Texte n°562

zero : dkh

« Imaginez que, vous, adolescent jeune et stupide, vous retrouvez subitement dans un monde sans adulte. » avait griffonné un jour Athéna Cinder sur une feuille volante.

« Par "sans adulte", je veux dire plus de parents, plus de profs, plus de chauffeurs chiant pour vous engueuler qu'il est interdit de manger ou boire dans le bus, comme si on pouvait faire disparaître notre canette déjà ouverte d'un claquement de doigts.

Plus personne pour vous rabâcher que vous devez faire telle ou telle chose, vous plier à telle ou telle discipline, vous obliger à vous coucher tôt, à vous traîner au collège, au lycée, pour rester le cul collé à une vieille chaise qui tangue ou grince, la gorge débordante parce qu'on y a fourré autant de leçons et théorèmes que du bétail qu'on a trop gavé.

Ensuite, par "un monde"... J'entends carrément une autre dimension.

Pas seulement un endroit ou vous n'êtes pas obligés de gaspiller votre énergie à essayer de paraître normal, et où vous avez le droit d'exploser, d'être encore plus fêlés les uns que les autres sans craindre les regards venimeux - ce qui diffère déjà pas mal de la cour de récré, pas vrai.

Mais je vous parle d'un monde où vous pouvez être dotés de capacités hors du commun, telles que celle de se transformer en torche humaine, de manipuler les esprits comme de la pâte à modelé... Le tout au beau milieu d'un décor post-apocalyptique ! Comme dans un jeu vidéo ouais !

Alors vous imaginez ? Vous réalisez que, sans déconner, ça serait plutôt cool ? Haha ! Vraiment ? Vous avez les mêmes délires que l'autrice de ces lignes alors ! »

Ce texte, que la jeune fille avait marqué de ces majuscules hurlante puis plié en huit, finit coincé entre son matelas et une latte du lit. Et même si ce brouillon y resta enclavé pendant toute une année, cela ne veut pas dire qu'Athéna le réduisait à un vulgaire ramassis de pensées, qui avaient fusé de sa cervelle jusqu'à la pointe de son crayon pour qu'elle reste sagement couchée sur le papier, pour qu'elle n'importune plus ses réflexions et les oublie.

Au contraire, il ne s'écoula pas un jour sans qu'elle ne pense à ces idées. Et puisque personne n'évolue plus vite qu'un adolescent en quête d'identité, elles avaient gagné en maturité en même temps qu'elle ; mieux, de ses idées avaient émerger des plans, et même une stratégie.

Aussi, un jour, elle délogea la feuille de sa cachette, attrapa un crayon, puis compléta ;

« On s'efforce à faire croire aux jeunes qu'une liste interminable de concept nous échappent, parce qu'on est pas assez mature pour y réfléchir par nous-même - à croire que, en dessous de dix-huit ans, notre cerveau est programmé exclusivement pour tirer le strict minimum de leçons de l'école plutôt que des expériences de la vie, et qu'on n'a aucune histoire.

En ce qui me concerne, celui qu'on m'a le plus rabâché, c'est celui du bien et du mal.

Et je sais que ceux qui me font la morale se répéteront jusqu'à ce que l'Alzeimer les gagne, plutôt que de réfléchir deux secondes aux choses même qu'ils me rabâchent comme de vieux disques rouillés.

C'est pas bien compliqué. Le bien s'oppose soit au perdant, qui voudrait faire bien, mais y échoue, ou bien au méchant, qui pourrait faire bien, mais y répugne.

Dans ce dernier cas, il se trouve que, parfois, nous, ces mêmes adolescents, jeunes et stupides, que vous regardez du haut de votre dédain, pouvons nous avérer p i r e que les grandes personnes. »


un : rêve et film d'horreur [1/3]

6 m a i / d i x-s e p t i è m e j o u r

1 3 : 0 5

Ses parents l'auraient sans doute engueulé parce qu'il séchait les cours. Après tout, l'école était obligatoire jusqu'à seize ans et lui, n'en avait que quinze.

De toute façon... le collège, c'était fini, et ce depuis dix-sept jours. Ses parents et les lois aussi l'étaient, d'ailleurs. Tout était fini.

Qu'il s'était négligé depuis !... Ses cheveux noirs étaient devenus gras et comptaient un nombre incalculable d'épis. Il avait vaguement tenté de remettre de l'ordre dans tout ça, et les avait maladroitement coupés pour que leurs longueurs ne dépassent pas ses épaules. Mais ça ne changeait rien aux mèches collées à son front à cause de la sueur ou tombaient devant ses yeux sombres au regard las.

Sa peau hâlée avait désormais un teint olivâtre et, s'il était déjà maigre, ces deux semaines de sous-alimentation l'avaient complètement ravagé physiquement. Avec ses joues creuses, ses os qui saillaient sous ses vêtements et sa silhouette décharnée, il devait ressembler à un squelette déambulant, un estomac creux tenant sur deux brindilles en guise de jambe.

Il était tellement affamé qu'il serait capable de tuer n'importe qui pour une bouchée de big-mac. Même s'il savait qu'il en culpabiliserait et se ferait aussitôt vomir - pour le big-mac, pas pour le n'importe qui.

Heureusement que désormais, il n'y avait plus personne pour le voir dans cet état ! Car ce même motif lui aurait encore valu un séjour à l'hôpital.

Mais ça aussi, c'était fini depuis dix-sept jours.

Ce gars-là, il s'appelle Luke.

C'est lui, qui poussait paresseusement un caddie dans ce supermarché désaffecté, trébuchant sur les débris des murs ou du plafond.

L'endroit était désert, à peine éclairé par la lumière blafarde du ciel qui passait à travers les coins de plafond manquant, et des fortes odeurs d'humidité et de pourriture régnaient sur les lieux.

Il n'y avait pas un seul bruit, à l'exception de ses propres pas, son souffle irrégulier, et le fracas métallique des roues qui se cognait entre les étalages. Ainsi que son cœur tambourinant dans sa poitrine, lui sembla-t-il.

Son œil fut aimanté par le reflet métallique des boîtes de conserve qui traînaient par terre au milieu des gravats. Il s'accroupit et en prit une au hasard ; des petits-pois étaient dessinés sur l'étiquette à moitié arrachée. Malgré les grognements incessants de son estomac, Luke réprima un gémissement dégoûté. Il détestait les petits-pois.

« Oh, arrête de te plaindre, grogna-t-il contre lui-même, la voix rappeuse. Et arrête de penser qu'à ton bide, puisque c'est pas pour toi que tu fait ça, de toute façon. »

Il ramassa les trois, quatre boîtes, et les posa dans son caddie inutilement grand, avec ses mains osseuses et sales, couvertes d'innombrables coupures et de crasse.

Ce dernier détail lui fit lancer un regard désespéré en direction du rayon boisson ; vide.

« Tiens, pour changer de d'habitude ! » s'esclaffa-t-il, amer.

Ils ne leur restaient plus qu'une bouteille d'eau en réserve, et comme trouver de l'eau potable était trop rare, ils ne la gaspillaient pas pour se laver. Si Luke avait tenu bon jusqu'à maintenant, il se disait de plus en plus souvent que sa propre puanteur allait achever de le rendre fou.

Il avait aussi réfléchi à ce qui aurait pût se passer s'il se serait retrouvé tout seul dans cette galère - merci Dieu, ce n'était pas le cas - et le plus probable aurait été qu'il aurait déjà gâché toute l'eau pour se débarrasser de ses entêtantes odeurs corporelles, n'aurait fait aucun effort pour s'alimenter, et aurait finit par se laisser moisir dans la poussière.

Mais il y avait quelqu'un qui comptait sur lui, et c'était cette responsabilité qui donnait à Luke le courage de rester debout, d'affronter cette ville qui pourrait fondre sur lui à chaque instant.

Dans les rêves, il nous arrive des péripéties toutes plus dingue les unes que les autres, mais on les subit sans jamais se poser de question. Luke en était alors arrivé à la conclusion qu'il ferait mieux de rester un rêveur passif, mais faire tout ce dont il était capable pour l'instant afin d'éviter que cela vire au cauchemar. Si tout restait dans l'ordre, il se réveillerait bientôt.

Après tout, j'arrive toujours à me sortir de n'importe quelle galère, non ? se répétait-il en boucle.

Enfin, l'adolescent dirigea son caddie vers la baie-vitré en plexiglas du magasin, qu'il avait pété à coup de pied afin de pouvoir rentrer. Il savait déjà qu'il était inutile fouiller le reste du supermarché, tout le reste étant ensevelie sous des tonnes de décombres, à moins d'être tombé en poussière.

Alors il s'engagea par la rue principale, en ruine, de ce qui était il y a peu la ville d'Uthopian.

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