Texte n°599
- Blackstranger esquive l'attaque de son adversaire. Il effectue une magnifique parade et... oh ! Mesdames et messieurs son adversaire, se retrouve à terre ! Non ! Il se relève... et tente une nouvelle manœuvre.
La voix du présentateur m'insupportais. Plus le combat se prolongeait, plus elle devenait criarde. Essayant d'en faire abstraction, je me reconcentrai sur l'épée levée de l'homme en face de moi. Il la tenait à bout de bras et s'apprêtait à l'abattre sur moi. Trop lent. Avant qu'il est pu esquisser le moindre geste, je m'élançai sur lui et portai le coup final. Rapide et efficace.
Il gisait à présent devant moi, le souffle haletant et des gouttes de sueur perlant sur son visage buriné. Son arme était tombée à terre. Je pointai l'extrémité tranchante de mon épée dans sa direction. Il dut comprendre qu'il n'avait plus d'issue, car son corps s'affaissa et il leva sa main gantée en un geste. Il capitulait.
- Le combattant abandonne, notre gagnant est donc Blackstranger ! déclama la voix stridente du présentateur au signal de mon adversaire.
La foule amassée dans les gradins ne le laissa même pas finir sa tirade et se leva dans un même mouvement pour m'acclamer bruyamment. Les cris et les applaudissement résonnaient de toutes parts. Je leur accordai un bref salut. Je détestais les démonstrations habituellement exubérantes des champions. Je ne m'attardais pas dans l'Arène pour écouter le discours d'Octavio, le présentateur attitré de l'Arène. Tandis que je m'éloignais vers la sortie, sa voix résonna dans mon dos, couvrant les exclamations de la foule.
- Mesdames et messieurs, cet victoire conclue cette journée de combats. Blackstranger l'emporte une fois de plus. Ce jeune homme n'a encore perdue aucun de ses affrontements, je vous le rappelle, cher public. Il se place donc en première place parmi les favoris du tournoi. Sur ce, Mesdames et messieurs, nous nous retrouvons dès demain pour la suite des combats.
Je soupirai silencieusement et rejoignis les coulisses de l'Arène. Cet endroit situé sous la place où se déroulait les affrontements n'étaient accessible qu'aux épéistes, éventuellement un ou deux de leurs proches et, s'ils en possédaient, leur coach ou entraîneur. Pour ma part, personne ne m'y attendait.
Tandis que je longeais les vastes couloirs, je sentais les regards des autres épéistes rivés sur moi. C'était compréhensible. Personne ici ne connaissait mon visage ni même mon identité. J'étais un mystère pour eux. Enfin, c'est ainsi que me désignait le public. Le jeune combattant prodige sortie de nulle part. Voilà ce que j'étais à leur yeux.
Échappant à toute cette attention, je tournai à l'angle et arrivai devant une porte en fer. Je l'ouvris et débouchai sur une cabine. J'avisai le banc métallique longeant le mur et y déposai mon arme.
Les épée n'étaient pas fournies lors des combats. C'était aux participants d'apporter les leurs. De toute façon, j'aurai refusé n'importe quel autre arme que la mienne.
Il faut dire qu'elle contribuait grandement à mes victoires successives. Une lame, parfaitement équilibrée et finement forgée, à l'acier étincelant ; une poignée taillée dans de l'ébène incrusté d'argent torsadé et aux détails élégamment gravés ; un pommeau fait d'un métal sombre et léger.
Je verrouillai la porte et commençai à me dévêtir. Ma tenue de combat était dans des teintes sombres. Elle était exactement comme j'aimais, sobre mais légère et j'étais libre de mes mouvements à l'intérieur. La veste comportait un capuchon, et le col montait de façon à ce que la seule partie visible soit mes yeux. Je voyais parfois certains de mes adversaires déstabilisés par le bleu glacial de mon regard accentué par le contraste de mes habits sombres.
Je défis mon capuchon et le laissai retomber en arrière. Aussitôt, une longue chevelure cascada en boucles blondes dans mon dos. Une fois ma tenue enlevée, je revêtis une chemise de soie d'un blanc immaculé ainsi qu'une longue jupe d'un bleu profond. Pour faire bonne mesure, je délaçai mes rangers et les retirai. Elle furent remplacées par une paire de sandalettes élégantes que j'enfilai en grimaçant.
Je passai les doigts dans mes mèches enchevêtrées entre elles afin d'y mettre un semblant d'ordre. Je ne me sentais pas d'humeur à les attacher aujourd'hui. De plus, cela créait un écart de plus avec le personnage que je m'étais forgé dans l'Arène. Qui aurait pu faire le lien entre le jeune et talentueux épéiste qui enchaînait les victoires dans les combats et une frêle jeune fille à la longue chevelure dorée et à l'allure parfaitement féminine ?
La seule chose qui aurait pu me trahir était mes yeux. Ils étaient reconnaissables entre mille. C'est pourquoi j'évitais les contacts visuels lorsque je me trouvais dans cet endroit.
Une fois prête, je déverrouillai la cabine et entrouvrai légèrement la porte. Je jetai un coup d'œil alentour, m'assurant qu'on ne me verrait pas sortir. Personne. Le couloir était désert. J'empoignai mon sac qui contenait tout mon matériel et m'extirpai de la pièce exigu. Je marchai d'un pas tranquille la distance qui me séparait de la sortie. J'avais l'habitude. Si quelqu'un m'arrêtait pour me demander ce que je faisais ici, je lui disais que je rapportais les affaires de Blackstranger. Après tout, ce n'était pas dénué de vérité, j'omettais simplement le fait que ce personnage et moi ne faisions qu'un.
Il y avait une autre chose à laquelle j'étais habituée : les gens qui me dévisageaient. Particulièrement les hommes. Je pouvais comprendre que ma présence soit quelque peu étonnante. Je paraissais décalée avec mes vêtements élégants au milieu de tous ces combattants. Mais je savais que ce n'était pas l'unique raison. Je ne le cacherais pas, j'étais particulièrement belle. Et je correspondais parfaitement au standard de beauté attendue de cette société machiste. Une blonde aux yeux bleus, pas trop grande - attention, il ne faudrait pas dépasser l'homme - fine et aux traits gracieux et bien dessinés. Souvent, je recevais des regards déplacés, et dans ces moments-là, je n'avais qu'une envie : dégainer mon épée et leur faire baisser les yeux.
C'est sur ce point là que se trouvait le problème. Si j'avais en effet le physique convenable, mon caractère laissait plutôt à désirer. Enfin, d'après ma mère et toutes ces stupides conventions. Je ne supportais pas les femmes effacées, qui se laissaient dicter leur conduite par des règles établies uniquement par des hommes à l'esprit étroit. Je refusais radicalement de me laisser marcher dessus sous prétexte que je faisais partie du sexe féminin. Une des raisons qui expliquait mon attrait pour les combats à l'épée dans l'arène. Ces affrontements me permettaient de me libérer. Pour moi, cela s'apparentait à un moyen d'expression. Quand je me trouvais en possession de mon arme, je n'avais plus à jouer le jeune fille docile, conduite par une société masculine dans laquelle je ne pouvait afficher pleinement ce que j'étais.
Si ma véritable identité venait à être dévoilée, je serais arrêtée sur-le-champs. Les femmes n'avaient pas le droit d'être épéiste. Une pratique réservée à la gente masculine paraît-il. Avant de me lancer dans l'arène, j'avais voulu savoir pourquoi les femmes ne pouvait pas pratiquer cette discipline. Cela m'avait valu les remontrances de ma mères et les regards amusés de mon frère. J'avais fini par trouver : Les femmes ne possèdent pas le bon physique pour se battre à l'épée. Cette discipline est trop violente pour elles, de plus elles ne pourraient pas rivaliser avec leurs adversaires masculins.
Des conneries. Et tout ces hommes que j'avais battu dans l'arène ? C'était plutôt eux qui ne parvenaient pas à rivaliser. J'avais littéralement poussé un juron lorsque j'étais tombée sur ça. J'avais eu droit à des regards courroucés de ma mère.
Une jeune fille de bonne condition se devait de s'exprimer dans un langage correct et distingué. Je l'oubliais parfois.
Je respirai mieux à l'instant où je franchissais la double porte d'acier qui reliait l'arène au terrain vague sur lequel reposait ses fondations. Personne à l'horizon. La foule qui remplissait les gradins à peine une heure plus tôt s'était comme évaporée. J'eus un imperceptible soupir de soulagement. Contre toute attente, me trouver au milieu d'un grand nombre de gens m'oppressait.
Je remis mon sac en place et commençai à marcher. Un bruit de voiture m'interrompit dans mon initiative. Je me tournai, pour découvrir une Rolls dans les tons de gris et noir qui s'approchait de moi. Elle s'arrêta à ma hauteur et le conducteur baissa sa vitre. Je n'avais pas besoin de voir sa tête. Sa voiture était reconnaissable entre mille.
- Qu'est-ce que tu fais là Kalen ?
Mon grand frère m'offrit son plus beau sourire et, au lieu de répondre, m'invita à m'assoir côté passager. J'exécutai sans broncher, préférant éviter la marche à pied qui se révélait assez pénible en général. J'attendis qu'il prenne la parole. Il démarra et s'adressa à moi :
- J'étais dans les gradins tout à l'heure. Je n'ai pas souvent l'occasion de regarder tes combats alors je voulais en profiter pour une fois, déclara-t-il le regard rivé sur la route.
Mon frère était la seule personne qui soit au courant de ma participation au tournoi de l'arène. Il n'avait jamais trouvé cela déplacé que je sois épéiste. Lui même en était un. Il m'avait toujours encouragée et poussée dans cette voie qui me plaisait tant. Il était vraiment compréhensif et partageait mes avis sur le règlement mis en place.
- Dis donc, tu sais que tu t'es vachement améliorée depuis la dernière fois ? lança-t-il.
Je gardai mon regard fixé sur l'horizon et feignis l'indifférence.
- Oui... Enfin on ne peut pas dire non plus que mes adversaires sont bien coriaces, lâchai-je.
Sans même le regarder, je pouvais deviner son expression amusée.
- Tiens, puisque tu dis ça, j'ai eu une idée tout à l'heure en te voyant te battre, déclara-t-il.
Je l'encourageai à continuer en opinant doucement du chef.
- Et si on faisais un tour à l'Entrepôt pour se mesurer l'un à l'autre ? Ça fais pas mal de temps que je ne me suis pas confronté à toi, et j'aimerais bien voir ce dont est capable le jeune prodige qui enchaîne successivement les victoires dans l'Arène, continua-t-il d'un ton légèrement moqueur.
Je tournai enfin les yeux vers lui et eus un sourire narquois.
- Pourquoi pas. Si je me souviens bien, la dernière fois on avait fini exæquo non ? le narguai-je.
Une mou moqueuse fit son apparition sur le visage de Kalen.
- Chérie, ce jour-là j'avais enchaîné trois combats et j'étais complètement crevé, sinon tu ne serais jamais arrivée à faire l'égalité, dit-il d'un ton suffisant
- C'est ça, cherche toi des excuses, raillai-je.
Il ne rétorqua plus rien et se concentra de nouveau sur la route. Mais je voyais qu'au fond il était légèrement vexé.
Mon grand frère ne supportait pas la défaite. C'était un épéiste émérite, nous avions fait presque tout notre apprentissage ensemble. Je le titillais sur le fait que nous ayons fait exæquo car je savais qu'il était piqué de ne pas pouvoir me battre malgré notre différence d'âge et de taille. Il fallait dire que je n'avais que 17 ans, tandis que lui arrivait à son vingt et unième anniversaire. Mais je savais qu'au fond il était fière que je ne me laisse pas battre facilement. Sauf que cette fois-ci, j'allais gagner. Je l'avais observé dans quelques uns de ses combats et je savais que j'avais désormais un niveau supérieur.
La voiture se stoppa devant un hangar désaffecté à la façade noirci de suie. L'Entrepôt. C'était ici que se rendaient les épéistes pour s'entraîner ou encore s'affronter en duel. Le bâtiment n'était pas enregistré officiellement, ainsi, tous les affrontements qui s'y déroulaient étaient clandestins.
L'endroit n'était certes pas légal, mais il était géré de façon assez stricte par Dave, un grand bonhomme tatoué au crâne dégarnie. Il employait des gars afin de faire régner un semblant d'ordre dans le hangar. Il était assez coulant et laissait passer les combats improvisés où se rassemblaient les autres épéistes pour assister à un affrontement. Kalen le connaissait bien et se rendait régulièrement dans ce lieu. Pour ma part, j'étais déjà venue à de nombreuses reprises, mais je n'avais jamais parlé à personne, pour éviter que l'on puisse me reconnaître.
Je m'apprêtais à imiter mon frère, qui venait de descendre du véhicule, lorsqu'il m'arrêta.
- Non. Change toi d'abord.
Mes yeux glissèrent sur mon chemisier, ma jupe et enfin ces horribles sandalettes. Bon, je ne pouvait pas entrer dans l'Entrepôt vêtu ainsi... mais me changer dans une voiture ?
Kalen remarqua mon désappointement et poussa un soupir agacé.
- Tu préfères peut-être te coltiner tous les regards ? déclara-t-il d'un air ironique.
J'étouffais un grognement et lui ordonnai de se retourner. Je jetai un coup d'œil alentour, vérifiant que personne ne se trouvait dans les parages et m'emparai de mon sac laissé à l'arrière. J'eus une pensée pour ma mère qui aurait été profondément indignée en me voyant me changer à l'arrière d'une voiture.
Je retirai mes habits et enfilai ma tenue à la vitesse de l'éclair. Le veston épousa parfaitement la forme de mes épaules et de mon buste. Il était cintré juste ce qu'il fallait et cachait à merveille ma poitrine qui, fort heureusement pour moi, n'était pas volumineuse.
Une fois prête, je me saisis de mon épée, restée dans son fourreau noir, et la glissai dans mon dos, de façon à pouvoir la dégainer à tout moment. Chaque fois que je portais cette arme, un sentiment incroyable m'envahissait. Je me sentais plus forte, plus téméraire, imbattable. C'était une sensation réconfortante de sentir la lame se balancer doucement dans mon dos.
Une fois mes gants de cuir enfilés, je pris une grande inspiration et ouvris la portière pour déboucher sur le bitume mouillé d'eau de pluie.
En levant la tête, je vis les nuages noirs qui s'amoncelaient dans le ciel morose. La bruine commençait à se déverser sur nous. Kalen se retourna en entendant mes bruits de pas.
- Mets ton capuchon bon sang, s'étrangla-t-il en s'approchant et en rabattant précipitamment mon vêtement.
Aïe. J'oubliais souvent ce détails. Surtout que ma longue chevelure blonde ne passait pas inaperçue. Mon frère me lança un regard de reproche. Je savais qu'il s'en faisait beaucoup pour moi, d'ailleurs je crois qu'il se préoccupait plus de ma sécurité que moi-même.
- Ne t'inquiètes pas, il n'y a personne ici, le rassurai-je.
- Et si un épéiste était sortie de l'Entrepôt et t'avais vue ? rétorqua-t-il, le visage fermé. A ton avis, qu'est-ce qui ce serait passé ? Il t'aurais reconnu immédiatement, tout le monde sait qui tu es ici. Dans le meilleur des cas, tu aurais du arrêter les combats à l'épée, on t'aurait supprimé la tienne, et tu serais punie à vie, mais dans le pire des cas tu aurais pu te faire arrêter et exécuter. Tu t'en rends compte ?
Je ne me laissai pas démonter et soutins son regard.
- Est-ce que tu es au courant que tous ces risques dont tu parles je les prends tout le temps, constamment. Je pourrais me faire arrêter comme tu le dis tous les jours, et pourtant je suis toujours là, et ça depuis des années. Tu prétends que j'ignore les conséquences de ce que je fais ? Mais depuis que papa est mort et m'a laissé cette épée, je ne vis que pour les combats, et je ne me suis jamais laissé fait prendre, déclarai-je fermement.
Mon frère gardait son expression fermée, même si je pouvais voir dans ses yeux qu'il savait que j'avais raison. Je soupirai et posai ma main sur son épaule.
- Écoute Kalen, tu ne peux pas comprendre ce que ça fais. Je dois me cacher pour pouvoir être épéiste. Je suis forcée de garder cette identité secrète car les femmes ne sont pas acceptées à cause de ces lois absurdes. Toi tu peux te balader au grand jour avec ton épée, mais moi non.
Je vis à son visage qu'il capitulait. Il souffla et se tourna vers moi. Il m'offrit un sourire et remonta mon col dans un geste affectueux.
- Voilà, comme ça c'est parfait, lança-t-il. Allez viens p'tite sœur, je veux voir si tu es toujours capable d'obtenir une égalité.
Il savait que je ne refusais jamais un défi. Je lui jetai un regard malicieux et lui emboîtai le pas. Nous arrivâmes devant les grandes portes du hangar. Kalen empoigna la barre d'acier, la fit pivoter et me laissa pénétrer dans l'Entrepôt.
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