Chapitre 15

— Je vais avoir du mal à dormir sur un truc qui flotte pas.
— On est tous pareils ! s'exclama Jack, amusé. Au début on a du mal, puis on s'y habitue et si vraiment on peut toujours retourner sur Pearl.

Elizabeth lui sourit et déposa son sac sur le lit de la chambre qu'elle allait se partager avec son compagnon pendant leur séjour à Tortuga. Libéré de leur serment, le reste de l'équipage était libre de faire ce que bon lui semblait jusqu'à ce que le Pearl reprennent la mer.

— C'est gentil à votre père de nous héberger.
— C'est normal, corrigea Jack.
— Normal pour vous, pas pour moi et encore moins Thibault. Que lui avez-vous dit à son sujet ?
— La vérité, que nous l'avons récupéré sur un navire mourant du Choléra, qu'il n'avait pas été malade, ni nous, mais qu'il avait besoin d'être entouré d'une famille pour oublier les horreurs qu'il a vues.

Elizabeth opina.

— Et concernant son adoption ?
— Je n'ai rien dit et je n'ai pas pris de décision non plus.
— Cela fait trois semaines, Jack.
— Je sais, mon amour, mais il y a beaucoup de paramètres que je dois prendre en compte concernant mon héritage et je...

Elizabeth se mordit la lèvre.

— À ce propos, justement, je me disais que si vous aviez des réticences à faire de Thibault votre héritier, alors je pourrais l'adopter et lui donner mon nom, mais...
— Chérie, votre héritage est encore pire que le mien ! s'esclaffa le pirate.
— Justement, j'ai alors pensé à une chose...

Jack lui darda un regard acéré. La jeune femme baissa le nez une seconde puis expliqua son idée à son compagnon qui, à sa grande surprise, demeura silencieux.

— Qu'est-ce que vous en dites ? dit-elle ensuite. Nous adoptons Thibault, mais seuls nos enfants naturels hériteront de nos fortunes et de nos titres. Nous avons de plus largement de quoi en céder une partie à Thibault le moment venu sans que ce ne soit totalement officiel.

Jack s'assit au bout du lit et demeura pensif un moment.

— Faut causer de tout ça avec le gamin et avec mon paternel. Il possède la fortune des Sparrow, pour le moment, et j'en hériterait qu'après sa mort. Cependant, je suis un pirate, je pourrais mourir demain, auquel cas je n'aurais pas d'héritier.

Elizabeth esquissa un sourire. Pour la troisième fois en moins d'une heure, elle trouva à placer une troisième de ses idées.

— Je serais là, annonça-t-elle.
— Lizzie, mon amour, si je meure, vous n'aurez absolument rien de moi...
— Sauf si nous nous marions.

Jack eut un sursaut et s'étouffa.

— Nous marier ? Mais d'où... Je suis surpris, Elizabeth, depuis le début de notre relation, vous me rabâchez que vous ne voulez plus jamais vous remarier pour ne pas avoir à subir encore les agissements d'un homme, et voilà que maintenant...
— Avec vous, ce n'est pas pareil, Jack, répondit alors la jeune femme. Vous m'avez prouvé que vous étiez tout à fait capable de vous tenir à mon endroit, et désormais, j'estime que je vous ai suffisamment fait attendre. Je vous aime, j'ai tout perdu ou presque pour vous rejoindre. Certes au début c'était pour échapper à une vie de de poupée de porcelaine, mais désormais, je suis Madame Capitaine et je veux que ce soit officiel.

Jack demeura silencieux, sous le choc. Il se leva alors lentement et enlaça sa compagne en fourrant son visage dans le creux de son cou. Elizabeth sourit en l'entourant de ses bras et quand il recula pour l'embrasser presque farouchement, elle éclata de rire.
On toqua au même moment contre à la porte et le couple se sépara. Elizabeth s'éloigna vers le lit pour vider son sac tandis que Jack allait ouvrir à son père.

— Tu tombes à pic, Papa, dit-il.
— Ah bon ? Auriez-vous quelque chose à m'annoncer ? sourit le pirate aux joues grêlées par la petite vérole.

Le couple se regarda avec un sourire. Teague les observa sous son bandana rouge et haussa un sourcil.

— J'imagine que c'est à moi de le faire, même si ce n'est pas habituel, dit alors Elizabeth. Monsieur Edward Teague Sparrow, m'autorisez-vous à épouser votre fils ?

Edward Teague ouvrit de grands yeux et se tourna vers son fils.

— Vous allez vous marier ?! s'exclama-t-il.
— Oui, répondit Jack. Avons-nous ta bénédiction ?
— Oh, mon fils, oui, bien sûr ! Bien sûr !

Il le prit alors brutalement dans ses bras et Jack se mit à rire après un moment de surprise. Quand il recula, il se tourna vers Elizabeth, posa ses mains sur ses joues puis l'embrassa sur le front une longue seconde avant de la prendre dans ses bras à son tour.

— Nous marieras-tu ? demanda alors Jack.
— Je suis ton père, je ne peux pas... se désola l'homme en relâchant Elizabeth. De plus, tu n'as personne pour te conduire à l'autel, ma fille...

La jeune femme baissa soudain le nez puis inspira et croisa le regard de Jack.

— On peut toujours essayer, dit-il.
— Quoi donc ?
— Envoyer une invitation à mon père, répondit Elizabeth. Même si je lui ait fait du mal en m'acoquinant un pirate, je demeure son unique enfant, le dernier lien qui lui rappelle ma mère, cette femme qu'il a tant aimée...
— Dans ce cas, essayez. S'il ne peut ou ne veut pas venir, alors je te conduirai à l'autel. S'il vient, je vous marierai.

Jack opina. Teague posa une main sur son épaule, serra les doigts un instant puis quitta la chambre en oubliant ce qu'il était venu faire de prime abord.

— Une chose de faite, soupira alors Elizabeth. À présent, parler à Thibault.
— Vous êtes sûre ?
— J'adore ce gamin, Jack... Je me sens responsable de lui et si nous en venions à lui dire adieu ici, je m'en voudrais...

Jack serra les lèvres.

— Mon père va s'occuper d'organiser le mariage, ce sera à la mode pirate, bien entendu, mais je veillerai au grain, ne vous en faites pas. Pour ce qui est des héritages, nous verrons le moment venu.
— Ce qui veut dire que vous voulez bien que nous adoptions Thibault ?
— Je dois en discuter avec mon père, mais je ne pense pas qu'il aura une quelconque objection. J'ai presque quarante ans, Lizzie, je serais même bien trop vieux pour vous, et mon père désespère d'avoir un jour des petits-enfants.

Elizabeth sourit. Elle retourna près de son compagnon et ils échangèrent un solide baiser avant que la jeune femme ne quitte la chambre. Jack se retrouva alors seul et soupira profondément avant qu'un sourire niai n'étire sa bouche. Il exécuta alors un petit pas de danse puis se jeta à plat ventre sur son lit et tira la robe de nuit d'Élizabeth qui dépassait de son sac. Il plongea son visage dans le fin tissu de coton et inspira à pleins poumons l'odeur de celle qu'il pourra bientôt appeler sa femme pour de vrai.

.

Elizabeth chercha Thibault un moment dans la grande maison des Sparrow avant qu'on ne lui indique qu'un gamin comme elle cherchait était sur les quais. Elle s'y rendit donc et trouva effectivement le jeune garçon assis sur bord d'un ponton, observant les gros navires pirates amarrés dans la baie.

— Salut, mon grand, ça va comme tu veux ?
— Ouais... Cet endroit est impressionnant...
— Tu en avait entendu parler ?
— Mon père ne nous parlait pas beaucoup de ses voyages, mais tous les marchands ont plus ou moins entendu parler de Tortuga, le sanctuaire de pirates, un endroit où même les soldats de la Compagnie des Indes n'ont pas le droit d'aller.
— Oui, c'est vrai...

Elizabeth regarda autour d'elle. Les maisons étaient toutes bâties à flanc de rocher, empilées sur les unes sur les autres dans un enchevêtrement de poutres, de planches et de coursives. Des milliers de personnes allaient et venaient, les ignorant, et quand elle baissa les yeux, la jeune femme observa Thibault un moment.

— Dis-moi, que dirais-tu de demeurer plus longtemps avec nous, dit-elle.
— On repart déjà ?
— Non... Non, non, pas avant plusieurs semaines. Mais je... J'ai eu une idée il y a quelques semaines, je devais d'abord en parler à Jack pour avoir son avis et je viens de l'avoir.

Thibault fronça les sourcils.

— Thibault, prochainement, Jack et moi allons nous marier et...
— Vraiment ? C'est génial, félicitations !
— Merci, mon grand. De ce fait, j'aurais une question à te poser et tu es tout à fait libre de ne pas me répondre tout de suite...

Le jeune garçon était attentif au plus haut point. Elizabeth leva alors une main et lui caressa la joue. Il ferma les yeux et soudain, une larme glissa. Sans prévenir, il bascula contre la jeune femme et se mit à pleurer toutes les larmes de son corps dans son corsage. La gorge serrée, Élisabeth l'entoura de ses bras et l'embrassa sur le crâne une longue seconde. Elle n'avait même pas eu besoin de formuler sa question, le jeune garçon avait immédiatement compris et l'émotion avait prit le dessus sur sa volonté.

— J'imagine que tu es d'accord, sourit alors Lizzie.

Thibault hoqueta, à mi-chemin entre le sanglot et le rire, puis se redressa et passa ses manches sur son visage en hochant la tête.

— Oui, oui, je veux devenir votre fils, oui...
— Mon lapin... Tu as vécu tellement d'horreurs...  Je te promets que désormais, c'est terminé.

Elizabeth lui caressa les cheveux un moment puis elle le reprit dans ses bras et il demeura calé dans le creux de son coude, le regard perdu dans la baie, pendant plusieurs minutes avant que la jeune femme n'éprouve une crampe qui n'oblige l'enfant à se redresser à contrecœur.

— Comment je vais devoir vous appeler ? demanda-t-il alors.
— Comme tu voudras. Je sais que tu as des parents, même s'ils sont morts, et c'est pour cela que je te laisserai choisir.
— Et le Capitaine ?
— Nous verrons cela avec lui, d'accord ?

Thibault sourit, les yeux brillant d'une lueur qu'Elizabeth ne lui avait jamais vue depuis qu'ils l'avaient secouru du navire mourant de sa famille.

— Je suis contente que tu aies accepté, dit-elle. J'aurais sans doute été très triste si tu avais préféré partir vivre ta vie.
— Je vous ai suivi jusqu'ici sans demander une seule fois à ce que vous me déposiez dans un port, répondit Thibault. Toute ma famille a disparu avec notre navire, je n'ai qu'une tante à Londres et une à Paris, et je n'ai aucune envie de les y rejoindre.
— Et rester ici, à Tortuga ?
— Pour devenir un petit voyou qu'on chasse à coup de pierres ? Non merci. Je suis un peu comme vous, quand on y pense. Je suis le fils d'un riche marchand ; vous êtes la fille du Gouverneur de Port Royal. Nous sommes des bourgeois tous les deux, embarqués dans une aventure bien loin de nos habitudes.

Lizzie sourit et hocha la tête.

— Tu me ressembles bien plus que tu ne le crois... dit-elle doucement en lui caressant la joue. Je me souviens que tu m'as dit un jour que j'étais trop jeune pour être ta maman, mais saches que chez les pirates, ils ne s'arrêtent pas à cela. Je vais épouser un homme qui a le double de mon âge et pourtant, son père vient de nous donner sa bénédiction. Je serais fière de devenir ta maman, Thibault, mais je comprendrais si tu préfères que je sois ta grande sœur.

Le jeune garçon serra les lèvres puis secoua la tête.

— Je sais que vous êtes jeune, mais Monsieur Gibbs m'a assuré que vous aviez beaucoup grandi depuis que vous avez quitté votre ancien mari. Il y a deux ans, il m'a dit que vous étiez encore une jolie poupée de porcelaine.

Elizabeth se mit à rire.

— C'est exactement ça ! La vie a Port Royal est belle quand on a les moyens, j'avais épousé un capitaine de corvette, un Commodore, et j'aurais pu être heureuse avec lui si mon esprit n'avait pas eu envie de partir retrouver Jack. J'ai alors inventé un mensonge pour faire annuler mon mariage, et je suis partie. Du moins, j'aurais dû me rendre chez une tante en Espagne, mais j'ai faussé compagnie au capitaine qui devait m'y conduire. Je l'ai payé et je suis partie sur un autre bateau en direction des mers du sud et des caraïbes...
— La vie de pirates est difficile, répondit Thibault. Mais nous sommes tellement plus libres... Avec mon père, je n'avais pas le droit d'écouter ses conversations, mais je devais quand même apprendre le métier de marchand pour prendre sa suite un jour...
— Tu le voulais ?
— Oui, j'ai toujours aimé acheter et vendre, estimer les prix des objets, trouver un acheteur et négocier... C'est toujours enrichissant.
— Je veux bien te croire et si tu veux, pendant notre séjour, tu pourrais être l'apprenti du Maître de Quai ? Il s'occupe de tous les navires qui entrent dans la baie, il monte à bord, evalue le prix de la cargaison et indique ensuite au capitaine si ça se vend ou pas en ce moment et où.
— Ça semble intéressant... Vous pensez que je peux travailler malgré tout ?
— Nous ne sommes plus un équipage pour le moment, le Black Pearl est en train d'être soigné de tous ses bobos et nous, nous en profitons pour passer du temps avec nos familles et nous reposer.

Thibault esquissa un sourire. Il retourna ensuite se blottir contre Elizabeth un moment avant que leurs estomacs ne les rappellent à l'ordre et qu'ils ne décident de rentrer à la maison Sparrow pour le déjeuner.

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