Texte n°586

Prologue :

— On dit qu'à l'heure où le monde n'était qu'argile, une brume échouée du ciel se mêla au souffle poussiéreux que crachait la terre et que, de cette union, deux êtres naquirent. 
Complémentaires, inséparables, faits de ce que nous savons maintenant eau et sang, chevilles liées par un infini et fin ruban rouge, robuste comme la pierre, ils se vouèrent une adoration, réciproque dans son ardeur, toute en inanité.

Ils se mirent à marcher, soudés comme la mer l'est à la terre, aujourd'hui, ils errèrent, des années, dans ce vaste désert de glaise. Ils prirent conscience, un jour que je ne sais pas nommer, que leur triste existence, qui n'était pas solitaire, les lassait, insipide, maussade, à tel point qu'elle était propice aux dissensions.
Leur âme devint alors charitable envers cette terre craquelée, s'agaça de la pellicule terne et effilée au ciel. L'un fendit successivement du talon l'argile, perça son c?ur du pouce pour que s'en écoule son sang, l'eau-même, et que, dans les rainures de la plaine graveleuse, fluctuent les rivières, qui gonflèrent et furent fleuves, qui confluèrent et furent mers tumultueuses ou océans platoniques. Ainsi, la terre devint sa chair, le lit de ces torrents, ses veines. Le monde était sien, le monde était lui, il s'éleva, perça la membrane mate et contempla la splendeur de ce qui vivrait, bientôt. Ses mains façonnèrent la végétation, foisonnante en des pâturages fertiles, en chaque berceaux fluviaux. Des feuillages des arbres, il tira les oiseaux, des buissons, les animaux terrestres. Puis, les mers furent parcourues de bancs de poissons divers. Et enfin, des méandres de cette nature naissante, vint une créature à son image, dépourvue toutefois de ses capacités de création, l'Homme.

Tout ceci peupla ce que l'être d'eau considéra comme prime divertissement. Sa moitié vétilleuse, juste arrivée à ses côtés, scruta avant lui, les moindres détails de ce récent univers. Assez tôt, elle fut frappée d'une évidence flagrante. Les conceptions de son âme-s?ur étaient aussi plaisantes à regarder qu'un rideau de pluie. Au mieux, elles marchaient en rond, sans même interagir entre elles. Prise de pitié, l'être de sang effleura de la simple pulpe des doigts, le front des humains d'abord, puis la poitrine des bêtes.
Alors, le loup bondit sur l'agneau, le banc de poissons se hâta d'échapper au requin. Le jeu du prédateur et de la proie fut insufflé en l'esprit de chaque être vivant. Les chasses instinctives, la voration des plus chétifs devinrent les prémices de la loi du plus fort.
L'homme, quant à lui, écouta les doctrines du couple divin, dont les deux entités se trouvèrent nommées Création et Volonté, en souvenir de ce qu'ils avaient su tirer de l'inerte. En témoignage de sa gratitude, puisqu'il avait vu les visages de ces êtres suprêmes inclinés vers lui, il bonifia les terres qu'on lui avait gracieusement offertes.
Un temps, ou des milliers, passa, passèrent en paix, car tout allait et venait avec les manières régulières de nos métronomes. Les humains se divisèrent en plusieurs peuples, mus par un respect mutuel. Ils chassaient modérément, progressaient en sciences du langage et du monde, sans que cela ne porte préjudice à la nature, priaient, chaque jour, leurs Dieux.

Tout ce qui est bon doit cependant savoir prendre fin. Un paysan, vivant dans ce qui s'appelait auparavant la Grande Vallée, revendiqua une misérable parcelle de terre à l'un de ses semblables, qui cultivait plus au nord, dans la contrée d'Ita. Une mauvaise fortune voulut que ces deux protagonistes souffrent d'un sévère entêtement. Un violent conflit éclata entre eux. Et comme leur commune nature, jusqu'alors profondément enfouie en l'âme de tout homme, le voulait, ce conflit épancha son joug amer sur les paysans voisins, attirés par ce bouleversement dans leurs journées monotones, gagnant famille en famille, régions en régions. Tous voulurent la parcelle de terre, qui devint un bien rare que son propriétaire s'efforçait de protéger. Ce qui était menace se changea en acte. On bascula dans l'animosité. Le lopin, misérable en réalité, fut finalement pris d'assaut par l'une des premières puissances militaires, alors bien ridicule. Et dans la mécanique des peuples, sa terre granuleuse fut versée.
Il fut évalué moindre possession par ses nouveaux propriétaires, qui voulurent plus, Ita toute entière. Trop vite, on créa diverses alliances. Les recherches convergèrent vers l'avancée des arts militaires. On chassa plus, on inonda de sang les forêts calcinées. Et les prières se raréfièrent. Abjurant cela, et leur quête de savoir, les hommes connurent des mois de complaisance, dans cette violence routinière. Leurs hurlements bestiaux attira sur eux l'?il de Création. Voir ses disciples incessamment s'affronter, consumer le monde qu'il leur avait si généreusement offert, le plongea dans une colère ardente. Un instant, son sang se glaça et avec lui, l'intégralité des fleuves et des mers. Les peuples se rappelèrent que des Dieux étaient en mesure de gouverner leur existence. En Ita, la guerre continuait pourtant de faire rage et les deux armées formées campaient férocement sur leurs positions, persuadées l'une l'autre d'être à la victoire proches. Se voir ignoré fut le coup de grâce quant au peu de calme qu'avait réussi à conserver Création. Il décida de punir à jamais ces êtres insolents.

De sa rage aigre, naquit son fils aîné, détenteur de sa frustration superbe, la Mort. Aussitôt venu à la vie, son père l'aima plus que tout dans son dépit. Création façonna une armure de noirceur, faite de la braise qu'on dit jaillie des volcans à l'instant de sa naissance. Il éleva trois louves et les confia au jeune être divin. Ce dernier s'empara des griffes des animaux à l'instant même où il s'aperçut de leur tranchant. Des matériaux récupérés, il forgea trois épées, et en confia une à son père. À cet instant, Volonté s'abaissa elle-aussi sur le monde qu'elle et son âme-s?ur avaient créé. Elle vit l'épée, entendit la colère de Création, avisa le cauchemar qui se déroulait sur les champs de bataille et comprit tout. Prise de panique quant à l'avenir de ses chers hommes et encore pleine de bonté, l'être de sang supplia son homologue d'eau d'accorder une chance à leurs peuples. Malheureusement, Création redevint furieux, outré d'être ainsi interrompu dans ce moment privilégié avec son fils. Il se plia néanmoins aux désirs de sa moitié, qui s'appliqua à créer sa fille. Faite de la pureté des premiers humains, la jeune déesse, vêtue d'un drap brodé, n'eut pas un regard pour sa mère. Elle se tourna immédiatement vers le monde et observa, fascinée, tout ce qui s'y passait. Son c?ur palpita pour les vices de ces gens. Elle élut sept pêchés et ôta de son sein sept bêtes titanesques qui pèseraient le pour et le contre de ses jugements futurs. Volonté se vanta de la curiosité de la nouvelle déesse auprès de Création. Selon elle, l'enfant divine jugerait les âmes que son frère aîné trancherait. L'être d'eau ignora presque la divinité novice. Il ne pensait alors qu'au sort des hommes qu'elle déclarerait coupables. Pendant qu'il usait des dernières flammes de sa colère pour donner naissance à son fils cadet, Volonté créa secrètement l'opposé même de ce futur dieu, sa seconde enfant qui guiderait, dans une ultime épreuve, les hommes que sa s?ur aurait jugé aptes à être raisonnés. Lorsque Création confia au cadet le soin de brûler éternellement les âmes pécheresses, Volonté donna à la dernière de la fratrie céleste, la constitution de sa propre moitié, espérant ainsi l'attendrir. Mais en s'apercevant de la trahison de sa compagne, Création fut parcouru d'une vive douleur, plus forte encore que celle qu'il avait ressenti face à la guerre des humains. Il frappa la cadette des quatre enfants divins, ne la tuant pas mais soufflant le manteau d'invincibilité qui protégeait chacun de ses frères et elle aussi jusqu'à alors. La juge des hommes eut un sursaut violent à l'instant où le coup tomba et relâcha les sept êtres censés l'accompagner, sur la terre.

Voici comment les descendants directs du couple divin naquirent en un jour, dans une suite logiquement coordonnée à leurs fonctions.
Ils devinrent respectivement le dernier bourreau, la juge des hommes et les guides du purgatoire et de Niraitei, là où les âmes coupables seraient consumées par des flammes à jamais ardentes. Leur père ne s'arrêta pas là. Il leur donna une apparence de mortels et leur ordonna de quitter les cieux pour la terre des hommes avec l'objectif de parcourir forêt et océan jusqu'à trouver une âme bonne et pure. Les quatre y parvinrent et nommèrent une jeune bergère, première prêtresse. Leur rôle, une fois au complet, fut de faire cesser la guerre. Là, de nouveau, Création surestima hautement la vertu humaine. Ses enfants furent rejetés. Et malgré les multiples tentatives de Volonté de réconcilier son compagnon avec l'idée du pardon, l'être d'eau prît une décision radicale, qu'il confia à son fils aîné en lui laissant le soin de l'expliquer à ses s?urs et frère. Puis dans un rêve, il s'adressa à la prêtresse pour qu'elle mène dès le lendemain ses acolytes divins, aux abords de la plus belle chose qui ne lui ait jamais été donné de voir. La jeune fille à l'âme pure et qui, miraculeusement, n'avait nullement était entachée par les horreurs de la guerre, guida les quatre enfants sous un arbre aux milles pétales d'un mauve éclatant, qui se trouvait presque au centre de la contrée. Autour d'eux, pas un bruit. Pourtant une bataille se déroulait non loin. Elle observa ses compagnons joindre leurs mains sous l'arbre et lancer un regard au ciel en prononçant quelques mots. Les secondes qui suivirent Ita resplendit comme jamais elle ne l'avait fait. Au moment où l'éclair blanc se fut abattu sur le pays, tout disparut. Les bêtes, la végétation, les hommes, les rivières, la terre elle-même et la prêtresse. Volonté, dans les cieux, porta une main à son c?ur et ferma les yeux à jamais, refusant de voir ce qui ne fut plus qu'une étendue d'argile. Et sur celle-ci, rien ne pouvait plus vivre. Création, dans cette attaque fatale, avait retiré à ses humains la terre pour laquelle ils se déchiraient.
Certains tentèrent de retrouver quelques corps, une moindre ruine, un semblant de preuve qu'une vie avait ici existé. Ils se perdirent, devenant fous dans ce désert morne où tout se ressemblait et furent condamnés à errer jusqu'à ce qu'ils tombent de soif. D'autres voulurent repeupler cette contrée fantomatique. Mais pas une seule des fondations qu'ils montèrent ne tint. Tous finirent par se résigner. Ils comprirent leur pêché, prièrent encore et encore, osèrent sacrifier des denrées telles que le gibier, devenues rares durant la guerre. Création s'était depuis longtemps détourné d'eux. Avec l'union destructrice de ses quatre enfants, il avait abandonné à jamais l'idée de régner de nouveau sur ces êtres ingrats.
Cependant, il avait donné des ordres bien précis aux nouveaux dieux. Premièrement, ils ne retournèrent pas dans les cieux tout de suite. Il leur était d'abord demandé de parcourir de nouveau le monde sous leur forme divine cette fois-ci, et de faire savoir à tous la seconde punition que leur imposait Création. Les peuples devinrent fondamentalement différents dans leurs agissements. Il y eut en premier lieu les marchands, puis ceux qui prieraient et seraient responsables d'assurer la foi de chacun et enfin les guerriers. Les pays se changèrent en territoires, le monde des hommes, auparavant si unis, fut fractionné. Après cela, il fut permis aux enfants divins de remonter au ciel, laissant derrière eux un culte à leur personne. Avant de partir à jamais, leur père confia à chacun le soin d'accomplir son rôle et de veiller sur ces terres qui ne l'intéressaient plus. Mais surtout, ils ne devaient en aucun cas quitter les cieux. L'aîné des divins s'insurgea face à la sévérité de Création. Et il jura avec ses frères de trouver un moyen pour eux d'interférer dans les affaires humaines, que l'être qui leur était suprême le veuille ou non. Puis, ils se façonnèrent quatre jardins dans lesquels ils s'exilèrent tous pour observer leurs gens.

Le monde recommença sa marche. Les marchands prirent évidemment de l'importance, jusqu'à former d'immenses royaumes. Les guerres reprirent bien évidemment, puisque les enfants divins laissaient aller, s'ennuyant d'un monde en paix. Certaines alliances se créèrent entre les peuples marchands et les guerriers, on annexa des territoires en quête de posséder la plus vaste terre.
Il y avait un certain groupe de femmes et d'hommes qui excellait dans le commerce. Il fut l'un des premier royaume. Encore aujourd'hui, ses souverains guerroyaient pour obtenir de plus en plus de terres, le plus souvent contre le royaume ennemi, dont le siège était implanté sur le continent qui faisait face au leur. Cette population animée par un esprit de conquête peuplait l'immense vallée de Nassun. Elle arborait fièrement le drapeau de leur royaume, baptisé Tran.

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