Texte n°615

Chapitre 1

Quel est l'abruti qui se suspend à ma sonnette depuis dix minutes, et pourquoi personne ne va ouvrir ?

Je crie depuis la salle de bain : "Papa, ooouuuuuvre !"

Personne ne répond et le sonneur se met maintenant à cogner la porte comme un bucheron.

Je sors en râlant. Mon père ne perd rien pour attendre. Je traverse l'appartement à pas furieux et j'arrache presque la porte de ses gonds.

Sur le palier, un mec incroyablement beau me regarde avec un sourire enjôleur :

- Bonjour princesse !

What.

The.

F...

Se tient juste en face de moi le garçon. Pardon. LE garçon qui fait craquer tout le lycée depuis deux ans. Nettement au-dessus de "beau gosse", limite "demi-dieu". C'est bien simple, si on était dans un film de collège américain, ce serait le Quarterback...

Heu... le quarterback... chez moi... en train de m'appeler princesse... Et moi je suis quoi : la pom pom girl ? La reine des pommes, oui !

Je reprends mon souffle et j'affiche un sourire poli, mais un peu froid :

- Qu'est-ce que je peux pour ton service ?

- Mais c'est moi qui suis à ton service... princesse !

Il m'interrompt en clignant un de ses magnifiques yeux verts, tout en avançant d'un pas conquérant :

- Tu permets que je rentre ?

J'en crois pas mes yeux. Je regarde vers la cuisine d'où, normalement, mon père devrait déjà être sorti avec un couteau à la main, ou au moins une spatule en bois. Rien.

Simon-Loup (oui c'est son prénom, je sais pas d'où il le sort, ses amis l'appellent Si-Lo, pas moi) Simon-Loup, donc, surprend mon regard et me sourit de son petit air narquois :

- Ton paternel nous a laissé le champ libre, c'était prévu...

What.

The.

F...

Mince, je me répète.

Simon-Loup enchaine avec assurance :

- Aujourd'hui, c'est toi la princesse. Je t'amène prendre le petit déj, service 4 étoiles !

Puis il me regarde avec pitié :

- Bon, d'abord tu vas mettre ta robe de bal, parce que là...

Je regarde mon pilou pilou, douillet mais pas très sexy. Non je ne dors pas en nuisette en dentelles. Et oui, je porte des chaussettes de laine quand j'ai froid aux pieds.

Si-Lo regarde autour de lui d'un air inquisiteur, puis pointe la porte au bout du couloir :

- Ta chambre ?

Non mais je rêve, il se dirige vers ma chambre comme s'il était chez lui. Je ferme les yeux pour une rapide représentation mentale des lieux... normalement, rien de choquant : une chambre de fille mais pas non plus "Sissi Impératrice". Pas trop de rose, rien de kawaii, c'est pas le genre de la maison...

De toutes façons, la déco il s'en fout. Il se dirige vers mon armoire et ouvre grand les deux battants. Pour le coup, je le laisse faire. Je ne sais pas de quelle gigantesque blague je suis la victime, mais je vais le laisser aller au bout de son petit jeu et se ridiculiser tout seul !

Il inspecte mes fringues un long moment puis se retourne vers moi, consterné :

- Mince, là, je sais pas quoi faire...

Pour la première fois depuis le coup de sonnette, il a l'air un peu déstabilisé. Mais il se reprend vite et m'adresse son sourire le plus enjôleur et un petit clin d'œil. Je remarque à nouveau ses yeux somptueusement verts...

- On a besoin d'aide, non ?

Il sort son portable et compose rapidement un numéro. Je l'entends dire :

- Max ? C'est Si-Lo !

Max... euh... pas le Max. Je veux dire LE Max. C'est-à-dire le garçon le plus stylé du lycée, dont le look ferait passer un chanteur de K-pop pour un paysan endimanché.

Et la conversation continue, comme si je n'étais pas là...

- Si je te jure... non rien... oui tout est là je pense... robe ?

Simon-Loup me regarde de haut en bas d'un air dubitatif, et soupire :

- Non c'est pas le genre.

Je le crois pas ! Je regarde autour de moi à la recherche de la caméra cachée ou de l'équipe technique.

- Oui ça, y'a ! reprend mon styliste triomphalement, en sortant une petite jupe sympa que je viens de m'offrir il y a moins d'une semaine.

- Bon, on va dire que c'est sans prétention, hein...

Mais fous-toi de ma jupe tant qu'on y est !

- Avec du blanc ? OK...

Bref, croyez-le ou pas, mais après dix minutes de conversation téléphonique, plusieurs essais et pas mal de photos envoyées à Max pour un avis en direct, je finis habillée et accessoirisée de pied en cap. Et je dois dire que le résultat est plutôt convaincant... même si je bous intérieurement.

Je décroche un sourire sec : "Merci Christina !"

Simon me regarde avec ses beaux yeux interrogateurs.

- Heu... c'est une styliste, Christina Cordula... dans une émission de relooking...

- Oh moi tu sais, la télé, à part le sport...

Il me lance un sourire appréciateur :

- Bon, ben on va pouvoir y aller, non ?

Ce mec est extrêmement canon, mais je ne sais toujours pas ce qu'il me veut.



Chapitre 2

Je suis une personne rationnelle. Je ne crois pas aux contes de fée. J'ai une confiance raisonnable mais prudente dans mon sex appeal. Et je n'ai embrassé aucune grenouille jusque récemment. Je ne sais donc toujours pas pourquoi Brad-Pattinson-Gosling-Aux-Yeux-Verts a fait une irruption aussi fracassante dans ma vie jusque-là très lambda.

Néanmoins, je me laisse guider et je me retrouve quinze minutes plus tard dans un charmant petit bistrot pas loin du lycée, devant un chocolat chaud et une montagne de viennoiseries.

- Le petit dej de la princesse ! annonce mon chevalier servant, tout en engouffrant un croissant en deux bouchées.

Je me penche doucement vers lui : "Simon-Loup ?" J'appuie mon menton sur une main tout en papillonnant légèrement des yeux : "Simon ?" Je prends ma voix la plus suave avec ce petit accent rauque qui la rend si sexy : "Simon darling ?"

- Mmm ? il dit la bouche pleine.

- Est-ce que tu peux arrêter de te foutre de ma gueule et me dire ce que ce putain de réveil signifie, et à quoi vous êtes en train de jouer ?

Il avale son croissant et m'adresse un sourire ravageur, même pas ruiné par la petite miette qui lui reste entre les incisives.

- Tu es la reine du jour ! On t'a choisi par tirage au sort. C'est toi !

La quoi ?

Il reprend :

- C'est un truc qu'on a décidé́ de faire avec les potes de la classe. Et puis ça s'est su au club de foot et depuis tout le bahut est au courant. Bref : on a tiré au sort et c'est tombé sur toi !

Il lève les deux mains comme un gamin espiègle : "Cool non ?"

- Tu veux dire que tout le monde est courant pour tout ça ?

- Yes ! Même ton père, on l'a prévenu pour qu'il libère l'appartement...

Je programme mentalement un parricide avant de m'interrompre interloquée :

- Attends, tu es allé voir mon père, et il a accepté ?

Il se penche vers moi, appuie son menton sur la main tout en papillonnant légèrement des yeux :

- Darling, si j'étais allé́ voir ton père, il aurait jamais accepté... On a envoyé Medhi !

Ah d'accord, Medhi, le premier de la classe, avec sa tête de prépa scientifique. Et mon idiot de père est tombé dans le panneau ! Argh... Ça fait partie de ces moments où je regrette amèrement que ma mère ne soit plus de ce monde ! Maman, si tu me vois de là-haut... help !

Je demande avec hésitation :

- Qu'est-ce qui va se passer ensuite ?

Il engouffre son deuxième croissant tout en me fixant de ses grands yeux verts, qui ont pris une légère teinte caraïbe à la lumière du jour.

- Bon, moi je suis que le hors d'œuvre, il répond en souriant. Pour le prince charmant, on a plusieurs candidats... mais faut que je te sonde avant...

- Parce qu'il y a un prince charmant ?

- Bien sûr princesse ! Toute la journée on te traite comme une reine, on te porte tes affaires, on t'offre un Twix à la récré de dix heures, on répond à ta place quand le prof t'interroge... le grand jeu ! Et ce soir, big party chez Pierrot qui prête sa maison. Tout le monde y sera ! Et là...

- Et là ? je demande avec une petite pointe d'énervement qui commence à monter...

- Ta daaa ! Prince Charmant ! Celui que tu auras choisi t'offrira à minuit un bisou de cinéma ! L'apothéose d'une journée de princesse !

Je n'en crois pas mes oreilles. Ces mecs ont organisé ma journée comme des midinettes en chaleur.

- On dirait un manga shojo ! Vous êtes des vraies meufs !

Il prend un air intéressé :

- Tu lis des mangas ?

- Toi aussi manifestement !

Ça le fait rire :

- Non, je crois que mon dernier livre remonte à mon année de quatrième...

- Quand tu as appris à lire, manifestement !

Il ne m'entend même pas et claque des mains triomphalement :

- Tadao ! Terminale S !

- Quoi Tadao ?

- T'aime les mangas, t'aime le Japon... Tadao ! Ton samouraï charmant !

- Tadao est né à Clermont-Ferrand je te signale !

- Oui ben c'est ce qu'on a de plus japonais sous la main, faudra t'en contenter. Arrête de gâcher la surprise ! C'est quand même super cool notre idée. Je suis sûr que toutes les filles du lycée rêveraient d'être à ta place ! Et pour une fois qu'on fait quelque chose d'un peu sympa !

Je parviens à garder mon calme :

- Et après ? je lui demande doucement.

Il me regarde par-dessus sa viennoiserie : "Après ?"

- Oui, après minuit, qu'est-ce qui se passe ?

Il prend un air d'incompréhension, ce qui le conduit à ouvrir encore plus largement ses prunelles splendides, dont je crois avoir déjà̀ dit qu'elles étaient vertes :

- Après minuit, le carrosse redevient citrouille. Tu t'attendais à quoi ?

- Vous allez me balader toute la journée comme Abraracourcix sur son bouclier, et puis après, vous allez me jeter comme une merde, c'est ça ?

Il me regarde interloqué, limite choqué.

- Ben non, mais le concept c'est : "princesse d'un jour". C'est pas : "devient la Reine d'Angleterre et fête ton jubilé !"

Je prends une grande inspiration et j'avoue, oui j'avoue, que je pèse quelques instants le pour et le contre. Un moment de faiblesse. Un ange aux yeux verts que je laisse passer. Pardon. Puis je prends ma tasse de chocolat encore remplie et je la lui balance sur la tête avant de me lever :

- Les filles sont TOUTES des princesses TOUS les jours, connard !

Il est totalement effaré et ne réagit même pas. Le chocolat sombre et sirupeux coule doucement sur ses cheveux et recouvre son visage. On ne voit plus que ses yeux qui me regardent avec stupéfaction.

Est-ce que je vous ai dit qu'ils étaient verts ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top