Chapitre 12
— Regarde cette chemise ?
— Elle est trop chère, Ana...
— Pf ! T'es difficile pour une bourge quand même ! grommela Anamaria. Fallait demander du fric au Capitaine !
Elizabeth leva les yeux au ciel.
— Je vais prendre l'air, dit-elle alors.
— L'air ? Mais on est dehors ! s'exclama Anamaria comme la blonde s'en allait à grandes enjambées. Lizie !
Mais Elizabeth était déjà loin et elle ne s'arrêta de marcher que quelques pas plus loin, le souffle court et l'impression d'étouffer. A tâtons, elle s'assit au bord d'un pot de fleurs et déboutonna son gilet marron. Elle inspira alors et retira son chapeau.
— Mademoiselle Elizabeth ?
La jeune femme ferma les yeux. Elle se retourna et Gibbs s'approcha.
— Tout va bien ? demanda le Second du Pearl. Vous avez l'air... essoufflée.
— Ce n'est rien, j'avais juste... besoin de prendre l'air...
Gibbs releva alors la tête et regarda Anamaria qui se tenait plus loin, un air perdu sur le visage. Elle leva les mains sans comprendre et Gibbs regarda Elizabeth.
— C'est quoi qui vous ennuie, mon petit ? demanda-t-il alors. Le fait qu'Anamaria a besoin d'une amie ou le fait que le Capitaine ne semble pas comprendre ce que vous voulez de lui ?
— Les deux, je pense. Je n'ai pas l'habitude d'avoir une amie qui fait le marché avec moi, qui me demande son avis, qui discute de tout et de rien, qui... D'habitude je n'achète pas mes vêtements, un couturier vient à la maison et me les présente directement...
Elizabeth secoua la tête.
— Quant à Jack...
Elle haussa les épaules et regarda droit devant elle. Gibbs posa alors une main sur son épaule.
— Parlez-lui, mon petit, ou vous allez devenir folle..
Elizabeth grogna.
— Tout le monde me dit ça, dit-elle. Mais vous voulez que je dise quoi, hein ? Je ne sais pas si cette obsession que j'ai pour Jack depuis huit mois est réelle, s'il y a quelque chose de concret derrière, de réalisable, ou bien si je me suis fourvoyée pendant tout ce temps, si j'ai blessé mon mari pour rien, si j'ai menti à mon père pour rien, si...
Gibbs soupira puis s'assit et posa ses mains sur ses genoux. Il frotta son pantalon et regarda une femme qui arrosait des plantes au balcon d'une maison proche.
— Mademoiselle Elizabeth...
— Lizie.
— Ok... Lizie, donc. Écoutez, Lizie, Jack est un bon gars, mais vous l'avez suffisamment entendu pour le moment, je pense. Son truc à lui c'est qu'il joue les fiers-à-bras, mais qu'il est aussi timide que vous, au final.
— Timide ? À d'autres...
— Hum, non, vous avez raison. Disons qu'il est maladroit avec les femmes. Voilà, c'est ça. Jack Sparrow est un grand pirate, personne ne le conteste, mais avec les femmes, c'est une bêche. Il s'est pris des râteaux à n'en plus finir depuis que je le connais... Quand il est ivre, il dit des choses indécentes qui ne se disent pas à une femme, même à une pute, et il récolte très souvent des gifles et autres coups parfois mal placés.
Elizabeth esquissa un sourire et Gibbs se tourna vers elle.
— Vous pourriez le faire changer, dit-il. Vous êtes une jeune femme bien élevée, vous savez comment les hommes doivent se comporter avec les femmes... J'imagine que votre mari...
— Mon ex-mari, corrigea Elizabeth.
Gibbs leva une main et la jeune femme reprit :
— Jack est trop volage pour ça, dit-elle. Je ne le connais pas bien, mais de ce que j'ai compris des paroles d'Anamaria, il aime le changement... et ça vaut aussi pour les femmes.
— Mais pas les femmes comme vous...
Elizabeth ronfla.
— Aux yeux d'un forban, les filles sont toutes pareilles ! dit-elle en se levant. Faciles et jetables !
— Non. C'est faux.
Gibbs regarda la jeune femme qui lui renvoya un regard interrogateur, puis ils pivotèrent tous les deux et Jack releva le menton en les regardant. Il accrocha ses pouces à son ceinturon et Elizabeth le regarda. Il avait l'air d'un de ces pirates idéalisés qu'on trouvait dans les livres pour enfants...
— Tu es ivre, Capitaine ? demanda Gibbs en se levant.
— Non, répondit Jack. Plus sobre que moi, tu meures, là.
Elizabeth baissa les yeux et soudain, se détourna.
— Elizabeth, un mot ?
La jeune femme se figea et ferma les yeux. Elle se retourna alors et découvrit que Gibbs avait mis les voiles. Elle jura mentalement puis hocha la tête pour Jack qui lui présenta son bras.
~
— Tu crois qu'ils font quoi ?
— Pas ce que tu as en tête, dévergondée.
Anamaria prit un air faussement choqué puis elle rigola en secouant la tête.
— Le jour où ces deux-là coucheront ensemble, il y aura un tsunami qui ravagera les Caraïbes ! dit-elle, amusée.
Gibbs regarda la jeune femme. Ils étaient retournés à l'auberge et buvaient un verre au bar.
— Tu crois qu'ils ne sont pas faits pour être ensemble ? demanda-t-il.
— Oh, si, sans aucun doute, mais je ne vois pas leur relation comme ça, répondit la jeune femme en vidant son verre de whisky d'une traite.
— Et comment, alors ?
— Belle, Gibbs... souffla Anamaria. Je vois une belle relation pour eux, un couple solide, qu'aucune mutinerie, qu'aucun forban, qu'aucune pute, ne pourra détruire.
— Jack ne sait pas garder une femme...
— Pour elle, il apprendra. Je le sens, Gibbs...
— Mouais.
— Tu ne me crois pas ? Il n'était pas ivre tout à l'heure ! répliqua la jeune femme en pivotant sur son tabouret. Il était sobre ! Tu as déjà vu Jack Sparrow sobre, toi ?
Gibbs serra les mâchoires et regarda son verre.
— Une fois, dit-il. Quand il était avec Saramine.
Anamaria pencha la tête sur le côté.
— Qui ?
— Une fille... Il y a longtemps... On venait de se rencontrer à Tortuga, tous les deux. Il cherchait un équipage pour le Pearl et moi je voulais voyager. C'était il y a plus de dix ans, et il venait d'avoir le Pearl. Et il y avait cette fille, Saramine.
— Quel drôle de prénom... Elle était jolie ?
— Oh ça oui, une belle espagnole, longs cheveux noirs, yeux bleus... Elle était magnifique...
Gibbs baissa le nez puis vida son verre.
— Elle est morte ? demanda alors Anamaria.
Gibbs hocha la tête.
— Elle a été tuée pendant une rixe entre pirates, dans un bar comme celui-ci... On était là pour ravitailler le Pearl et recruter quelques gars, et une bagarre a éclaté. On a voulu partir, mais un gars s'est jeté sur Jack et l'a frappé avec une chope. Il est resté sur le carreau. Saramine a essayé de s'interposer, mais le gars l'a attrapée par l'épaule et envoyée valdinguer... Elle s'est cogné la tête contre le bord du bar, elle était morte en touchant le sol...
— Oh Seigneur...
Anamaria baissa la tête.
— C'est pour ça que Jack boit tout le temps ?
— Entre autres... Tu crois vraiment qu'avec Elizabeth, il peut changer ?
— Elle est amoureuse, c'est obligé, mais elle ne l'a pas encore accepté, répondit Anamaria. Crois-moi, quand une fille pense encore à un mec qu'elle a vu pendant dix minutes, huit mois après, y a un truc pas normal... Elle était mariée, Gibbs, elle n'aurai jamais dû continué à penser à Jack avec ça...
Gibbs haussa les épaules.
— Qui vivra verra comme on dit, dit-il en soupirant. Ça peut pas leur faire de mal de toute façon...
~
Elizabeth regardait l'océan. Il n'y avait pas un souffle de vent, l'eau reflétait le ciel comme de l'huile et les bateaux ancrés dans la baie étiraient leurs silhouettes noires comme autant de fantômes silencieux.
— Tenez...
Elizabeth tourna la tête et Jack s'assit près d'elle, au bord du quai.
— Rhum ? demanda-t-elle.
— Non, du vin, mais si vous voulez...
Elizabeth haussa les épaules et prit la flasque. Elle en but une gorgée puis la baissa et soupira.
— Vos hommes doivent croire que...
— Je m'en fiche pas mal de ce qu'ils pensent, coupa Jack.
— Il fait nuit noire, on devrait rentrer...
— Nous n'avons pas parlé de l'essentiel, répondit Jack. Je sais tout de votre vie de ces derniers mois ou presque, mais pas de ce qui s'est passé ces derniers jours.
Elizabeth passa sa langue sur ses lèvres puis esquissa un sourire en coin.
— Je ne suis pas plus capable que tout à l'heure de vous parler de ça en tout liberté, dit-elle. Rien ne m'en empêche, pourtant, mais c'est plus fort que moi...
Jack regarda ses pieds puis soudain, se leva et tendit la main.
— Où allons-nous ? demanda la jeune femme en se relevant.
— Nulle part.
Il la prit par la taille et leurs visages se retrouvèrent à quelques centimètres l'un de l'autre.
— Jack, qu'est-ce que vous... rougit aussitôt Elizabeth en reculant.
— Je vous propose un truc, dit-il en lui caressant l'arrête de la mâchoire. Puisque vous ne savez pas pour qui votre cœur bat alors je vais vous aider à choisir...
Elizabeth posa ses mains sur la poitrine du pirate et se libéra de son bras.
— Non, dit-elle en se détournant. Je sais ce que je ressens, ce que je ne sais pas, c'est si c'est vrai ou si...
— Ou si vous vous êtes fourvoyée, blablabla, coupa Jack. Elizabeth, vous êtes une poule des beaux quartiers, vous n'avez jamais eu d'amant et vous avez divorcé de votre mari. Si vous voulez vivre avec moi, si vous voulez...
Il se tut et ronfla en reculant. Elizabeth croisa les bras, comme pour se protéger.
— Vous allez devoir vous décoincer un peu ! lâcha alors Jack en la pointant du doigt.
— Me décoincer ? Vous êtes un pirate, Jack ! C'est facile pour vous de dire ça, vous qui êtes ivre du matin au soir et du soir au matin ! s'exclama Elizabeth en se détournant, les bras au ciel. Moi, j'ai été élevée pour faire joli ! Et je ne veux plus être une jolie plante en pot qu'on regarde et qu'on félicité pour sa belle robe ! Je ne veux plus être obligée de porter ces abominables corsets et ces robes qui pèsent dix tonnes !
Elle lui face et soudain Jack leva les mains et saisit la jeune femme par la taille en plaquant son autre main sur sa bouche. Il l'entraîna dans les ombres d'une porte cochère et la serra contre lui.
— Jack, je vous ai dit que...
— Des soldats... souffla-t-il en tournant la tête vers la porte. Taisez-vous...
Elizabeth émit un couinement et se serra contre le pirate. Une garnison de soldats anglais apparut alors, armés de torches enflammées, dans un bruit de bottes rythmé. Elizabeth les regarda passer. Soudain, son pied ripa contre la pierre et l'un des soldats se tourna vers eux en brandissant sa torche. Un chat eut la très bonne idée de sortir de sa cachette au même moment et Elizabeth soupira de soulagement.
— Un chat, dit le soldat. Continuons.
Le groupe s'éloigna et quand la lueur de leurs torches eut disparu, Elizabeth se redressa et regarda Jack. Elle se mordit la joue puis recula légèrement.
— Merci, dit-elle doucement.
— Nous faire arrêter tous les deux aurait eu des conséquences très fâcheuses, dit Jack en jouant avec une mèche brune échappée du chignon de la jeune femme. Ceci dit, de tout cela, j'en retire une chose assez intéressante...
— Laquelle ?
— Que vous êtes une bonne personne et que je pense que les prochaines semaines risquent d'être intéressantes...
Elizabeth esquissa un sourire. C'était exactement ce qu'elle s'était dit quelques jours en arrière...
— C'est ce que je me suis dit aussi, dit-elle en lissant un pli sur la chemise du pirate. Je ne veux plus êtes une fragile poupée de porcelaine, Jack... Mais je ne sais pas si être la femme d'un pirate est mieux ou pas...
— La femme...
Jack se redressa soudain d'un coup d'épaules et sortit des ombres.
— Jack ? s'étonna Elizabeth. Eh, vous allez où ? Jack... !
Mais le pirate disparut entre deux maisons et Elizabeth resta plantée là, interdite. Soudain, elle s'ébroua et prit la direction de la taverne. Il était tard mais elle avait besoin d'un remontant solide...
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Dernière modification le 03/08/2020
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