Chapitre 10

Elizabeth suivit Barbossa dans la maison et il la conduisit dans une grande salle à manger très bien décorée. Une longue table en bois massif entourée de ses chaises ornait une partie de la pièce, tandis que l'autre était meublée de trois gros canapés style royal, horriblement attirants...

— Que voulez-vous de moi ? répéta Elizabeth alors que Barbossa lui indiquait de s'asseoir à sa droite à la table.

Un matelot tira la chaise et la jeune femme s'installa, retrouvant les habitudes de sa vie normale, à savoir que quelqu'un fasse - presque - tout pour elle.

— Alors ? demanda-t-elle, une fois installée, en lissant la serviette de table sur ses genoux.

Barbossa s'assit en bout de table et agita la main vers un matelot. Le jeune garçon, qui ne devait pas avoir plus de quinze ans, hocha la tête et disparut par une porte.

— Vous avez judicieusement parlé de "Lizie", dit alors Barbossa après un silence de quelques secondes pendant lequel il déposa sa serviette sur son ventre proéminent. Voyez-vous, il y a une rumeur qui circule et semble "enfler", semaine après semaine...

Elizabeth pinça la bouche.

— Puis-je savoir de quoi elle retourne, que je puisse trouver une défense ? demanda-t-elle. Après tout, je suis enfermée ici depuis une semaine, et avant cela, j'ai passé huit mois dans un couvent, donc...
— Justement, c'est de ce passage dans un couvent d'où est partie la rumeur, dit Barbossa.

Il prit son verre à pied en cristal, rempli de vin rouge, et en but une partie. Elizabeth regarda son verre d'un œil circonspect.

— Buvez, buvez, il n'y a ni poison ni une quelconque médecine dedans, l'invita Barbossa en reposant son verre.

Elizabeth remua les lèvres. Elle n'avait rien bu d'autre que de l'eau ou du thé fade depuis qu'elle était au couvent et rien qu'à voir ce verre de vin rouge, elle en salivait. Cela fit d'ailleurs sourire Barbossa...

—  Vous parliez donc d'une rumeur ? demanda la jeune femme en prenant le verre.
—  Hm, oui, en effet, répondit Barbossa. Voyez-vous, votre séjour, même s'il a été court, sur le Black Pearl, n'est pas passé inaperçu. À vrai dire, quand une femme de bonne famille telle que vous, Mademoiselle Swann, décide brusquement d'aller faire un tour en mer, au nez et à la barbe de son père, cela se sait... rapidement.

Elizabeth pinça la bouche et reposa son verre. Impossible d'apprécier ce délicieux vin avec un hôte pareil à la voix si mielleuse...

— Bon, dit-elle. Vous allez me dire de quoi retourne cette rumeur, ou vais-je devoir deviner ? dit-elle, agacée.
— Bien, bien, ne nous fâchons pas, dit Barbossa. Je disais donc que votre séjour sur le Black Pearl n'est pas passé inaperçu... Et pis encore quand votre cher Gouverneur de père a brusquement décidé de vous envoyer au couvent...

Elizabeth fronça les sourcils.

— Je ne saisi pas l'allusion, dit-elle.
—  Ah non ? Pourtant... Bon ! Bien, je vais être plus clair, dans ce cas.
— Je vous en remercie.

Barbossa se renfrogna et observa la jeune femme.

—  Cette rumeur circule depuis à présent de nombreux mois, reprit alors le pirate. Elle sous-entendrait que le Capitaine Jack Sparrow serait tombé amoureux d'un matelot, une femme, cela va sans dire, qu'il aurait récupérée sur l'une des îles de l'Archipel des Caraïbes... Cette femme, appelée Lizie, aurait étrangement gagné du galon sans rien faire de spécial pour la piraterie. Mieux encore, il a été dit que, bizarrement, cette jeune femme aurait été rappelée, par sa famille, à Port Royal... puis envoyée dans un couvent en Angleterre pour l'écarter de la mauvaise influence de Sparrow.

Barbossa se tut et un sourire mauvais étira sa vilaine bouche.

—  Je ne connais pas beaucoup de jeunes femmes à Port-Royal, dont le diminutif pourrait être "Lizie" et qui serait en mesure de se faire "embaucher", si j'ose dire, sur le Black Pearl, auprès du Capitaine Sparrow. Et vous avez confirmé mes soupçons...

Elizabeth se mordit les lèvres et baissa le nez un instant avant de se reprendre.

—  Scoop ! C'est moi le matelot appelé Lizie dont Jack serait tombé amoureux ! dit-elle en levant les mains. Mais je ne sais pas si cela mérite que vous ayez dépensé autant de temps et d'argent et encore moins que vous m'ayez enlevée...

Barbossa ne répondit pas tout de suite. Deux personne s'approchèrent alors et déposèrent des assiettes devant les deux convives. Ils s'éloignèrent ensuite et Barbossa soupira.

—  La rumeur n'est pas cela, ma chère Elizabeth, dit-il.
— Allons bon...
—  Oui... Et je suis d'ailleurs étrangement surpris que vous ne sachiez pas de quoi je veux parler...
— J'ai passé huit mois dans un couvent sans aucun contact extérieur, répondit Elizabeth. Comment saurais-je le contenu des rumeurs ou même leur existence ?
— Très juste... À moins que vous ne soyez une très habile menteuse...

Elizabeth sursauta et regarda Barbossa de travers.

—  Une menteuse ? Mais enfin, je ne vous permet pas de m'insulter ! répliqua-t-elle. De quel droit...
—  Alors dites-moi pourquoi votre père vous a envoyée dans un couvent ! la coupa a Barbossa en donnant du poing sur la table. Où est l'enfant ! Où l'avez-vous caché ?!

Elizabeth sentit le sang se retirer de son visage.

— Le... L'enfant ? balbutia-t-elle. Mais quel enfant, par le ciel ! De quoi parlez-vous ?
— Quel enfant ? Mais le vôtre ! Celui pour lequel vous avez passé huit mois dans un couvent sombre !
— Mais, je... Mais enfin, non ! Je n'ai pas... Je ne...

Choquée, Elizabeth porta une main à sa poitrine puis se leva et s'éloigna brusquement, les mains sur les hanches, en cherchant son air. Barbossa la suivit des yeux, étonné. À le voir grimacer, il était aisé de comprendre le fil de ses pensées. Elizabeth Swann était-elle une très habile menteuse et comédienne, ou bien disait-elle la vérité ? La rumeur qui circulait depuis des mois dans l'Archipel des Caraïbes était-elle fausse ou bien plus que réelle ?
Le dos de sa main sous son nez, Elizabeth mit quelques secondes à récupérer son air et quand elle fut calmée, elle pivota.

—  Qui a lancé une telle rumeur ? demanda-t-elle. Qui.. Et pourquoi diable !

Barbossa, qui avait commencé à manger, remua brusquement et se retourna en s'essuyant la bouche avec sa serviette.

—  Alors c'est faux ? demanda-t-il, incrédule.
— Mais bien entendu que c'est faux ! s'exclama la jeune femme. Je n'ai pas été enceinte, je n'ai pas d'enfants ! Et je n'ai pas l'intention d'en avoir avant bien longtemps !

La jeune femme était hors d'elle, choquée.

— Vous m'avez enlevée, Barbossa ! lança-t-elle. Il me restait trois mois à attendre ! Trois petits mois avant que Jack ne vienne me sortir de là !

Barbossa pivota dans sa chaise et regarda la jeune femme.

—  Vous devriez me remercier, alors, dit-il, les sourcils froncés. Je vous ai évité de vous morfondre encore pendant quatre-vingt-dix jours de plus dans cette forteresse de pierres sans fenêtres !

Elizabeth avala sa salive difficilement. Elle porta une main à son front puis posa ses doigts contre ses lèvres et souffla.

— Jack ne sait pas où je suis... dit-elle. Il va aller en Angleterre pour rien, il risque de se faire prendre en me cherchant...

Barbossa regarda la jeune femme. Elle avait l'air totalement bouleversée, mais il restait sceptique. Il ne la connaissait pas si bien que ça, mais il connaissait les femmes et elles étaient toutes de très habiles menteuses, des comédiennes hors pair... Elles avaient toutes en elle cette capacité à embobiner les gens, les hommes en particulier, avec quelques larmes et quelques sourires... Il avait donc beaucoup de mal à croire que la jeune femme lui disait la vérité. Pourquoi son père l'aurait-il envoyée en Angleterre, aussi loin de Port-Royal, après qu'elle ait passé plusieurs semaines sur un bateau pirate, pis encore, qu'elle se soit entichée d'un Capitaine pirate, et pas le meilleur en plus, si elle n'avait pas fauté ? À quoi bon la punir de la sorte, l'isoler aussi durement, si elle n'avait rien fait de pire que de vouloir voir le monde ?

— Pourquoi quelqu'un voudrait que l'on croit une telle chose ? demanda-t-il alors. Répondez-moi, mademoiselle Swann ! Pour quelle raison un homme, ou une femme, pourrait penser que vous et Jack auriez eu envie de cacher un quelconque secret ?

Elizabeth secoua lentement la tête.

— Si je le savais, je vous le dirais, dit-elle. Je ne connais aucun pirate hormis l'équipage du Black Pearl... Et vous.

Elle soupira et retourna s'asseoir à table.

—  Qui qu'elle soit, cette personne en veut à Jack, reprit-elle.
—  À Jack ? Et pourquoi pas à vous ? Vous êtes la fille du Gouverneur de Port-Royal, vous êtes riche et belle...

Elizabeth secoua la tête.

—  Je ne suis rien ni personne... dit-elle. J'ai divorcé et me suis enfuie de chez moi car je suis tombée amoureuse d'un pirate... Pourquoi quelqu'un voudrait me faire du tort pour si peu de choses ? Jack a très certainement bien plus d'ennemis que moi !

Barbossa rigola grassement.

— Oh, vous n'avez même pas idée ! s'exclama-t-il. Mais peut-être que cette personne n'a pas envie de se fatiguer...
— Comment ça ? demanda Elizabeth.
— Réfléchissez... Vous êtes la dernière conquête du Seigneur Pirate des Mers du Sud ! N'importe quelle personne qui aurait envie de lui nuire s'en prendrait à la personne la plus proche de lui et la plus accessible, c'est à dire, sa femme. Vous.

Elizabeth regarda Barbossa de travers. Elle déporta ensuite son regard son assiette encore pleine et pinça la bouche. Prenant sa fourchette, elle poussa du bout des dents en argent, un morceau de viande fort appétissant, puis elle reposa la fourchette et ses mains disparurent sous la table.

—  Laissez-moi partir, dit-elle alors. Laissez-moi rentrer à Port-Royal, au moins pour rassurer mon père... 

Barbossa pencha la tête et un sourire étira sa bouche.

—  Vous me croyez aussi stupide, mademoiselle Swann ? demanda-t-il alors.
— Je vous demande pardon... ? Je...
— Allons, vous croyez vraiment que j'ai laissé votre père dans l'ignorance ?

Elizabeth sentit son visage se liquéfier.

—  Que... Que lui avez-vous dit ? balbutia-t-elle.
— Mais que vous étiez avec Jack... naturellement, répondit Barbossa.

Il se mit ensuite à rire grassement et Elizabeth sentit l'horreur l'envahir, puis ce fut le trou noir.

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Dernière modification Le 10/08/2020

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