Chapitre 11
Le Black Pearl se dressait de toutes ses voiles au milieu de la baie. Noir comme de l'encre, il était effrayant, même dans la lumière du matin, et Elizabeth eut un moment d'hésitation. Le soleil était levé depuis à peine une heure et la veille, la jeune femme avait plié ses affaires et donné son congé à la taverne où elle avait séjourné.
— Mademoiselle Swann ?
Elizabeth pivota, son baluchon sur l'épaule. Elle avisa l'homme qui se tenait devant elle, une sorte de demi-géant avec des favoris gris qui lui mangeaient les joues jusqu'au menton. Son air gentil tranquillisa Elizabeth qui lui adressa un signe de tête.
— Jack n'est pas là ?
— Le Capitaine doit cuver quelque part, il nous rejoindra, dit l'homme. Je m'appelle Joshamee Gibbs, je suis le Second du Black Pearl.
Il tendit la main et Elizabeth la serra franchement.
— Que vous a dit Jack sur moi ? demanda-t-elle.
— Rien en particulier, sinon qu'on allait vous ramener à Port-Royal un moment donné... Pourquoi il vous a proposé l'hospitalité du Pearl par contre, ça reste un mystère...
Elizabeth pinça la bouche.
— Il m'a sauvé la vie, il y a huit mois, à Port-Royal, dit elle. Et malgré toute ma bonne volonté, j'ai de la peine à me défaire de ce souvenir, mais j'ignore pourquoi.
— Vous le trouvez à votre goût, cherchez pas plus loin... grommela Gibbs.
— Physiquement c'est possible, mais il est très étrange et il agit bizarrement...
— Sans doute le rhum... Bon, venez, je vais vous présenter l'équipage.
Elizabeth regarda le Pearl ancré dans la baie puis suivit Gibbs dans une taverne proche.
— Les soldats ne viennent pas, ici ? demanda-t-elle.
— Non. Ici c'est le quartier des pirates et des gens glauques. Ils nous laissent tranquilles tant qu'on va pas en ville.
Elizabeth hocha la tête. Elle suivit ensuite Gibbs dans la maison basse qui se dressait devant eux, et elle plissa aussitôt le nez.
Quelle odeur ! songea-t-elle en regardant autour d'elle. Ces gens ne doivent pas connaître le savon...
Elle se frotta le nez discrètement et Gibbs la conduisit au fond de la pièce unique, vers un groupe de personnes qui buvaient et riaient fort.
Elizabeth avisa aussitôt une femme au milieu d'eux, petite, à la peau noire. Elle portait un bandana jaune banane sur ses cheveux crépus et quand son regard croisa celui d'Élizabeth, elle fronça les sourcils.
— Eh ben, tu nous ramènes quoi, là ? dit-elle en prenant sa chope de bière. C'est ta nouvelle copine ?
— Garde ta langue, malheureuse ! gronda aussitôt Gibbs.
La femme rentra le menton et Gibbs regarda le groupe composé d'hommes, d'une femme, et d'un perroquet.
— Les gars, je vous présente Mademoiselle Swann, c'est une amie du Capitaine, on va la ramener à Port-Royal, dit-il. Quand on aura fini ce qu'on a à faire avant, bien sûr...
Elizabeth fit un petit sourire et leva brièvement la main.
— Elizabeth, je vous présente Marty, Monsieur Cotton et son perroquet, Duncan et Anamaria.
Chacun hocha la tête à son prénom, même le perroquet et Elizabeth les regarda un à un.
— C'est cool, dit soudain Anamaria en se levant. Je vais enfin pouvoir parler d'autre chose que de bière, de rhum et de putes... Viens ma belle, t'as l'air terrifiée...
— Il est où le Capitaine, Gibbs ? demanda alors celui qui s'appelait Duncan.
Elizabeth nota qu'il était assit sur une pile de livres...
— Il s'est fait courser par les soldats, répondit Elizabeth un peu timidement. Il a filé juste après m'avoir invitée à vous rejoindre, hier...
Gibbs regarda la jeune femme puis hocha la tête et Anamaria passa son bras sous celui d'Elizabeth et l'entraina en dehors de la taverne où l'air était définitivement plus respirable...
~
— Alors comme ça, t'es la nouvelle copine du Capitaine... Il a toujours eut bon goût, mais toi t'as quelque chose de différent...
— Techniquement, je ne suis pas sa copine, répondit Elizabeth. Je... l'ai juste brièvement rencontré à Port-Royal quand il m'a sauvée de la noyade en plongeant pour me repêcher...
— T'étais toute seule ?
— Non, mon père et mon fiancé étaient là, mais...
Anamaria hocha lentement la tête.
— Tu t'es acoquinée du Capitaine malgré que tu sois fiancée (1), t'as bon goût toi aussi, mais tu dois être un peu givrée quand même parce que le Sparrow, c'est pas un bon avec les femmes...
— Il les bat ?
— Non... En général il les prend et il les jette... Mais on est tous comme ça dans la piraterie. C'est un boulot dangereux, on ne peut pas s'attacher des gens et risquer de les abandonner involontairement après un gros grain qui aurait coulé le navire... On trouve quelqu'un quand on en a besoin et ça s'arrête là...
Elizabeth hocha la tête. Elle n'y connaissait pas grand chose en matière de "grain" et elle fit semblant de comprendre pour ne pas froisser celle qui risquait d'être sa seule amie pendant des semaines...
~
Jack ne fut pas retour avant la tombée de la nuit et quand Gibbs lui demanda où il avait passé la journée, il annonça qu'il ne s'en souvenait tout simplement plus... avant de repérer Elizabeth et Anamaria qui discutaient dans un coin de la salle de restaurant de la taverne.
— Mesdames... Puis-je ?
— Je ne sais pas, répondit Anamaria en regardant le pirate. Vous avez invité Elizabeth à nous rejoindre et vous disparaissez toute la journée...
Elle regarda Elizabeth et sourit puis se redressa et Jack s'assit près d'elles.
— À boire ?
— On a déjà, dit Anamaria.
Elizabeth baissa le nez sur son thé et regarda ensuite Jack. Il lui renvoya son regard et soudain, Anamaria se leva en emportant sa chope. Elle s'assit près de Gibbs à l'autre table et Elizabeth soupira.
— Ils me considèrent comme votre dernière conquête en date, dit-elle en regardant les hommes du Capitaine.
— C'est un statu privilégié. Ça va vous éviter de dormir avec eux en bas...
— Peut-être, mais ce n'est pas ce que je suis venue chercher.
Jack grimaça.
— Vous êtes venue chercher quoi, exactement, Elizabeth ? demanda-t-il. Je peux comprendre que l'aventure, à Port-Royal, c'est pas ce qu'on trouve le plus, mais l'aventure avec des pirates, c'est peut-être d'un trop haut niveau pour vous, non ?
Elizabeth se mordit la lèvre.
— C'est vous que je cherchais, je vous l'ai déjà dit, dit-elle en portant sa tasse à ses lèvres.
— Oui, j'avais compris, mais pourquoi ?
La jeune femme reposa sa tasse et souffla par le nez.
— Anamaria m'a conseillé de vous le dire, dit-elle alors.
— Me dire ce que vous ne parveniez pas à dire hier ?
Elizabeth opina. Elle regarda autour d'elle puis se leva et Jack la suivit du regard. Quand elle quitta la taverne, il se tourna vers ses hommes et Anamaria hocha la tête. Le Capitaine se leva alors et sortit dans la rue.
— Mademoiselle Swann ?
— Je suis là...
Elizabeth, les bras croisés, était appuyée contre un baril rempli d'eau et elle regardait pensivement le sol. Jack s'approcha d'elle, prudent, et lui fit face.
— Vous pensez être amoureuse de moi, c'est ça ? dit-il.
— Le bon sens m'empêche d'en parler, répondit-elle.
— Donc j'ai raison. Alors je vous sauve la vie, comme ça, dans une tentative de bonne action, et vous... Je dois faire quoi, moi, dans l'histoire ?
— Rien. C'est moi qui vais décider si c'est réel ou si je me suis fourvoyée pendant quasiment un an en ruinant toutes les chances d'un honnête homme d'avoir une famille, répondit Elizabeth.
— Que puis-je faire pour vous y aider ?
Le ton du pirate était différent et Elizabeth le regarda. Elle sourit légèrement, lèvres serrées et haussa les épaules.
— Restez vous-même, ça suffira... dit-elle doucement.
Jack grimaça puis il soupira et attira la jeune femme dans ses bras. Elizabeth posa son menton sur son épaule et soupira. Elle recula ensuite et lui souhaita une bonne nuit en retournant dans la taverne.
Anamaria apparut alors, les mains dans les poches de son pantalon de toile.
— Elle a besoin d'un ami, Capitaine, dit-elle. Elle ne sais pas où elle en est...
— Elle pense être amoureuse de moi, Ana...
— Et alors ? C'est une jolie fille, un peu princesse sur les bords, mais c'est normal... dit Anamaria en haussant les épaules. Et puis, avoir une belle dame comme elle, ça vous changera des putes, Capitaine...
Jack plissa le nez puis il grommela et indiqua qu'il allait boire un coup en ville. Anamaria tenta de le retenir mais elle renonça et préféra rejoindre Elizabeth dans la chambre qu'elles partageaient.
~
— Je peux entrer ?
Elizabeth était étendue sur son lit. Elle soupira. Réfugiée dans cette pièce avec deux lits en mauvais état et un bazar monstrueux empilé de partout, elle avait eu besoin d'un peu de calme.
— J'ai discuté un peu avec le Capitaine... dit Anamaria.
— Et ?
Allongée sur le ventre, Elizabeth torturait un bout de tissu. Elle soupira soudain et s'assit au bord du lit.
— Je ferais mieux de rentrer à Port-Royal, dit-elle. C'était une mauvaise idée. J'aurais dû rester avec mon mari, j'aurais fini par oublier tout ça et...
— T'as divorcé parce que tu n'aimais par le Commodore, dit Anamaria en fronçant les sourcils. Pour moi c'est une très bonne raison. Je suis sûre qu'il a déjà retrouvé quelqu'un.
— Sans doute. Mais moi, je suis une espèce de poule des beaux quartiers, le plus "excitant" que j'ai fait jusqu'à maintenant, c'est mentir à mon père et décider d'embarquer sur un autre bateau que celui qui devait me conduire en Espagne. Et tout ça pour quoi ? Pour partir à la recherche d'une espèce d'outre à rhum constamment ivre qui ne semble pas comprendre comment fonctionne une vraie femme.
Anamaria haussa un sourcil et s'assit sur son lit.
— Bon, je te conseillerais pas de le rejoindre ce soir, alors, dit-elle.
Elizabeth la fusilla du regard et Anamaria sourit.
— Écoute, Jack est loin d'être stupide, d'accord ? dit-elle. Mais c'est un mec et les mecs, parfois il faut tout leur dire pour qu'ils captent, et encore, parfois, ça marche pas...
— Moi, je suis incapable de dire les choses aux gens, répondit Elizabeth. J'ai été élevée de façon à garder mes émotions pour moi, à ne jamais montrer ma tristesse, ma peur, ma joie, en public.
— Quelle vie fade tu as dû avoir, alors...
— Je ne sais pas, je n'ai jamais rien connu d'autre...
— Ça va changer, crois-moi, dit Anamaria avec un sourire. On s'ennuie jamais sur le Black Pearl. En plus, si tu es la copine du Capitaine, tu as l'immense chance de ne pas dormir avec ces troufions dans la cale...
Elizabeth plissa le nez.
— Tu as une cabine privée ? demanda-t-elle.
— Oui, si on veut...
— Et ici, c'est quoi alors ?
— Un placard où on met tout le bordel qui rentre pas ailleurs, mais moi, je dors au fond de la pièce, derrière un grand drap qui sert de séparation... Heureusement, ces bourricots ne sont pas méchants... Ils sont un peu grossiers, mais je sais leur répondre alors ils me laissent tranquille. Tu sais faire quoi de tes mains ?
— Pas grand chose, soupira Elizabeth.
Elle se rallongea et reprit son bout de tissu.
— Tu faisais quoi sur le Rageur ?
— La cuisine, la vaisselle, un peu de ménage...
— Bah c'est parfait ! Le Pearl manque cruellement d'une bonne cuisinière !
— Bonne, je sais pas, mais June m'a apprit à cuisiner des trucs pas trop mauvais alors je pense que vous pourrez y survivre...
Anamaria éclata de rire puis elle proposa qu'elles se couchent. Elle lui proposa ensuite d'aller faire le marché, le lendemain, pour éviter de passer la journée avec les garçons, et surtout, pour s'acheter quelque vêtements plus confortables pour la vie à bord d'un bateau...
.
(1) : "Malgré que", je sais, ça se dit pas, mais c'est Anamaria qui parle et voilà quoi ;)
Dernière modification le 03/08/2020
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