Texte n°590

Lundi 29 août 2016

Cher journal,

Il est temps que je commence à écrire sur chacune de tes précieuses pages.

J'ai choisi ce jour spécialement car c'est une nouvelle vie qui s'annonce. Nous avons déménagé, et je dois avouer que j'avais détesté ma mère au moment où elle me l'avait annoncé. Cela marque cependant un changement, quelle meilleure opportunité pour me lancer ?

Je ne sais pas vraiment quoi écrire en réalité. Une fille de 16 ans qui s'exprime sur un vieux carnet, n'est-ce-pas quelque chose de ridicule ? De toute façon, même si cela l'était, tu es dorénavant mon confident. Je te fais confiance.

En ce moment, je me sens comme une enfant, une petite fille ayant besoin de raconter ses journées à quelqu'un mais qui ne peut pas, ou plutôt qui ne le veut pas. Il me semble que les autres ont assez d'ennuis comme ça, je ne veux pas être la source d'un ennui supplémentaire. Je suis déjà un poids pour moi-même.

Auparavant,un blocage persistait; je tremblais lorsque je tenais le crayon. Je m'étais surtout découragée lorsque j'avais entendu les enfants se moquer des autres, plus précisément de ceux qui écrivent dans ce qu'on appelle un « journal intime », et j'avais lâchement abandonné l'idée par la suite.

Aujourd'hui, je le peux. Je suis prête.

Tout garder pour soi est bien trop difficile, j'en ai pris conscience. Il y a trop de choses à accumuler, trop de poids à supporter. Se changer les idées semble être une tâche insurmontable quand notre esprit étouffe. On se dit qu'on ne veut pas déranger autrui avec notre malheur, qu'on peut très bien continuer comme cela, seul,puisqu'on en a l'habitude et qu'on a toujours fait ainsi. Et on se ment à soi-même car, au fond de nous, une petite voix appelle à l'aide.

C'est pourquoi tu seras mon échappatoire à partir de maintenant. Grâce à toi, je vais pouvoir me libérer de l'emprise de toutes ces pensées qui pèsent sur moi, être délivrée de tout ce stress qui s'accumule et qui m'emprisonne, fuir la réalité dans laquelle je me sens prise au piège. Je ne veux plus être enfermée dans cette bulle qui me fait suffoquer.

Il y a plusieurs choses qui sont arrivées sans que je ne puisse faire quoi que ce soit récemment. D'abord, mes parents se sont divorcés.Ensuite, mon frère est actuellement à l'hôpital en raison d'un accident de voiture. Et dernièrement, je reprends les cours dans trois jours, dans un environnement qui m'est donc totalement inconnu puisque nous avons déménagé.

J'ai la mauvaise impression qu'une malédiction nous est tombée dessus pour que les événements se manifestent et se succèdent d'une façon aussi tragique.

Mon frère me manque.

Je profite de mes derniers jours où je suis entièrement disponible pour rester à son chevet, le contemplant dans son triste lit blanc alors qu'il est dans le coma. J'ai peur.

J'aimerais qu'il ouvre les yeux avant que je ne perde la chance de le voir encore autant.

Salut, c'était Anna.


Mercredi 31 août 2016

Cher journal,

En ce moment-même, j'écris sur la petite table mise à disposition dans cette salle vide de couleurs que je déteste. Je ressens le besoin d'écrire. Je commence à me dire que pour bien débuter ce journal, je devrais le garder précieusement auprès de moi car j'ai peur de ne jamais écrire mes mots à temps. Tu sais, les mots ne sont jamais les mêmes si nous attendons pour les écrire. J'ai peur de me perdre dans ce que je ressens si j'attends. Moi, je veux étaler ce qui me passe dans la tête, là, maintenant, à l'instant précis.

Mon frère a les yeux clos depuis à présent dix jours, j'ai envie de m'effondrer. Pourtant, je ne suis pas encore à bout. Je suis tellement loin de mon apogée encore. Si ma patience commence déjà à manquer, j'ose espérer que le temps n'est pas compté pour la part de mon frère. Il me manque atrocement. L'absence de ses yeux veillant sur moi se ressent. Sa voix n'est que souvenir trottant dans mon esprit.

Je regrette tant de choses, et c'est en le voyant là, allongé devant mes propres yeux, le corps déchiré par les blessures et les dégâts qu'a causé l'accident, sur son drap me semblant glacé au toucher, que je me rends compte de chaque chose que j'ai manqué de vivre avec lui. Voilà que les larmes réapparaissent et coulent malencontreusement sur le papier.

Je ne lui ai jamais dit qu'il était quelqu'un de vraiment très important pour moi; important au point d'embellir ma vie sans que je ne l'aie jamais remarqué auparavant, car pour moi c'était normal; important au point où, aujourd'hui, j'aimerais lui sauter au cou et le couvrir de toute la tendresse qu'il m'a accordée depuis mon plus jeune âge. Je voudrais redevenir l'enfant qu'il gardait toujours à l'œil et dont il surveillait le moindre mouvement. Il a toujours joué son rôle de grand-frère à merveille, je n'aurais jamais pu imaginer mieux.

Je ne veux le perdre pour rien au monde.

Aujourd'hui, je suis seule. Cela peut paraître égoïste, mais je me sens délaissée et abandonnée. C'est bien la première fois où Tommy me laisse autant de temps livrée à moi-même. Bien sûr que je ne peux pas rejeter la faute sur mon frère Tommy, et je ne le veux pas d'ailleurs, mais à quel point a-t-il été inconscient ce jour-là ? Si je le pouvais, je lui toucherais quelques mots à ce sujet.

Par pitié, faîtes qu'il ne meurt pas. Tommy n'a nul intérêt à mourir. S'il suffisait de dire non à la mort, je le ferais mille fois et bien plus encore. Je ne veux pas qu'on lui ôte la vie. Il doit encore la croquer à pleines dents et la vivre de fond en comble ! Il ne peut pas nous laisser comme ça. Il ne peut pas ME laisser comme ça.

Nos taquineries, nos querelles pour avoir la première place dans la salle de bain, nos disputes à propos de ses téléchargements qui rendaient la connexion horrible, nos appels téléphoniques pour parler de tout et de rien, nos journées passées ensemble à jouer aux jeux-vidéos, nos tentatives de coulage dans la piscine, nos cadeaux de Noël toujours aussi hilarants chaque année, nos histoires inventées qui faisaient flipper la petite voisine, nos moments d'entraide lorsque je ne comprenais rien à mes devoirs ou avais un mot dans le carnet, nos discussions interminables, les sermons que nous supportions, et ce fameux-jour où nous étions main dans la main car je m'étais perdue dans le magasin... Toutes ces petites choses du quotidien me manquent énormément.

Je n'en peux plus de ces larmes qui dévalent sur mes joues. Je veux le retrouver, lui et sa bonne humeur, ou bien même sans. Je veux le retrouver. Si je devais lui adresser un seul mot, ce serait «reviens». Qu'il revienne parmi nous.

Il ne m'en voudrait pas si je porte son pull demain ? C'est le pull qu'il affectionne tant, qu'il m'interdit de porter et qu'il cache pour que je ne puisse pas le lui piquer. C'est ce pull qui est si épais qu'il en est réconfortant, qui est gris comme... le nuage qui pèse sur nous en ce moment.

Je pense que je le mettrai. Cela m'aidera à affronter la journée de demain. Savoir qu'une part de lui est là, près de moi, collant à ma peau, est un réconfort dont j'ai besoin. Peut-être même qu'à un moment, j'imaginerai que les longues manches de son pull sont ses bras autour de moi car je pleurerai.

Je parle déjà de réconfort mais la réalité me rattrape. Je suis terrifiée pour demain. Je me blâme moi-même pour le trahir ainsi. L'abandonner lâchement à son sort pour de vulgaires cours me révolte. Je ne veux pas le quitter des yeux tant qu'il n'a pas ré-ouverts les siens en ma direction. Je ne veux pas partir loin de son chevet alors qu'il est en danger... J'ai déjà fait cette erreur.

Maman n'est pas du même avis que moi. Elle dit que je n'ai pas le choix d'y aller. Elle dit que je ne dois pas rater ma scolarité. Je sais que c'est pour mon bien qu'elle dit ça, Tommy me le rappellerait s'il pouvait parler. Seulement, parfois, je me demande vraiment si je suis la seule à être dans de tels états pour lui.

Salut, c'était Anna.

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