XII. Goûter et jus de raisin
Après la venue d'Hortense, je suis resté un moment le cul dans le sable à regarder les vagues, à faire un doigt dès qu'un couple tout joyeux me passait devant. Je déteste ces gens qui s'affichent là et qui se roulent des pelles devant tout le monde sans aucune pudeur. Ça me donne la nausée. J'ai limite envie d'en prendre un pour taper sur l'autre.
Vous allez voir quand ça vous arrivera ! Le bonheur ne dure pas. Un jour, vous en viendrez même à vous détester.
Vous allez voir.
Quand j'y pense, je n'ai même pas eu l'occasion de lui demander comment elle m'a retrouvé et tout compte fait, je n'y tiens pas, car pour avoir la réponse à cette question, il faudrait que je la revoie.
À côté de moi, il y a une bouteille qui gît, à moitié enfoncée dans le sable. Je ne l'ai pas ouverte, je l'ai juste posée là "au cas où". Au cas où ça deviendrait trop difficile et intolérable d'avoir son image en tête. Au cas où j'en ai besoin pour me murger et l'oublier, parce qu'il n'y a que comme ça que je suis capable de l'oublier : En buvant comme un pochetron.
N'empêche, elle me tente vachement.
A peine ai-je tendu la main pour l'attraper qu'une autre vient la substituer contre une bouteille de jus de fruits.
Je regarde alors l'étiquette et je souris.
"- Du jus de raisin.
- C'est meilleur."
En levant les yeux, je m'aperçois que Camille est là. Encore. Elle apparaît toujours au "bon" moment. Un de ces moments où je veux m'enfoncer la tête dans le sable et où je veux que l'on m'oublie.
"- J'ai même des petits gâteaux si vous voulez. Vous êtes plutôt ourson fourré ou cookie ?
- Cookie.
- Je m'en doutais. Bon, poussez-vous et faites-moi une place"
Elle s'assoit à côté de moi, pose son sac à dos entre ses jambes et sort un paquet de cookies au chocolat, gardant les oursons pour elle.
"- Je pensais que vous rigoliez, mais en fait, vous vous baladez vraiment avec des gâteaux.
- Je reviens des courses et je voulais prendre quelque chose pour contrer votre envie de suicide.
- Je n'ai pas envie de me suicider. D'où vous vient cette idée ?
- Et boire comme un trou en se bousillant le foi, vous n'appelez pas ça un suicide ?"
Elle me fusille d'un regard désapprobateur et je me dis que c'est peut-être bien la seule personne à se soucier de moi. Ce n'est pas plus mal. Moi-même je ne me soucie pas de moi autant.
"- Bon, bah, bon appétit."
Sans attendre, elle arrache le papier enveloppant le biscuit et je la regarde le décapiter sans sourciller.
"- Pauvre ourson. Il a perdu sa tête."
Soudain, un sourire presque hilare se dresse sur son visage tandis qu'elle joue avec le reste du corps en criant
"- Qu'on lui coupe la tête !"
Alice aux pays des merveilles ?
Puis, elle le met entier dans sa bouche sous mon regard stupéfait.
"- Quoi ?
- Rien, rien."
Je savais déjà qu'elle avait une grande gueule, mais là.
Pour la peine, j'attrape la bouteille de jus de raison et en descends pas tout à fait la moitié.
"- Eh bien, ça, c'est de la descente.
- J'avais soif. L'air marin donne soif.
- Bon, filez-la-moi.
- De quoi ?
- La bouteille, à votre avis !"
Je viens de boire dedans et...
Sans avoir eu le temps de la réflexion, elle me la prend des mains, pose ses lèvres délicates sur le goulot et boit.
"- Pourquoi vous me regardez comme ça ? Ah. Je vois. Vous êtes de la vieille école vous, c'est ça ? Ouais, on a fait un baiser indirect. Échange de salive. Hmm miam ! J'espère que vous n'êtes pas malade en ce moment, car je ne tiens pas à chopper vos saloperies.
- Dans ce cas, il ne fallait pas boire derrière moi !
- Après avoir autant parlé à votre ex, j'ai cette désagréable impression d'avoir perdu de ma salive donc, il faut que je rattrape ça. Vous sembliez tellement en détresse à ce moment-là...
- Je n'étais pas en détresse.
- Oh si. Si vous l'étiez. C'était écrit en lettres clignotantes au dessus de votre tête "Aidez-moi" donc comme je suis une chouette personne et que j'aime sauver la veuve et l'orphelin, je suis venue à votre rescousse.
- Vous n'étiez pas obligée. Je m'en sortais très bien."
En vrai je ne m'en sortais pas du tout. Elle a raison. Hortense aurait pu faire ce qu'elle voulait de moi. Je pensais qu'en prenant de la distance et qu'en m'éloignant un maximum d'elle, en quittant absolument tout, tout ce qui pouvait lui être rattaché, je m'émanciperais de son emprise.
Mais ce n'est pas le cas.
Même dans ce trou paumé, elle a réussi à me retrouver et je l'ai trouvé superbe la première fois que mes yeux se sont posés sur elle.
J'ai honte. Je me sens carrément trop con.
"- J'espère que la prochaine fois, ça ira mieux pour vous.
- La prochaine fois ? Quelle prochaine fois ?
- N'a-t-elle pas mentionné le fait qu'elle comptait rester dans le coin ? Vous êtes appelés à vous revoir tous les deux."
Merde. C'est vrai. J'avais totalement zappé.
"- La tronche que vous faites est hilarante."
Je vais la revoir.
"- Dites Camille, en plus de livreuse de gâteaux, vous faites garde du corps ?
- Ah bah non ! Débrouillez-vous tout seul un peu. Vous êtes un grand garçon quand même."
Oui, mais...
"- Je paye le prochain café ?
- Non.
- Les croissants ?
- Toujours non.
- Un resto ?
- Arrêtez d'essayer de m'acheter, ça ne prend pas. Soyez honnête avec elle et dites-lui ce que vous avez sur le coeur."
J'en ai tellement gros sur le coeur que je ne saurais même pas par où commencer.
"- Bon allez, je dois aller bosser.
- Vous êtes du service du soir ?
- Exceptionnellement de temps en temps...Quand j'ai vraiment besoin d'argent. Je vous l'ai dit, non ? Je ne tiens pas à rester ici plus longtemps. Je veux partir. Je veux partir et vite."
Au fond, je suis tellement centré sur moi-même et sur mon propre petit malheur que j'en viens à me dire que je ne sais rien de cette fille ou quasiment rien.
"- N'essayez pas de vous noyer dans la mer, Camille !
- Ce n'est certainement pas mon genre, Camille !"
Ça reste bizarre à entendre, mais ça en est devenu presque marrant.
Nous sommes les Camille.
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