Une pomme pourrie

Ma mère n'était pas de ces mères qui vous couvre et vous inonde d'amour. Très tôt, alors que je ne distinguais pas encore le jaune du vert, elle m'oublia et me délaissa dans un coin pareil à un vase vide qu'on ne remarque qu'une fois de temps en temps dans le décor sinistre de sa propre maison. Elle faisait de son mieux. Les neurones en vrac, la dopamine abusée et tourmentée à coup de prescriptions bien avisées. ''Un cachet pour soigner les bobos? Oh oui, s'il vous plaît docteur.''

Assez rapidement j'ai assimilé le poison qui s'écoulait de ses yeux à ses joues. Et, avec le temps, j'étais devenu à moitié transparent et radioactif. Je me sentais aussi chimiquement perturbé qu'un animal de laboratoire. Ma mère était le scientifique une seringue à la main emplie de son propre venin et j'étais la petite sourie dont le cri déchirant de désespoir et de fatigue n'ébranlait personne.

Nous vivions dans une grande maison vide, où les fenêtres monstrueusement géantes m'apparaissaient aussi lointaines que la cime des arbres qu'ils m'arrivaient de contempler. Elles semblaient si hautes et convergentes que parfois si je les observais trop longtemps, avec l'obsession d'en voir la fin, mon souffle pouvait s'arrêter. Peut-être suis-je mort une fois. Mort de solitude. Quand bien même cela avait-il été le cas, maman ne s'en serait pas aperçue. J'aimais ma mère. Mais en fait, je l'aimais à la façon d'une âme errante rodant comme un aveugle en laisse autour de son hôte. Accro à son acide stridulant. Ici, le temps passait lentement à tel point que la lumière se transformais en poussière et les yeux de ma mère en billes noires opaques, sans émotion, sans aucune touche de poésie.

Aujourd'hui, exister ne m'étais plus naturel.

Assis sur le canapé en velours bourgogne du salon, je pouvais entendre le tic tac agonisant de l'angoisse pulsé dans ma tête lorsque soudain ma dite mère s'exprima:

-Tristan? Peux-tu venir je te pris? sa voix lointaine et faible provenait de sa chambre au rez de chaussez. Je la rejoignis sans trop savoir à quoi m'attendre.

Au cœur de sa chambre, sa silhouette se dessinait dans l'obscurité. Installée sur sa couverture violette ternie par les années, elle leva ses yeux bruns noirs inexpressifs en ma direction et dans un geste de l'épaule sa longue chevelure blonde dévoila son visage creusé par la fatigue. Elle me fit signe d'approcher mais je restai sans bouger à l'embrasure de la porte.

- As-tu pu avoir ton père au téléphone récemment? Elle tremblait légèrement de froid. Je pouvais interpréter les signes. Celui-ci m'indiquait qu'elle abordait un sujet qui la stressait et lui faisait emprunter mille et un chemins pour en venir à l'essentiel.

-Non. Que veux-tu me dire?

Elle détourna le regard peut-être pour dissimuler une part de vérité en elle-même et marmonna dans l'air glacial:

-Ton père va venir s'installer pour quelques semaines ici, dans la chambre voisine à la tienne. Celle qui servait de chambre à ton frère autrefois. Dès qu'elle eut fini sa phrase elle leva les yeux en ma direction pour connaitre ma réaction. J'assimilai l'information sans la laisser m'atteindre au plus profond de mon être. Je ne lui laissai alors qu'un aperçu bref de ce que je réserverais à mon père; Un désintérêt total. Que pourrait-il espérer d'autre d'un enfant abandonné?

''Pourquoi?'' Fut les seules syllabes capables de s'extirper de ma bouche sans briser le voile protecteur de mes émotions.

-Il a accepté de remplacer le chef de l'unité de psychiatrie de l'hôpital de Cowichan Bay. Comme c'est tout près et que nous sommes en meilleur terme qu'autrefois il m'a demandé si c'était possible de loger ici le temps de son remplacement. Je me suis dit que c'était l'occasion idéale pour que vous passiez un peu de temps ensemble. N'es-tu pas d'accord?

Je lui fis un faible sourire sans approbation, sans vie, sans joie, sans rien.

-Arthur restera seul à Vancouver?

-Ton grand frère ira loger chez son ami et nous rendra parfois visite la fin de semaine. Ce n'est pas pour lui déplaire si j'ai bien compris, elle mima un faible sourire en pensant à son fils aîné qu'elle n'avait pas vu depuis quelque temps. Crois-tu que tu pourrais débarrasser un peu la chambre d'Arthie (fier surnom de mon frère aîné) et changer les draps de son lit pour que ton père soit confortablement installé s'il te plaît? J'aimerais me reposer un peu avant de retourner au boulot.

-Oui.

Ma génitrice était intervenante en centre de crise, mais honnêtement bien que je ne sois pas psychiatre comme mon père ou médecin je savais que son âme était aussi grugée et émietté qu'un bout de fromage traînant dans un taudis de rats. Ma mère était celle qui crisait et je me demandais parfois si elle arrivait à aider qui que ce soit dans cet état. Le sucre et les sulfites du vin étaient ses seuls thérapeutes. Elle semblait trouver cela suffisant pour se tenir loin de l'introspection.

-Au fait, ton père arrive tard ce soir alors si tu pouvais rentrer assez tôt pour le voir ce serait bien.

Ne pas réagir.

-Cela dit, je me recouche je suis épuisé.

Toujours épuisé.

-Repose-toi bien, lui chuchotais-je comme une prière vainement faite à l'obscurité tout en fermant la porte derrière moi.

Les murs m'oppressaient et m'asphyxiaient. J'étais enfermé, prisonnier de ma tête, de ce corps et de cette condition humaine.

Ma chambre se situait à l'étage. Tout juste en face de celle de mon aînée ou mon père allait bientôt emménager et polluer de sa présence. Une salle de bain commune se situait juste entre les deux pièces. Mes parents étant séparé depuis mes huit ans, je ne m'attendais pas à devoir repartager cet espace de sitôt. Encore moins avec mon père. Arthur venait nous rendre visite aussi peu souvent que je venais les voir à Vancouver.

En entrant dans la chambre d'Arthur, les affiches du seigneur des anneaux collés sur les murs me firent tout de suite penser à lui. Nous étions si loin désormais lui et moi. Autrefois, il était Tolkien et j'étais Shakespeare. Me souvenir de cette époque me creusent des trous sans fond dans le ventre et m'obligent à nier et repousser les bons souvenirs.

Ne pas penser.

J'enlevai les draps de son lit double et entrepris avec beaucoup de difficulté d'en mettre des neufs. Après quelques minutes à galérer j'abandonnai et je me laissai tomber sur le matelas. Mais alors que je fixais le plafond, tentant de chasser l'ennuie, une idée me vint. Une idée si malsaine et curieuse que je ne put m'empêcher de fouiller la commode de mon frère tout près du lit. Repoussant quelques magazines pornographiques sans intérêt et deux-trois vieux bonbons, je tombai enfin sur ce que je cherchais. Un petit emballage transparent légèrement sale contenant quelques cocottes de cannabis égaré et deux joints maladroitement roulés. Je n'avais jamais pensé à farfouiller dans sa chambre avant.

Peut-être n'étais-je pas un professionnel dans l'art de fumer, mais je savais parfaitement comment résister à l'incendie destructeur d'une bonne bouffé de marijuana qui vous torture les poumons et qui lentement vous emporte ailleurs. Le joint allumé entre mes doigts, je commençais à me sentir détendu et engourdis. Je finis le joint lentement et je laissai l'odeur nauséabonde du pot derrière moi afin d'accueillir mon père comme il se doit comme ma mère me l'avais expressément demandé.

Je me rendis à la salle de bain en titubant. Tous mes sens étaient en alerte. Je laissai tomber le cadavre du joint dans la cuvette des toilettes et entrepris de me laver les dents pour me défaire du gout cendreux dans la bouche.J'avais à la fois envie de rire et de pleurer. L'eau froide me provoquait de tel frisson que l'air environnant semblait pouvoir m'engloutir.

Je crois que c'est à cet instant-là exactement, du dentifrice plein la bouche que j'ai compris ce qui se passait. J'étais totalement et profondément bien défoncé. Lorsque cette affirmation fut bien enregistrée par mon cerveau et que je cessai pour de bon de me demander "à quoi pensais-je déjà?" j'éclatais d'un rire strident et à la fois profondément déjanté. Je ne savais même pas si je trouvais ça drôle ou si je paniquais, chose sur je ne contrôlais plus rien. Je sorti de la salle de bain et dévalai les escaliers jusqu'à la porte d'entrée.

La nuit m'appelais et surtout le son du vent qui sifflait lointainement.

Dehors, l'air frais se faufila entre mes cheveux et me fit frisonner jusqu'au orteils. C'était ce type de température que je préférais; tempéré, calibré. Je m'amusais à enfoncer mes pieds nu dans l'herbe pour sentir le duvet de la terre en gesticulant de façon incontrôlé. J'avançai jusqu'au trottoir. En constatant le calme plat qui régnait dans la ruelle, mes frissons démesurés et mes angoisses se dispersèrent aussitôt.

Les étoiles scintillait comme des poissons luminescent dans un océan de secrets et de créatures qui avaient trépassé.

Je me laissai tomber par terre sur mon derrière et croisai mes jambes. Je n'arrivais pas à cerner mes sentiments. Étais-ce de la colère, de la tristesse? Ces émotions étaient-elles seulement miennes? Tout cela avait-il réellement de l'importance? N'étais-je pas pris au piège d'une pièce de théâtre barbare?

Je m'imaginais frapper mon père sur la tempe si fort qu'il repartirait en courant chez lui. Loin de moi et de mes états d'âmes.

J'étais entrain de fendre l'air de mes poings comme un imbécile lorsque j'entendis un vacarme pas possible provenant de ma droite.

Un garçon s'était écroulé contre la poubelle en métal de l'un de mes voisins puis avait balancé une bouteille en vitre contre le sol en hurlant: '' Fuck the world!''

Il leva brutalement ses yeux sur moi, assise à même le sol, pareil à un moine bouddhiste en pleine méditation. Il se releva péniblement sous la faible lumière du lampadaire et me dévoila son allure peu commune. Il était tout vêtu de noir. Ses jambes maigres semblaient interminables et avec ses long cheveux débraillé d'un noir de jais il ressemblait à une rock star des années quatre vingt, anarchique jusqu'au dent.

Il avança en ma direction tout en titubant, ce qui à mon sens lui attribuait un étrange aspect immatériel. Il semblait intouchable comme s'il faisait parti d'un autre monde. Ce que je savais c'est que dans mon état, sa démarche décadencé me faisait bien rire. A tel point que je n'arrivais plus à respirer.

-C'est moi qui te fais rire de la sorte? Sa voix écorché avait pourfendu la nuit et quand j'avais ouvert les yeux je l'avais vu me faire face et m'observer curieusement, les mains sur les hanches.

-Oui excuse moi, furent les seules paroles capable de s'extirper de mon esprit alors que je tentais de me calmer. En quoi tout cela était-il réellement amusant?

-Tu es bien défoncé toi! il vint s'asseoir à mes cotés, remarque que j'ai aussi plutôt abusé sur la tequila ce soir... Il sorti de sa veste une bouteille de bière qu'il décapsula avec ses dents et qu'il termina d'un trait. Il m'en proposa une.

-Non merci je n'aime pas mélanger. Qu'est-ce que tu fais à déambuler dans la nuit en buvant seule comme ça?

-Je purge mon chaos, répondit-il aussitôt le plus sérieux du monde. Et toi? J'ai cru que tu étais un chien de loin! C'est gros chien qui ressemble à des tueurs, tu sais... ceux de la police...

-Les bergers allemand? tentais-je.

-Oui je crois! Mais bref, quand j'ai pu discerné tes cheveux blonds inoffensif je me suis dit mentalement; oh bah c'est pas pour ce soir que je vais courir vers ma mort. Même si j'étais pas vraiment entrain de courir tu vois ce que je veux dire hein? Il rigola.

J'acquiesçai sans trop comprendre en l'observant sans vraiment le voir non plus.

-En fait je crois que j'ai déjà oublié de quoi tu parlais désolé... Tu sais que tu ressembles à une rock star des années 80?

-Et toi, tu sais que tu ressembles à Kurt Cobain? Vous avez les même beaux cheveux blonds et gras, rétorqua-t-il en ouvrant sa deuxième bière.

- Mes cheveux ne sont pas gras! répliquais-je en m'en assurant d'une main. Tu as quel âge au fait?

Je commençais à ne plus réaliser ce qui sortais de ma bouche. J'étais tellement égaré dans la brume de mon cerveau que même s'il était assis à côté de moi, il semblait être à des kilomètres. Quelque part dans un présent altéré, un sorte d'univers parallèle. Je ne l'entendais que par faible écho.

- Je sais, j'ai dit ça pour alléger le compliment, mais j'ai seize et toi?

- Tu t'appelles comment?

-Tu réponds rarement au question toi! rigola-t-il.

-Quelle question?

J'étais perplexe car j'oubliais trop rapidement de quoi nous parlions et lorsque j'essayais de m'en rappeler, je ne me souvenais déjà plus de ce que je cherchais. C'était à la fois très fascinant, perturbant et frustrant.

-Laisse tomber je suis trop saoul pour répéter et toi t'es trop défoncé pour tenir une conversation! Puis de toute façon on risque de pas se rappeler de la moitié de tout ça demain. Il leva ses mains vers le ciel malheureux. Pouf disparu! Magie! C'est classique et barbant à en mourir.

Sur ces mots, il se leva afin de jeter les deux bouteilles qu'il venait de boire -très rapidement je précise-, dans le bac de récupération.

Il revint vers moi sans se presser et soudainement, il s'effondra la tête première tout juste à quelques mètres d'où je me trouvais.

-Ça va?! je me précipitai pathétiquement vers lui à quatre pattes et regardai son visage endormi en essayant de me concentré.

Ne surtout pas paniquer. Agir avec pragmatisme.

-J'ai une théorie, souffla-t-il. Ce qui me soulagea. Je craignais qu'il ne se soit évanoui. S'endormait-il? Je tentai de prendre son pouls au cas ou, mais sur l'étendu froid de son cou je ne trouvai qu'un curieux tatouage ressemblant à la fois à un nuage et à un voilier de pirate. Je l'entendis murmurer quelque chose de nouveau.

- Que dis-tu? je me penchai sur son corps afin d'entendre ce qu'il murmurait.

-J'ai une théorie très pertinente si tu veux l'entendre.

-Laquelle?

-Elle tient de l'absurde mais elle est plus que décente...

Il ouvrit les yeux grands et comme un éclair qui pourfend les cieux je fis incendié par le bleu électrique de ses yeux. C'était surprenant. Très contrastant avec ses cheveux noirs ébènes, de même que ses cils et ses sourcils.

-Est-ce que tu sais qu'avec le réchauffement climatique les fruits deviennent de plus en plus sucrées? Je du revenir à la réalité pour me concentrer sur ce qu'il disait, mais il ne me laissa pas le temps de répondre et poursuivit sur sa lancé, eh bien ça, sa veut dire mon ami que l'alcool devient également plus fort! C'est pourquoi je crois, non, je sais que ce n'est pas un virus ou bien une météorite qui va éradiquer les terriens. Non, c'est plus fort encore! Ça sera un coma éthylique à effet planétaire. On va tous finir alcoolique, c'est moi qui te le dit, cracha-t-il avec ferveur. C'est les psy et les thérapeutes qui vont s'en prendre plein la gueule pour une fois. Moi, je vais mourir heureux, ma tequila chéri entamé sous le bras. La mort ne sera plus l'ennemi à abattre. Elle sera devant moi comme une belle piste de danse ou je pourrai enfin danser librement. Je serai à ma place.

J'avoue que je ne m'attendais absolument pas à ce genre de discours. Il me fallu une bonne minute, ou je ne fis que le fixer.

-Si tu savais comme je suis d'accord avec toi! Nous éclatâmes de rire en cœur et en me relevant je l'aidai a se redresser également.

-Je le sais. Son grand sourire me donna une impression étrange de déjà vu. Je ne saurais l'expliquer...

Deux énormes lumières nous aveuglèrent subitement. Un pick up se rangea dans l'allée de la maison.

Une vitre se cassa dans mon esprit et laissa les flots de la colère se déverser dans mon corps. Mes muscles foudroyant soudain d'une énergie destructrice.

Je pouvais discerner le visage de mon père derrière le volant. Pouvait-il sentir mon regard sur lui? Voyait-il l'horreur exhumé de mon corps? Comprenait-il ce qu'il avait créer?

-C'est ton père? demanda la rock star alcoolique à mes cotés en protégeant ses yeux de la lumière aveuglante des phares lorsque soudain ils s'éteignirent sans prévenir.

Je fermai les yeux bouillonnant de rage. Je ne contrôlais définitivement plus mes sentiments.

Le son de sa portes qui claque.

Ses pas qui se rapproche.

Le doute qui s'installe dans son esprit. Il me contemple dans l'obscure et je suis le loup aux crocs aiguisés prêt à bondir sur sa proie.

-Tristan? C'est toi?

Sa voix..!

Colère maligne.

Je fonçai sauvagement vers l'arrière cours et m'arrêtai face à un gigantesque pommier qui avait suivit ma courbe de croissance depuis toutes ces années et je ramassai brutalement une arme au sol.

Lorsque je revins vers lui en accourant c'est l'obsession d'établir les limites entre nous de la façon la plus cru possible qui me motiva.

Je ne pris pas une seconde pour réfléchir et je balançai de toute mes forces une pomme aussi pourrie que mon être sur le torse de mon père. Quel lui perce le cœur!

-Bonsang! Mais qu'est-ce qui te prend? Tristan! C'est moi papa!

Je me retournai sans un regard pour lui et prenant mon nouvel ami ahuri (dont je ne connaissais pas encore le nom) par le bras, je m'éloigner rapidement de la maison. L'adrénaline pulsait dans mes veines et mon cœur semblait prêt à céder à tout moment.

-Incroyable! scanda mon nouvel ami et ce fis le mot qui mit fin à la guerre et qui lentement, laissa place à la nuit et aux ombres lointaines du sommeil.

Marchant côte à côte vers je ne sais où sous la lune et le chant des insectes, je revoyais en boucle dans ma tête le jus de pomme coulant sur le veston bleu marine de mon père et j'avais cette perturbante impression d'avoir gagner et de ne pas en ressentir la moindre joie.







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