XIII. Retour à la case départ
Pour la première fois depuis ce qu'il me semble être une éternité, je me suis rasé. En me regardant dans le miroir ce matin, une pensée m'a traversé l'esprit et je me suis dit qu'il est temps. Temps que j'arrête de m'apitoyer sur mon sort et de faire le mec malheureux.
Il faut que je tourne la page.
J'ai passé un stade de haine et de rage que j'avais gardé au fond de moi, comme une pilule que l'on ne dirigeait pas. Je n'arrivais pas à oublier. Je n'arrivais pas à m'en remettre. C'était devenu comme un traumatisme, pourtant, des pauvres gars largués sur l'autel, il doit y en avoir toute une chiée. Je ne dois certainement pas être le seul et je rêverais de fonder un club et d'échanger avec ces autres-là, juste pour voir les raisons de leurs ex, même si je suis à peu près certain que ça se résume à "J'ai couché avec ton meilleur ami".
C'est toujours la faute du meilleur ami. Celui qui est plus beau que vous. Plus riche que vous. Qui a un charisme de fou, mais qui reste célibataire parce qu'il est jeune et qu'il préfère "profiter". Il aligne les conquêtes les unes derrière les autres sans souci, tandis que toi, pauvre gars à la vie de merde, tu peines déjà avec une seule fille.
C'est lui que je devrais détester à mort.
Même si au fond, je crois qu'une part de moi les comprend tous les deux.
Ils forment un beau couple. Ils sont canons.
Pour couper avec ma routine matinale consistant à me bourrer la gueule devant l'océan en lui racontant ma pitoyable vie, j'ai décidé aujourd'hui d'aller faire un tour en ville. Sortir. Quitter le bord de mer et me mélanger au monde.
En fait, c'est surtout parce que je n'ai plus de pistaches et finalement, Camille a raison, je devrais refaire ma cave à vin. Regardez-moi ce ventre que je me paye moi. Un petit bidou d'alcoolo de bas étage.
Quittant le bungalow, je regarde à droite, de l'autre côté de la plage, vers le bungalow de Camille et n'aperçois personne. Sans doute est-elle déjà au café à cette heure-ci. Je passerais peut-être la voir plus tard.
Il n'y a pas grand-chose à faire au village, ni grand chose à voir, mais au moins, on peut compter sur le marché pour offrir son lot d'animations.
"- Camille ?"
Comme par hasard, je tombe nez à nez sur Hortense, panier en osier à la main, vêtue d'un petit ensemble flashy qui lui correspond totalement.
"- Mais qu'est-ce que tu fais là ?
- Je me cure le nez. Qu'est-ce que tu crois ?"
C'était plus fort que moi. J'ai toujours détesté les questions à la con. Un peu comme les "Tu deviens quoi ?" Ce genre de question qu'on vous pose pour faire genre que l'on s'intéresse à votre vie alors qu'on s'en bats les couilles royalement.
Ça me rappelle mes jours à l'école où, quand on demandait d'aller aux toilettes, la maîtresse nous regardait toujours avec suspicion avant de nous demander "Pour quoi faire ?"
Ouvrir la chambre des secrets, connasse va.
"- Je suis contente de te voir."
Fidèle à elle-même, Hortense rebondie sans prêter attention à ma réponse.
"- Je ne m'attendais pas à te voir ici."
Et moi donc. Je ne m'attendais pas du tout, mais alors pas du tout à te voir dans le coin.
"- On fait un tour ensemble ?
- Tu n'as pas autre chose à faire Hortense ?
- Allez, il fut un temps, c'est toi qui m'entraînais sur les places de marché."
J'hausse les épaules en feignant ne pas me souvenir de cette époque lointaine. Une vie antérieure sans doute.
"- Ta copine n'est pas avec toi ? Tu es venu seul ?
- Ma cop...Ah Camille !"
Putain c'est vrai. J'ai failli oublier ce mensonge effronté qu'elle lui a sorti à la figure.
"- Elle travaille là.
- Donc tu es tout seul...
- Et je suis bien, seul."
Je n'ai pas envie de passer ma matinée à être avec elle et à lui laisser penser une seconde que je suis d'accord avec sa présence. Même si j'ai dit que je n'étais plus en colère, il n'en reste pas moins que je ne suis pas spécialement heureux de la voir.
"- Tu sais, il m'a appelé hier soir. Il semblait heureux quand je lui ai dit que je t'avais vu et que tu allais bien.
- Ah parce que je vais bien pour toi ?
- Tu n'es pas si malheureux que ça non plus."
Non. Ce n'est pas comme si y'a un mois, j'avais essayé de me noyer. Sans succès. Une vieille pêcheuse m'a attrapé. La honte de ma vie. Depuis, je me suis juré de ne plus recommencer. Ou du moins, plus de cette façon.
"- Et s'il a quelque chose à me dire, qu'il vienne me le dire. C'est quoi, il a peur ? Moi qui pensais qu'il en avait une assez grosse pour m'enculer et te baiser ? Bizarre.
- Camille !
- Quoi ? Oh, pardon. Suis-je grossier ?
- Je ne te reconnais vraiment plus. Tu étais gentil comme garçon, doux.
- Tu l'as dit toi-même : "j'étais". Mais je ne suis plus et ne prétends pas me connaître.
- Écoute, rien de tout ça n'aurait dû se passer.
- De quoi ? Ta partie de jambe en l'air avec l'autre trou du cul ou le fait que tu me plantes le jour de notre mariage ? Tu ne sembles même pas afficher un seul brin de regret. Chaude jusqu'au bout, hein Hortense ? T'as toujours été un peu cochonne au lit de toute façon."
Soudain, la claque se perd sur ma joue devant le regard des passants qui se retournent vers nous.
Je l'admets, je ne l'ai pas volée celle-là.
"- De quel droit, te permets-tu ?"
Je n'en sais rien. J'ai subitement eu envie de lui balancer les pires horreurs du monde pour me sentir mieux, plus à l'aise. Mais ça n'a rien changé. Bien au contraire.
Je me sens horrible.
Le connard moyen. Je me déteste pour ça.
"- Tu sais quoi Camille ? Ta mère m'a appelé, encore. Elle veut savoir ce que tu fais, ce que tu deviens alors arrête de t'enfoncer dans ton propre malheur et reviens à la raison. Si ce n'est pour toi, fais-le au moins pour le peu de gens qui osent tenir à toi.
- Je t'ai jamais demandé de venir. C'est toi qui es venue à moi Hortense. Pourquoi ? Je n'en sais rien. T'es venu admirer l'ampleur des dégâts ? T'es venu voir si j'étais encore en vie, quelque part, histoire de te sentir moins coupable ? Tu vois, je m'en sors bien alors tu peux repartir, la petite culotte en paix. Je n'ai clairement besoin ni de toi, ni de lui dans ma vie. Vous l'avez assez foutue en l'air comme ça."
Je la regarde ramasser son panier, les yeux larmoyants avant de quitter la place du marché en courant.
Je ne me sens toujours pas mieux. À vrai dire, je peine à distinguer ce qui fait le plus mal. Mon cœur ou ma joue. J'hésite.
Pourtant, ce matin, j'étais parti déterminé. Tel un nouvel homme et me revoilà redevenu ce même ramassis de conneries qu'au tout début.
Retour à la case départ.
Quittant le village, je regagne à mon tour la plage et je fais un stop au bar où travaille Camille. D'ailleurs, c'est elle-même qui s'avance vers moi pour prendre ma commande.
"- Un café ou un jus de raisin ?
- Je n'en sais rien...
- Je vous fais un supplément filet de bave si vous souriez."
Là tout de suite, je ne sais pas si c'est moi qui suis sur le point de craquer ou pas.
"- En tout cas, elle a une force d'hippopotame pour vous avoir laissé une telle trace sur la gueule.
- Elle a toujours eu un côté un peu sauvage dans mes souvenirs.
- J'apporte donc le jus de raisin."
Et elle ne ment pas. Elle revient cinq minutes plus tard avec un grand verre et une paille, allant jusqu'à s'asseoir en face de moi.
"- Merci.
- Je dois vous faire une confidence Camille. J'ai craché dans votre verre."
A cet instant, pour la première fois de la journée, j'ai souris.
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