Chapitre 14

Jack observait sa compagne en silence. Elle était assise de l'autre côté de son bureau et lui avait les pieds sur celui-ci.

— Qu'en dites-vous ? Vous sentez-vous capable de devenir père ?
— Là n'est pas la question, Lizzie, il y a bien longtemps que je rêve d'avoir des enfants un jour, adoptés ou naturels, cela m'est égal. Ce qui m'inquiète le plus, c'est vous.
— Moi ? Pour quelle raison ?
— Est-ce que vous faites cela pour moi, pour vous, pour nous, ou pour lui ?

Elizabeth cligna puis se redressa.

— J'adore Thibault, Jack, là n'est pas la question, et il me le rend au centuple. Il a besoin de nouveaux parents qui lui fassent oublier les horreurs qu'il a vues. Il a besoin de nous deux.
— Et que ferons-nous de lui quand nous partirons tous les deux pirater ?
— Il est suffisamment grand pour nous accompagner, comme aujourd'hui, sauf s'il veut rester avec Papa Teague.

Jack haussa un sourcil. Il pinça ensuite la bouche, observa ses bottes avant de se redresser en laissant tomber ses pieds sur le parquet.

— OK, et le petit, il en pense quoi ?
— Je voulais lui en parler avant de vous le dire, mais en fait j'ai préféré connaître d'abord votre opinion afin de ne pas lui faire de fausse joie.
— Je vois. Donc vous ne lui en parlerez qu'une fois que j'aurais dit oui, c'est ça ?
— En effet... Je vous laisse le temps d'y penser. J'imagine que ce n'était pas la façon dont vous auriez voulu un enfant avec moi, mais cela viendra, ne vous en faites pas ; d'ici à la, nous avons un jeune homme de treize ans qui a besoin d'une nouvelle famille.

Jack opina. Elizabeth le laissa ensuite et gagna la cuisine pour préparer le déjeuner. Ils avaient repris la mer depuis deux jours et effectivement, comme l'avait dit le corbeau, l'île avait disparu comme par magie dès qu'ils lui avaient tourné le dos. Le plus étrange était que personne à bord sauf Elizabeth ne s'en souvenait...

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— Adopter le gamin ? Elle est jeune non ?
— Elle paraît plus âgée que ses vingt ans, elle a beaucoup mûri depuis qu'elle est avec nous. Ce n'est pas sa jeunesse qui m'inquiète, c'est le fait qu'elle veuille l'adopter. Je pense qu'au fond d'elle, cela lui donne excuse pour ne pas se donner à moi et repousser encore cette éventualité.
— Vous croyez ?

Jack haussa les épaules. Il était à la barre du Black Pearl et ils filaient droit vers Tortuga. Ils avaient encore deux ou trois semaines de voyage si le temps ne tournait pas.

— Elizabeth a été malmenée par le Commodore, c'était son premier homme, elle était vierge avant de le connaître... Tu sais très bien qu'une mauvaise expérience la première fois demeure gravée dans la tête et dans le corps.
— Lizzie a peut-être eut une mauvaise surprise pour sa première fois, mais elle vous aime, Capitaine, et vous finirez par en faire votre femme, j'en suis certain...
— Plus les mois passent et plus je me demande si j'ai encore le droit d'avoir de l'espoir, Gibbs...
— Nan, nan, Cap, faut pas dire ça, pas dire ça... gémit Gibbs. Vous entendez ? Elle vous aime, elle vous l'a dit des dizaines de fois, laissez-lui juste un peu de temps !
— Elle a tout le temps qu'elle veut, mais... pas trop quand même.

Gibbs baissa le nez.

— Je vous préviens, si vous laissez tombez Madame Capitaine, je démissionne !
— Quoi ?!

Jack eut un hoquet et la navire prit soudain un violent gîte qui fit pousser des cris en bas sur le pont. L'après-midi était calme et presque tout le monde faisait la sieste dans un coin du navire. Le brusque à-coup dans le gouvernail en avait réveillé plusieurs.

— Désolé ! s'exclama Jack en redressant la barre. J'ai lâché...

Des hommes marmonnèrent puis le silence revint et Jack accrocha la roue avec la corde de nuit avant de se tourner vers son Second.

— C'est quoi cette idiotie ? demanda-t-il. Pourquoi est-ce que tu partirais si je laissais tomber Elizabeth ?
— Parce qu'alors vous seriez un gros abruti et que jamais je ne voudrais continuer à vous servir.

Le ton de Gibbs surprit Jack. Jamais il ne lui avait parlé de la sorte.

— T'es pas amoureux de Lizzie quand même, Gibbs...
— Bah voyons ! Je suis sérieux Capitaine, si tu la lâches, ne compte plus sur moi.

Gibbs quitta ensuite la passerelle et Jack l'observa un moment, surpris. Jamais on ne l'avait menacé de départ s'il faisait une chose qui déplaisait... En général quand un Capitaine faisait une connerie, son équipage se mutinait et le passait par-dessus bord, mais là...
S'ébrouant, Jack reprit la barre et ne la lâcha qu'à la nuit tombée, quand Elizabeth annonça que le dîner était servi.

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— Si tu l'adopte, il se passera quoi ?
— Concrètement ? Rien de plus qu'aujourd'hui, pourquoi ?
— Jack est le Seigneur des Mer du Sud, Lizzie, et même si c'est un pirate, il a beaucoup de possessions. Si vous adoptez Thibault, il deviendra un Sparrow et leur héritier.

Elizabeth demeura silencieuse une seconde.

— Sauf si je fais en sorte que seul les enfants que j'aurais avec Jack deviennent ses héritiers. Je pense que Thibault se fiche pas mal de devenir un Sparrow, mais il est en manque d'affection, je le vois de plus en plus chaque  jour qui passe...
— Donc, ce serait juste pour... légitimer ton affection pour lui ? demanda Anamaria.
— En quelque sorte, je l'adore et je suis tellement désolée de toutes les horreurs qu'il a vécues à seulement treize ans...

Anamaria plissa le nez. Elle avait achevé le petite frère de Thibault, agonisant dans les bras de son frère... Elle lui avait pincé le nez, posé la main sur la bouche, puis elle avait prié pour son âme et attendu qu'il parte. Une fois que le petit corps avait cessé de trembler, elle l'avait pris dans ses bras, ayant déjà eu le Choléra enfant, et lui avait demandé pardon avant de quitter la cabine.

— Fais ce qui te semble le plus important, dit-elle alors. Thibault a droit à une famille, il doit reprendre pied et se refaire une vie, tu as raison, mais c'est peut-être viser trop haut que d'en faire un Sparrow maintenant.
— Donc il portera mon nom ? Tu es au courant que niveau héritage, les Swann c'est encore pire que les Sparrow ?

Anamaria plissa le nez. Elizabeth et elles étaient occupées à vider et préparer des poissons fraîchement péchés pour le dîner. Une nouvelle semaine semaine de voyage s'était écoulée à bord du Black Pearl et l'île mystérieuse était déjà bien loin dans le souvenir d'Élizabeth.

— Je vais devoir lui poser la question, mais de toute manière, rien ne se fera avant notre arrivée à Tortuga, répondit Elizabeth.

Anamaria opina. Elle avait hâte de rentrer chez elle, de retrouver ses amis, sa mère, qu'elle ne voyait qu'une fois par an, et encore... Pirater dans l'équipage de Jack Sparrow était toujours intéressant, enfin la majeure partie du temps, mais il avait tendance à demeurer très longtemps en mer et ne rentrer que rarement, comme s'il craignait de se trouver sur la terre ferme.

— Tu poseras aussi la question à Papa Teague, dit alors la jeune femme.
— Oh, lui, tu sais, il ne demande pas mieux que d'avoir des petits-enfants ! s'esclaffa Lizzie.

Anamaria se mit à rire en écho puis elles reprirent la préparation des poissons avant d'en mettre une partie à cuire dans de l'eau bouillante tandis que l'autre partie était découpée en filet et mise dans le saloir.

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Tortuga fut en vue un matin très tôt alors que le brouillard de la nuit recouvrait encore la ville chaotique des pirates.
Ici, point de soldats, c'était un sanctuaire et personne n'avait le droit de poser le pied sur les planches du quai si c'était pour chercher des noises à quelqu'un.

— Jetez l'ancre.

Gibbs chuchotait. Seule l'équipe de nuit était éveillée, le reste de l'équipage dormait profondément. Le plouf de l'ancre troubla à peine le silence et le navire s'arrêta ensuite avec un bref gîte.

— Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? demanda l'un de matelots.
— Il est trop tôt pour débarquer, allez dormir un peu, je vais attendre le Maître de Quai.

Le matelot opina, fit signe à ses deux compagnons de le suivre et ils disparurent dans la cale. Gibbs soupira alors et s'accouda au bastringuage. Il observa Tortuga et fut étrangement content de rentrer, mais à la fois las. Ils avaient passé des mois ici pendant que Lizzie était bouclée dans son couvent, suspendus aux humeurs orageuses d'un Capitaine en mal d'amour... Ce n'était pas un très bon souvenir.
S'asseyant sur le sol, le Second du Black Pearl sortit un livre, s'enroula dans une couverture et entreprit de passer le temps en attendant que le Maître de Quai ne monte à bord pour vérifier ce que contenait les cales du navire et prélever une dîme.

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— On pourra débarquer quand ?
— À la fin de la journée, annonça Jack. Il y a plusieurs équipages qui sont arrivés avant nous et il n'y a plus de place à quai. Le Maître de Quai a indiqué à Gibbs que serait un peu long...
— Et pourquoi est-ce qu'il y a autant de monde ? demanda Elizabeth. La dernier fois que je suis venue ici, il n'y avait pas autant de navires...
— Cela dépend des époques, répondit Anamaria. Aux alentours du Solstice d'hiver, il y a toujours plus de monde, les parents rentrent retrouver leurs familles.

Elizabeth opina et coula un regard à Thibault. Ils étaient tous attablés dans la salle à manger, en train de prendre le petit-déjeuner. Ils allaient passer toute la journée à faire leurs bagages et à préparer la cargaison à être déchargée. Gibbs se chargera ensuite de la vendre afin de pouvoir payer les matelots.
Avec surprise, Elizabeth avait appris qu'elle aurait elle aussi droit à des gages, alors qu'elle ne faisait pourtant presque rien sur le navire. Jack lui avait répondu qu'elle se chargeait quand même de toutes les lessives en plus des repas et que c'étaient des tâches suffisamment pénibles pour mériter un salaire.
C'est donc les mains dans la mousse de sa dernière vaisselle avant un bon moment que Elizabeth décida qu'elle voulait adopter Thibault. Elle allait juste attendre la décision de Jack, puis une fois ça, ils iraient voir le père de Jack pour lui annoncer la nouvelle.

Et si on en profitait pour se marier ? songea brusquement la jeune femme. Jack m'attend depuis bientôt deux ans, c'est presque un outrage à sa personne que de le forcer à une telle chose... Après tout, Ana a raison, je suis une grande fille, je suis capable de surmonter mes appréhensions et passer à autre chose.

Pensive, la jeune femme termina sa vaisselle en silence. Elle ne craignait pas d'épouser Jack Sparrow, ce qu'elle redoutait, c'était de souffrir à nouveau sous ses mains comme elle avait enduré celles du Commodore...
Elizabeth décida de cette pause à Tortuga pour demander des conseils à tous ceux et celles qui seraient en mesure de lui en fournir, même si cela impliquait d'aller discuter avec des prostituées qui elles, n'avaient aucune pudeur sur la chose...

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