Texte n°598

PROLOGUE


(Calendrier militaire)

[L.10.09.2433]

[04:H 30:M 00:S]

>Système planétaire : Tau Ceti

>Localisation : Système Nethunien, Lune_76-S8284


Tiv, Losna et Zirna. Parmi ces trois satellites majeurs de la planète nommée Nethuns –l'équivalent de Neptune chez les étrusques–, Zirna –mais aussi appelé L76-S8284 par la Section 3 de la Fédération– était la lune la plus éloignée du système Nethunien. Située à environ douze années lumières de la Terre, ce satellite naturel d'un diamètre d'à peu près 1 550 kilomètres abritait à sa surface pas moins d'une dizaine de complexe scientifique.

Dirigé par la Direction Générale de la Sécurité et du Renseignement, la Section 3 disposait de plusieurs dizaines de laboratoires –dans plusieurs systèmes planétaires– chargés des recherches sur les nouvelles technologies, que ce soit en armement, en informatique ou en communication. Elle-même divisée en plusieurs cellules, sa plus grande réussite fut la création des divers types d'intelligence artificielle et plus particulièrement, l'Anima.

Zirna était froide, très froide, dû à la distance qui la séparait de son étoile –Tau Ceti. Elle présentait également toujours la même face à cette planète géante de glace bleue qu'est Nethuns. Sa surface, contrairement à la lune Tiv –qui orbitait qu'à quelques centaines de milliers de kilomètres de la planète– n'était pas zébrée de fossae ; juste de quelques sulci et de cratère ci et là.

Le complexe numéro sept, installé dans un cratère peu profond –à quelques kilomètres au Sud de l'équateur de Zirna– ouvrit une large entrée plafonnée –à deux portes– laissant le vide de l'espace s'engouffrer dans le seul hangar de la structure, suite à l'autorisation donnée par le personnel de sécurité à la navette de ravitaillement de la Fédération.

S'il était assez rare pour certains pilotes de voir une telle planète, ce genre de paysage était devenu anodin –mais en aucun cas dénué de beauté– pour les personnes vivants et travaillant dans le complexe. Soixante-quinze pourcent du bâtiment se trouvaient sous la surface. Les vingt-cinq pourcent restant étaient le hangar et les lieux de détente.

Assise derrière une table, une tasse de thé entre ses mains, une femme aux longs cheveux noirs et aux yeux amande regardait d'un air pensif le panorama qui s'offrait à elle et à son collègue. Grâce au télescope près de la baie vitrée, il avait les yeux rivés sur les agrégats de glace qui composaient les anneaux sombres de Nethuns.

— Quand est-ce que je vais rentrer chez moi ? dit-il sans détourner son regard de la lentille. Fascinant. (Il venait d'observer une collision de deux amas de particules de glace.)

Elisabeth May secoua la tête avec un air étonné.

— Pardon ?

— Sur Nocia. Cela fait maintenant plus de vingt ans...

Elisabeth se sentit tout à coup mal à l'aise. L'atmosphère devint de plus en plus lourde et pour une raison qu'elle ignorait, aucun son ne sortit de sa bouche. La silhouette de l'individu –qui ne lui semblait pas inconnu– se transforma en une ombre vaporeuse avant de disparaître de la même manière que si elle avait balayée de la fumée de sa main.

À la place, une femme habillée en chemise d'hôpital apparut comme par magie dans un coin de la pièce. La tête légèrement penchée en avant, elle avait une peau pâle et de longs cheveux lisses et noirs qui retombaient sur son visage. Elisabeth n'arrivait toujours pas à comprendre ce qu'il se passait. Lorsqu'elle entendit des voix lointaines et indistinctes se mélanger entre elles, Elisabeth fut prise de stupeur. Elle aurait aimée pouvoir s'enfuir, mais elle ne pouvait pas s'empêcher de la regarder.

Un instant plus tard, les deux femmes se retrouvèrent nez à nez. La silhouette s'était comme téléporté en un clin d'œil. Prise par surprise et terrifiée, Elisabeth bascula avec sa chaise en arrière. Alors qu'elle allait tomber sur le sol, elle se réveilla tout en poussant un cri d'effroi.

— Lumière, dit-elle la voix crispée.

La chambre s'éclaira.

Son cœur battait la chamade. Les dernières images de son cauchemar en tête, des goûtent de sueurs froides perlaient du front d'Elisabeth et glissèrent lentement jusqu'à ses tempes avant de quitter sa peau cuivrée pour aller s'évanouir dans son oreiller.

Cela faisait maintenant trois jours qu'elle n'arrêtait pas de rêver d'Elise Hofer, la patiente du projet Nouvel Horizon qu'elle suivait maintenant depuis deux mois. Étendue dans son lit, elle regarda fixement le plafond terne avant d'effectuer une série d'inspiration et d'expiration profonde pour détendre sa poitrine contractée. Je te remercie de ces informations ! Cette phrase n'arrêtait pas de revenir dans sa tête, l'empêchant de penser.

Dorénavant plus calme, Elisabeth prit quelques minutes pour essayer d'effacer ces mots qui revenaient encore et encore avant de tourner la tête vers son réveil. Il était quatre heures et demie du matin. Dans un souffle las et non sans effort elle s'assit sur son matelas, la tête entre ses mains. Son crâne lui faisait horriblement mal désormais et les médicaments ne l'aidaient plus à présent.

Après s'être douchée pour enlever la sueur provoquée par son cauchemar, elle décida de se rendre à la cafétéria du complexe. À cette heure-ci les couloirs étaient vides et silencieux. Elle devra attendre encore une bonne heure avant que la plupart du personnel se réveil.

— Bonjour madame, lança un garde qui arrivait également à la cafétéria.

Elle lui rendit machinalement son bonjour. Mais depuis le début de la semaine Elise Hofer lui en faisait voir de toutes les couleurs, sans parler de ses nuits plus qu'agitées. La journée n'avait même pas encore débuté pour Elisabeth que ce dimanche n'envisageait rien de bon.

La porte coulissa automatiquement dans le mur à son arrivée. Les murs de la grande salle étaient d'un jaune-orangés. Elle avança nonchalamment vers la machine à café et prit au passage quelques croissants.

Le corps engourdi par le manque de sommeil, elle s'assit lourdement sur un banc près du buffet électronique. Elisabeth était l'assistante du docteur Jeff Carmack et responsable de l'avancée du projet Nouvel Horizon. Il était de son devoir de comprendre comment marchait cette sphère. Ma conscience me joue-t-elle des tours ? Ou est-ce l'œuvre d'Hofer ? pensa-t-elle alors qu'elle arrachait un bout de sa viennoiserie.

Elise Hofer était devenue le patient index de ce tout nouveau projet. La cause de cela fut la catastrophe à bord du vaisseau minier porté disparu, le Krosa. Jeune mécanicienne de trente-cinq ans, elle avait accepté de faire partie de l'équipage pour un voyage de vingt années, ce qui était extrêmement long. Mais grâce à la technologie de la cryonie –qui consistait à endormir les cellules d'un corps organique– ce voyage ne durerait que quelques minutes pour les personnes endormies dans les cryotubes.

Quand le vaisseau fut retrouvé aux abords du système planétaire Xi Ursae Majoris, il était quasiment intact. Malheureusement ce ne fut pas le cas de l'équipage. Les équipes du 1er Régiment de Force d'Intervention Spatial crurent le vaisseau de retour des enfers. Chaque recoin exploré avait son lot d'horreur. Le personnel avait été mutilé. Des membres découpés, des corps lacérés et pour certains entièrement écorchés sous des inscriptions peintes sur les murs. Et dans toute cette atrocité, Elise fut la seule survivante –grâce au cryotube– ainsi qu'une sphère noire reposant dans la soute du vaisseau.

Interpellée par des chuchotements indistincts, Elisabeth arrêta de ressasser les souvenirs du sujet zéro pour balayer du regard la salle à la recherche de se bourdonnement de voix. La cafétéria était quasiment vide. Hormis elle, il y avait un petit groupe d'agent de la sécurité qui semblait déjeuner avant de prendre la relève du matin. Trop éloignés d'elle, ils ne pouvaient pas être la source de ces voix qui commençaient à grandir sans pour autant être plus clair dans ce qu'elles disaient.

Un hurlement à la fois lointain mais tout aussi proche de ces oreilles surgit. Par réflexe Elisabeth mit ses deux mains paumes contre oreilles, laissant tomber un morceau de son croissant dans sa tasse à moitié pleine.

Les murmures s'intensifièrent alors que le groupe de la sécurité arriva près d'elle au pas de course.

— Madame, tout va bien ? demanda un des agents.

— Pardon ? dit-elle en tournant brusquement la tête en leur direction.

— Vous venez d'hurler, répondit un autre. Vous devriez aller à l'infirmerie, vous semblez exténuée.

Les voix s'étaient estompées. Hurler ? Je viens d'hurler ? C'est impossible... Comment je pourrais hurler sans m'en rendre compte ?

— Madame ?

Elle ferma les yeux quelques secondes.

— Surement le manque de sommeil, je vais aller me recoucher, finit-elle par leur répondre.

Elisabeth se leva du banc et s'en alla sans même leur adresser un regard. Convaincue que ce n'était pas sa culpabilité mais bien le sujet zéro qui s'amusait avec son esprit, elle partie droit en direction des laboratoires. Je ne sais pas ce que tu mijotes, mais ça s'arrête là se dit-elle en espérant qu'à moitié qu'Elise puisse l'entendre.

Des rires surgissaient à nouveau dans sa tête. Par réflexe, ou par peur –Elisabeth ne le savait pas vraiment– elle accéléra le pas quand elle vit plusieurs ombres fantomatiques marcher lentement avant de disparaître. Pour une raison qu'elle ignorait, les ombres se manifestaient de plus en plus à mesure qu'elle se rapprochait du sujet zéro.

Elisabeth entra dans la pièce de contrôle d'observation remplie d'appareils électroniques. À l'intérieur, tout semblait terne et monotone. Les murs renforcés étaient d'un gris mat et ne disposaient d'aucune fenêtre. Les seuls objets semblant donner un peu de vie à cette salle d'observation étaient le souffle des ordinateurs et les clignotement de lumières bleues et vertes synchronisées avec le ronflement des disques durs.

Depuis l'écran holographique principal de la pièce, elle prit le temps d'observer –durant quelques instants– Elise allongée dans un coin d'une cellule vide de tout objet, avant de désactiver les caméras de surveillance, puis, se dirigea vers une cage d'escalier située à l'opposé de la porte d'entrée d'où Elisabeth venait pour observer d'un peu plus près la détenue.

Elisabeth entra dans une petite pièce qui donnait directement à la cellule d'Elise. Entre elles, une baie vitrée au centre du mur avait été mise afin de voir l'interlocuteur lors des conversations. La vitre était opaque. Pour remédier à cela, Elisabeth appuya sur un des boutons installés sur la gauche de la baie. Elise n'avait toujours pas bougé, comme si elle ne se doutait de rien.

— Bonjour Elise, lança Elisabeth en appuyant une nouvelle fois sur un autre bouton.

— Bonjour docteur, rétorqua-t-elle sans même se retourner.

Elisabeth croisa les bras.

— C'est toi qui fais tout ça ?

— De quoi parlez-vous ?

Elise Hofer se leva difficilement et s'approcha, fourbu, de la vitre. Son apparence ressemblait trait pour trait à la femme de son rêve. Seulement, sa voix n'avait rien de naturel. En plus de la sienne, un son plus grave –comme une voix synthétique– la doublait.

— Ces cauchemars, ces voix et ces...

Dans un moment d'hésitation, la voix d'Elisabeth disparut.

— Ces ombres ? finit Elise. Vous me cybernétisez pour me rendre compatible avec cette chose ! (Son regard et son visage amplis de haine valaient mille mots. Elle avait, tout le long du corps, des implants électroniques qui la transformaient un peu plus chaque jour en monstre.) J'ai appris à le contrôler.

— Comment ? rétorqua Elisabeth agacée.

— Grâce à vous ! (Elise leva lentement les bras au ciel comme si cela lui était un effort quasi-impossible, avant de les laisser retomber pour effleurer du bout de ses doigts chaque partie de son corps). Je suis maintenant en symbiose avec eux.

— Eux ? Qui sont-ils ?

Elise ricana.

— Tu es la plus gentille avec moi, comme une maman. Je vais te montrer.

Une succession d'image inonda l'esprit d'Elisabeth. Paralysée, contrainte d'observer ce flot ininterrompu d'information sans queue ni tête, Elise lui sourit à pleine dent.


Il était désormais sept heures du matin, heure terrienne. Le docteur Jeff Carmack était venu –comme tous les matins depuis deux mois– dans la salle de contrôle d'observation pour lire les fichiers vidéo et audio de la nuit.

Le docteur Carmack était un homme grand, faisant une tête de plus que la moyenne. Quelque peu enrobé –plus dû à son âge qu'à sa sédentarité–, il était néanmoins en pleine forme. À quatre mois de fêter son soixante-quinzième anniversaire, il exerçait encore une activité demandant énormément de responsabilité et ses cheveux commençaient à peine à grisonner. Tout cela était grâce à la longévité de l'homme s'étant étendu jusqu'à une moyenne de cent vingt ans.

Étonné de voir les ordinateurs éteints, il les redémarra en pensant à une coupure de courant. Responsable de ce projet et de cette installation, il appela la maintenance grâce à son canal privé afin d'avoir des réponses sur la panne nocturne.

Le redémarrage des serveurs prit plusieurs minutes et d'après le responsable de la maintenance, il n'y avait eu aucune coupure durant la nuit. De ce fait le docteur Carmack avait rapidement déduit qu'une personne s'était introduite dans cette pièce et très certainement, sans autorisation.

Avant de s'inquiéter outre-mesure, il voulait voir ce que le sujet faisait en cette heure matinale.

— Bon dieu, murmura-t-il en voyant à l'écran son bras droit en tête à tête avec le sujet zéro. Elisabeth ? Elisabeth, tu m'entends ? Réponds-moi.

Aucune réponse. Il posa brusquement sa tasse de café encore fumante sur le bureau manquant d'en renverser le contenu pour se précipiter vers elles.

— Recule, dit-il à l'intention d'Elise en rentrant dans la pièce.

Le sourire à pleine dent toujours présent sur le visage d'Hofer, elle le perça de son regard noirs et injectés de sang sans prendre la peine de tourner la tête en la direction du docteur avant de s'exécuta en reculant de quelques pas. Le docteur Carmack agrippa les épaules d'Elisabeth pour la tourner vers lui.

Pris de terreur il lâcha prise en voyant son visage ensanglanté.

— Non... non, non, non, Elisabeth réponds-moi.

Des larmes rouges perlaient de ces yeux gonflés –à cause de la pression qu'effectuait le sang au niveau de son crâne. Il y en avait également qui ressortaient de ces oreilles et de son nez.

— Elle ne vous répondra pas, docteur, lança narquoisement Elise.

— Qu'as-tu fais ?

— Je lui ai seulement montré ce qu'ils étaient. Mais elle n'a pas supportée on dirait...

— Je vais te...

— Vous n'allez rien me faire docteur, coupa-t-elle. J'ai déjà vécu l'enfer, vous vous rappelez ?

À ce même instant le docteur Carmack rattrapa Elisabeth qui manqua d'heurter le sol bétonné.

— Je vais vous dire ce que vous allez faire. (Elle s'approcha pas à pas de la baie vitrée) Je vais me tirer d'ici, et vous allez m'aider.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top