Chapitre 12
Jack observait l'île depuis le pont du Black Pearl. Il était sceptique. Il n'avait jamais vu d'île dans ce coin de l'océan et Anamaria lui assurait qu'ils n'avaient pas dévié de leur route, car elle s'était endormie sur la barre une bonne partie de la nuit...
— Franchement, je ne comprends pas...
— Est-ce qu'on aurait pu dévier quand même ? Genre sans que le gouvernail ne bouge les courants nous poussent ailleurs...
— C'est possible, mais ça serait quoi cet endroit ? demanda Jack. Une île cachée magique ?
— On en a vu d'autres hein des trucs bizarres ! s'exclama Gibbs en rigolant.
— C'est vrai, admit le Capitaine. Elle en pense quoi ma femme ?
— Aucune idée, elle prépare le déjeuner...
Jack hocha la tête et descendit dans la cale. Il fut guidé jusqu'à la cuisine par les délicieuses odeurs qui envahissaient les couloirs et, alors qu'il allait s'annoncer, il se cacha dans l'ombre et esquissa un sourire.
Juché sur un plot en bois, Thibaut surveillait le contenu d'une grande marmite en le remuant de temps en temps. Près de lui, Elizabeth coupait des légumes en saumure.
— Pourquoi vous vous occupez de moi, Madame ? demanda soudain le garçonnet.
— Cela te dérange-t-il ?
— Du tout, c'est juste bizarre venant d'une femme pirate...
— Je ne suis pas un vrai pirate, sourit Elizabeth.
Elle déposa son couteau, ramassa les légumes coupés des deux mains pour les jeter dans la marmite.
— Je suis la fille du Gouverneur Swann, de Port-Royal, dit-elle ensuite. Je suis tombée amoureuse de Jack Sparrow après qu'il m'a sauvé la vie en m'empêchant de me noyer...
— On dirait une histoire de roman... Une femme se fait sauver de la mort par un pirate, elle tombe amoureuse et décide de tout quitter vivre avec lui.
Elizabeth rigola.
— En effet, dit comme ça, cela paraît un peu redondant, mais j'étais mariée alors et malgré toutes les attentions de mon mari, je n'ai jamais réussi à l'aimer, j'ai même fini par le haïr à tel point que j'ai décidé de mentir pour pouvoir obtenir le divorce et partir.
Thibaut tourna la tête et fronça les sourcils. Élisabeth lui confia alors que pour le Commodore Norrington, officiellement, elle était incapable d'avoir des enfants. C'était un odieux mensonge, bien entendu, mais elle avait eu besoin d'une excuse valable pour annuler son mariage.
— C'est triste comme histoire, mais cela ne me dit toujours pas pourquoi vous vous occupez de moi...
— J'aime énormément Jack, Thibaut, mais j'ai très peur d'avoir un enfant avec lui. Ma seule expérience avec un homme a été mon détestable mari... Sauf que sans compagnon, je n'aurai jamais d'enfant, et je...
Elizabeth baissa et soupira. Thibaut posa alors une main sur son bras et elle leva les yeux vers lui.
— Vous êtes trop jeune pour que je vous appelle maman, dit-il avec un sourire. Vous aviez raison quand vous avez dit que j'avais vécu un enfer et que j'avais le droit de me laisser vivre. Je... J'ai vu mourir mes parents, mon oncle, sa petite fille... Le choléra est une maladie ignoble et je ne la souhaite à personne, vraiment ! Je sais que je vais mettre des années à me débarrasser de mes cauchemars, mais si je peux ne pas être tout seul pendant ce temps, alors je prends.
Élisabeth sourit et posa sa main sur la joue de l'enfant.
— Tu parles beaucoup trop bien pour un enfant de pirate, dit-elle. Tu me ressembles beaucoup plus, pour le coup...
Thibaut rigola puis Jack, caché dans l'ombre, esquissa un sourire un peu triste. Il savait que sa compagne avait une réelle crainte des hommes et des relations avec eux, que le Commodore n'avait en aucun cas pris soin d'elle pendant leur mariage, se servant d'elle plutôt que l'aimant, et il trouvait ça horrible. Les femmes avaient beau être en général plus fragiles que les hommes, elles n'étaient pas des objets pour autant...
— Quel dommage que vous ne vouliez pas d'enfants, Lizzie ! s'exclama Jack en entrant dans la pièce. Vous êtes adorables tous les deux !
— Cessez je vous prie... Vous savez très bien ce que je pense de tout cela, Jack.
— Certes, néanmoins vous semblez bien vous entendre tous les deux...
— Jaloux d'un enfant de treize ans, Capitaine ? rétorqua Thibault avec un sourire en coin.
— Jaloux, moi ? C'est mal me connaître, mon garçon... Lizzie est ma femme, je n'ai aucune raison de douter d'elle, tu sais ?
Elizabeth observa les deux hommes un moment puis posa ses mains sur ses hanches.
— Quand mes deux hommes auront fini de se chamailler, peut-être qu'ils daigneront m'aider ?
— À quoi faire ? demanda le pirate.
— Mettre la table pour commencer ?
Jack marmonna. Thibault lui coula un petit regard victorieux assorti d'un rictus et le capitaine pirate marmonna en tournant les talons.
— Vous vous entendez bien avec lui, je me trompe ? demanda-t-il.
— J'avoue que oui, ce qui demeure étrange même encore maintenant alors que nous sommes quasiment mariés...
— Si j'ai bien compris, vous ne voulez pas d'enfants ?
Elizabeth se mordit la lèvre et baissa le nez sur ce qu'elle découpait.
— Si, avoua-t-elle alors. Si, je veux des enfants, mais avant de devenir Madame Capitaine, j'étais la femme du Commodore Norrington à Port-Royal et je ne peux pas dire qu'il m'ait... choyée. Il m'aimait, mais j'étais une femme, rien de plus qu'une jolie potiche qu'on arbore en soirée mondaine de temps en temps... Mon seul but était de lui donner des enfants, mais mon âme le lui refusait.
— Vous vous êtes enfuie ?
— Non, j'ai fait croire au Commodore que j'étais stérile, il a accepté de faire annuler le mariage pour défaut de procréation et je suis ensuite partie me reposer chez une tante, officiellement, mais depuis qu'il m'avait sauvé la vie, Jack m'obsédait... Je n'étais pas amoureuse encore, mais je voulais vivre libre et pour cela il n'y a rien de mieux que les pirates.
Thibault esquissa un sourire. Il était fils de marchand, il avait plus ou moins toujours connu un certain confort et jouit d'une certaine liberté... Il ignorait ce que c'était que la vie de riche bourgeois et encore plus la vie de pirate, même si pour le moment, il aimait bien.
Le jeune garçon fut tiré de ses pensées par Elizabeth qui jouait avec le bord de la planche à découper, pensive. Il l'observa un moment puis tendit la main et la posa sur la sienne. La jeune femme tourna les yeux vers lui, retira sa main et la posa sur sa joue avec un sourire. Elle l'attira ensuite à elle et il pressa son visage contre sa poitrine en l'entourant de ses bras. Il se redressa ensuite et Lizzie lui repoussa les cheveux en arrière avec un sourire.
— Vous avez peut-être raison, après tout, dit-il. J'ai un peu trop vu de choses pour mon âge et pouvoir redevenir un enfant pendant quelque temps ne peut pas me faire de mal.
Elizabeth lui sourit. Thibault retourna dans ses bras un instant puis ils se remirent à cuisiner en silence.
.
Elizabeth demeura dans sa chambre une grande partie de la journée, pensive. Ils allaient accoster l'île inconnue le lendemain, le temps de trouver une crique ou une plage pour débarquer, mais la jeune femme était inquiète, et non pas par ce qu'ils pourraient trouver sur cette île dont personne ne connaissait l'existence.
— J'ai menti toute ma vie... À mon père, à William, à James, à Jack... À moi-même. J'ai toujours eu un mensonge prêt à être déployé, comme une sorte de bouclier pour me protéger des agressions extérieures...
Elizabeth baissa les yeux sur ses mains. Elle frotta pensivement son annulaire droit, là où se trouvait son alliance moins de deux ans en arrière, et elle ferma les yeux. Mentir à James Norrington pour sortir d'un mariage dont elle ne voulait pas n'avait pas été difficile, l'homme était un peu stupide et crédule sur les bords, fier de lui et de tout ce qu'il entreprend... On toqua soudain contre la porte et la tête ébouriffée d'Anamaria apparut.
— Dis donc, toi, t'es bien discrète aujourd'hui... Vous êtes disputés, le cap et toi ?
— Non, Ana, pas du tout, je... Je crois que j'ai juste le mal du pays.
Anamaria pinça la bouche et entra dans la cabine en refermant la porte après elle. Elle attrapa un tabouret et s'assit devant son amie.
— C'est quoi te mets dans cet état ?
— Un peu tout ce que j'ai dû faire pour en arriver à devenir Madame Capitaine... Les mensonges surtout.
— Celui pour te débarrasser du Commodore ?
— Entre autres. J'ai aussi menti à mon père pendant des mois en lui faisant croire que j'étais heureuse avec James, que tout se passait bien, mais une fois notre porte fermée...
Elizabeth secoua la tête et soupira. Anamaria lui prit les mains.
— Tu sais, Jack, il est pas comme ça, il t'attendra, hein...
— Je sais, mais il m'aime, Ana, et je n'ai pas le droit de le laisser comme ça... Il vieillit, il est beaucoup plus âgé que moi et je sais qu'il aspire à prendre sa retraite un jour où l'autre... Papa Sparrow voudrait bien des petits-enfant aussi.
Anamaria rigola et sourit.
— Papa Sparrow passe son temps à rebattre les oreilles de son fils pour avoir des petits-enfants ! Ça fait des années qu'on en entend parler !
Elle rigola et Elizabeth esquissa un rictus.
— Tu sais, reprit alors Ana. Maintenant, tu as Thibaut, je sais qu'il est un peu vieux pour être ton fils, mais... Je vous vois bien, tu sais ? Tu lui redonne le sourire et il te fait sourire et je crois que tout le monde l'a vu, ça, même Jack.
— Il vous a parlé de ce matin ?
— Disons qu'il a laissé filtrer quelques bribes de conversation ici ou là...
Anamaria dodelina et Elizabeth souffla par le nez.
— J'ai fait croire à James que j'étais stérile pour me débarrasser de lui, nous avons fait annuler le mariage en payant un médecin pour qu'il certifie qu'il n'avait jamais été consommé, mais mon père n'a pas été dupe et il m'en a voulu. Aujourd'hui, parce que je suis amoureuse d'un pirate, il m'a mise à la porte de ma maison en me donnant de l'argent, comme si ça allait m'absoudre de ce que j'ai fait.
Elle se tut un instant avant d'ajouter :
— Je ne sais même pas si je suis capable d'avoir des enfants... J'ai été mariée à James pendant plusieurs mois et je ne suis jamais tombée enceinte, pas même un soupçon ! Et pourtant, il ne chômait pas...
La jeune femme plissa le nez de dégoût en repensant à ces heures passées avec le Commodore à endurer ses assauts, de jour comme de nuit, qu'elle soit indisposée ou non, dans leur chambre ou tout autre endroit discret de la maison, dans le seul but d'avoir au plus vite un héritier, de préférence un mâle...
— À voir ta tête, tu repenses à ton mariage avec Norrington, grimaça Anamaria. Jack n'est pas comme ça, je te l'ai dit, sauf que plus tu attendras, plus ça sera compliqué... Tu est dégoûtée d'un seul homme, Lizzie, un seul ! Ne condamne pas Jack à regarder sans jamais toucher pour le reste de sa vie, tu le regretteras amèrement, je te le promets.
Elizabeth avala sa salive, inspira et opina.
— Je vais m'occuper de Thibaut jusqu'à ce qu'on arrive à Tortuga, là je demanderai à discuter avec des femmes. Pas que tu ne sois pas bonne conseillère, mais tu es mon amie et mon homme est ton capitaine ; nous n'avons pas à parler de ce genre de choses entre nous.
— Et je comprends parfaitement, ne t'en fais pas ! Si tu cherches une dondon à qui parler, je te conseille d'aller voir Madame, elle saura te parler direct, sans fioritures.
— Madame est une prostituée...
— Justement, elle sera franche et tu n'auras pas le choix qu'écouter. Elle te diras tout sur tout. Peut-être même un peu trop, mais bon...
Anamaria leva les yeux au ciel avec un haussement d'épaules et Lizzie rigola. La brune lui prit ensuite la main en se levant, annonçant qu'elle avait besoin de prendre l'air, et elle l'entraîna sur le pont.
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