Chapitre 15

Jack étudiait la carte de l'Angleterre que Gibbs venait de lui mettre sous le nez.

—  Et je suis censé voir quoi ? demanda le Capitaine en agitant une main nonchalante.
— Là, dit Gibbs en posant le doigt sur une tache brune dans le bleu représentant l'eau sur la carte. Cette île est censée être inhabitée, mais depuis plusieurs semaines, la Capitainerie voit passer des autorisations de passage pour aller y livrer de la marchandise.
— Et ça va de la bouffe à l'eau, en passant par les fringues, dit Anamaria.

Jack la regarda avec étonnement. Il y avait des dizaines et des dizaines de petites îles autour de l'Angleterre. Si Barbossa se cachait sur l'une d'elles, ils n'allaient pas toutes les passer en revue ! Si ?

— Je veux en être sûr et certain, dit-il en regardant Gibbs. Prenez de l'argent et allez aux renseignements. Si Elizabeth est sur une de ces îles, les gens doivent le savoir. Ne serait-ce que l'équipage du bateau qui les ravitaille !

Gibbs hocha rapidement la tête puis il ramassa la carte et s'en alla. Anamaria, elle, regarda Jack.

— Elle vous manque ? demanda-t-elle. Vous êtes si proche d'elle et pourtant...
— Ça suffit la psychanalyse à deux pence, grommela Jack. Va plutôt aider Gibbs, tu veux ?

Comprenant que la discussion était close, la jeune femme tourna les talons et rejoignit le Second qui allait quitter la taverne. Elle s'incrusta avec lui en disant que Jack ne voulait pas de compagnie, et ils partirent tous les deux dans les rues proches pour interroger les gens, et tant pis s'il faisait nuit noire ! C'était même mieux, car tous les gens louches sont de sortie une fois la nuit tombée, et ils parlaient bien plus volontiers que les gens du jour, surtout si on leur offrait quelques pièces en échange...

.

Gibbs et Anamaria revinrent à la Taverne quelques heures plus tard et Jack les regarde de travers, comme s'il s'attendait à ce qu'ils lui ramène Elizabeth directement.

— Vous l'avez trouvée ? demanda-t-il.
— Oui, répondit Anamaria. On sait précisément où elle et on a encore mieux, on a quelqu'un qui peut nous amener là-bas.

Jack regarda ses deux compagnons.

— Quand ? demanda-t-il en quittant sa chaise.
— Demain matin, répondit Gibbs. C'est le Capitaine Ed Simons, je suis sûr que tu le connais !
— Simons ? Bien sûr que je le connais ! Alors comme ça, ce vieux cochon de Barbossa se fait livrer par Simons ? Quel abruti !

Jack rigola puis ils regagnèrent leur petit bateau de pêche, amarré dans le port. Ils y vivaient tous les trois depuis plusieurs jours maintenant, et le confort, même rudimentaire, du Pearl, commençait à manquer.

— Anamaria, tu vas retourner sur le Pearl, dit Jack en rassemblant des affaires. Gibbs et moi on se charge d'aller chercher Elizabeth.
—  Entendu.

Un silence s'installa et Jack regarda les deux autres.

— Quoi encore ? demanda-t-il.
— C'est, euh, tu sais, cette histoire de bébé ? dit Gibbs en hésitant.
—  Oui, eh ben, ce n'est qu'une rumeur, heureusement !
— Oui mais... hésita la jeune femme. Écoute, Jack, Simons n'est pas retourné sur l'île depuis une bonne semaine, mais il y va demain, c'est une aubaine pour nous, sauf qu'il sait de la bouche d'Elizabeth que Barbossa a trouvé l'enfant que vous êtes censé avoir caché ici, à Londres, dans la famille du Gouverneur Swann...

Jack regarda ses deux amis sans comprendre puis un sourire étrange, presque fou, étira sa bouche et il se pencha en arrière.

—  Vous vous foutez de moi, tous les deux, dit-il en agitant une main vers eux. Vous vous foutez de moi, c'est ça, hein ?
— Non... répondit Anamaria en se tordant les doigts. C'est... difficile à comprendre, mais Barbossa a bel et bien ramené un enfant sur son île et...

Jack avala sa salive bruyamment puis soudain fit volte-face sur un pied et disparut dans la cabine du petit bateau de pêche.

—  S'il ne hurle pas, il va casser quelque chose, dit alors Gibbs en rentrant la tête dans les épaules.

Un cri étouffé, sans doute par un chiffon dans lequel il aurait mordu, résonna alors, puis il y eut un bruit de vaisselle cassée, très certainement la lampe à pétrole qu'ils avaient payée si cher...

— Et les deux ? demanda Anamaria en grimaçant.

Gibbs soupira puis s'éloigna vers l'avant du bateau. Il regarda au loin vers le large et grommela.

— Si Elizabeth s'occupe de ce bébé, alors nous allons devoir la ramener à Port-Royal, dit-il.
— Elle ne s'en occupera pas, répondit Anamaria.
— Tu as l'air bien sûre de toi, lâcha Gibbs en la regardant.
— Je suis une femme et même si nous allons répondre à notre instinct maternel en prenant soin d'un enfant qui est tombé, par exemple, nous savons faire la différence entre un enfant sorti de nos entrailles et un qui ne l'est pas... Si Barbossa a barboté un bébé et l'a collé dans les bras d'Elizabeth, alors elle va le rejeter.

Gibbs haussa un sourcil.

— Écoute, Josh, elle a fait croire au Commodore qu'elle était stérile pour pouvoir divorcer et rejoindre Jack, reprit la jeune femme. Elle n'a aucune envie de s'encombrer d'un bébé maintenant, elle veut juste vivre sa vie comme elle l'entend, en toute liberté, sans doute pour quelques mois, quelques années, encore. D'ici à ce que sa relation avec Jack s'étoffe suffisamment, notre Capitaine sera trop vieux pour naviguer encore comme aujourd'hui, et Elizabeth sera au bon moment de sa vie pour avoir un bébé.
— Jack n'arrêtera jamais de naviguer, Anamaria... dit-il.
— Peut-être, il laissera Elizabeth à Tortuga quand il partira pirater. Il reviendra ensuite, comme l'a fait Teague...

Anamaria plissa le nez et Gibbs soupira. Ils finirent par aller se coucher, dans la cale, en priant pour que le lendemain, ils parviennent à convaincre Simon de les conduire sur l'île, à l'insu de Barbossa, bien entendu.

~

L'aube se levait sur l'Angleterre, mais Jack était levé depuis plus longtemps encore. À vrai dire, il n'avait quasiment pas dormi de la nuit. L'idée de revoir enfin Elizabeth après dix mois de séparation lui était presque insupportable. Toute la nuit, il s'était demandé ce qui allait encore leur tomber dessus et les séparer.

— Déjà levé ?

Jack se retourna et esquissa un sourire. Gibbs s'approcha alors en se frottant le visage.

— Je n'ai quasiment pas dormi, répondit le Capitaine. Plus les jours passent et plus je suis proche d'Elizabeth et pourtant, elle est encore si loin... Qu'est-ce qui va encore arriver, Gibbs ?
— Rien, Capitaine, répondit le Second. Je l'espère. Je pense que vous avez étés séparés depuis suffisamment longtemps, même si le Gouverneur Swann n'est pas de cet avis.

Jack coula un regard en coin à son Second.

— Comment ça ? demanda-t-il.
— J'ai contacté le Gouverneur pour lui dire que nous avions retrouvé sa fille et qu'il pouvait cesser de la faire chercher. Il m'a répondu qu'il voulait qu'on la lui ramène à Port-Royal.

Jack hocha lentement la tête. Il soupira en croisant les bras et grimaça.

— Tu es amoureux, Capitaine ? demanda alors Gibbs.
— Il semblerait... Je ne pensais pas m'attacher à une autre femme aussi vite...
— Saramine est morte il a longtemps...
— Oh, je le sais bien, mais Elizabeth n'est pas du tout comme elle... répondit Jack. Elle est fraîche, jeune, moderne... Je suis bien plus âgé qu'elle et pourtant elle m'aime, Gibbs.
— Elizabeth Swann ne s'arrête pas à l'âge, et tu le sais. Elle voit à l'intérieur des gens, comment ils sont en vrai, et elle a su voir en toi le jeune homme que j'ai connu il y a vingt ans, et non pas le pirate couturé que tu es maintenant.

Jack renifla dédaigneusement.

— Et dire que je n'ai fait que la sauver de la noyade... dit-il.
— Si c'était à refaire, tu le referais ? Sachant ce que tu sais aujourd'hui ?

Jack pinça les lèvres puis posa ses mains sur le bastingage et serra les doigts.

— Oui, dit-il alors. Oui je le referais. Je suis fou de cette fille, Gibbs... Mais j'ai peur qu'elle ne se soit entichée de ce bébé...

Gibbs secoua la tête.

— Ce ne sera sans doute pas le cas. Anamaria pense qu'Elizabeth ne s'attachera pas à ce bébé parce que ce n'est pas le sien.

Il se tut et serra les mâchoires.

—  Parce que ce n'est pas le vôtre, acheva-t-il.

Jack le regarda avec étonnement.

— Tu crois que...?
— C'est une femme, Jack, il arrivera un jour ou l'autre où elle voudra sceller votre couple pour toujours et ça, le mariage ne suffit pas.
— Je n'ai pas l'intention de l'épouser...
—  Non ? Et pourquoi pas ?
— J'ai peur qu'elle ne croit devoir rester sur la Pearl si c'est le cas.
— Il y a plein de cas dans ce genre... dit Gibbs. Beaucoup de femmes mariées à des pirates restent à terre... Je sais bien que notre Lizie semble aimer naviguer, mais elle sera bien mieux à Tortuga ou à Nassau.

Jack serra les mâchoires. Le soleil jaillit soudain de l'horizon et le Capitaine se tourna vers son Second.

— Allons récupérer Madame Capitaine ! dit-il avec un sourire.
—  Avec joie... Capitaine !

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Dernière modification le 12/08/2020

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