Texte n°610
Chapitre 1 : Cherche personne sérieuse
— Je peux vous tutoyer, ça ne vous gêne pas ?
— Non. Enfin, je veux dire... Non, ça ne me dérange pas.
— Bon. Je vais être franc : suis pas sûre que ton C.V. soit exactement ce que l'on recherche.
— Oh... Mais... L'annonce disait... qu'une première expérience était acceptée...
— Oui, mais là, c'est pas ce qui m'ennuie...
— Ah...
— Tu ne corresponds pas vraiment au profil.
— Ah...
— Je t'avoue que je comprends pas pourquoi tu as répondu à cette annonce.
— Eh bien... J'ai besoin... de travailler...
— Oui. Ça, je m'en doute.
— Je... maîtrise l'informatique... et je sais rédiger des courriers... prendre des appels...
— Ce n'est pas le problème.
— Je... Je ne comprends pas...
— Écoute, Charlotte...
— Charlie... Mon nom c'est Charlie...
— Euh. Oui. Pardon. Charlie, t'es à l'université et...
— Il s'agit bien... d'un mi-temps... ?
— Oui. C'est un mi-temps, mais...
— Je... J'ai toujours eu des petits jobs pour payer mes études...
— Oui, j'ai lu sur ton CV. Mais c'est pas ça le problème...
— Ah...
— OK, Charlie. Je vais être direct. Si je reprends ton CV, tu as une licence en psychologie, une licence en droit pénal et un DU de criminalistique.
— C'est pour... cette année...
— Quoi donc ?
— Le DU, c'est cette année que je le prépare...
— Ah. Oui. Pardon. Je n'avais pas vu. Mais ça ne change pas grand chose...
— C'est donc... à cause de mes diplômes...
— Bah, écoute. Oui. Je suis désolée de te dire ça, Charlie, mais... Tu as tout juste 25 ans...
— Bientôt 26...
— Justement. T'as à peine 26 piges et un CV de dingue. Ne le prends pas mal, mais t'es ce que j'appelle une tête ! Charlie, tu vas grave t'emmerder sur ce poste ! On cherche juste quelqu'un pour s'occuper du secrétariat, tu comprends ?
— Ça ne me dérange pas de faire de la paperasse... Je suis quelqu'un de sérieux... Vous n'avez aucune inquiétude à vous faire... Et j'ai vraiment besoin de ce job...
— Faut que je voie ça avec le patron. C'est pas moi qui décide.
— Je comprends...
— Arf... Je vais quand même parler de toi. Mais je ne te promets rien.
— Merci... dit Charlie en lui adressant un timide sourire.
Arnold observait Charlie remettre son écharpe et son manteau. Elle semblait minuscule ainsi emmitouflée. Il émanait de cette fille un peu gauche quelque chose de touchant. Elle avait dans son regard ce je-ne-sais-quoi qui interpellait.
Des jeunes surdiplômés, il y en avait à la pelle. Mais il fallait être sacrément déterminée pour accepter un job comme celui-ci avec un tel CV, ou totalement désespérée.
Charlie s'était à peine retournée avant de franchir la porte. Arnold songea qu'il avait été peut-être un peu trop brusque, mais cette fille n'était pas faite pour ça. Il prit le CV, hésita un instant et le déposa dans la bannette du courrier arrivé. Une voix le tira de ses pensées :
— Si je ne te connaissais pas aussi bien, je dirais que cette fille t'intrigue...
— Ouaip... Je crois qu'elle m'a fait de la peine, dit le colosse en se laissant retomber au fond du fauteuil dactylo.
— De la peine ? L'armoire à glace aurait-elle un cœur ? ironisa Olympe en faisant claquer une bulle de son chewing-gum.
— Arrête de me charrier. T'avoueras quand même que cette nana a un profil particulier. Tu te rends compte, elle n'a que 26 ans et bardée de diplômes.
— Et des allures de lycéenne. Je ne lui aurais pas donné 26 ans, c'est clair. Elle a un truc cette fille. Je ne sais pas quoi, mais je le ses. Je pense qu'on devrait lui laisser sa chance.
— Peut-être. Mais c'est à Eden de décider. Et je suis pas sûr qu'on rende service à cette fille en lui donnant ce poste...
Arnold s'était levé et s'étirait. La journée ne faisait que commencer et il était courbaturé. Il n'aurait pas dû forcer autant lors du dernier entraînement. Mais il n'y avait que le sport qui lui permettait de ne plus penser en ce moment.
— Tu as peur de quoi, exactement ?
— Tu connais Eden.
— Je pense que je suis la mieux placée, effectivement... murmura Olympe avec un sourire malicieux. Elle observait avec une concentration accrue son vernis qui foutait le camp : c'était moche ce vernis écaillé. Une manucure s'imposait le plus rapidement possible.
— Donc tu sais comme moi qu'il faut avoir les reins solides...
— Oui, c'est sûr. Eden est plutôt difficile. Mais cette fille a quand même quelque chose que les autres n'avaient pas. Sous ses faux airs d'ado fragile, j'ai la sensation qu'elle cache un lourd vécu...
— J'ai ressenti la même chose. Sa façon de se tenir, de parler. Presque comme si elle avait peur de déranger ou de dire un bêtise.
— Tu sais comme moi, que bien souvent, c'est justement ce genre de fille qui révèle avoir le plus de potentiel. Il n'y a pas besoin de lire son C.V. pour comprendre que c'est une fille intelligente. Et je trouve ça plutôt cocasse qu'elle prépare un diplôme de criminalistique !
— Ça pourrait nous apporter des emmerdes. Suis pas sûre que ce soit une bonne idée.
— Au contraire, c'est la candidate idéale.
— Pas sûr qu'Eden soit du même avis...
— Tu veux parier ?
— Non.
— Je t'ai connu plus joueur, mon petit Schwarzy...
— Tu m'énerves : arrête de m'appeler comme ça.
— ... Et moins susceptible, aussi... renchérit Olympe en lui adressant un clin d'œil.
— Ouaip. En attendant que le Boss arrive, je vais faire quelques développés couchés. Si on me cherche, suis en haut.
— Bien, Monsieur Arnold... répondit Olympe alors qu'il se débarrassait de son bleu de travail.
Arnold était plus nerveux qu'à l'habitude depuis quelques temps, cela n'avait pas échappé à Olympe. Son caractère d'ours mal léché, un peu bourru, n'était qu'une façade : sous cette montagne de muscles aux faux airs de brute se cachait un être foncièrement gentil. Il passait son temps à soulever de la fonte dès qu'il ne travaillait pas, probablement par besoin de se protéger. On fait tous en sorte de dissimuler nos failles et il n'échappait pas à la règle.
Olympe alluma son ordinateur et ne put s'empêcher de regarder à nouveau son vernis : elle avait vraiment besoin d'une manucure. Elle verrait ça plus tard, car il était temps qu'elle se remette au travail. Il fallait qu'elle s'occupe du réseau informatique. Son job à elle consistait justement à éviter les failles dans le système.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top