Chapitre ¹¹ - Semblant de liberté
19 juillet 2424 - L'archipel de Scilly.
Rùnda.
Quand j'ai enfin du temps libre après le déjeuner, je me faufile dans l'enceinte à la recherche de Loroï.
Même si j'ai le droit de sortir sans être accompagné, je dois tout de même prévenir quand je sors.
Je passe dans le grand hall puis dans le couloir plus soigné réservé aux Minotaures mais en entrant dans la salle de séjour, je ne trouve pas mon chef de service...
– Qu'es-ce que tu fais là toi ? Me demande l'un des taureaux en me jaugeant avec dureté.
– Je cherche Loroï, c'est tout.
– Il est dans son bureau. Il croise les bras et bombe le torse.
Je ne comprends pas pourquoi il cherche à se donner du volume.
Il fait déjà deux têtes de plus que moi et il est aussi large que l'armoire derrière lui.
Je ne m'attarde pas et recule pour reprendre ma marche dans le couloir qui me semble sans fin.
Une fois devant le bureau je toque et pose ma main sur la poignée en argent, pressé d'avoir une réponse et une invitation pour accéder à son espace de travail.
– C'est pour quoi ? Sa grosse voix étouffée par la porte en bois répond presque immédiatement.
– C'est Rúnda, pour l'autorisation de sortie.
– Entre mon garçon.
J'abaisse la poignée et pénètre rapidement dans le lieu empestant le cigare.
L'homme est assis dans son fauteuil, devant sa table basse encombrée par un jeu d'échecs.
La luminosité manque à l'appel et je suis obligé de plisser les yeux pour distinguer ses traits.
– Tu veux déjà ressortir ?
– Pourquoi pas. Je réponds sans même réfléchir.
– C'est beau la jeunesse. Il s'étrangle dans un rire gras et se tapote le torse pour reprendre son souffle et son sérieux.
– Vous êtes malade ?
Il ne répond pas et se penche légèrement sur le côté pour attraper quelque chose.
Il secoue l'objet et un craquement retenti.
Une petite lumière émerge à quelques centimètres de son visage.
Il vient d'allumer son cigare avec une allumette et laisse le bâton briller dans la noirceur de l'endroit.
– Vous auriez pu me demander un coup de main. Je lance taquin en secouant mon petit doigt pour faire apparaître une étincelle.
– Rùnda, tu n'as pas le droit d'utiliser tes capacités sans autorisation... Et j'accepte que tu sortes, cependant...
– Je rentre avant la nuit, je sais. Je le coupe en soupirant.
– Non, il tire une bouffée sur sa tige puante, j'allais dire sans faire de grabuge.
Un autre soupir m'échappe et je repense à ce matin, quand j'ai vu Tonn partir.
C'est fou que Loroï ne me fasse pas encore confiance à moi aussi...
Après tout, ça fait des années que je me tiens à carreau maintenant.
– Ouais, vous en faites pas.
Je mets un terme à l'échange en sortant du bureau, les sourcils froncés.
Pourquoi Tonn est libre de ses mouvements et pas moi ?
Pourquoi une telle différence de droit existe entre les Uncleans ?
Agacé, je sors du bâtiment et fonce à travers le jardin en maugréant à voix basse.
C'est tellement injuste.
Une fois au niveau du portail, je demande au garde de m'ouvrir sans même lui adresser un regard.
– Ton nom ?
– Rúnda.
– Ton numéro d'identification ? Il se positionne entre les grilles et moi.
– 134. J'ai l'autorisation du chef Loroï.
Mon intonation froide le fait grincer des dents et je me vois déjà être interdit de sortie sans aucune raison valable.
Nous nous fixons un long moment et je sens mes muscles se tendrent sous l'attente interminable.
– Rúnda !
Je tourne la tête et mon air mauvais s'estompe aussitôt.
C'est Cleite qui arrive vers nous en courant.
– La cornue... Qu'est-ce que tu veux ?
– Il y a un problème ? Elle demande essoufflée.
– Non ça roule, mais pourquoi t'es là ? Je pose une main sur ma hanche en ignorant l'abruti de garde.
– Et bien... Elle semble hésiter.
Son regard clair passe rapidement sur le taureau et elle se triture les doigts.
Je lui attrape le bras et nous éloigne du portail métallique pour qu'elle parle sans crainte.
– Explique. C'est encore Triúr qui a fait une connerie ?
– Non mais il y a une dispute entre Gallia et un garde à la bibliothèque et... j'étais avec les filles quand...
– Cleite j'ai pas le temps de faire le médiateur aujourd'hui... Je l'interrompt en souriant tristement.
– Je comprends. Elle hoche la tête et je donne un petit coup dans ses cornes pour qu'elle dédramatise.
Cette action lui arrache un faux cri d'indignation et je me mets à rire.
Elle s'inquiète toujours pour rien.
Gallia est un Unclean plus jeune que nous et il est maintenant habitué à l'isolement.
Je pense qu'il se calmera en grandissant, comme moi.
– Je sors, mais à mon retour je lui parlerai d'accord ?
– D'accord Rúnda. Elle me sourit doucement.
Je lui fait un clin d'œil et retourne vers le garde qui a enfin ouvert le portail.
Il était temps.
Sans attendre une seconde de plus, je détale comme un lapin.
Aujourd'hui la météo est mitigée mais la pluie ne me fait pas peur.
Même si je suis un signe du feu, j'ai également celui de l'air donc c'est pas vraiment un problème.
Fonçant vers un sentier rarement emprunté quand j'étais surveillé, je prends à peine le temps de reprendre mon souffle.
Je sais qu'après cette coline, il y a la plage.
Mes pieds frottent contre le chemin terreux et je frôle la chute plusieurs fois dans ma course avant de me retrouver face à cette étendue d'eau que j'adore.
La mer.
Je m'arrête brutalement et inspire profondément, accueillant l'air iodé dans mes poumons comme une caresse.
J'aime tellement cet endroit.
J'ai l'impression d'être...
Proche de la liberté, la vraie.
Non loin de ma position se trouve un groupe de pêcheurs et parmis eux, Tonn est présent.
Il tire un filet et la moitié de son corps est dans l'eau.
Il pourrait partir loin de cette île à la nage lui, grâce à ses capacitées de triton.
Je me demande si il a déjà penser à prendre la fuite.
Alors que je fixe mon camarade de dortoir, un bruit insupportable me coupe dans mes réflexions.
– C'est quoi cette merde ? Je me couvre les oreilles pour atténuer le son.
Ce bruit...
Je l'ai déjà entendu.
C'est le signal d'alarme.
Il se passe quelque chose de grave à la demeure.
✧*。
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