Texte n°608
Prologue
—Bien, monsieur Taumen, vous êtes prêt à commencer ?
L'intéressé, assis au bord d'une chaise, ne leva pas les yeux vers la femme qui lui parlait. Ce qu'elle disait importait peu. Il ne redoutait qu'une seule chose, horrible et perfide, qui menaçait à tout instant de le faire basculer dans un accès de folie.
La crainte le gagna et se propagea en lui, doucement, vicieusement, sans qu'il ne pûsse la repousser. Elle s'infiltra dans son esprit, en prit le contrôle. Elle se changea alors en une peur panique grandissante. Son sang se glaça dans ses veines, une terreur sourde l'aveuglait. Ses pensées ne conservaient aucune cohérence ; ses lèvres refusaient de s'ouvrir pour répondre à la question. Paralysé par l'angoisse, il ne pensait qu'à son cœur qui tambourinait si vite dans sa poitrine, son sang qui battait à ses tempes lui donnant la migraine.
Il se recroquevilla sur lui-même, plaqua ses mains sur ses oreilles.
—Tic, tac, tic, tac, murmura-t-il doucement.
Puis sa voix prit de l'ampleur.
—Tic, tac, tic, tac, criait-il comme une litanie.
Ses balbutiements devinrent de moins en moins clairs, sa bouche se fit pâteuse.
—Tic...tac.
La voix rauque, il finit par se taire. Son accès de folie, lui, prit de l'ampleur. Tassé sur lui-même, il entama un mouvement de balancier. Il se penchait en avant, articulait silencieusement « Tic » puis repartait en arrière et mimait un « Tac » sourd.
Il transpirait, ses cheveux bruns trempés de sueur. Et il ne cessait pas de se balancer. Avant. Tic. Arrière. Tac. Et il continuait, incapable de s'arrêter.
Son esprit divaguait, son corps agissait.
Il se perdait, dans un océan empli de ténèbres. Il se noyait, dans les eaux sombres. Il coulait. Personne ne le relevait. Il paniquait. Personne ne le rassurait.
Et puis... Il y avait ces sons horribles et ces voix qui le rendaient malade.
« Tic », « Viens là sale merdeux, recevoir la correction que tu mérites ! », « Tac », « Je te déteste ! Je te déteste, je te déteste ! ».
—Arrêtez ! hurla-t-il désespéré.
Le son s'était échappé des profondeurs de sa gorge, empli de toute sa peur, sa rage et sa souffrance.
Mais rien ne cessa, au contraire, tout s'amplifia. Tic, tac, tic, tac, le son vrillait dans son crâne, perçant et tétanisant. Il avait l'impression que les secondes défilaient plus vite que d'habitude, le son horrible accélérait. Tic, tac, tic, tac, tic, tac, il était impossible à arrêter.
Soudain, le « Tic, tac » s'estompa légèrement, une voix féminine perça la bulle de folie qui écrasait son cerveau.
—Monsieur Taumen, concentrez-vous sur le son de ma voix... M'entendez-vous ?
Les sons lui parvenaient étouffés mais lui parvenaient quand même. Il s'immobilisa, à l'affût.
—Continuez, concentrez-vous, l'encouragea la psychologue. Tout va bien, je suis là. Je vais vous aider monsieur Taumen !
M'aider ? s'étonna silencieusement le malade. Personne ne peut m'aider, il est bien trop puissant ! Et d'ailleurs, ce nom de famille lui appartient... Je le déteste ! Je ne veux plus porter son nom, je veux être appelé Ulysse. Sans rien d'autre. Pour l'oublier ! Cette femme veut me détruire en me nommant de la sorte !
Et cette certitude balaya l'aura de protection qu'avait installée la simple présence de la femme. Les voix revinrent, plus puissantes, plus terribles encore que jamais.
Tic, tac, tic, tac. Il voulait fuir. Il pressentait un danger. Un danger imminent !
Tic, tac, tic, tac. Vite ! Il fallait se mettre en sécurité ! Mais où ? Il n'en savait rien. Et il n'avait aucune idée de la menace qui planait sur lui, simplement de son importance.
Tic, tac, tic, tac. Le temps fuyait trop vite, il aurait voulu s'échapper avec lui, s'égrainer comme les secondes. Les secondes qui étaient libres, alors que lui ne l'était pas. La terreur le maintenait prisonnier et il ne put qu'assister au départ précipité du temps.
Tic, tac, tic, tac, rien ne le retenait.
Tic, tac, tic, tac, rien ne l'arrêtait.
Tic, tac, tic, tac, il se rapprochait du moment fatal. Du danger inévitable.
Tic... Fuir !
Tac... Courir !
Tic... Vite !
Tac...
BOUM.
Chapitre 1
Le garçon leva les yeux vers la drôle de machine qui émettait un bruit sourd. Tic, tac, tic, tac, répétait elle sans cesse. Que cela était ennuyeux !
Boudeur, il quitta le salon pour échapper à ce bruit qui arrivait à l'ennuyer dès le matin. Qui avait donc eu cette idée ? Installer des choses comme ça dans un endroit où il aurait aimé regarder la télé ou même se déguiser en cowboy et courir à travers la pièce !
Dès que cette pensée traversa son esprit, une idée germa. Il n'avait qu'à transformer ce son horrible en des coups de feu, des terribles fusils qui tenteraient de le tuer, lui, Ulysse, grand shérif qui tirait plus vite que son ombre. Il courut jusqu'à sa chambre, revêtit son costume dans la seconde, recouvrant ses jambes d'un pantalon brun, enfilant une tunique beige flottante et un chapeau orné d'une étoile de shérif.
Il dévala les escaliers à toute allure, excité par son idée. Arrivé en bas, il n'eut qu'à tendre l'oreille quelques secondes avant de le repérer : tic, tac, tic, tac,... Et aussitôt, dans sa tête, le son se transforma en : bang, pan, bang, pan.
Les ennemis se multiplièrent : à chaque fois qu'il en tuait un de son arme imaginaire, les « bang » continuaient. Le garçon courut, sauta, s'amusa. Il dut esquiver, parfois, se rouler au sol, ramper sous l'immense table en bois qui trônait au milieu de la pièce.
Sa respiration se fit haletante, mais il ne cessa pas son effort pour autant. Il grimpa sur le canapé, brandissant une épée invisible.
—Vous ne m'aurez pas, je suis le meilleur shérif de tout l'univers entier ! fanfaronna-t-il.
Il prit de l'élan, bondit du fauteuil pour atterrir sur un second, marcha en équilibre sur l'appui tête. De là, il fléchit les genoux et se jeta sur le sol.
Ses pieds heurtèrent le tapis, l'écrasèrent, puis disparurent, portés ailleurs dans la course folle du garçon. Ses pas le portèrent vers le couloir, il avisa du coin de l'œil les chaussures brunes de son papa. Elles brillaient, tant elles étaient propres.
Elles donnèrent envie au garçon de les essayer. Juste une fois, un tout petit peu de temps... De toute façon, maman n'est pas encore rentrée. Elle m'a promis qu'elle serait là quand la grande aiguille serait sur le chiffre « 6 », je peux encore jouer avec jusqu'à ce moment...
Aussi rapidement que le garçon fut rassuré, les chaussures furent enfilées. Il s'habitua à marcher avec, difficilement, au vu de la taille gigantesque par rapport à ses touts petits pieds. Cela ne l'arrêta pas pour autant dans son jeu, sa guerre contre les bandits qui avaient envahi sa maison.
Bang, pan, bang, pan ! Il se jeta à terre, rampa jusqu'au fauteuil. Il l'escalada avec le plus de discrétion possible, jusqu'à se retrouver à nouveau debout sur le dossier.
Bang, pan, bang, pan ! Il devait fuir, vite ! Cet endroit était trop exposé. Il prit son élan, comme il avait l'habitude de la faire. Ses pieds se disputaient la place sur la fine bande de cuir qui constituait le repose tête. Les chaussures, trop grandes, prenaient plus de place qu'à l'accoutumée. Le talon, trop large, dérapa. Il glissa.
Sa chute, incontrôlée fut plus violente que prévue. Sa tête heurta le sol. La douleur fut vive. Du sang s'échappa d'une large entaille à l'arrière de son crâne.
Il hurla. Les larmes se pressèrent à ses yeux. Son cœur s'emballa, la douleur le paralysait. Étalé sur le sol, il fixait l'horloge d'un regard vide, ses yeux bleus devenus mornes.
Une aiguille bougeait à toute allure, et la seconde se figea sur la dernière petite barre avant le « 6 ». "Maman arrive dans un tour du rond... songea-t-il affolé. Et j'ai toujours les chaussures de papa, et j'ai Sali le beau fauteuil qu'elle aime très fort..."
Oh et puis, ça n'était pas de sa faute ! Il avait été attaqué par ces méchants bandits, qui lui tiraient dessus sans relâche ! Il n'avait fait qu'essayer de se défendre. Ils lui avaient même touché la tête et l'avaient fait saigner !
Bang, paf, bang, paf... L'aiguille rapide ne s'arrêtait pas. Ils m'ont déjà blessé et ils continuent à tirer ! En pensant à sa blessure, la douleur afflua d'un seul coup, comme si le simple fait d'y penser la ravivait.
Ses petites mains essuyèrent deux yeux mouillés de larmes, il se retourna sur le ventre et se mit à ramper.
Bang, paf, bang, paf, les tirs pleuvaient sur lui. Il devait atteindre le couloir quand même, coûte que coûte, pour retirer les chaussures. Les belles chaussures que papa mettait pour aller travailler et qu'il n'avait pas le droit de toucher. Mais l'aiguille avançait si vite et les méchants bandits ne le laissaient pas tranquille... Et sa maman qui allait rentrer dans moins d'une minute !
Il accéléra, rampant de plus en plus vite ! Ses bras s'accrochaient au parquet, le tiraient en avant. Il arriva au tapis, le traversa à toute allure. À nouveau du parquet. À nouveau se tracter contre le sol qui brûlait ses avant-bras. À nouveau haleter, retenir ses larmes et ne pas penser à la balle qu'il avait reçue dans la tête. Et enfin, le couloir apparut, juste devant lui.
Bang, paf, bang, paf. À chaque nouveau tir, l'aiguille avançait. Le temps passait trop vite ! Il aggripa le coin du mur menant au couloir, se tracta de toute ses forces. L'effort amena des petites étoiles devant ses yeux fatigués. Il trembla de froid, passa machinalement une main dans ses cheveux bruns. Elle se figea sur quelque chose de mouillé, puis s'en écarta avec dégoût.
Il ramena ses doigts devant son visage et un cri d'effroi s'échappa de ses lèvres. Un liquide rouge, tout collant, tachait ses doigts. Il savait ce que c'était. Il y avait la même chose à chaque fois qu'il se faisait un gros bobo, mais jamais autant...
Il y en avait qui colorait tous ses doigts, et quand il regarda derrière lui, il y avait une traînée de sang qui avait tâché le parquet et le tapis ! En voir autant lui donna le tournis, et les petites étoiles ne quittaient pas ses yeux...
Il se sentait si faible aussi.
Bang, paf, bang, paf.
—Arrêtez ! demanda-t-il d'une voix tremblante. Je veux plus jouer avec vous !
Comme obéissant à ses ordres, les tirs cessèrent.
Tic, tac, tic, tac, reprit alors la machine. Il lui jeta un dernier regard. Tic, tac, tic, tac... L'aiguille plus lente s'arrêta sur le « 6 ».
Non ! Il... Oh... Il n'arrivait plus à voir clair, le sol tremblait. Sa joue droite se posa contre le sol, il ne voyait plus rien. Un dernier « tic » résonna, puis il n'entendit plus rien. À présent, seuls les « baboum, baboum » de son cœur réussissaient à percer dans ce brouillard.
Baboum, baboum, tambourinait son cœur. Bamboum, baboum, hurlait-il sans relâche. L'enfant n'entendait plus que cela. Et ne pensait plus qu'à une chose : maman va être fâchée et papa aussi.
Baboum, baboum. Le son se faisait plus étouffé, plus vague.
Baboum... Ba...
BOUM.
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