était très belle et délicate.
Coupée dans un tissu de satin beige, la jupe était recouverte d'un jupon de dentelle un peu jauni par le temps. Le bustier était un corset en lui-même, en brocard doré, et de la dentelle recouvrait la gorge de Lizzie. Sur les épaules, la robe originelle avait des plumes de paon en guise de capeline, mais elles s'étaient abîmées avec le temps et Elizabeth avait choisi de ne rien mettre à la place.
— Une fois que j'aurais ajusté la robe, tu verras, tu sera sublime ! Est-ce que tu as reçu une réponse de ton père ?
— Non... Pas encore, répondit la jeune femme en baissant le nez. J'aimerai tellement qu'il mette sa rancœur de côté et qu'il vienne, même si c'est dangereux.
— T'en fais pas, les pirates savent se tenir de temps en temps ! répliqua Mauria avec un rire.
Son opulente poitrine tressauta puis elle fit signe à Elizabeth de se déshabiller. La jeune femme ne fut pas fâchée de remettre sa chemise et son pantalon de cuir et quand elle quitta le salon de couture, elle inspira à pleins poumons.
Le mariage n'était pas encore fixé, elle voulait attendre une hypothétique réponse de son père et elle avait promis à Jack et son père qu'elle n'attendrai pas au-delà de la prochaine pleine lune, soit dans un mois, puisque la dernière pleine lune venait de se finir.
Retournant chez les Sparrow, la jeune femme se sentait légère. Bien entendu, la rumeur de son mariage avec Jack avait fait le tour de Tortuga en un rien de temps et des cadeaux arrivaient chez le Capitaine Teague parfois par brouettes entières...
Arrivée en vue de la maison, la jeune femme entendit soudain rire et s'approcha de l'arrière de la grande bâtisse. Sur l'île, elle était l'une des rares à avoir un jardin, où plutôt, un cours arrière, mais cela indiquait bien le niveau dans la hiérarchie pirate de la famille Teague-Sparrow...
En reconnaissant Thibault qui jouait au fer à cheval avec Teague, Lizzie sourit. Elle posa une main contre le mur de la maison et observa ce garçon de treize ans qui n'avait plus rit ni sourit depuis qu'ils l'avaient sorti du navire couvert des cadavres de sa famille.
Depuis deux semaines maintenant, l'adoption de Thibault était officielle et de ce fait, même s'il ne voulait pas encore choisir entre le nom de Jack ou celui d'Elizabeth sans en discuter avec le Gouverneur Swann, il semblait avoir retrouvé une certaine joie de vivre qui faisait plaisir à tout le monde.
Elizabeth observa donc son fils un moment et quand il jeta un dernier fer qui s'enroula autour du piquet, qu'il leva les bras et hurlant de joie, la jeune femme sourit et signala sa présence en battant des mains.
— J'ai gagné ! s'exclama l'enfant quand elle les rejoignit.
— Contre combien ?
— Papa Teague ne sait pas lancer, tacla Thibault avec un sourire amusé.
— Corniaud, répliqua Teague. Je suis vieux et perclus de douleurs, c'est lourd un fer à cheval, tu sais ?
Le jeune garçon lui tira la langue et Teague retira son chapeau pour lui en asséner un coup, mais Thibault se réfugia dans les bras d'Elizabeth avec un rire.
— Ah, Papa, ne me l'abîmez pas ! s'exclama la jeune femme. Je voudrais en profiter encore quelques années !
Teague remit son chapeau à sa place et sourit.
— Je suis tellement heureux que mon fils se marrie enfin, et qu'en plus, il m'offre un petit-fils déjà grand ! J'espère vraiment que tu vas t'habituer à la vie de pirate, mon garçon.
— Je l'espère à aussi. Je sais que je ne pourrais sans doute pas toujours suivre Jack et Elizabeth partout, mais je me sens déjà bien ici.
— C'est une très bonne nouvelle ! répondit Elizabeth. Et nous ne t'obligerons jamais à nous accompagner si tu n'en as pas envie. Tu pourra rester avec ton grand-père tant qu'il voudra de toi.
Teague renifla.
— Pourquoi ne voudrais-je pas de lui ?
— Oh, ce n'était qu'une phrase rhétorique, vous le savez, sourit Elizabeth.
— Ah, les femmes intelligentes... Fais attention, fiston, ta mère va te farcir le crâne à coup de calculs et de français dès qu'elle en aura l'occasion !
Thibault rigola, serré contre Elizabeth. Depuis qu'il avait écrit son nom dans le livre de famille des Sparrow, il avait changé du tout au tout et passait tout le temps qu'il pouvait auprès d'Elizabeth. Il craignait encore un peu Jack, il n'osait pas se montrer familier avec lui et le pirate était d'ailleurs assez distant, peu habitué aux effusions de ce type.
— As-tu essayé la robe de ma femme, Lizzie ? demanda alors Teague.
— Oui, Mauria va la reprendre à plusieurs endroits, mais elle me va et elle est magnifique. Votre femme devait être vraiment belle là-dedans.
— Elle était la plus belle femme du monde, répondit Teague. En plus, elle était enceinte de Jack, elle était donc encore plus belle !
— Les femmes enceintes ne sont pas toutes belles... rétorqua Thibault. Quand ma maman attendait mon petit frère, elle était grosse et elle avait le visage rouge, les pieds gonflés... C'était pas très beau à voir...
Elizabeth explosa de rire. Teague haussa un sourcil puis secoua la tête, amusé.
— Fiston, un homme amoureux a cette capacité à voir la beauté là où les autres ne la voient pas, dit-il. Cailin n'était pas une femme si belle que ça, elle était brutale, à peine éduquée... Elle était matelot sur mon navire, elle faisait un très bon travail.
Le trio s'assit soudain sur le sol et Teague reprit son histoire. Elizabeth apprit donc que Cailin Norris, la mère de Jack, était à l'époque un matelot de la Brune, le navire pirate du Capitaine Edward Teague Sparrow. Ils avaient vogué pendant des années ensemble, piratant sans cesse et sans aucune douceur les marchands et les navires civils qui avaient le malheur de croiser leur route.
— Un soir, on venait de vider un navire en laissant l'équipage en culottes avec juste de quoi manger pour retourner au port le plus proche et Cailin a décidé de... Eh bien, de s'amuser. Elle avait beaucoup bu, comme les autres, et ils avaient commencé à jouer à la vérité...
Elizabeth fronça les sourcils.
— Tu sens la couille arriver, ma fille ? demanda Teague. Mes ivrognes de marins ont entreprit de passer aux questions salaces et quand Cailin a refusé de répondre à l'une d'elles, elle a eu un gage.
— Qui a été de faire quelque chose avec vous ? demanda Elizabeth.
— Rien de depravé, ils l'ont mise au défit de monter sur le château et de m'embrasser. Pour leur plus grand bonheur, elle ne s'est pas démontée et elle l'a fait. J'étais de bonne humeur cette nuit-là, j'ai donc accepté le gage et tout le monde a été content.
— Mais ?
Teague croisa le regard de Thibault.
— Vous savez, j'ai un père qui ramenait ses amantes à la maison... dit le jeune garçon. Pour mon plus grand désarroi, je sais déjà comment on fait les bébés...
Elizabeth roula des yeux et Teague soupira. Il raconta ensuite que, une fois les matelots endormis sur le pont, ronflant bruyamment, Cailin, dessoulée, était remontée le rejoindre pour reprendre là où ils s'en étaient arrêtés...
— Après ce moment rapide, elle est revenue me voit plusieurs fois pendant les deux mois qu'on a mis pour rentrer à Tortuga. Au début, je ne voulais pas vraiment d'elle, puis elle a insisté et je me suis laissé tenter. Rapidement, les gars ont compris qu'elle était à moi et de là, elle est devenue Madame Capitaine. Elle m'a annoncé être enceinte quand nous sommes arrivés à Tortuga. Deux mois plus tard, je l'epousais et nous reprenions aussitôt la mer.
Elizabeth haussa les sourcils.
— Jack est né en mer ?
— Comme beaucoup de pirates, répondit Teague. Mais quand Cailin a été prise par les douleurs de l'enfantement, nous étions au large des côtes de l'Inde. Je n'avais aucune idée de comment ça se passait, un accouchement, nous avions prévu qu'elle accouche sur terre, avec un médecin...
— Mais Jack a décidé qu'il arriverait maintenant, sourit Elizabeth.
— Oui, avec six semaines d'avance. Il est né après dix-neuf heures de labeur et Cailin était éreintée... Mais ce n'était pas ce qui m'inquiétait le plus, que ma femme soit épuisée ou que mon fils ait pris six semaines dans la vue... C'était plutôt la trombe marine qui nous arrivait dessus en rugissant.
Elizabeth serra les lèvres. Teague raconta alors que la trombe avait fait voler la Brune en éclats et que tout l'équipage avait été précipité à la mer. C'était la pleine nuit, il y avait un orage digne de la fin des temps...
— Cailin a eu le réflexe de mettre Jack dans un tonneau vide. Elle a fermé le couvercle et s'est jetée à la mer avec lui... Quand j'ai repris connaissance, c'était le jour et la mer m'avait jeté sur une plage. J'ai alors cherché partout ma femme, mon fils, mes hommes... J'en ai retrouvé la majorité vivants, au milieu des débris de mon navire, mais point de Cailin. Quand j'ai découvert que l'endroit était habité, je me suis dépêché de chercher mon bébé, car si Cailin avait survécu alors elle serait avec lui, mais une fois le soleil haut, je n'avais encore rien trouvé. Jusqu'à ce que je tombe sur une femme, une guerrière si j'en croyais ses armes et ses peintures corporelles. Elle était quasiment nue, elle ne portait qu'un pagne autour de la taille, mais c'était surtout sa lance que je ne quittais pas des yeux...
Elizabeth esquissa un sourire. Teague expliqua ensuite avoir demandé à la guerrière si elle avait vu une femme blanche comme lui avec un bébé. La guerrière était restée silencieuse, inquiétante ; Teague avait de nouveau demandé, un peu plus énergiquement et la femme avait alors réagi et l'avait menacé de sa lance...
— Quand elle m'a obligé à la suivre, j'ai compris que je ne m'en sortirais pas. Elle semblait furieuse, je ne connaissais pas sa tribu... Je l'ai alors suivie jusqu'à son village et j'ai découvert un peuple sauvage qui vivait en autarcie avec la forêt. Et là, j'ai entendu vagir et mon sang n'a fait qu'un tour. Sans réfléchir, j'ai couru à travers le village, avec tous les guerriers à mes trousses, suivant le cri du nourrisson. Je savais que c'était mon bébé, je l'avais reconnu. Je l'ai trouvé un peu à l'écart, accroché au sein d'une jeune femme. Quand j'ai vu le tonneau, j'ai compris que Cailin n'avait pas survécu. J'ai alors demandé à ce qu'on me rende mon fils, mais la jeune femme a refusé.
Elizabeth baissa le nez sur Thibault, calé sur ses genoux, avide d'écouter l'histoire.
— La chef du clan s'est alors approchée et à la grande surprise, elle s'est mise à parler anglais, reprit Teague. Je lui ai alors expliqué que mon navire avait fait naufrage pendant l'orage et que ma femme et mon fils avaient disparu. Elle a compris que le bébé qu'ils avaient trouvé dans le tonneau était mon fils, elle m'a alors assuré qu'il me serait rendu dès qu'il sera repu.
— Et votre femme ? demanda Thibault.
— Je suis resté une semaine dans le village, et quand les guerriers sont revenus avec le corps d'une femme très abîmé qui avait séjourné dans l'eau, j'ai vu tout mon monde s'écrouler. La femme que j'avais aimée était morte noyée à peine deux heures après avoir accouché... J'étais dévasté. Une fois que Cailin eut été incinérée, j'ai récupéré mon bébé et je suis parti rejoindre mes hommes.
— Sans la nourrice ?
— Au début non, puis la chef du village me l'a envoyée et quand un navire pirate est venu nous récupérer, j'ai voulu emmener la jeune femme avec moi. Elle a d'abord refusé, mais la chef lui a assuré que tout irait bien pour ses enfants. La jeune femme m'a alors suivie et je l'ai ramenée à Tortuga...
— Elle vit toujours ici ?
— Non, elle est repartie pour son clan dès que Jack a été sevré. Oh, bien sûr, nous avons passé un peu de temps ensemble et sa présence m'a beaucoup aidé avec le deuil de Cailin... Quand elle est partie, elle m'a dit qu'elle était enceinte. J'ai voulu la retenir, mais elle a refusé. Je ne l'ai jamais revue depuis.
Elizabeth pencha la tête.
— C'est une histoire tellement triste...
— Oui, mais j'avais mon fils, il avait survécu à son premier orage en mer la nuit de sa naissance et ça augurait un très bon futur pour lui. Et j'en ai la preuve maintenant alors qu'il est sur le point de se marier.
Elizabeth sourit. Thibault bailla soudain et Teague jeta un œil sur la montre de gousset dans son gilet.
— Tu dois avoir faim, dit-il en se relevant. Allez viens, allons trouver Jack et manger quelque chose.
Thibault saisit la main tendue avec un sourire et se remit sur ses pieds. Elizabeth se releva ensuite puis ils retournèrent dans la maison en silence.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top