VI. Pour un dernier café

Toute la nuit j'ai ressassé ses paroles dans ma tête. Ça tournait en boucle. C'était comme si soudainement, je prenais petit à petit conscience de son existence. Comme si tout mon être lui laissait une place volontairement et qu'elle en profitait pour se faufiler dans mes pensées. Je la déteste. Je déteste les femmes pour ça. Pour leur sournoiserie indirecte. Elles ne savent pas et ne sauront sans doute jamais l'impact qu'elles peuvent avoir dans nos vies. Leurs mots restent gravés. Leurs gestes deviennent immémoriaux.

Je déteste les femmes pour ça.

Ca me fait chier de me rendre compte que mine de rien, cette petite nénette-là, arriver par je ne sais quel moyen, à occuper toutes mes pensées, allant jusqu'à m'empêcher de dormir.

Je la déteste, elle plus que les autres.

Je veux dormir putain ! DORMIR ! Ça serait trop demandé au Bon Dieu ?

"- Et maintenant il fait jour..."

Les premiers rayons du soleil se glissent à travers les stores tandis que je jette un oeil au radio-réveil : 7 heures.

C'est tôt. Trop tôt. J'aurais aimé me prélasser sous la couette. J'aurais aimé glander dans le lit jusqu'à 11 heures au moins.

Ne rien faire. Ce qui s'inscrit dans la continuité de ce que je fais depuis que je suis arrivé sur ce bout de sable. Je ne fais rien. Je passe mon temps à boire, regarder les vagues, boire sur la plage, regarder les étoiles, m'endormir comme l'ivrogne du coin sur un banc de sable.

Je suis assez minable comme un gars en fait. Rien du mec charismatique qu'on a envie de se taper.

Je me sens comme ce vieux modèle de voiture, complètement usé et dépassé qu'on laisse à la casse, parce que tout le monde regarde la dernière Porshe de sortie.

Avant j'étais une Porshe. Avant j'avais une vie étincelante et j'étais un homme heureux. Comblé même. J'avais un métier cool, une copine aimante que j'allais épouser, un ami loyal qui me suit depuis la fac. J'avais tout ce qu'un homme pourrait désirer avoir.

Puis mon pote s'est tapé ma meuf. Mon patron est un gros con que j'ai frappé sur un coup de colère parce que j'en pouvais plus et j'ai fini par tout plaquer pour venir m'installer là. Dans ce trou perdu, au milieu de nulle part où tout le monde me dévisage dès que je vais faire mes courses sur le marché.

Quand je regarde dehors, je m'aperçois que le mauvais temps d'hier a laissé des traces. Malgré les quelques rayons du soleil qui se pointent, le temps reste assez moche.

Un peu comme moi.

Soudainement, on frappe à ma porte et un grognement m'échappe tandis que j'ouvre la petite porte en bois, laissant apparaître Camille.

Encore elle. Elle m'a fait chier toute la nuit et pendant elle va continuer la journée ?

"- C'est l'heure du café !"

Elle entre, sans avoir été invitée, me tend un gobelet de café que j'attrape sans me poser de question et je la regarde s'installer sur une chaise de la cuisine.

"- Vous avez une sale gueule.

- C'est parce que je vous ai vu de bon matin.

- Tellement charmant. Pas étonnant que vous fassiez flipper les vieilles du village.

- Je les emmerde, elles vont clamser bientôt de toute façon."

Je remarque alors que son visage garde une marque de ce qu'il s'est passé et remarquant que je me concentrais sur ça, elle rabat ses mèches devant avec précipitation avant de m'adresser un franc sourire.

"- Ca partira."

Ou pas. Je ne sais toujours pas ce qu'elle faisait là-bas, ni même comment elle a réussi à maîtriser les gars toute seule, mais je suis content qu'elle s'en soit sortie.

"- Je vous vois dévisager votre café depuis cinq minutes...Il ne vous plaît pas ?

- Vous avez craché dans celui-là aussi ou pas ? Je me méfie c'est tout.

- Non ! Je viens vous repayer pour hier. Après ça, on sera quitte. Je ne vous embêterais plus."

Oh.

"- Vous êtes triste ? Je croyais que vous ne m'aimiez pas ?"

Moi ? Triste ? Pff ! N'importe quoi !

Pourquoi je serais triste ? Je m'en bats les couilles de cette fille.

"- Je ne vous déteste pas non plus."

Mais tais-toi imbécile ! Elle va croire que tu l'aimes bien et elle ne va pas arrêter de ce pointer après ! Ferme ta gueule bon sang de Camille !

"- Je vais vraiment finir par croire que vous m'apprécier.

- J'apprécie votre café tout du moins.

- C'est déjà ça.

- Je n'en attendais pas moins d'une barmaid.

- Je ne travaillerais pas toute ma vie non plus. Dès que j'économiserais assez, je m'en irais loin d'ici. Loin de tout."

J'ai l'impression de m'entendre. Sauf que je n'ai pas eu besoin d'attendre. J'avais des économies de côté. J'ai donc tout plaqué, et je me suis tiré. Sans un mot.

De toute façon, qui aurait pu se soucier de mon départ ?

Certainement pas mon ex, ni son abruti de nouveau copain. Ils s'en foutent pas mal de moi. Je l'ai bien compris.

"- Bon, vu que vous avez amené le café, je présume que les croissants sont pour moi ?

- Je suis plutôt pain au chocolat...

- Je vais aller chercher ça.

- Chaque jour vous vous améliorez ma parole !

- Que voulez-vous ? On n'arrête pas le progrès ! Si ça doit être notre café ensemble, autant le partager convenablement.

- Je vous prends au mot ! Je vous accompagne au marché.

- Vous n'êtes pas obligée...

- Et si l'une de ces mamies vous agresse ? Je ferais une super garde du corps, vous savez ?

- Si vous y tenez."

En fait, je mentirais si je disais qu'avoir un minimum de compagnie ne me manque pas.

"- À vivre tout seul, vous me rappelez Robinson Crusoé.

- Ce qui fait de vous mon Vendredi je présume ?

- J'ai la tête d'un ballon ?

- Assez...Vous avez un visage plutôt rond."

Et pour la première fois depuis longtemps, j'ai ri. Sans me forcer. Sans me restreindre.

J'ai ri avec elle.

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